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Le thème de la médiation entre recherche et pratique en éducation rejoint tout à fait mes préoccupations de jeune chercheuse désireuse de construire « avec » les praticiens et praticiennes plutôt que de comprendre de l’extérieur leurs façons de faire dans la vie de tous les jours. Le texte suivant s’inspire d’une étude doctorale ayant permis de répondre à des besoins de formation auprès d’un groupe d’éducatrices travaillant en garde scolaire et d’étudier la construction de leur savoir d’expérience. Parmi les angles proposés pour discuter de la médiation, j’ai retenu le défi méthodologique lancé aux chercheurs pour renouveler la démarche d’investigation. Une mise en garde s’impose quant au contenu abordé, qui ne rend pas compte de résultats de recherche, mais tente de décrire la nature théorique de ma démarche méthodologique.

Le présent article suit un parcours en quatre temps. En introduction, je trace rapidement les grandes lignes de la problématique ayant conduit à une recherche avec des éducatrices travaillant en garde scolaire ; je décris, dans un premier temps, les appuis épistémologiques soutenant les choix méthodologiques de la démarche. Suivent ensuite les considérations méthodologiques ayant permis d’étudier le savoir d’expérience des éducatrices. J’explore plus longuement dans un troisième temps la double posture adoptée dans la recherche, celle de chercheuse et de formatrice. Enfin, pour conclure, j’avance certains critères permettant d’assurer la rigueur méthodologique d’une recherche avec des praticiens et des praticiennes.

Les préoccupations de départ

À l’origine de cette recherche, il y a le constat, maintes fois formulé, de l’écart entre le discours théorique et la réalité vécue au quotidien par les praticiennes[1]. J’éprouvais le besoin d’ancrer ma pratique de chercheuse dans une démarche rejoignant les intérêts des praticiennes. J’ai travaillé quelques années comme assistante de recherche. Les études auxquelles j’ai collaboré portaient sur l’observation des environnements préscolaires et des milieux de garde. J’ai été plus particulièrement sensibilisée à un milieu éducatif, celui de la garde scolaire. Avant d’aborder ce contexte et les raisons qui m’ont conduite à y mener une recherche, il faut mentionner la conjoncture de besoins qui dresse la toile de fond de toute la démarche et guide ma « façon de faire de la recherche ».

J’ai constaté chez les éducatrices en garde scolaire la nécessité de définir les contours de leur pratique. Elles disent par exemple que leur rôle est différent de ceux de l’école et de la famille. Leurs propos pourraient se résumer ainsi : « Nous, on ne fait pas l’école » ou encore : « Nous ne sommes pas des mères de famille, nous sommes des professionnelles de l’éducation ». Ce territoire de pratique qu’elles tentent de définir par la négative, en rejetant les rôles d’enseignante et de parent, quel est-il ? Quelle est la spécificité de la garde scolaire ? Y a-t-il moyen de répondre à ces questions et du même coup documenter le phénomène complexe de la construction du savoir développé dans la vie de tous les jours ? Cette conjoncture crée un espace commun pour établir une médiation entre la pratique et la recherche en éducation : d’une part, le besoin des éducatrices de parler de la pratique en garde scolaire pour mieux la comprendre et, d’autre part, mes propres préoccupations de chercheuse sur la nature du savoir d’expérience.

Décrivons d’abord brièvement la problématique des services de garde en milieu scolaire et les raisons qui ont fait en sorte que j’ai choisi ce contexte en particulier pour mener une étude sur le savoir d’expérience. La garde scolaire est peu connue de la recherche et peu reconnue par le public en général (Larouche, 1999). Ce milieu éducatif semble être le parent pauvre du système de garde québécois. À titre indicatif, mentionnons l’absence d’exigences de qualification pour le personnel (on demande une quatrième secondaire), les programmes de formation qui couvrent mal les besoins des gens actuellement en place, l’absence de consensus quant au rôle que l’on veut attribuer à ces milieux éducatifs. Les éducatrices affirment avoir un rôle différent de ceux de l’école et de la famille, mais comment définissent-elles leur rôle auprès des enfants ? Il y a bien quelques écrits qui se sont attardés au rôle des éducatrices oeuvrant en garde scolaire (Coleman, Rowland et Robinson, 1989 ; Lalonde-Gratton, Guy et Binette, 1995 ; Martin et Ascher, 1994 ; Newman et Taylor, 1991 ; Seligson et Fink, 1989). Ces écrits, bien que pertinents, tiennent peu compte de la réalité vécue au quotidien par les éducatrices. Pour comprendre la pratique en garde scolaire, qui peut mieux nous renseigner que les personnes qui y travaillent ? De ces constats découle l’angle choisi pour construire l’objet de recherche avec les éducatrices, de l’intérieur même de la pratique, en leur donnant la parole.

Appuis épistémologiques : un regard de l’intérieur

Au départ, l’objet de recherche n’était pas clairement défini. Il se posait plutôt en termes de préoccupations personnelles largement imprégnées d’un besoin de construire avec les éducatrices le sens qu’elles donnent à leurs actions. Également, la démarche de recherche voulait répondre à une demande sociale en contribuant à circonscrire les contours du territoire de pratique des éducatrices en garde scolaire. Cette quête de sens ne pouvait se faire sans que les éducatrices s’impliquent dans le processus de recherche. Le sens n’est pas là comme une donnée préexistante, une pratique quotidienne organisée qui peut être décrite et étudiée d’un regard extérieur. Il s’agit plutôt d’une étude microsociologique qui se propose de décrire en même temps qu’elle la constitue la réalité sociale des éducatrices. Le choix d’aborder la pratique des éducatrices en garde scolaire dans ses détails les plus fins tout en la constituant correspond à la perspective adoptée par les ethnométhodologues.

Pour situer la perspective ethnométhodologique et illustrer la position du chercheur dans une recherche de terrain de type ethnographique, reprenons un exemple apporté par Alvaro Pires (1997). L’auteur a recours à la métaphore de l’étranger en l’opposant au voyageur ou au natif de la place, une métaphore qui a elle-même été élaborée par Simmel (1908, cité par Pires, 1997). L’étranger, contrairement au voyageur, n’est pas sans s’intégrer dans le milieu dans lequel il choisit de demeurer. Un trait typique le distingue du natif de la place, il ne fait pas partie du groupe depuis sa naissance. L’étranger se situe donc entre deux pôles : d’un côté, le voyageur et, de l’autre, le membre de la population locale. L’étranger cherche à s’intégrer tout en apportant une dimension extérieure. Pires souhaite illustrer par cette métaphore l’heureuse combinaison de la proximité et de la distance du chercheur dans un effort d’objectivation et de compréhension d’un phénomène.

Tout comme dans la métaphore de l’étranger, en ethnométhodologie, le chercheur tente d’examiner son objet en le regardant à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Pires (1997) développe plus longuement cette idée de regard extérieur-intérieur en retraçant l’évolution des modèles de recherche en sciences sociales. Un premier modèle s’inspirant des sciences de la nature valorise la neutralité et l’observation de l’extérieur, un deuxième modèle s’inspirant cette fois de débats philosophiques valorise la neutralité et l’observation de l’intérieur et, enfin, un troisième modèle s’inspirant de l’idéologie marxiste valorise le parti pris et l’observation d’en bas. Ce troisième modèle a été exploité dans une perspective féministe et traduit un point de vue résolument partisan face à un problème social. Pour ma part, j’ai essayé de comprendre le savoir d’expérience des éducatrices en garde scolaire en adoptant un regard de l’intérieur tout autant que d’en bas, pour reprendre les propres termes de Pires.

Cette posture du parti pris traduit assez bien les propos développés dans l’introduction, soit le souhait de reconnaissance sociale motivant une démarche de recherche ethnométhodologique. L’ethnométhodologie, en rupture avec la sociologie traditionnelle, représente une posture intellectuelle où la démarche compréhensive est mise de l’avant (Coulon, 1987). Rejoignant les courants de l’interactionnisme symbolique et de la phénoménologie, elle s’attarde aux interactions sociales, à « l’ici et maintenant », pour décrire et analyser les pratiques ordinaires de la vie de tous les jours.

Le but de l’ethnométhodologie est de comprendre comment les membres d’une communauté se donnent des moyens pour organiser leur vie sociale et le sens qu’ils donnent à celle-ci (Coulon, 1987). En adoptant cette perspective, je reconnais que les acteurs sont les mieux placés pour interpréter leur réalité. Le sens n’est pas donné à l’avance, il se construit dans les accomplissements pratiques, dans l’activité quotidienne. À travers leurs actions, les éducatrices exercent des choix, elles organisent leurs activités en un tout cohérent, elles se définissent un « code de pratique ». Ce code est rarement exprimé, il se vit et se partage avec les membres. Dans le langage ethnométhodologique, le code représente le savoir implicite dans l’action partagé par les membres. Le code n’est pas un objet stable, il est le produit de l’activité continuelle des acteurs qui mettent en oeuvre des règles et des procédures pour donner sens à leur activité (Coulon, 1996).

Le défi méthodologique est de rendre explicite le code de pratique partagé par les membres dans l’action. Schön (1994) est sans doute celui qui a apporté la contribution la plus importante au courant de la recherche sur le savoir en action des praticiens. Selon cet auteur, le praticien construit son savoir à travers des situations et des difficultés rencontrées dans la pratique, il analyse et résout ces situations-problèmes pour se construire un répertoire d’expérience, un cadre de référence. Le modèle du praticien réflexif contribue à l’explicitation et à l’interprétation du code de pratique des éducatrices.

De manière plus concrète, la méthodologie de recherche est basée sur le mode narratif. Le dispositif de recherche consiste à mettre sur pied une activité où les éducatrices expriment leur code implicite dans l’action. L’explicitation du code se fait par un retour sur l’action (le modèle du praticien réflexif de Schön, 1994), en racontant sous forme de récit la résolution d’un problème vécu dans la pratique quotidienne. Les récits de pratique sont ensuite exploités en groupe pour être analysés selon la méthode des cas, une approche pédagogique bien connue en formation continue (Mucchielli, 1987). En décrivant leur action, les éducatrices livrent du même coup le sens qu’elles en tirent. Le sens, ainsi reconstruit, reflète un travail de collaboration entre chercheuse et praticiennes.

En fait, la démarche de recherche participe à la construction du code et à son interprétation, et devient ainsi une démarche de coconstruction. La démarche sert à la fois de formation pour les éducatrices qui font une analyse de leur pratique et de mode de recherche pour interpréter la nature du savoir d’expérience. Cette double finalité, bien qu’elle participe de la médiation entre recherche et pratique en éducation, doit toutefois être distinguée. J’y reviendrai plus longuement dans la troisième partie, mais, auparavant, voyons comment les assises puisées en ethnométhodologie ont donné des prises méthodologiques pour accéder au code de pratique partagé par les éducatrices.

Considérations méthodologiques pour favoriser l’émergence du code

Pour illustrer le rôle de médiation joué dans l’approche préconisée, présentons sommairement les conditions favorisant l’émergence et l’explicitation du code. Le défi méthodologique est de mettre en place une intervention servant à la fois les besoins de la recherche et les besoins des praticiennes tout en concordant avec le cadre conceptuel. L’intervention méthodologique doit placer les éducatrices en situation d’expliciter leur code mobilisé dans l’action. Pour comprendre l’intervention méthodologique, examinons trois concepts clés empruntés à l’ethnométhodologie : la réflexivité, l’indexicalité et la notion de membre.

La réflexivité

Le concept de réflexivité est au coeur des conduites sociales et signifie : décrire la réalité en même temps que la produire. L’expression qui illustrerait le mieux ce concept pourrait bien être dire c’est faire ou, pour le dire autrement, raconter sa pratique, c’est en même temps la constituer. La réflexivité joue un rôle de premier plan dans l’intervention méthodologique : pour accéder au savoir d’expérience des éducatrices, il faut créer une « situation réflexive ». En ethnométhodologie, une situation réflexive est une situation concrète où les acteurs ont à livrer leur « code ».

Dans la vie de tous les jours, les acteurs n’ont pas à expliciter le caractère réflexif de leurs actions. Leur compétence d’acteur réside davantage dans leur savoir-agir, c’est-à-dire dans leur capacité à partager implicitement le code commun. Il faut donc faire en sorte de créer un lieu d’échange où les éducatrices auront à faire un retour discursif sur leur action pour nommer leur code de pratique. Retenons pour l’instant que l’intervention méthodologique doit décrire la pratique en même temps qu’elle la constitue par la mise en discours du code. La réflexivité devient donc une condition de base pour favoriser l’émergence du code.

L’indexicalité

Prenons l’exemple de la question suivante : aimez-vous ça ? Le terme « ça », si souvent utilisée dans les échanges courants, est compris de l’interlocuteur s’il partage un contexte commun. Garfinkel (1984), fondateur de l’ethnométhodologie, a montré que nous utilisons sans cesse, et le plus souvent de façon tacite, un cadre contextuel dans nos communications. Cet aspect contextuel renvoie au concept d’indexicalité (Coulon, 1987). L’indexicalité concerne les marqueurs langagiers qui tirent leur signification du contexte.

Le langage, qui constitue l’essentiel de la vie sociale, tire son sens complet de ce partage tacite d’expressions indexicales (le partage d’un code commun). L’indexicalité trouve son origine dans le code partagé ; la vie de tous les jours deviendrait vite impossible s’il fallait constamment préciser le sens de toutes nos interactions. La compréhension de l’action exige qu’on aille au-delà des mots et du discours, qu’on partage un contexte commun pour se comprendre. Ce deuxième concept, solidaire du premier, renvoie au contexte structurant l’action et représente la deuxième condition d’intervention méthodologique pour favoriser l’émergence du code. Les éducatrices partagent un savoir indexical (leur code de pratique) lié au contexte dans lequel se déroule leur action.

La notion de membre

La notion de membre réfère non pas à l’appartenance sociale, mais à la maîtrise du code. Le membre connaît le code, il est familier avec sa communauté, il décode les « allant de soi », il sait comment agir et interagir avec les autres membres, il partage un savoir de sens commun. Devenir membre, dira Coulon (1993), c’est s’affilier progressivement à un groupe pour en maîtriser le langage et les ethnométhodes. Les ethnométhodes sont les façons particulières que se donne un groupe social pour organiser et produire sa réalité de manière intelligente et cohérente (Coulon, 1996). Le membre, à sa manière particulière, partage un savoir, il connaît les implicites des conduites et des routines. Le membre possède un ensemble de procédures, d’ethnométhodes, qui le rendent capable d’inventer son propre code personnel pour donner sens à ce qu’il vit. Ayant incorporé les ethnométhodes du groupe, il démontre naturellement qu’il en est un membre. Ce troisième concept constitue une dernière condition pour favoriser l’émergence du code.

Ces trois concepts caractérisent les conditions à mettre en place pour créer une activité de recherche permettant d’accéder au code de pratique des éducatrices en garde scolaire : une activité réunissant un groupe d’éducatrices qui interagissent à propos de leur pratique — on retrouve ici la notion de membres — une activité, à la fois individuelle et commune, qui leur permet d’effectuer un retour discursif sur leur expérience concrète, soit l’explicitation d’un problème résolu dans leur pratique — on retrouve ici la notion de réflexivité — et, enfin, une activité où elles explicitent entre elles, en termes de raisons, de justifications, de motifs, des choix d’actions posées au quotidien en vue de se donner une compréhension commune de leur pratique — on retrouve ici le concept d’indexicalité.

Ces concepts rendent compte du fait que la vie sociale se construit à travers le langage, celui de tous les jours, à travers l’action qui a un sens implicite (le code partagé) et que la pratique est réflexive (elle décrit la réalité en même temps qu’elle la produit). Le discours des éducatrices est à la fois informatif de leur pratique et structurant de celle-ci. C’est d’ailleurs le postulat de l’ethnométhodologie : tout groupe social est capable de se commenter lui-même et de s’analyser.

Mon rôle de chercheuse est d’interpréter le caractère indexical et réflexif de la pratique, une interprétation de l’interprétation des membres, pourrait-on dire. Selon Coulon (1996), l’ethnométhodologie exige que le chercheur soit témoin, à divers degrés, du phénomène qu’il veut observer et analyser. Cette position d’observateur-participant n’est pas toujours possible, auquel cas il faut alors que le chercheur recoure à « l’expertise sociale » des membres. Ma démarche, empruntant cette deuxième voie, vise la mise au jour du code de pratique. Cette mise au jour passe nécessairement par une intervention avec les éducatrices pour qu’elles explicitent leur code. J’élabore dans le point suivant la double posture adoptée dans la démarche méthodologique, à la fois d’observatrice d’un phénomène et d’intervenante pour mieux l’interpréter.

Double posture de chercheuse-formatrice : un rôle à définir

En invitant les éducatrices à expliciter leur pratique au moyen de récits qui ont ensuite été discutés en groupe, je m’inscris dans un rôle de médiatrice dans la construction de sens. En fait, il s’agit d’une coconstruction puisqu’elle se fait en collaboration chercheuse-praticienne. La démarche de coconstruction, servant deux registres, le développement professionnel et la production de connaissances, définit la recherche collaborative (Desgagné, 1997). Le chercheur se retrouve à la fois dans une démarche d’investigation d’un objet de recherche et dans une démarche interactive avec les praticiens pour construire avec eux le sens de leur pratique.

Les intérêts des chercheurs diffèrent de ceux des praticiens, mais se rejoignent dans la quête de sens, mentionnent Clandinin et Connelly (1996). Sans élaborer longuement sur la recherche dite collaborative, je veux ici mettre en lumière que la recherche a été l’occasion pour un groupe d’éducatrices de réfléchir, d’explorer et de mieux définir les contours de la pratique en garde scolaire.

L’idée de recherche collaborative rejoint également les préoccupations des chercheurs soucieux de créer un rapprochement entre les universités, responsables de la formation et de l’avancement des connaissances en éducation, et les milieux de pratique dans le but commun d’une meilleure compréhension de la pratique (Desgagné, 1997).

Le rôle de formatrice

Précisons dès maintenant que l’activité de recherche s’est déroulée à l’intérieur d’un programme de formation continue en milieu universitaire[2]. Pourquoi avoir choisi ce contexte de formation ? Et en quoi puis-je prétendre avoir joué un rôle de formatrice auprès des praticiennes ? L’approche de terrain dans le cadre d’un cours universitaire offrait plusieurs avantages et permettait d’exploiter le modèle du praticien réflexif tel que défini par Schön (1994). Parmi les avantages, mentionnons que la situation répondait à des besoins réels de perfectionnement de la part des praticiennes tout en correspondant au profil d’un cours déjà existant. Par ailleurs, le grand engagement demandé aux éducatrices sur la base d’une participation volontaire est vite apparu trop exigeant dans la phase exploratoire de la recherche. L’idée de se tourner vers des structures existantes est apparue plus avantageuse pour réunir les conditions méthodologiques telles que définies dans le point précédent : une activité réflexive, indexicale et réunissant les membres d’une communauté. Les étudiantes inscrites au cours étaient toutes des éducatrices en garde scolaire et avaient au moins un an d’expérience (le concept de membre). Le cours était constitutif et productif du savoir (le concept de réflexivité). Enfin, le cours misait sur l’activité langagière et les interactions entre les membres (le concept d’indexicalité).

S’agit-il de réunir des éducatrices et de leur demander de parler des problèmes rencontrés dans leur pratique pour prétendre répondre à un rôle de formatrice ? Comme il a été souligné plus haut, l’activité langagière est privilégiée en ethnométhodologie. Par le langage, l’acteur rend compte de sa réalité et donne un sens à ses accomplissements. Selon différentes théories de l’action (Dubet, 1994 ; Touraine, 1984 ; Giddens, 1987), on suppose que l’acteur présente une certaine autonomie, qu’il exerce des choix et qu’il peut s’en expliquer si on le lui demande. En parlant de son expérience, l’acteur se place à distance de celle-ci. L’extrait suivant présente le résumé du récit d’une éducatrice. Les récits comptent en moyenne cinq à six pages de texte. À chaque rencontre, un récit était ainsi présenté et analysé en groupe. Chaque rencontre a été enregistrée pour recueillir les données issues des échanges en groupe.

Le rôle de formatrice, tel que je l’ai adopté, s’inscrit dans une attitude compréhensive, de manière à faire émerger le sens, le code de pratique des éducatrices en garde scolaire. Toutefois j’ai exercé également un rôle de chercheuse en gardant un esprit critique pour ne pas perdre de vue l’interprétation de l’objet de recherche, la nature du savoir d’expérience. Le point suivant explique en quoi l’activité de formation a également servi la double finalité d’une recherche sur le savoir d’expérience.

Le rôle de chercheuse

Dubet (1994) s’est penché sur ce difficile équilibre entre les rôles de formateur et de chercheur. Dans le rôle de formateur, il doit veiller à faire émerger le savoir partagé par les acteurs en leur offrant un lieu pour échanger en toute liberté tout en stimulant la discussion. Dans le rôle de chercheur, il doit se soucier de rendre transparente sa propre interprétation en accédant à la discussion. Ses interventions, au même titre que celles des membres, sont discutées et négociées pour mieux comprendre leur point de vue.

On reconnaît ici les enjeux d’une double interprétation : celle visant à l’émergence du sens que les éducatrices donnent à leur action dans le récit et l’interprétation de la chercheuse qui tente d’expliquer et de comprendre le phénomène à travers l’ensemble des données recueillies (les récits individuels et le discours collectif des membres discutant des récits). Attardons-nous sur la distinction entre recherche et formation en confrontant l’interprétation selon le point de vue des acteurs et le point de vue de la chercheuse.

L’interprétation du point de vue des acteurs

L’activité principale des éducatrices, on en conviendra, n’est pas d’expliciter leur action. Leur compétence d’acteur, dirait Giddens (1987), réside dans leur capacité d’agir et d’accomplir leurs activités dans la vie de tous les jours. Dans leur action quotidienne, les acteurs font appel à leur conscience pratique. Une conscience que l’auteur distingue de la conscience discursive, soit la capacité de discourir sur leur action. La conscience pratique renvoie à la connaissance tacite des acteurs, à leur capacité d’agir dans la vie courante. La conscience discursive renvoie à tout ce que les acteurs peuvent dire à propos de leurs actions. Ces concepts sont éclairants pour explorer le savoir d’expérience des éducatrices. Il est possible de solliciter leur conscience pratique en leur demandant d’expliquer leurs intentions, les raisons qui les ont poussées à agir de telle ou telle façon. Elles se placent ainsi à distance de leur action pour mieux l’interpréter et en expliciter la logique. L’extrait suivant témoigne de la distanciation provoquée par les discussions autour des récits.

On voit se jouer ici le rapport de tension entre une attitude engagée, l’éducatrice prise dans une relation avec un enfant ou une situation qui la mobilise, et la distanciation nécessaire pour expliquer et dégager le sens de son action. Élias (1993) explique ce double rapport d’engagement et de distanciation par le concept de double lien. Il y a nécessairement interdépendance entre l’engagement de l’acteur et sa distanciation pour dégager le sens de l’action. L’effort de distanciation sera d’autant plus grand si l’éducatrice est grandement engagée dans le problème ou l’interaction. L’engagement de l’acteur peut être multiple, que ce soit sur le plan affectif, idéologique ou politique. Plusieurs aspects influencent ce rapport de tension ; par exemple, le fait de vivre le problème pour la première fois. L’éducatrice a alors peu de points de repère pour interpréter et comprendre le problème. L’interprétation ne se fait pas uniquement sur la base des connaissances antérieures ou du répertoire d’action, elle dépend également du contexte d’action.

J’ai évoqué plus haut l’ambiguïté entourant la garde scolaire quant au rôle que l’on veut y attribuer et les contours mal définis du territoire de la pratique. Entre l’école et la famille, les éducatrices tentent de se définir un territoire dans lequel elles ont à composer avec ces deux milieux fréquentés par l’enfant. Ainsi, dans l’extrait suivant, on observe leur dilemme quant à leur engagement affectif auprès d’enfants plus démunis. Les éducatrices discutent du fait qu’il leur faut « apprendre à se protéger ». L’une d’entre elles relate ce dur apprentissage.

On voit ici se dessiner, du point de vue de l’éducatrice, la difficile négociation avec le contexte familial dans la relation développée avec l’enfant.

En racontant, sous forme d’un récit, un problème qu’elles ont eu à résoudre, les éducatrices se sont distanciées de leur action pour mieux l’interpréter et en rendre compte. Elles développent une argumentation de leur pratique, définissent leurs valeurs éducatives, affirment et défendent leurs choix. Cette distanciation contribue à leur identification et à leur autonomie professionnelle. Par ailleurs, l’émergence du code a servi à interpréter le processus de construction du savoir développé dans l’action. Le point suivant traite de l’interprétation du point de vue de la chercheuse.

L’interprétation du point de vue de la chercheuse

Donner la parole aux praticiennes implique certains choix épistémologiques et méthodologiques. Ces choix ne sont pas neutres, le chercheur est également un acteur engagé, pour reprendre l’argumentation développée plus haut. Voici comment Dubet (1994) explique la double interprétation imposée au chercheur :

Parce qu’elle part de la subjectivité des acteurs, de leur travail et de leur autonomie, la sociologie de l’expérience sociale relève de la famille très élargie des sociologies compréhensives. C’est aussi une sociologie analytique visant à interpréter des conduites et des discours, à les décomposer en éléments simples et à recomposer l’expérience sociale selon un système cohérent.

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Au départ un problème m’a mobilisée : j’ai été touchée par le peu de reconnaissance accordée aux éducatrices en garde scolaire. Mon premier travail d’interprétation a été de reconstruire avec les éducatrices le sens qu’elles donnent à leur action en les amenant à prendre un certain recul pour interpréter et définir leur territoire de pratique. Tout comme les praticiennes, je me situe dans le double rapport d’engagement et de distanciation. L’engagement se définit par les interactions entre chercheuse et éducatrices dans une attitude compréhensive pour favoriser l’émergence du code et ainsi les amener à objectiver leur pratique et en dégager le sens. Les éducatrices ont été, en quelque sorte, invitées à prendre un recul pour analyser leur action.

La distanciation se traduit dans le deuxième travail d’interprétation. Le chercheur, au même titre que les acteurs, veut comprendre les intentions, les motifs guidant l’action. La distanciation qu’il établit dans l’interprétation est de l’ordre du « comment » et non du « pourquoi ». Pour le dire plus simplement, les questions ne portent pas de jugement sur les interventions ou sur l’action. Les éducatrices n’ont pas à se justifier ni à rendre compte du bien-fondé de leurs actions, mais sont invitées à expliquer comment elles ont agi dans le cadre d’action. Elles explicitent, par exemple, les contraintes perçues ou encore les ressources disponibles dans le milieu familial et dans l’école qui ont influencé leur action.

Le point de vue du chercheur, dans la perspective ethnométhodologique, rejoint également le concept de double lien (Élias, 1993) évoqué plus haut, l’interdépendance entre l’engagement et la distanciation. L’interdépendance se joue dans le regard critique et l’analyse du discours pour en dégager une théorie. L’analyse doit tenir compte cette fois non seulement du discours des acteurs, mais également des théories existantes. Le double lien se résume à comprendre un phénomène — être engagée dans une démarche compréhensive du point de vue des acteurs — et expliquer ce phénomène — s’en distancier pour mieux théoriser et reconstruire un schéma explicatif qui témoigne de la réalité des éducatrices.

Une grille de lecture pour interpréter les récits et la nature du savoir d’expérience a été élaborée à partir de l’analyse des données selon une démarche par théorisation ancrée. Cette grille a permis une restructuration des données (les récits individuels et les discours en groupe) dans le but de mieux en interpréter le sens. Une telle démarche poursuit une visée de théorisation empiriquement fondée à partir de phénomènes sociaux (Laperrière, 1997a). La figure suivante présente la grille issue du processus d’analyse par théorisation ancrée.

Figure 1

La grille d’analyse des données

La grille d’analyse des données

-> Voir la liste des figures

La grille est organisée selon trois axes. L’axe A concerne la relation entre l’éducatrice, l’enfant et l’événement raconté dans le récit. L’axe B retrace l’action en contexte dans les trois milieux fréquentés par l’enfant : le service de garde, l’école et la famille. Enfin l’axe C se rapporte à la structure narrative du récit dans la cohérence qui se dégage de l’événement[4].

Les trois axes de la grille d’analyse ont permis de mettre en lumière différents rapports de tension pour interpréter le code de pratique des éducatrices. Le code de pratique est constitué de multiples interactions, les éducatrices ont constamment à interagir et à négocier avec différents acteurs (parents, direction d’école, enseignants) dans un rapport à la fois engagé et distancié avec les enfants (axe A, voir Encadré 1).

Une autre source de tension se situe au carrefour des trois contextes (service de garde, famille, école) dans un rapport de ressources et de contraintes (axe B, voir Encadré 2). Le contexte familial, par exemple, est le plus souvent perçu comme une contrainte de la part des éducatrices. Elles diront que les parents ne font pas toujours preuve de collaboration.

Enfin, le code de pratique est interprété en partant d’un événement singulier (celui raconté dans le récit) en lien avec la continuité de la pratique dans un rapport de tension entre la singularité et la globalité de l’expérience (axe C). Ce jeu de tension dans les trois axes de la grille d’analyse représente la contribution théorique du point de vue du chercheur pour comprendre et expliquer le savoir d’expérience des éducatrices développé en contexte de garde scolaire.

Dans le dernier point, je propose quelques repères de validité autour du défi méthodologique pour renouveler les démarches d’investigation avec les praticiens. Je tente d’illustrer par ma propre démarche de recherche certains critères de validité. Ces repères reflètent davantage mon questionnement sur certains aspects inhérents aux recherches dans lesquelles les acteurs sont invités à participer activement à la démarche plutôt qu’à apporter des réponses définitives aux aspects reliés à la méthodologie.

Critères de rigueur et de validité : quelques repères dans la démarche de recherche

La recherche mettant en jeu des acteurs est fondamentalement interactive. Les interactions entre praticiens et chercheur ne sont pas sans effet de part et d’autre, affirme Laperrière (1997b). Le rapport de tension illustré dans les trois axes de la grille d’analyse traduit de manière éloquente ce lien interactif. La grille vise à concilier le point de vue des éducatrices — le sens qu’elles donnent à leur pratique — et le point de vue de la chercheuse pour théoriser cette pratique. L’interprétation du code de pratique dans ses mécanismes les plus fins montre les difficultés, les contradictions, les tensions et les problèmes auxquels sont confrontées quotidiennement les éducatrices. Le savoir d’expérience, analysé selon la perspective ethnométhodologique, est interprété comme un processus dynamique qui se construit dans l’action. Il serait pertinent d’identifier certains points de repère pour tracer la démarche de recherche.

À la suggestion de Laperrière (1997b), je propose de reprendre les critères qui ont fait école en recherche. Posons tout d’abord les critères conventionnels de scientificité : les critères de validité interne qui rendent compte de la justesse des résultats de recherche, les critères de validité externe qui visent à la généralisation des résultats et les critères de fiabilité qui permettent à d’autres recherches de reproduire, dans des conditions semblables, les mêmes résultats de recherche.

Les critères de validité interne

Précisons qu’il n’y a pas une seule méthode de recherche qualitative, mais qu’il existe une diversité de méthodologies. Chaque méthodologie est liée à la position épistémologique du chercheur, à ses valeurs, à ses croyances. En ce sens, toute recherche fait preuve de créativité et d’inventivité. Ce constat n’exclut pas la rigueur scientifique souhaitée, mais il place le chercheur dans l’obligation de décrire fidèlement sa démarche d’investigation, d’être le plus transparent possible. L’angle choisi, le regard de l’intérieur et d’en bas, reflète mon souci de partir du point de vue des éducatrices pour interpréter la nature du savoir d’expérience. La transparence de ma démarche de recherche est basée sur une approche relationnelle entre chercheuse et éducatrices. Savoie-Zajc (1996) parle de réciprocité, d’empathie, de qualité dans les rapports interactifs sur lesquels le chercheur s’appuie pour produire des données valides. Je me suis positionnée dès le départ en faveur du « parti pris » pour favoriser l’émergence du code de pratique des éducatrices. Un biais personnel qui se voit contrebalancé par la validité de l’objet étudié : je voulais rendre compte de la réalité des éducatrices.

Outre la transparence, un deuxième critère de validité interne tient aux liens entre la perspective adoptée pour étudier l’objet de recherche et la démarche empirique choisie à cet effet. Le cadre conceptuel et le cadre d’investigation présentent une cohérence dans l’articulation ou le passage de la conception à la coconstruction de l’objet de recherche. Ayant défini certains concepts clés empruntés à l’ethnométhodologie, j’ai réuni certaines conditions qui ont favorisé l’émergence du code. Le code de pratique a été coconstruit de l’intérieur même de l’activité de recherche-formation mise sur pied. Les éducatrices, en racontant sous forme de récit la résolution d’un problème et en le discutant en groupe, ont mis au jour les règles et les normes qu’elles se définissent dans l’action.

Un troisième critère de validité interne se retrouve dans l’authenticité des acteurs. Il ne s’agit pas de mettre en doute le discours des éducatrices, mais il faut admettre que la qualité des données repose sur la subjectivité et la logique des acteurs. Les récits sont plus que des exemples types de la pratique des éducatrices en garde scolaire. Dans l’interprétation des données, grâce à la grille d’analyse, je mets en lumière le fait que les décisions prises dans l’action reposent sur différentes sources de tension. Il s’agit non pas de poser la nature du savoir d’expérience comme une polarité ou une constante dualité, mais d’expliquer le savoir comme un processus dynamique. Les éducatrices dans la vie quotidienne ont à prendre des décisions, à interagir avec les enfants en tenant compte de différentes ressources et contraintes qui exercent une influence sur leur action. Elles doivent constamment délibérer et exercer leur jugement. L’interprétation des données a tenté de retracer ce processus de délibération dans l’action.

Les critères de validité externe ou de généralisation

Le principal critère de validité externe — qui renvoie au concept de généralisation ou de représentativité des résultats — se retrouve dans l’émergence du code de pratique. L’aspect généralisable de la démarche de recherche renvoie au fait que les éducatrices se sont reconnues dans les problèmes relatés dans les récits. Rappelons que l’activité de recherche a été l’occasion d’une activité de formation pour les éducatrices. Elles ont discuté en groupe des récits et ont fait une analyse de leur pratique. Les récits ont donné lieu à une discussion en profondeur des ethnométhodes des éducatrices en garde scolaire. Elles ont discuté et explicité les règles guidant leur agir.

Un deuxième critère de validité externe, lié au contexte, tient à l’identification du territoire de pratique. L’interprétation du code prend son sens au regard du contexte dans lequel l’action se déroule. Le fait de nommer, de décrire, d’analyser la pratique des éducatrices en garde scolaire aide à mieux la définir. À ce sujet, Schön (1996) soulève le dilemme de la rigueur ou de la pertinence auquel sont confrontés les chercheurs quand ils s’intéressent aux pratiques professionnelles, car il leur faut alors tenir compte de certaines variables telles que l’incertitude, la complexité, l’instabilité, la singularité, le conflit de valeurs… Étudier la pratique professionnelle est un processus complexe, car la réalité est complexe. Les problèmes, même quand ils ont été résolus à la satisfaction des éducatrices, ne sont jamais clairement définis. Schön (1996) dira que les praticiens font preuve de grand art dans la reconstruction du problème et qu’à leurs yeux ce processus relève davantage de la créativité que de la rigueur scientifique. L’auteur propose alors d’envisager la question sous l’angle de la pertinence. L’échange entre la recherche et la pratique se valide par la formation, quand la recherche aide le praticien à réfléchir sur son action, sur son savoir intuitif. La reconstruction devient alors une forme de généralisation du savoir, un savoir que l’on peut mobiliser dans d’autres situations semblables. Il s’agit non pas de reproduire une solution efficace, mais de reconnaître la complexité du processus de résolution de problème.

Un autre critère relatif à la validité externe tient cette fois aux interactions entre différents acteurs. Une étude microsociologique comme celle qui est ici décrite requiert une analyse très fine et en profondeur des interactions sociales. L’essentiel de ma démarche s’est effectué dans l’interaction : interactions entre chercheuse et éducatrices, interactions parmi les membres et interactions entre chercheurs. L’interaction, par la confrontation de différents points de vue, donne lieu à l’interprétation du code. Interpréter signifie : comparer, établir des liens, comprendre de différentes manières les situations, partager une signification… Les éducatrices en garde scolaire ont reconstruit leur code en interagissant et en discutant autour des récits.

Les critères de fiabilité ou de reproduction

Les critères de fiabilité de mon étude se retrouvent dans la démarche d’analyse par théorisation ancrée : un aller-retour entre un discours formel (les théories disponibles) et un discours SUBSTANTIF (celui des éducatrices). La grille issue du processus d’analyse par théorisation ancrée permet d’interpréter l’ensemble des récits retenus pour mon étude. Elle permet d’interpréter le sens que les éducatrices donnent à leur pratique dans un schéma explicatif (une nouvelle théorie). Dubet (1994) parle de double vraisemblance pour démontrer que l’interprétation du chercheur doit non seulement correspondre au point de vue des acteurs, mais également expliquer d’un point de vue scientifique un phénomène. « Tout en répondant à des critères internes de scientificité, la théorie la plus convaincante est celle qui sera la plus proche de l’expérience des acteurs… » (Dubet, 1994, p. 233).

Conclusion

J’aimerais revenir sur le thème de ce numéro : le défi de la médiation entre recherche et pratique en éducation. Pour reprendre la métaphore de Pires (1997), je dirais que le plus grand défi, pour quiconque veut faire de la recherche avec les praticiens, consiste à adopter le double regard de l’étranger, à la fois extérieur et intérieur, dans la découverte du phénomène : un étranger non seulement intéressé à échanger et à discuter avec les gens de la place, mais désireux également d’apporter une contribution à son pays d’adoption. Dans ma recherche, ce double regard s’est principalement joué dans le rôle de chercheuse-formatrice. En voulant comprendre la pratique des éducatrices en garde scolaire, j’ai également participé au développement de cette pratique. Je rappelle le concept de réflexivité emprunté en ethnométhodologie qui, le mieux, rend compte de ma démarche méthodologique : nommer son code de pratique, son savoir d’expérience, c’est également le constituer. Questionner, faire expliciter, placer les éducatrices en situation de décrire, d’analyser, d’interpréter leurs actions sont autant de façons de faire de la recherche avec les praticiens, et c’est dans cette voie que la médiation entre la recherche et la pratique me semble la plus prometteuse.