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Contexte de la recherche

La région de l’Outaouais affiche le taux d’abandon scolaire le plus élevé au Québec après le Nord-du-Québec. Selon les données du ministère de l’Éducation, le taux de décrochage pour l’ensemble des écoles secondaires de la région atteint 43 %, alors que la moyenne provinciale est de 32 %. De plus, le taux de redoublement dans les écoles atteint des proportions inquiétantes. Au primaire, 30 % des élèves redoublent au moins une année, comparativement à 23 % dans l’ensemble du Québec. Les enfants qui redoublent au primaire finissent, dans 70 % des cas, par quitter l’école au secondaire (Proulx, 2002).

Selon Langevin (1999), plusieurs facteurs contribuent au décrochage scolaire : des facteurs liés au milieu scolaire (rendement scolaire, redoublement et échecs répétés), des facteurs liés au milieu familial (instabilité familiale, faible scolarisation des parents, familles monoparentales), des facteurs d’ordre social et économique (isolement, immigration, faible revenu des parents, travail des jeunes) et, finalement, les caractéristiques personnelles des jeunes (difficultés d’apprentissage et/ou de comportement, sexe, attitudes à l’égard de l’école, habitudes de travail). À la suite du recensement de 1996, on constate qu’en Outaouais le taux de non-fréquentation scolaire s’élève à 35,7 %, comparativement à 30,9 % pour le reste du Canada (Proulx, 2002).

La problématique de l’abandon scolaire : le rôle des acteurs et l’apport de la recherche

L’école a un rôle important à jouer afin d’encourager la réussite scolaire et de diminuer ainsi le taux d’abandon. Selon le Conseil supérieur de l’éducation, l’école peut lutter efficacement contre les différents facteurs de décrochage en devenant une communauté éducative au centre de laquelle se trouve l’élève. Pour ce faire, l’école doit s’orienter vers des actions précises en mobilisant tous ses acteurs, autant à l’interne que dans la communauté environnante, autour de la réussite des élèves (Conseil supérieur de l’éducation, 2001). En outre, selon Langevin (1999), plusieurs recherches montrent qu’il ne suffit pas d’identifier les élèves à risque pour diminuer le pourcentage de décrocheurs et qu’il faudrait plutôt mettre l’accent sur la prévention primaire qui s’adresse à l’ensemble de la population scolaire. Pour ce faire, toute l’école (et nous ajouterions sa communauté) doit se mobiliser, dans le but de développer une vision commune qui se traduira par des actions éducatives concrètes et concertées, augmentant ainsi l’efficacité de l’école. Dans cette perspective, il importe donc que l’école se dote de pistes d’action réalistes, pertinentes pour son milieu, et qu’elle s’engage dans une démarche visant l’analyse et l’ajustement des pratiques des divers groupes d’acteurs qui participent à sa dynamique (enseignants, direction, élèves, parents, membres de la communauté).

La recherche a aussi un rôle à jouer dans la mise en place de conditions qui faciliteraient les changements souhaités. Ainsi, le lien entre la recherche et son impact sur les transformations des pratiques professionnelles fait l’objet, depuis plusieurs années, d’attention et d’analyses soutenues. Certains étudient cette relation en posant comme prémisse que les liens entre les chercheurs et les praticiens existent selon des degrés divers et qu’il importe de les caractériser (Donnay, 2001 ; Savoie-Zajc et Dolbec, 1999 ; Wagner, 1997). Pour d’autres, c’est la modélisation des rapports hautement interactifs entre le processus de recherche et la pratique qui est au centre des préoccupations. Diverses pistes permettant de traduire et de mettre en oeuvre cette dynamique sont proposées (Desgagné, 1997, 1998 ; Desgagné, Bednarz, Couture, Poirier et Lebuis, 2001 ; Heron, 1996 ; Savoie-Zajc, 2001a, 2001b). Chez d’autres enfin, c’est le processus même de la recherche qui est exploré et qui fait l’objet de propositions, à savoir que certaines formes de recherche sont plus appropriées que d’autres pour accompagner les praticiens dans une dynamique de transformation de leurs pratiques professionnelles (Anadón et Savoie-Zajc, 2003 ; Fetterman, Kaftarian et Wandersman, 1996 ; Savoie-Zajc et Dionne, 2001 ; Stringer, 1996). À l’intérieur de cette dernière perspective, ce sera non plus la seule dimension individuelle qui sera considérée, mais bien le groupe et l’institution, voire la communauté dans laquelle l’individu est acteur. C’est cette dernière perspective que nous avons choisie pour établir la recherche décrite dans cet article. Pareilles vision et pratique de la recherche sont suffisamment mobilisatrices pour susciter chez les acteurs d’une communauté un sentiment d’appropriation des solutions à mettre en oeuvre afin de résoudre un problème donné.

La démarche de recherche entreprise dans une école secondaire de l’Outaouais visait donc à permettre aux différents acteurs d’une communauté de poser collectivement un diagnostic et de choisir des pistes d’action crédibles et appropriées pour ce milieu. On pourrait dire qu’il s’agit là d’une condition préalable au changement : pour que les acteurs s’approprient une telle démarche, les pistes d’action devraient être déterminées par ceux et celles qui sont engagés dans la situation problématique. La vaste littérature sur les processus de changement montre en effet que les démarches de changement exogènes sont plus susceptibles de provoquer une résistance chez les acteurs, alors que, lorsque ces derniers s’engagent consciemment dans la clarification des différentes dimensions d’une situation qui pose problème, le processus de changement s’en trouve facilité (Lanaris, 2001 ; Savoie-Zajc, 1993, 2001a). Plus spécifiquement, cette recherche poursuivait deux objectifs : poser un diagnostic de la situation qui prévaut à l’école au regard de la question de l’abandon scolaire et développer avec le personnel de l’école des suggestions de pistes d’intervention et d’action touchant divers acteurs-clés, afin de rehausser la réussite et la persévérance scolaires.

Cadre conceptuel et méthodologique de la recherche

Le cadre conceptuel et méthodologique de cette recherche s’appuie sur le modèle de l’évaluation répondante proposé par Guba et Lincoln (1989), et ses visées d’appropriation de la dynamique de transformation des pratiques s’inspirent des perspectives de Fetterman (1996) et de Levin (1996). La recherche se situe à la frontière d’une démarche d’évaluation de type constructiviste et d’une recherche-action. Elle vise la construction d’un savoir collectif au sujet de l’épineux problème de l’abandon scolaire à partir des perspectives des différents groupes d’intérêt. Elle cherche aussi à générer une énergie de changement et, à plus long terme, la transformation de pratiques — que ce soit sur le plan de l’enseignement ou de la gestion —, l’examen des liens famille-communauté-école et l’appréciation du sentiment d’appartenance à l’école de la part des acteurs concernés.

Guba et Lincoln (1989) ont été les initiateurs d’un courant qui propose une vision de l’évaluation, conceptualisée comme une forme de recherche, au cours de laquelle divers groupes d’intérêt[1], parties prenantes d’une situation donnée ou d’un projet/programme à être évalué, expriment leurs points de vue à son sujet. L’évaluateur-chercheur joue en quelque sorte un rôle de médiateur dans la mise en évidence des éléments convergents et divergents par lesquels les divers groupes d’intérêt structurent leur discours. Nommé « évaluation répondante » et reposant sur des postulats provenant de l’interactionnisme symbolique et du constructivisme, ce modèle a servi en quelque sorte de matrice aux travaux de Stringer (1996) et de Fetterman et ses collaborateurs (1996). Ceux-ci ont fait des liens entre le modèle de « l’évaluation répondante » et une forme de recherche (Stringer, 1996) ou d’évaluation (Fetterman et al., 1996), permettant, dans les deux cas, de développer de l’empowerment[2] chez les différents acteurs.

Pour Stringer (1996), c’est par la recherche-action dite émancipatrice que l’intervention est conceptualisée. La démarche vise l’amélioration d’une situation collective par l’engagement d’une communauté à la résolution d’un problème donné et, en même temps, des savoirs sont générés sur la démarche et sur le processus de changement vécus. L’approche de Stringer (1996) est unique et originale puisqu’elle unit la dynamique constructiviste et interactionniste mise de l’avant par le modèle de « l’évaluation répondante » avec une perspective ethnographique, c’est-à-dire un souci de la part du chercheur-facilitateur-accompagnateur de la démarche de traduire et d’interpréter les perspectives uniques des différents groupes d’intérêt engagés dans la clarification et la résolution d’un problème.

Fetterman (1996) propose pour sa part un modèle d’évaluation qui suscite l’appropriation individuelle et collective. Selon lui, une telle évaluation se doit de soutenir les participants dans leur autoévaluation et dans l’évaluation de leur programme, afin d’améliorer la pratique et de favoriser l’autodétermination. Il cite Zimmerman (dans Fetterman, 1996, p. 4) qui souligne que le processus favorise l’appropriation s’il outille les personnes à développer des compétences de résolution de problèmes et de prise de décision, et ce, de façon autonome. Quatre étapes sont proposées par Fetterman (1996) : 1) faire un diagnostic de la situation problématique ; 2) identifier de façon collaborative un idéal collectif ; 3) développer avec les participants des stratégies afin d’atteindre l’idéal ; 4) choisir de façon collaborative les données jugées crédibles afin d’évaluer de façon continue la démarche de changement visé. Levin (1996) a eu recours à un tel processus, dans le cadre d’un projet nommé Accelerated School Project et mené auprès de deux écoles primaires américaines aux prises avec des problèmes d’échec scolaire. Devant le succès du processus d’appropriation et des impacts sur les pratiques, sur la réduction des problèmes liés au vandalisme, à l’absentéisme et sur la réussite scolaire des élèves, cette démarche a été étendue à un réseau de 700 écoles réparties dans 37 États américains sur une période de huit ans.

Voyons maintenant de façon plus spécifique comment cette démarche a été réalisée dans le cadre de la recherche menée à l’école secondaire en question.

Description de la recherche

La recherche a été conduite dans une école secondaire outaouaise de 754 élèves, située dans un milieu rural. Cette communauté souhaitait comprendre pourquoi ses jeunes abandonnent l’école. Deux volets de collecte des données ont été planifiés : le premier volet s’appuie sur le modèle d’évaluation répondante (Guba et Lincoln, 1989) et des entrevues de groupe ont été réalisées. Un questionnaire à l’intention des élèves a aussi été administré. Un deuxième volet, à orientation davantage organisationnelle, touchait tout le personnel de l’école, et c’est l’Inventaire de l’organisation apprenante, conçu à partir de la théorie du même nom (Senge, 1991), qui a été introduit.

Volet 1 : les entrevues de groupe et le questionnaire aux élèves

Sept groupes d’intérêt ont été identifiés pour participer aux entrevues de groupe : les élèves, les enseignants, les membres de la direction et autres intervenants (travailleuse sociale, infirmière, etc.), des parents, des jeunes qui ont abandonné l’école et des membres de la communauté (élus, employeurs actuels et potentiels, etc.). Des groupes de discussion ont d’abord été constitués avec des représentants de chaque groupe d’intérêt ; les représentants des élèves ont été sélectionnés à partir de critères prédéterminés. Des entrevues de groupe d’une durée d’environ une heure ont ensuite été réalisées, par groupe d’intérêt.

Afin d’élaborer les guides d’entrevue, spécifiques à chacun des groupes d’intérêt, deux questions centrales ont orienté la réflexion : pourquoi les jeunes abandonnent-ils l’école et qu’est-ce qui devrait être fait pour améliorer la situation ? Les schémas d’entrevue ont ensuite été conçus avec le concours de représentants de chacun des groupes d’intérêt (période de conception). Ils comportaient une question générale commune : quel est le but de l’école ? et des questions spécifiques pour chaque groupe. Elles visaient à clarifier leurs préoccupations relativement au problème de l’abandon scolaire, leurs revendications (ce qui, selon chaque groupe, devrait être fait pour améliorer la situation), les enjeux qu’ils y voyaient (le pourquoi et le comment des situations) et les propositions d’améliorations selon chaque groupe, eu égard à la problématique de l’abandon scolaire. C’est ainsi que 159 personnes appartenant aux sept groupes d’intérêt ont participé aux entrevues, afin d’exprimer leur position concernant la problématique de l’abandon scolaire dans cette école. Plus spécifiquement, nous avons rencontré 57 élèves, 38 enseignants, 8 membres de la direction et professionnels de soutien, 38 parents, 9 jeunes décrocheurs et 9 membres de la communauté.

De plus, un questionnaire intitulé Instrument d’autoanalyse pouvant contribuer à améliorer la réussite scolaire à l’école secondaire : l’élève, a été administré à tous les élèves de l’école. Ce questionnaire a été produit par le ministère de l’Éducation en 1993, dans le but de fournir aux écoles un instrument permettant de prendre le pouls de la population étudiante sur des aspects reliés à la vie scolaire. La structure du questionnaire sera brièvement décrite lors de la présentation des résultats.

Volet 2 : le questionnaire au personnel de l’école

Le deuxième volet de la collecte de données repose sur la théorie de l’organisation apprenante, formulée par Peter Senge (1991). Celle-ci maintient que toute organisation se situe sur une échelle qui caractérise sa capacité de s’ouvrir au changement. Une organisation « apprenante » est capable de réinvestir les fruits de son expérience ; elle est en mesure de faire croître ses ressources et ainsi de continuer à progresser, et à construire des compétences.

L’Inventaire de l’organisation apprenante a été traduit, puis validé auprès de 16 directions d’écoles de l’Outaouais. Il a ensuite été administré aux enseignants et au personnel de l’école secondaire concernée, en avril 2002. Cet inventaire a permis de compléter les données issues des groupes de discussion des enseignants et de relever la capacité des membres de l’école à travailler ensemble, à partager une vision commune.

Déroulement de la recherche

Un groupe de pilotage de la recherche a été mis en place, une sorte de comité consultatif qui a veillé à la bonne marche de la recherche. Ses membres, qui représentaient les divers groupes d’intérêt, ont été constamment informés de son déroulement (élaboration des schémas d’entrevue, collecte de données, analyse des données, interprétation des données, présentation des résultats aux enseignants) et ils ont contribué aux prises de décision orientant celle-ci. Les chercheuses souhaitaient ainsi rendre les acteurs de ce milieu propriétaires de la démarche en les invitant à participer le plus possible pendant la recherche.

Des consultations ont aussi eu lieu avec des représentants de chacun des groupes d’intérêt. C’est ainsi que les schémas d’entrevue ont été élaborés avec eux lors d’une première série de rencontres. Cela a permis des échanges avec ces personnes au sujet de la forme et de la nature des questions à poser lors des entrevues de groupe.

Une fois cette série de rencontres terminée, nous avons soumis au groupe de pilotage de la recherche l’ensemble des schémas d’entrevue élaborés. Des correctifs furent apportés et nous avons obtenu l’assentiment des groupes pour démarrer la collecte de données proprement dite. Une troisième rencontre a eu lieu à la mi-projet afin de faire le point sur la collecte de données, de fournir de l’information aux représentants des groupes d’intérêt au sujet du déroulement de la recherche et d’apporter des correctifs pour faire face, notamment, à la difficulté de recruter des parents désireux de participer aux entrevues de groupe. Une quatrième rencontre a fourni l’occasion de communiquer les premiers résultats et de recueillir les réactions des personnes. Ces épisodes de triangulation nous ont permis, comme le prévoit Fetterman (1996), de choisir, en collaboration, les données jugées crédibles afin d’évaluer de façon continue la démarche de changement visé. Nous avons ainsi pu, pour la durée de la collecte et de l’analyse des données, rester près des préoccupations des divers acteurs et ajuster la démarche en fonction de leurs commentaires.

Une cinquième et dernière rencontre s’est tenue avec tous les enseignants, à la fin de l’année scolaire, afin de leur présenter les interprétations des données recueillies. En outre, des suggestions de pistes générales d’action ont été avancées. Celles-ci provenaient des analyses des données recueillies lors des entrevues de groupe, des résultats des questionnaires adressés aux élèves et de ceux de l’Inventaire de l’organisation apprenante auquel le personnel de l’école avait répondu ; les pistes d’action s’appuyaient aussi sur un référentiel théorique qui avait le mérite de recadrer les discours des acteurs dans une perspective plus large. Les membres de cette communauté avaient ainsi en leur possession plusieurs types de discours (discursifs et théoriques) sur lequel s’appuyer afin d’identifier et de prioriser leurs chantiers d’action dans le choix des interventions à développer.

Les données recueillies : une synthèse[3]

Selon les divers modèles théorico-méthodologiques présentés (Guba et Lincoln, 1989 ; Stringer, 1996 ; Fetterman, 1996), les chercheuses ont planifié l’étape première de la démarche qui consiste à identifier le « ce qui est » d’une situation donnée. Cela visait la clarification des perspectives des divers groupes d’acteurs engagés dans le problème à l’étude.

Les multiples sources de données recueillies nous ont permis de dresser des constats, de comparer les divers points de vue des groupes d’acteurs et de communiquer à la communauté scolaire les interprétations que nous en dégagions afin de les valider, de mettre en lumière les perspectives convergentes et divergentes entre les différents discours et de fournir aux acteurs des informations sur lesquelles s’appuyer pour décider, éventuellement, des pistes d’action à privilégier. Nous allons donc, ci-après, exposer brièvement les données recueillies, matériaux de réflexion rendus disponibles à la communauté scolaire.

Il y a tout d’abord lieu de considérer les points de convergence entre les discours des différents représentants des groupes d’intérêt rencontrés en entrevue.

Tous les représentants des groupes d’intérêt s’entendent sur la nature de certains problèmes de l’école sous-jacents, selon eux, au processus de l’abandon scolaire : ils dénoncent une école qui n’est pas adaptée aux besoins de certains élèves, qui est trop rigide dans sa structure de programmes, une école où la vision commune est absente. C’est aussi une école qui manque de ressources, non seulement sur le plan matériel, mais aussi sur le plan humain et où la communication est défaillante à plusieurs niveaux, que ce soit entre les enseignants et les élèves ou entre les enseignants et les familles. Cela crée du mécontentement à divers paliers, de l’ennui et de la démotivation chez les élèves. Le problème de consommation de drogues est aussi évoqué comme l’un des problèmes importants liés à l’abandon scolaire. Conséquemment, les divers groupes d’acteurs souhaitent qu’un meilleur climat d’apprentissage s’instaure, qu’une vision commune soit développée et que des plans d’actions concertées soient établis. Les relations enseignants-élèves devraient être améliorées. L’éventail de programmes de formation professionnelle devrait être élargi et tenir compte des besoins spécifiques de développement de la communauté desservie par cette école.

Plusieurs points de divergence ont aussi été relevés entre les groupes lors des entrevues, en voici quelques-uns : les élèves dénoncent le manque de diversité des stratégies pédagogiques et l’absence d’activités parascolaires intéressantes et stimulantes. Autrement dit, ils revendiquent le droit d’être consultés dans l’identification des activités organisées, pour eux, par l’école. Les enseignants, eux, font valoir le peu d’intégration de certains collègues oeuvrant dans les programmes de cheminement particulier, les problèmes liés aux difficultés de passage de certains élèves d’un niveau scolaire à un autre et le peu de moyens de détection précoce des difficultés d’apprentissage. Ils souhaitent aussi une augmentation des ressources pour avoir accès à du soutien psychologique. Les parents, pour leur part, font valoir la maigre reconnaissance par l’école de leur expertise, les problèmes liés à l’application cohérente et constante des règlements, le peu d’encouragements prodigués aux élèves pour étudier et la faible capacité de l’école à s’ajuster aux changements. Ils souhaitent en outre que l’école fasse une meilleure promotion de la formation professionnelle et qu’il y ait une tolérance « zéro » face à la consommation de drogues. Les membres de la direction, les membres de la communauté et les jeunes qui ont abandonné l’école expriment aussi des points de vue divergents au sujet des problèmes liés à l’abandon scolaire : chez les membres de la direction, on souligne une augmentation importante des problèmes d’ordre psychosocial des élèves qui se traduisent par un faible sentiment d’appartenance à l’école, par de l’anxiété, par de la dépression. Les membres de la communauté perçoivent, eux, un manque de discipline chez les élèves et une absence de valeurs chez certains. Enfin, les jeunes qui ont quitté l’école soulignent le problème de la démotivation, qu’ils disent généralisée, de l’absentéisme qui en résulte et celui de l’influence négative des pairs.

Un questionnaire destiné aux élèves a aussi été utilisé comme autre mode de collecte de données. Ces nouvelles données, issues de l’outil Instrument d’autoanalyse pouvant contribuer à améliorer la réussite scolaire à l’école secondaire : l’élève, ont complété celles recueillies lors des groupes de discussion. Pour les besoins de la présentation, les 13 sections du questionnaire (l’organisation du temps, les règlements de l’école, l’information à l’école, les activités en classe, l’aide de la part des enseignants, le matériel et les cours, l’évaluation, les travaux reliés à la recherche, les amis, les services personnels, les activités parascolaires, les services auxiliaires et la participation à la vie de l’école) sont regroupées sous trois grandes thématiques. La première est celle de la dimension environnementale de l’école : elle regroupe les sections « l’organisation du temps », « les règlements de l’école », « les services personnels » et « les services auxiliaires ». La seconde porte sur la dimension sociale de l’école : on y retrouve les sections « l’information à l’école », « les amis », « la participation à la vie de l’école » et « les activités parascolaires ». La troisième renvoie à la dimension scolaire : on traite des « activités en classe », de « l’aide de la part des enseignants », du « matériel et des cours », de « l’évaluation » et des « travaux reliés à la recherche ».

La première thématique est celle de la dimension environnementale de l’école. Quelques éléments positifs ressortent : les élèves apprécient le fait d’avoir des règlements clairs, sur l’interdiction de se bagarrer notamment. Ils soulignent aussi l’aménagement du temps qui leur permet de se déplacer entre les cours sans trop se presser. Toutefois, sur ce dernier chapitre, ils critiquent le fait d’avoir peu de temps libre. Ils regrettent aussi de ne pas être consultés lors de prises de sanctions contre eux (2,8 / 4)[4] et d’avoir peu d’occasions d’exprimer leurs opinions (3,2 / 4). Ils soulignent également le peu de soutien approprié aux élèves en difficulté (psychologue, travailleur social) et le peu de suivi des enseignants auprès de ceux et celles qui en reçoivent (2,9 / 4). Les services offerts par la cafétéria (2,7 / 4), l’atmosphère qui règne dans les autobus scolaires (2,7 / 4), la faible disponibilité des locaux à l’extérieur des heures d’école (2,6 / 4) sont aussi des éléments de critique de la part des élèves.

Leur regard sur leur environnement ressort comme étant plutôt négatif alors qu’ils se sentent peu écoutés, peu « parties prenantes » des décisions qui sont prises à leur égard. L’école offre peu de services auxiliaires (cafétéria, transport, locaux après les heures de classe) de qualité, selon les élèves, et les services personnels pourraient être plus disponibles et faire l’objet d’un meilleur suivi.

La deuxième thématique renvoie à la dimension sociale de l’école. Les élèves avouent avoir du plaisir à retrouver leurs amis à l’école et pouvoir discuter avec eux (1,5 / 4). Ils se sentent aussi bien informés par l’école au sujet des règlements et des conditions à mettre en place pour réussir leurs études (1,8 / 4). Ils sont toutefois très critiques face à la faible consultation dont ils font l’objet sur divers aspects reliés à leur vie à l’école [règlements (2,8 / 4), matériel pédagogique (3 / 4), activités parascolaires (2,7 / 4)] et ils se disent peu invités à participer à divers comités (2,8 / 4). De même, sur le plan des activités parascolaires, les élèves ont plusieurs reproches à adresser, car elles sont jugées peu stimulantes (2,6 / 4) et peu diversifiées (2,6 / 4). Ils notent aussi leur faible autonomie pour ce qui concerne l’aménagement de locaux selon leurs goûts (2,7 / 4).

Ce qui ressort de cette thématique, c’est que les élèves se disent généralement bien informés sur des sujets qui les concernent de près. Ils sont aussi heureux de retrouver leurs amis et d’échanger avec eux. Dans ce sens, l’école qu’ils décrivent est attrayante à cause de la possibilité de socialiser avec autrui. Ils sont toutefois peu engagés, peu stimulés à la participation à la vie générale de l’école. On pourrait ainsi penser que leur sentiment d’appartenance à l’école est faible, car ils s’estiment peu invités à s’investir dans l’organisation de la vie de l’école, que ce soit sur le plan des activités parascolaires ou sur le plan de leur engagement dans divers comités qui représenteraient leurs points de vue.

La troisième thématique regroupe des aspects liés à la dimension scolaire. Les élèves apprécient positivement les évaluations de leurs apprentissages, qu’ils jugent être formatives (1,6 / 4). Ils estiment cependant que leurs enseignants ne recourent pas suffisamment à des dispositifs pédagogiques variés, que ce soit sur le plan des stratégies d’enseignement (2,6 / 4) ou sur le plan du choix des livres et textes, qu’ils jugent peu stimulants et intéressants (2,9 / 4). Ils regrettent le peu de recours aux nouvelles technologies (3 / 4) ou aux ressources audiovisuelles (2,6 / 4). Ils disent finalement avoir de la difficulté à obtenir du matériel de base dans les cours d’arts ainsi que pour les laboratoires. Au chapitre de l’aide offerte par les enseignants, les élèves décrivent une relation somme toute assez tiède où les enseignants s’informent peu des difficultés (2,5 / 4), sont peu disponibles pour les écouter lorsqu’ils ont des problèmes personnels (2,6 / 4) et offrent peu de conseils sur la gestion de leur temps pour réussir les apprentissages (2,6 / 4). Le problème de discipline en classe est aussi fortement souligné par les élèves, qui disent que les enseignants doivent souvent intervenir pour ramener l’ordre (3 / 4).

Il ressort de cette dimension que les élèves trouvent que les évaluations faites de leurs apprentissages sont appropriées et aidantes. Ils soulignent toutefois le manque de contact avec leurs enseignants, le peu de variété dans les stratégies d’enseignement, ainsi que le matériel didactique peu intéressant, peu stimulant et peu novateur.

De ces données provenant du questionnaire adressé à tous les élèves de l’école secondaire des constantes se dégagent. La première constante exprime le manque de consultation sur des sujets qui les touchent de près. Ils disent avoir peu d’occasions d’exprimer leur opinion et ne pas être représentés lors de rencontres où leurs points de vue pourraient être mis de l’avant. Cette question de l’absence de consultation était aussi ressortie lors des rencontres de groupe. La seconde constante porte sur la qualité de leurs relations avec les autres dans cet espace scolaire. Les relations jugées positives sont celles qu’ils ont avec leurs amis, alors que des relations plus tièdes sont entretenues avec leurs enseignants. Ceux-ci sont décrits comme étant peu novateurs sur le plan des stratégies d’enseignement et sur le plan du recours aux ressources didactiques. Les élèves les décrivent comme peu disponibles pour les écouter et peu enclins à les conseiller à propos du recours à des stratégies d’apprentissage, notamment par rapport à celles portant sur l’organisation du temps. Lors des entrevues de groupe, les élèves participants avaient aussi réclamé une plus grande diversité dans les stratégies d’enseignement qui leur permettraient de jouer un rôle plus actif en classe et dans leurs apprentissages.

Une troisième source de données, à l’intention du personnel scolaire celle-là, provient de l’Inventaire de l’organisation apprenante (Wyckoff, 1998) élaboré à partir du concept théorique développé par Senge (1991)[5]. Cet inventaire a permis de compléter les données issues des groupes de discussion des enseignants et de poser un diagnostic sur la capacité des membres de l’école à travailler ensemble, à partager une vision commune.

Nous présentons par la suite un aperçu des réponses des enseignants pour chaque discipline.

Pour ce qui concerne la discipline de la « maîtrise personnelle », l’analyse des réponses des enseignants met en évidence une tendance positive dans leurs opinions, puisqu’ils seraient « plutôt d’accord » avec le fait qu’ils doivent être en constante formation (hommes 3,4 / 5 ; femmes 3,5 / 5)[6]. L’analyse de la situation désirée fait ressortir leur souhait d’améliorer leurs pratiques pédagogiques dans le but d’améliorer leur rendement. Cependant, leur perception de l’appui apporté par les leaders de l’école est plutôt négative. En fait, les réponses des enseignants mettent en évidence le fait que le terme leader n’est pas clair et qu’il n’est associé à aucun des membres de l’école en particulier. Il devient donc difficile pour les enseignants de cerner à qui appartient la responsabilité de susciter leur engagement, de les encourager et de les guider vers une amélioration de leur pratique. Les données pour cette discipline laissent voir que les enseignants s’attendent à être guidés dans leur cheminement professionnel

Dans le cas de la deuxième discipline, celle des « modèles mentaux », on constate une appréciation plutôt mitigée de la part de l’ensemble des enseignants concernant l’évolution de leur pratique actuelle, ainsi que la compréhension des activités qui s’inscrivent à l’intérieur de leur classe et de leur école (hommes 3,3 / 5 ; femmes 3,2 / 5). En effet, certaines pratiques relatives au fonctionnement du milieu scolaire en général demeurent imprécises, ce qui peut entraîner une indécision quant aux gestes à poser pour améliorer les pratiques pédagogiques. Toutefois, il est à noter que, d’après les réponses au questionnaire, les enseignants croient posséder les habiletés nécessaires pour assurer une bonne gestion des conflits afin d’éviter que ceux-ci affectent le travail de groupe ; ainsi les enseignants considèrent qu’ils savent utiliser les outils appropriés à la résolution de problèmes.

Dans la section du questionnaire portant sur la troisième discipline, la « vision partagée », les enseignants dénoncent le manque de vision commune dans leur école. Ils sont plus ou moins d’accord pour dire qu’il y a une harmonisation entre les principes auxquels ils adhèrent et les pratiques (hommes 3,2 / 5 ; femmes 3,3 / 5). D’après les réponses des enseignants, on peut constater que les membres du personnel échangent rarement sur les visées de l’école ; de plus, les enseignants n’ont qu’une confiance limitée dans les capacités de leurs leaders à les accompagner dans un cheminement collectif. Enfin, les enseignants souhaitent développer une vision commune de ce que devrait être leur école, tout en bénéficiant du soutien des membres de la direction.

D’après les réponses fournies pour la quatrième discipline, « apprendre en équipe », on voit qu’à l’école la pertinence du travail d’équipe semble être plus ou moins exploitée et encouragée (hommes 3,2 / 5 ; femmes 3,2 / 5). De plus, lorsqu’il y a des réunions sur des sujets problématiques, l’atmosphère s’avère inconfortable et rend les échanges entre collègues plus difficiles. Par ailleurs, les enseignants estiment qu’ils n’ont que très peu d’occasions de discuter de leur pratique avec d’autres professionnels de niveaux différents ou d’autres écoles. Ils suggèrent cependant qu’il est très important pour eux de faire partie d’une équipe en tant que professionnels afin de développer un sentiment d’appartenance et une confiance envers leur milieu de travail.

Les données issues du questionnaire au sujet de la cinquième discipline, celle de la « pensée systémique », confirment l’existence de divergences relatives à l’application des pratiques pédagogiques (hommes 3,3 / 5 ; femmes 3,1 / 5). En effet, les enseignants soulignent la diversité des perceptions des objectifs à atteindre ainsi que des changements à apporter. Il apparaît également que les enseignants souhaitent avoir une meilleure emprise sur les décisions à prendre, pour ainsi disposer d’un certain contrôle sur leurs effets. La situation idéale serait que chaque enseignant travaille de concert avec ses collègues pour l’élaboration des pratiques qui influencent positivement le travail des autres.

Éléments conceptuels permettant un recadrage théorique des données

On se rappelle que, selon les perspectives de Stringer (1996) et de Fetterman (1996), il importe d’identifier de façon collaborative un idéal collectif. Cela vise à favoriser l’appropriation de la démarche par les acteurs et leur engagement dans le choix éventuel de pistes d’action. Pour ce faire, nous avons déjà mentionné que nous avions choisi de mettre en place un groupe de pilotage de la recherche où les acteurs étaient parties prenantes des décisions prises au cours de la recherche. Nous avons aussi senti le besoin de partager avec les membres de la communauté quelques éléments conceptuels disponibles dans la littérature. Cela a été fait dans le but de permettre un recadrage conceptuel et théorique de la problématique, d’élargir ainsi la compréhension des problèmes identifiés et de faciliter éventuellement l’identification de pistes d’action, tout en tenant compte des propositions d’amélioration que chacun des groupes d’intérêt avait formulées. Autrement dit, par ce recadrage conceptuel et théorique, nous souhaitions aller au-delà des discours formulés par les acteurs de cette communauté scolaire et leur offrir aussi des axes théoriques autour desquels les choix éventuels de pistes d’intervention pourraient s’effectuer en rapport avec leurs propres suggestions d’amélioration.

Trois courants théoriques ont alors été explorés. Ils ont été choisis sur la base de leur pertinence avec la question de la réussite scolaire. Il s’agit du courant de recherche sur les écoles « efficaces », la thématique de la culture organisationnelle de l’école et le modèle de l’école vue comme une « organisation apprenante ». Ils sont brièvement décrits ci-après.

Le courant de recherches sur les écoles efficaces

La première perspective théorique s’appuie sur le courant de recherche portant sur les caractéristiques des écoles dites « efficaces », c’est-à-dire les écoles où les élèves réussissent leurs études et développent les compétences de base requises au secondaire et où le climat de travail est satisfaisant et stimulant professionnellement parlant. Neuf dimensions caractérisent les écoles efficaces : elles sont centrées sur les élèves ; elles offrent des programmes enrichis ; elles proposent une instruction susceptible d’aider les élèves à apprendre ; elles ont un climat positif et stimulant ; elles encouragent les liens de collaboration entre les membres du personnel ; elles appuient la formation continue du personnel ; elles s’inscrivent dans un système où le leadership est partagé ; elles encouragent la créativité dans la résolution de problèmes ; elles engagent les parents et leur communauté (Sergiovanni, 1991).

La culture organisationnelle de l’école

La deuxième perspective théorique porte sur la notion de culture de l’école et sur les liens qui existent entre la culture de l’école et la réussite scolaire. Au terme de plusieurs recherches sur le sujet, Maehr et Midgley (1996) affirment que la culture de l’école affecte la motivation et l’apprentissage des élèves dans la mesure où elle « définit le but et le sens de l’instruction et de l’éducation pour les élèves et, par conséquent, détermine le type d’apprenants qu’ils vont devenir » (traduction libre, p. 85). Cette influence peut être négative ou positive. Elle est positive lorsque la culture est organisée autour de buts clairs et explicites, et que les normes de fonctionnement et les comportements attendus de toutes les personnes associées à l’école, quel que soit leur groupe d’appartenance (élèves, enseignants, direction, personnel de soutien, professionnels et autres), reflètent de façon cohérente les buts poursuivis. Elle est négative dans les milieux où les buts sont vagues et où les règlements sont appliqués de façon peu constante. Il y a un manque de cohésion dans une telle culture.

L’école comme organisation apprenante

La troisième perspective théorique provient du concept de l’organisation apprenante (Senge, 1991). Ce concept est souvent identifié comme un idéal à atteindre pour des institutions qui désirent s’améliorer. Cela suppose qu’une telle organisation mette en place des mécanismes qui lui permettent d’apprendre de la réflexion suscitée par les défis nouveaux rencontrés. L’apprentissage porte aussi sur les processus de résolution de problèmes développés afin de comprendre une situation donnée et de trouver des solutions appropriées aux divers problèmes à résoudre. Une organisation apprenante est donc portée par une culture qui valorise le développement professionnel et personnel des individus membres d’un groupe, qui se sentent responsables de la croissance de leur institution et qui soutiennent son amélioration continue. Les cinq disciplines suivantes constituent l’organisation apprenante.

La première discipline est celle de l’apprentissage en équipe . Elle renvoie à la capacité de réflexion et d’exploration collective, et elle favorise les échanges au sujet de la compréhension de problèmes complexes. La seconde discipline est la vision commune, par laquelle un système est capable de concevoir et de mettre en oeuvre un projet commun parce qu’il y a entente au sujet de la mission et des valeurs de l’institution. La troisième discipline se nomme maîtrise personnelle et collective. Elle désigne la capacité d’anticiper et de résoudre les problèmes pédagogiques et de fonctionnement. La quatrième discipline concerne les schémas mentaux ou la capacité de comprendre la culture sous-jacente, les façons de faire d’un milieu donné. La cinquième se réfère finalement à la pensée systémique, qui est la capacité de situer une dynamique locale dans une globalité, de voir les interrelations et les interdépendances entre les actions, les personnes. Ces cinq disciplines sont interreliées et elles constituent autant de cibles de perfectionnement pour une institution qui souhaite devenir une organisation apprenante.

Suggestions de pistes d’action

Ayant en main à la fois l’ensemble des données des personnes ayant contribué à la collecte de données, les propositions d’amélioration formulées par les divers groupes d’acteurs ainsi que les propositions provenant du recadrage théorique qui fournissent en quelque sorte des paramètres vers un idéal, les chercheuses ont émis des suggestions de pistes d’action. Celles-ci ont servi, en quelque sorte, de références aux acteurs du milieu scolaire pour qu’ils se positionnent et dégagent des voies d’action qui leur apparaîtraient pertinentes et prioritaires. Nous avons donc proposé trois chantiers d’action (Savoie-Zajc et al., 2002) suffisamment larges pour que les acteurs les transforment en interventions spécifiques dans leur école. Il ne faut pas voir ces chantiers comme étant des prescriptions, mais bien comme des suggestions d’actions soumises à l’attention des acteurs. En effet, tout au long de la démarche de recherche, nous avons souhaité que les membres de cette communauté se rendent propriétaires de la recherche, de ses résultats et de ses retombées. Il fallait donc que les suggestions de pistes d’action soient cohérentes avec une telle posture et que ce soient les acteurs eux-mêmes qui décident de l’orientation des actions spécifiques à poser, à l’intérieur des créneaux suggérés par l’analyse de l’ensemble des discours des acteurs consultés.

Les propositions de chantiers d’action s’énoncent comme suit :

  1. Travailler à la mise en place d’une culture de la réussite.

  2. Renforcer l’encadrement des élèves.

  3. Encourager la formation continue.

Ces trois chantiers touchent divers niveaux et concernent plusieurs groupes d’acteurs.

Travailler à la mise en place d’une culture de la réussite

Ce premier chantier touche autant les enseignants que les membres de la direction, les élèves, les parents et les membres de la communauté. Les notions de collaboration et d’appropriation qui constituent des éléments centraux d’une culture de la réussite doivent devenir des points de référence pour repenser l’action éducative. Suivant les propositions de Maehr et Midgley (1996), il importe pour une communauté scolaire d’émettre des signaux clairs et précis qui communiquent à ses membres les attentes envers eux. De plus, les données ont montré que les élèves éprouvaient un faible sentiment d’appartenance à cette école, car ils étaient peu invités à s’investir dans l’organisation d’activités et se jugeaient peu représentés à divers paliers pour faire entendre leurs points de vue. Les actions proposées visent à clarifier la culture institutionnelle actuelle, à encourager la collaboration entre les membres du personnel de l’école et avec les membres de la communauté, à mettre en place un leadership souple et responsabilisant, à développer le goût du succès et de la réussite chez les élèves et, enfin, à inciter les parents et les membres de la communauté à participer au développement d’une culture de la réussite à l’école.

Renforcer l’encadrement des élèves

Ce deuxième chantier propose des actions permettant d’assurer un meilleur encadrement des élèves. L’élève est vu comme une personne en développement, et le passage du primaire au secondaire n’est pas facile, aux dires des élèves. Un autre passage existe aussi entre la 2e secondaire et la 3e secondaire, alors que des différences importantes apparaissent entre les niveaux, et ce, pendant une période intense de développement physiologique et psychologique. Toutefois, l’importante question de l’encadrement des élèves passe d’abord par le développement d’un sentiment de sécurité chez le jeune. Ce n’est qu’une fois que ce sentiment existe que l’élève est prêt à s’engager dans ses études. Il faut donc mettre en place des mesures d’accueil pour le jeune qui arrive au secondaire. Il faut aussi mettre en place un système de parrainage et d’entraide entre des élèves plus âgés et des plus jeunes. Il importe également de développer des stratégies afin de susciter chez l’élève un sentiment d’appartenance à l’école. Les membres du personnel de l’école sont aussi invités à s’interroger sur les moyens les plus efficaces pour aider un jeune qui a des difficultés à réussir. Le rattrapage est-il efficace ? Si oui, sous quelle forme, dans quelles conditions ? Si non, quoi faire d’autre ? Enseigner plutôt des stratégies d’apprentissage ? La réflexion des membres du personnel devrait également porter sur l’application cohérente et constante des règles de vie de l’école afin que les élèves aient une représentation claire des frontières à respecter et des niveaux de tolérance appliqués. Ce chantier d’action repose sur les constats des divers acteurs rencontrés qui ont tous, à leur façon, rappelé la grande importance d’un suivi auprès des jeunes. De même, Sergiovanni (1991), dans sa synthèse des résultats de recherche sur les « écoles efficaces », propose neuf dimensions dont quatre caractérisent une école centrée sur l’élève (programmes stimulants, diversité des stratégies d’enseignement, climat d’école stimulant), pour amener celui-ci à s’engager dans ses apprentissages.

Encourager la formation continue

Le troisième chantier touche la formation continue du personnel scolaire. Ce chantier apparaît comme un soutien aux enseignants, acteurs importants dans la modification d’une culture scolaire s’orientant vers la réussite. Ce chantier réfère à la fois à la position des répondants à l’Inventaire de l’organisation apprenante qui réclamaient davantage de soutien et à l’un des axes indiqués par Sergiovanni (1991) dans la mise en place d’« écoles efficaces ». Une telle formation continue devrait s’orienter vers le développement de compétences liées à la pratique de la pédagogie par projets, au travail auprès d’élèves en difficulté et vers le développement d’une meilleure compréhension de la dynamique et de la gestion des changements. Le but visé est d’arriver à développer des pratiques pédagogiques engageantes, pertinentes dans un milieu à l’écoute des besoins des personnes qui y vivent. Il est donc nécessaire d’identifier les besoins en formation continue du personnel de l’école et d’établir un plan d’action pour rendre possible une formation différenciée selon les besoins nommés. Enfin, il est proposé de porter une attention spéciale aux nouveaux enseignants et de les soutenir dans leur insertion professionnelle. Une structure de mentorat entre enseignants expérimentés et peu expérimentés pourrait être mise en place.

Conclusion

Depuis que les chercheuses ont terminé leurs interventions dans le milieu, les acteurs de cette école ont poursuivi leurs réflexions et se sont donné des priorités pour l’action. Ils ont choisi de travailler à l’élaboration d’une vision commune, faisant ainsi leur l’un des chantiers d’action proposés, c’est-à-dire celui qui visait le développement d’une culture de la réussite et dont le point de départ est justement de réfléchir ensemble sur qui l’on est et ce vers quoi l’on tend lorsque l’on travaille ensemble. Les enseignants et les autres membres du personnel ont ainsi pris conscience de l’importance de clarifier leur vision commune, préalable à toute autre décision d’action. Les parents, les membres de la communauté et les élèves sont bénéficiaires à moyen terme de cette décision d’action de la part des membres du personnel de l’école. En effet, la clarification d’une vision commune est susceptible d’entraîner une série d’actions concertées et ciblées de la part de l’équipe, qui toucheront les élèves et, indirectement, leurs parents et les membres de la communauté. Il conviendra toutefois pour les membres du personnel de poursuivre leurs actions en ayant soin d’inviter ces personnes et de les associer à leur démarche. Car même si une telle dynamique d’appropriation doit d’abord se développer chez les membres du personnel de l’école et que le sentiment de confiance qu’ils développent dans leurs interventions auprès des élèves et des parents se répercutera sur ces personnes, la nécessité du recadrage des relations entre les groupes d’intérêt, parties prenantes de cette recherche, demeure une préoccupation importante (Levin,1996). C’est par l’arrimage des forces provenant de chacune des parties concernées par la problématique de l’abandon scolaire que cette communauté parviendra à amenuiser ses difficultés.

Les chercheuses ont travaillé tout au long de cette recherche en collaboration étroite avec les acteurs du milieu. Est-ce que cette démarche a réussi à susciter un sentiment d’appropriation ? Par la recherche, nous le croyons, les acteurs du milieu ont eu la possibilité de dresser un diagnostic réaliste, crédible et systémique de la situation problématique. L’exercice était d’autant plus crédible pour eux que leur accord a été recherché à plusieurs occasions : au tout début, avant même de démarrer le processus, alors que l’assentiment de l’ensemble des enseignants de l’école et celui du conseil d’établissement à participer à une telle démarche ont été demandés et obtenus ; avant la collecte de données, où des représentants des groupes d’intérêt ont été rencontrés et ont collaboré à l’élaboration du schéma d’entrevue spécifique à leur groupe ; une fois la collecte de données amorcée, alors que les chercheuses ont fourni de l’information sur son déroulement ; à l’étape de l’interprétation des données sur les suggestions de pistes d’action à prendre. Nous croyons que ce qui a rassuré les différents acteurs dans cette démarche, laquelle peut être difficile à vivre, nous en convenons, c’est de savoir qu’elle leur appartenait, qu’ils en étaient propriétaires et que ce serait à eux de décider des pistes d’action qui leur seraient profitables, selon un échéancier qui leur conviendrait. La démarche s’est faite dans le respect des personnes, et sa rigueur a incité les acteurs à y collaborer étroitement. À partir de notre position de chercheuses, nous avons été les témoins privilégiés d’une communauté qui consentait à s’exprimer, à confronter des points de vue afin de dégager des pistes d’action susceptibles d’améliorer des pratiques en vue d’appuyer la réussite scolaire des élèves. Si l’engagement a été respecté, c’est probablement, pourrions-nous dire, parce que les divers acteurs, quelle que soit leur position dans le système, y ont attaché de l’importance et que cette croyance partagée à propos de la nécessité de vivre dans une école stimulante et centrée sur la réussite scolaire a constitué la trame commune qui a fait se rassembler les personnes dans le but de s’engager dans une réflexion collective.

Le processus de recherche a servi de déclencheur au travail de réflexion, et ce, au niveau de l’ensemble d’une communauté scolaire. La rigueur de la démarche, le respect des personnes engagées, l’écoute active des points de vue, le souci de les faire connaître et de les partager avec les autres membres des groupes d’intérêt ont suscité l’émergence d’une dynamique qui a contribué à la mobilisation de la communauté scolaire pour réfléchir sur ce problème collectif. En outre, les chercheuses ont pu se positionner comme médiatrices entre le processus de recherche qui a permis de clarifier, d’expliciter de façon rigoureuse les perspectives uniques des groupes d’acteurs concernés et la démarche de prise de décisions par les enseignants et la direction en vue de l’atteinte d’un idéal réaliste. Ceux-ci se sont rendus entièrement propriétaires de leurs décisions car la démarche leur appartenait.