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Les lésions de l’hémisphère droit provoquent souvent une « négligence spatiale gauche », trouble qui gêne la rééducation et qui a pour conséquence une réduction de l’autonomie et une réhabilitation sociale compromise.

L’étude de la négligence spatiale gauche est un élément important à la fois sur le plan clinique et aussi afin de mieux comprendre les mécanismes cérébraux du traitement de l’espace.

La localisation anatomique de ce trouble est restée controversée, les uns impliquant le lobule pariétal inférieur droit, les autres la partie antérieure du gyrus temporal supérieur.

La stimulation électrique peropératoire au cours d’intervention chirurgicale sur l’hémisphère droit a été utilisée pour explorer les fonctions visuo-spatiales. La stimulation du lobule pariétal inférieur et de la partie postérieure - et non pas la partie antérieure du gyrus temporal supérieur - provoque une déviation vers la droite de la section médiane d’une ligne, mais la réponse la plus nette se produit lors d’une stimulation sous-corticale. Grâce à une nouvelle technique d’IRM, le tracking de fibres, nous avons pu montrer que la région stimulée correspondait à une voie pariéto-frontale, appelée le fasciculus occipito-frontal supérieur. Ainsi, il apparaît que la communication pariéto-frontale est nécessaire à la perception symétrique de la scène visuelle.

Il est important de signaler qu’aucun des patients examinés quelques jours après l’exérèse de leur tumeur cérébrale n’avait de négligence spatiale gauche parce que le chirurgien avait pris soin de respecter la région sous-corticale sensible. Il conviendrait à l’avenir de vérifier systématiquement les fonctions visuo-spatiales afin de pouvoir les préserver au cours des interventions touchant la région temporo-pariétale.

Les capacités d’exploration de l’espace qui nous entoure et de sélection des informations reposent sur les mécanismes d’orientation de l’attention.

Des lésions cérébrales peuvent endommager ces mécanismes et provoquer, par exemple, une négligence spatiale unilatérale. Ce syndrome concerne environ 36 % des patients porteurs d’une lésion hémisphérique droite [1], soit plusieurs milliers de cas par an en France. Les patients atteints de cette pathologie se comportent en ignorant la moitié gauche du monde [2]. Ils ne mangent pas ce qui se trouve dans la moitié gauche de l’assiette, ne se rasent pas la partie gauche du visage et ne répondent pas quand ils sont interrogés du côté gauche. En dessinant de mémoire ou en copie une fleur ou une maison ils omettent les détails de gauche. Si on leur demande de marquer le milieu d’une ligne horizontale, ils le déplacent vers la droite (Figure 1). Sur le plan clinique, la négligence aggrave les handicaps en gênant la rééducation motrice [3] et induit par conséquent une réduction de l’autonomie. La réhabilitation sociale de ces patients est donc également compromise. Cette pathologie rend en effet impossible toute activité qui demande de l’attention, comme la conduite automobile ou plus simplement faire ses courses au supermarché. C’est pourquoi la compréhension des mécanismes de la négligence est importante pour fournir aux cliniciens des outils adaptés au diagnostic et au traitement dans la perspective d’une rééducation. La recherche sur la négligence peut en outre contribuer à une meilleure compréhension des mécanismes cérébraux du traitement de l’espace. L’investigation des processus provoquant la négligence spatiale unilatérale est l’un des domaines les plus controversés en neurosciences cognitives, car il n’existe pas de consensus parmi les chercheurs sur les mécanismes de ce syndrome, ni même sur la localisation anatomique des lésions pouvant provoquer une négligence.

Figure 1

A. Copie d’un dessin. B. Section « médiane » d’une ligne par un patient présentant une négligence gauche.

A. Copie d’un dessin. B. Section « médiane » d’une ligne par un patient présentant une négligence gauche.

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S’il est généralement admis que ces lésions intéressent le plus souvent le lobule pariétal inférieur droit, et plus particulièrement sa portion à la jonction avec le lobe temporal [4], une étude récente a valorisé plutôt une portion plus rostrale du gyrus temporal supérieur [5], au moins chez les patients n’ayant pas déficit de champ visuel associé.

Jusqu’ici peu considérées, les lésions de la substance blanche pourraient bien contribuer au comportement négligent et offriraient une issue explicative à la diversité des résultats offerts par les corrélations neuro-anatomiques. Chez le singe, D. Gaffan et J. Hornak [6] ont observé des signes de négligence après leucotomie pariétale ou lésion combinée du tractus optique et du corps calleux, mais pas après lésion du cortex frontal et/ou pariétal. Chez l’homme, F. Doricchi et F. Tomaiuolo [7] ont trouvé un maximum de superposition des lésions des patients négligents dans le faisceau longitudinal supérieur, une voie de connexion longue entre régions postérieures et régions antérieures du cerveau.

Récemment, nous avons pu explorer les bases neurales de la négligence au moyen d’une nouvelle méthode. Afin d’éviter des séquelles neurologiques lors de l’ablation des tumeurs cérébrales, les neurochirurgiens réveillent les patients pendant l’intervention (le cerveau n’a pas de récepteurs de la douleur), et inactivent temporairement de petites régions du cerveau (environ 5 mm2) avec des stimulations électriques. Si le patient montre des déficits neurologiques, arrête de parler ou produit des réponses incorrectes, le neurochirurgien laisse cette région intacte afin de préserver sa fonction. Dans la pratique clinique courante, seuls le langage et les fonctions sensori-motrices sont testés à l’occasion de telles interventions. En étendant cette procédure aux fonctions visuo-spatiales, nous avons pu explorer directement les mécanismes de la conscience spatiale au niveau des structures corticales et sous-corticales chez l’homme [8]. Nous avons demandé à deux patients soumis à l’ablation d’un gliome cérébral de bas grade de marquer d’un trait de crayon le centre d’une ligne horizontale à plusieurs reprises au cours de l’opération. Nous avons observé que, selon les zones du cerveau inactivées, les traits dessinés par les patients restaient centrés ou déviaient vers la droite. Les déviations se vérifiaient après inactivation du lobule pariétal inférieur et de la partie caudale du gyrus temporal supérieur, mais non de sa partie rostrale. Toutefois, l’inactivation de la substance blanche provoquait les déviations les plus importantes. Grâce à une nouvelle technique d’imagerie, le tracking de fibres, nous avons pu identifier précisément cette région critique de la substance blanche. Celle-ci correspondait à une route de communication entre le lobe frontal et le lobe pariétal peu connue à ce jour, appelée le faisceau occipito-frontal supérieur (Figure 2). Cette appellation vient de travaux anciens et semble aujourd’hui impropre. De récentes études montrent que l’origine postérieure de ce faisceau se situe plutôt dans le lobe pariétal que dans le lobe occipital [9]. Nos propres résultats (Figure 2) sont en accord avec cette hypothèse.

Figure 2

Reconstruction 3D du cerveau d’un des patients étudiés.

Reconstruction 3D du cerveau d’un des patients étudiés.

En rouge, l’exérèse chirurgicale. En bleu, la voie pariéto-frontale dont l’inactivation a provoqué une déviation à droite en bissection de lignes (© Archives of Neurology).

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Nous avons été heureux de constater qu’aucun des patients testés ne présentait de signes de négligence quelques jours après l’intervention. Ce résultat souligne l’importance de tester les fonctions visuo-spatiales durant les opérations neurochirurgicales, afin d’éviter le développement de troubles invalidants du traitement de l’espace.

Par ailleurs, nos résultats confirment qu’une disconnexion provoquée par des dommages de la substance blanche sur le trajet fronto-pariétal peut contribuer aux signes de négligence spatiale unilatérale. Ces résultats vérifient les modèles de traitement de l’espace chez l’homme qui font appel non pas à une région corticale déterminée, mais à un vaste réseau pariéto-frontal situé dans l’hémisphère droit [10].