Corps de l’article

Le diabète insulino-dépendant, ou diabète de type 1, est une maladie auto-immune provoquée par des lymphocytes T CD4+ et CD8+ qui détruisent sélectivement les cellules β insulino-sécrétrices du pancréas [1]. À l’heure actuelle, le traitement courant du diabète de type 1 est un traitement de remplacement par de l’insuline exogène, administrée de manière chronique. Cette prise en charge, outre les contraintes qu’elle impose (injections quotidiennes multiples après dosage de la glycémie, risques d’hypoglycémies sévères), n’est pas satisfaisante car elle n’empêche pas les complications dégénératives à long terme, avec notamment les atteintes vasculaires et neurologiques que l’on connaît.

Du fait de son origine auto-immune, une immunothérapie efficace ciblant les lymphocytes T constituerait le traitement idéal du diabète insulino-dépendant. L’efficacité d’une telle démarche a été démontrée, dans les années 1980, par des essais contrôlés où de la ciclosporine était administrée à des patients présentant un diabète d’apparition récente [2, 3]. Des rémissions prolongées ont été observées chez les patients ainsi traités [2, 3]. Néanmoins, un problème majeur de l’utilisation de ce médicament immunosuppresseur était que le maintien de l’effet thérapeutique nécessitait impérativement son administration chronique, ce qui pouvait exposer à des problèmes de néphrotoxicité et à des risques de « surimmunosuppression » (incidence accrue d’infections et/ou de tumeurs), totalement inacceptables dans le contexte clinique du diabète auto-immun qui concerne principalement des enfants et des jeunes adultes.

Recherche d’une tolérance immunitaire spécifique

La seule solution au problème pouvait être apportée par l’induction d’une tolérance immunitaire, définie de manière opérationnelle comme une paralysie du système immunitaire vis-à-vis de certains antigènes : dans le cas qui nous intéresse ici, les auto-antigènes cibles des cellules β, en l’absence d’immunosuppression chronique généralisée. Des études menées par notre laboratoire, il y a plus d’une dizaine d’années chez la souris NOD (non obese diabetic), qui développe spontanément un diabète insulinodépendant auto-immun proche de la maladie humaine, ont montré qu’une certaine catégorie d’anticorps monoclonaux anti-lymphocytes T, des anticorps spécifiques de la molécule CD3 (étroitement associée, à la surface de la cellule T, au récepteur de la reconnaissance de l’antigène), était en mesure de restaurer la tolérance immunitaire chez des souris récemment diabétiques [4, 5]. Ainsi, un traitement de courte durée (5 jours) par un anticorps anti-CD3 administré à faibles doses chez des souris NOD, dans les 10 premiers jours de l’apparition des premiers signes de maladie (hyperglycémie, glycosurie), permet d’induire, en l’absence de toute administration d’insuline exogène, des rémissions durables de la maladie chez la plupart des animaux [4, 5]. Concernant les mécanismes, nous avons pu démontrer que, chez la souris, l’effet à long terme n’implique pas l’élimination des lymphocytes T pathogènes mais plutôt l’induction d’une sous-population distincte de cellules dites régulatrices, dépendantes de la cytokine immunorégulatrice TGF-β (transforming growth factor β), qui contrôlent efficacement la capacité fonctionnelle des lymphocytes T pathogènes [6, 7].

Sur la base de ces résultats, le pas vers l’application clinique a été franchi avec l’avènement des anticorps anti-CD3 humanisés par génie génétique et non mitogènes (mutés au niveau de leur région Fc, la partie constante de l’immunoglobuline) [8, 9]. Ces anticorps anti-CD3 mutés sont dépourvus du potentiel activateur des lymphocytes T que présentaient les anticorps anti-CD3 murins de première génération, comme l’OKT3, utilisé en transplantation depuis les années 1980 [6]. Cette capacité mitogène qui induisait une libération massive, bien que transitoire, de différentes cytokines en circulation était responsable d’un syndrome pseudo-grippal important qui rendait ce type d’anticorps inutilisable dans le domaine de l’auto-immunité [6].

Les essais cliniques de phase II

Grâce à un effort multinational européen, entièrement financé par une association caritative américaine, la Juvenile Diabetes Research Foundation, et impliquant des centres cliniques et des laboratoires en Belgique, Allemagne, Grande-Bretagne et en France, nous avons pu conduire un essai clinique de phase II, randomisé contre placebo. Les résultats de cette étude, qui ont été récemment publiés dans le New England Journal of Medicine, sont très encourageants [10]. Les patients inclus dans l’étude, qui présentaient un diabète d’origine récente (pas plus de 4 semaines de traitement par l’insuline), ont reçu un traitement suivant un protocole très proche de celui appliqué chez la souris. L’anticorps ChAglyCD3 a été administré à la dose de 8 mg/jour pendant six jours consécutifs. Les résultats ont montré qu’à 6, 12 et même 18 mois après la fin de ce bref traitement, la capacité de sécréter de l’insuline endogène (évaluée par le mesure du peptide C après stimulation par du glucose) était significativement augmentée chez les patients ayant reçu l’anticorps anti-CD3 par rapport aux patients du groupe témoin, ayant reçu le placebo [10]. En parallèle, les patients traités par anti-CD3 ont montré une diminution significative des besoins en insuline toujours à 6, 12 et même 18 mois après traitement. De manière tout à fait intéressante, 75 % des patients traités par l’anticorps qui présentaient au moment de l’inclusion une masse cellulaire β importante (évaluée par un peptide C stimulé supérieur à la médiane de la population totale) ont vu, à 18 mois, leur besoin en insuline diminuer à moins de 0,25 U/kg/jour, une dose proche de l’insulino-indépendance [10].

Des effets secondaires mineurs, de type syndrome grippal liés à une petite libération de cytokines, ont été observés dans les premiers jours de traitement ; ils se sont résolus spontanément et n’ont pas empêché le recrutement des patients.

Une réactivation transitoire et isolée du virus d’Epstein Barr (EBV) a également été observée après 3 à 4 semaines de traitement, à savoir une augmentation du nombre de copies du virus mesurée dans les cellules mononucléées circulantes. Cette réactivation s’est complètement éteinte (le nombre de copies du virus est devenu indétectable comme avant traitement), chez tous les patients, en l’espace de 7 à 20 jours, en concomitance avec l’apparition d’une réponse immunitaire spécifique anti-EBV humorale et cellulaire, tout à fait comparable en cinétique et intensité à celle observée chez des individus normaux lors d’une mononucléose infectieuse. Cette réponse immunitaire efficace anti-EBV contrôlant complètement la réactivation est un élément essentiel concernant la bonne tolérance de l’anticorps. Par ailleurs, elle suggère que, tout comme chez la souris NOD, l’effet thérapeutique du ChAglyCD3, observé à long terme chez les patients sur la maladie auto-immune, n’empêche pas le développement d’une réaction immunitaire tout à fait normale vis-à-vis d’autres antigènes.

Il est donc possible, grâce à un traitement de très courte durée, d’obtenir en clinique un effet thérapeutique proche de la tolérance opérationnelle que nous avons décrit plus haut. À l’évidence, l’effet observé dans le diabète de type 1 permet d’espérer, dans un avenir peut-être proche, l’extension de l’utilisation des anticorps anti-CD3 à d’autres pathologies auto-immunes impliquant des lymphocytes T, ainsi qu’à la transplantation.