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En 1985, le Planning des naissances d’Ottawa met sur pied un projet fort original visant à donner la parole aux jeunes sur divers sujets, entre autres, les questions et les problèmes reliés à la sexualité et à la reproduction. Le Théâtre des lueurs voit ainsi le jour. Les adolescentes et les adolescents de cette troupe y expriment leurs préoccupations, leurs questionnements et leurs inquiétudes à travers des chansons, des chorégraphies et des sketches regroupés en un spectacle théâtral. Un projet qui donne la parole et la scène aux jeunes! La troupe de théâtre accomplit de grandes percées au cours de ses dix-neuf années d’existence, tant chez les jeunes participant au projet qu’à son large auditoire composé principalement d’étudiantes et d’étudiants franco-ontariens et québécois.

Chaque été, la coordonnatrice du projet choisit la vingtaine de jeunes de 14 à 17 ans qui formeront la troupe et invite à tour de rôle diverses ressources communautaires à leur présenter les problèmes auxquels elles font face et ce qu’elles offrent pour y répondre. C’est ainsi que, par exemple, les centres de crise, les centres de santé communautaire, les services pour maladies transmissibles sexuellement et les organismes pour désordre alimentaire, viennent expliquer aux jeunes les problèmes qui les concernent et divers moyens d’y faire face. Par la suite, les jeunes, jumelant ces informations à leur vécu, composent et mettent en scène des sketches sur les sujets qui les touchent de près. En septembre de chaque année, la soirée de première est l’occasion toute désignée pour présenter au grand public le résultat de leur labeur, de leur créativité, de leur débrouillardise. Parents, amies et amis attendent avec impatience ces moments où les jeunes présentent le fruit de tout un été de travail. Les décors, toujours modestes, se limitent à une ou deux chaises et à quelques accessoires. L’important, c’est le dialogue, l’échange, la parole, l’expression de problèmes vécus et les façons d’y faire face. Les sujets abordés tournent autour des préoccupations des jeunes d’aujourd’hui : les relations parents-adolescents, l’école et l’éducation, les problèmes existentiels, mais surtout et toujours la sexualité. Chaque année, des sujets tels l’avortement, la contraception, l’homosexualité, la violence dans les relations amoureuses, les secrets bien gardés, sont abordés avec originalité, tendresse, humour.

Tout au long de l’année, la troupe effectue une tournée dans les écoles et les milieux communautaires de la région. Après le spectacle, le public participe à une période de questions, de commentaires ou de suggestions : moments de partage, de ressourcement, de découverte d’une grande intensité où les jeunes réalisent qu’ils et elles ne sont pas seuls à vivre tel ou tel problème...

Depuis 1986, plus de 30 000 jeunes de la région ont participé à des représentations du Théâtre des Lueurs. La troupe, de même que sa version anglophone, le Insight Theatre, a même remporté en 2001 le prix Helen and Fred Bentley Affiliate Award. Cette bourse de 5 000 $ a été remise aux deux troupes de théâtre en guise de reconnaissance pour leur apport éminent à la promotion de la santé sexuelle.

Mais en 2004, tout s’arrête. Après 19 ans d’activités, une douche froide tombe sur l’initiative. L’existence de la troupe est remise en question. Le Théâtre des Lueurs est en pleine réévaluation. Pourquoi? Le recrutement, depuis quelques années, causait problème. On avait peine à trouver assez de jeunes pour former la troupe. Mais le coup final fut que le Conseil des écoles catholiques de langue française du Centre Est décide en 2004 de ne plus collaborer au projet. Il n’accepte plus que les jeunes y participent, prétextant que les objectifs ou le contenu proposé par le théâtre ne correspondent pas aux valeurs qu’il véhicule. Ce blocage met en péril l’existence même du Théâtre des Lueurs en réduisant son bassin de recrutement de dix à cinq écoles et en limitant les ententes ayant trait aux décharges de cours et aux absences en classe de la part des personnes y participant. Faute d’inscriptions, la coordonnatrice ne peut aller de l’avant cette année. En conséquence, elle se propose d’évaluer le programme en profondeur en faisant des sondages auprès des anciens participants, des enseignants ou enseignantes et des parents. Ainsi, elle pourra s’ajuster aux besoins de la communauté et continuer d’offrir un modèle d’intervention, de conscientisation, d’expression fort original.

« Le théâtre des lueurs a été une bouée de sauvetage pour moi, exprime Geneviève, une psychologue participante au projet. Ça m’a complètement changée. Au moment où je cherchais réponse à de nombreuses questions et où je sentais que je doutais de ma contribution à apporter à la société, on m’offre de faire partie de la troupe. J’avais 15 ans. La créativité, les échanges entre nous, le contact avec le public, les réflexions que ce projet a suscitées ont changé ma vie. Notre troupe était extraordinaire. Nous avons travaillé très fort, nous avons pleuré, nous avons ri, nous avons rencontré des milliers de jeunes avec qui nous avons partagé nos problèmes certes, mais aussi nos espoirs, nos rêves. Quel été, quelle année, j’ai passé avec la troupe! J’ai même pu y participer une seconde année, et là, connaissant déjà ce qui se passait, ce fut encore plus merveilleux. Par la suite, on m’a demandé de devenir animatrice théâtrale, de sorte que j’ai occupé un autre rôle, pour deux autres étés. En somme, si je suis une professionnelle de l’aide aujourd’hui c’est bien grâce au Théâtre des Lueurs. Les jeunes y rencontrent des modèles, s’ouvrent à d’autres, partagent leurs préoccupations, leurs rêves, leurs espoirs. Cependant, nous sentions que dans certaines écoles, il fallait passer nos messages plus délicatement, car les autorités n’étaient pas toujours ouvertes à entendre ce que les jeunes avaient à dire. Alors, nous avions des stratégies particulières; nous avions des sous-entendus dans certains cas; dans d’autres, nous choisissions de ne pas présenter certains sketches. Non parce que les jeunes n’étaient pas prêts à entendre les messages; les adultes, éducateurs et éducatrices, étaient celles et ceux qui les bloquaient. Et encore maintenant, c’est le Conseil des écoles catholiques de langue française du Centre Est qui le bloque. J’en suis triste, car c’est un forum qui offre tellement de potentiel. »

Le dossier reste à suivre, mais il faut bien se demander d’où viennent les résistances lorsque les jeunes expriment leurs préoccupations, leur vécu, leurs cris. Qui a peur, et de quoi a-t-on peur? Éliminer ou geler le programme ne réglera rien; il ne fera que détourner les problèmes et démontrer que les autorités scolaires ne sont pas prêtes à accepter les jeunes et les problèmes qu’elles et ils vivent aujourd’hui. Par contre, le programme équivalent du côté anglophone, Insight, demeure, et est très bien reçu de la part des autorités scolaires... Dossier à suivre !