Corps de l’article

Le contexte sociopolitique actuel est propice à un questionnement sur les réactions sociales face à l’homosexualité. À la suite des décisions judiciaires récentes, toutes favorables à l’union matrimoniale de personnes de même sexe, des mariages scellant de telles unions entre deux hommes ou deux femmes ont été célébrés dans nombre de provinces canadiennes. Les décisions des instances judiciaires canadiennes, dont la plus récente vient de la Cour suprême du Canada, établissent que les personnes homosexuelles qui se voient refuser le droit au mariage subissent une forme de discrimination. En voulant donner suite à ces jugements, le gouvernement fédéral propose maintenant de légaliser les unions entre les personnes de même sexe tout en ne contraignant pas les institutions religieuses à pratiquer des mariages qui vont à l’encontre de leurs croyances. Dans un tel contexte, les réactions sont multiples : approbation ou condamnation du projet de loi, jugements posés sur l’homosexualité elle-même, débats et sensibilisation sur les réalités vécues par les personnes homosexuelles, etc. Ces réactions sont souvent manifestées dans les médias et dans les grandes institutions sociales et politiques mais peu nous est connu des « réactions » à plus petite échelle, celles qui se déroulent au plus près des gens, dans les milieux qu’ils fréquentent au quotidien.

C’est dans ce contexte que j’ai choisi de décrire une intervention sur l’homosexualité réalisée dans une école secondaire de la région d’Ottawa. À cette fin, je présenterai d’abord certains éléments de contexte qui m’ont motivée à effectuer cette intervention de type « sensibilisation ». Je décrirai ensuite le projet, de même que l’atelier qui en a découlé. Je livrerai enfin quelques résultats de cette initiative.

Quelques éléments de contexte

Aujourd’hui, les jeunes vivent difficilement cette période que l’on nomme « adolescence ». Cette phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte se caractérise surtout par la diversité des changements qu’elle apporte tant sur le plan physique, psychologique et social que par l’intensité des émotions vécues et où les jeunes explorent et vivent de nouvelles expériences, développent leur personnalité et leur identité. En même temps que les jeunes tentent, parfois tant bien que mal, de développer leur identité et de se trouver une place dans la société, ils souhaitent aussi se conformer aux normes fixées par leurs pairs et par la société. Ils cherchent à agir comme leurs amis, à écouter la même musique, à adopter le même style vestimentaire et à utiliser les mêmes expressions qu’eux. Dans ce contexte, gare à celle ou à celui qui s’écarte de la norme établie : il peut alors devenir l’objet de moqueries et de rejet. En ce sens, les milieux que fréquentent ces jeunes — où l’homogénéité des comportements est généralement favorisée — peuvent conforter des attitudes négatives envers l’homosexualité, engendrer même des formes d’homophobie.

L’école secondaire représente une communauté où la non-conformité à certaines normes peut causer des problèmes majeurs qui peuvent à leur tour entraver le cheminement scolaire et personnel. Qu’en est-il de celles et de ceux qui ne se conforment pas aux normes, notamment lorsque leurs idées, valeurs et orientations sont différentes en matière de sexualité? Nous savons par expérience que les jeunes homosexuels peuvent être harcelés par leurs pairs, faire l’objet de railleries, d’insultes, voire de rejet et de violence. L’école peut constituer pour ces jeunes un milieu de vie hostile où ils sont mis à l’écart et reçoivent peu de soutien.

Il peut paraître surprenant que de nombreux jeunes aient encore beaucoup de préjugés à l’égard de l’homosexualité. Cependant, on le sait, les jeunes homosexuels sont confrontés quotidiennement à des réactions négatives de leur entourage, des membres de leur famille et de leurs amis. Le fait de vivre du rejet rend difficile la création d’une image positive d’eux-mêmes et certains peuvent alors chercher la fuite dans l’alcool et les drogues et sombrer dans la dépression. De plus, l’absentéisme, les problèmes scolaires et le décrochage figurent parmi les difficultés que rencontrent ces jeunes. La conséquence la plus grave est le suicide, une réalité courante chez les jeunes homosexuels. En effet, pour certains, parmi les plus isolés et qui comptent le moins de soutien, le suicide peut malheureusement sembler la seule façon de mettre fin à leur souffrance.

Bien souvent, la liberté d’expression est invoquée pour justifier les préjugés au sujet de l’homosexualité et l’intimidation verbale dont souffrent les jeunes homosexuels. Mais cette liberté des uns peut conduire les autres à avoir de la difficulté à se sentir bien dans leur peau. Il me semble que si tous ont le droit à leur opinion, celle-ci doit cependant être fondée sur des connaissances. C’est à cette fin qu’il est primordial de sensibiliser les jeunes à la réalité de l’homosexualité. Cette sensibilisation doit permettre de contrer les images stéréotypées et les préjugés qui sont accolés à ce monde qui est encore trop souvent perçu de loin et avec mépris.

Le projet

Avec pour objectif de sensibiliser les jeunes en milieu scolaire à l’homosexualité afin de contrer les préjugés, et à titre d’étudiante-stagiaire, j’ai entrepris de mettre sur pied et d’animer un atelier à l’intention des jeunes d’une école secondaire. La direction et les membres du personnel enseignant de l’école secondaire publique l’Alternative du Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) m’ont non seulement permis de réaliser ce projet, mais ils m’ont également soutenue et encouragée dans cette démarche. Cette école accueille des jeunes âgés de 16 à 20 ans pour qui l’école traditionnelle ne répond pas à leurs besoins. Elle permet à chacun d’apprendre à son propre rythme, offre la possibilité de faire des cours de rattrapage ou de l’accélération de cours, présente un horaire flexible et adapté à celles et à ceux qui ont un emploi à temps partiel et offre un milieu scolaire chaleureux centré sur les besoins de chaque personne. Le personnel enseignant et la direction sont ouverts à divers projets et ont fait preuve d’une grande flexibilité dans la réalisation de celui-ci.

Ainsi, en collaboration avec Monsieur Normand Dubé, enseignant à cette école, j’ai eu l’occasion d’animer un groupe de discussion au sujet de l’homosexualité. Au préalable, nous nous sommes assurés auprès de la travailleuse sociale de l’école de pouvoir lui référer des jeunes, si tel en était le besoin à la suite de l’atelier. Avant de commencer l’atelier comme tel, nous avons avisé les jeunes que nous n’accepterions aucun propos irrespectueux de leur part et avons ainsi créé un climat propice à l’ouverture et à la discussion entre les jeunes.

L’atelier

La démarche a consisté d’abord à présenter une vidéocassette portant sur les relations entre personnes de même sexe. Préparé par et pour les jeunes, Droit au coeur est réalisé par Angèle Gagnon pour la Collective lesbienne de l’Ontario[1]. Le guide d’accompagnement de la vidéocassette offre de l’information pertinente sur l’homosexualité et propose des outils pour aider les jeunes en milieu scolaire à faire face aux préjugés.

Par la suite, nous avons animé une discussion avec les élèves, entre autres, afin de recueillir leurs impressions et leurs commentaires sur le film. Puis, nous avons échangé sur les apprentissages et les acquis réalisés. Nous sommes ensuite revenus sur les éléments importants qui ressortaient des témoignages des jeunes dans le film. Les élèves ont alors souligné les difficultés que peuvent vivre les jeunes homosexuels : acceptation de soi, sentiments de peur et d’angoisse, questionnements, peur d’être différents des autres et de se sentir isolés et rejetés. Nous avons également discuté des préjugés véhiculés dans les écoles et dans les discours politiques et médiatiques ainsi que des sentiments et émotions que suscitaient ces préjugés chez les personnes de leur entourage. Afin de sensibiliser davantage les élèves au sujet du soutien à accorder aux jeunes homosexuels, nous avons évoqué certains éléments essentiels à ces derniers, soit l’importance d’être bien dans sa peau, de s’accepter, de s’affirmer, de briser l’isolement et, au besoin, d’aller chercher de l’aide auprès de différentes ressources. Enfin, nous avons fait place aux diverses questions concernant l’homosexualité et distribué en toute fin de séance une liste de ressources disponibles.

Les résultats 

Dans l’ensemble, j’ai été très satisfaite du déroulement de la rencontre et de son impact sur les jeunes. J’ai été surprise de constater l’intérêt des jeunes tout au long de la rencontre. Le visionnement de la vidéocassette a permis de lancer une discussion animée qui a interpellé tous les participants. Les jeunes se sont montrés respectueux les uns envers les autres et plusieurs ont mentionné avoir pris conscience de l’impact ou des répercussions que pouvait avoir leur comportement sur les autres. De leur propre aveu, la rencontre a également permis de démystifier certaines de leurs croyances et de réduire les préjugés qu’ils avaient envers l’homosexualité. Cela leur permettra de modifier leurs attitudes et de développer une nouvelle façon de percevoir cette réalité. Par ailleurs, une rencontre avec l’enseignant quelques mois après l’atelier m’a permis de constater l’ampleur des résultats. En effet, les jeunes de cette classe ont rediscuté de l’atelier et ont émis des commentaires très favorables à l’égard de cette activité. Selon leur enseignant, les élèves sont maintenant plus ouverts à la diversité.

Sur la base de cette expérience, il me semble que davantage d’ateliers de ce genre devraient être offerts dans les écoles secondaires. Pour poursuivre dans cette voie, ne pourrait-on pas aussi réfléchir à la mise sur pied des groupes d’entraide pour les jeunes homosexuels? Non seulement cela leur favoriserait l’accès à des informations adéquates et pertinentes, mais procurerait également du soutien à celles et à ceux qui s’interrogent et qui aimeraient recevoir davantage d’appui et se sentir moins isolés.

En somme, il faut reconnaître que les adolescentes et adolescents d’aujourd’hui formeront la société de demain. C’est pourquoi il m’apparaît essentiel de les sensibiliser et les conscientiser à une diversité de réalités, notamment en matière d’orientation sexuelle. En tant qu’intervenantes ou intervenants sociaux, comme en tant qu’enseignantes ou enseignants, adultes et parents, nous nous devons de favoriser la notion du respect des autres, respect qui doit s’étendre des opinions aux styles de vie et à l’orientation sexuelle. Bien que des changements sur la question de l’homosexualité s’imposent dans les médias, les débats publics et les politiques, l’école secondaire demeure un endroit privilégié pour rejoindre un grand nombre de jeunes et créer des lieux de diffusion et de discussion à ce sujet. L’ouverture à cette question peut et doit aussi être ancrée dans la vie quotidienne.