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L’ouvrage reprend les deux premières parties d’une thèse d’habilitation à diriger des recherches, ce qui lui imprime un style académique sans pour autant que cela nuise à la qualité de la lecture, l’exposé des arguments gagnant en clarté ce qu’il perd parfois en vivacité. Cet exposé renvoie pour l’essentiel à une synthèse des travaux menés antérieurement par l’auteur, l’ensemble de la démonstration visant à indiquer comment il est possible de tracer un champ de recherche cohérent qui lie la question des divisions sociales de l’espace et les dynamiques de l’habitat. C’est dans ce lien que réside sans conteste la nouveauté de la démarche qu’il propose. Une autre originalité du livre est qu’il s’attarde sur des villes peu étudiées: Nantes comme modèle d’une agglomération de grande taille, Cholet (Maine-et-Loire) et La Roche-sur-Yon (Vendée) en tant que «petites villes moyennes» dont le poids démographique oscille entre 20 000 et 100 000 habitants.

La première partie de l’ouvrage apparaît somme toute classique pour tout chercheur s’intéressant aux questions de la division sociale de l’espace et de la ségrégation résidentielle. Elle s’ouvre sur une synthèse détaillée des travaux de géographie sociale menés sur ces questions en France. Elle laisse transparaître un modèle dominant de la géographie française, soit celui qui s’appuie sur les apports de la «nouvelle géographie» pour rompre avec le paradigme naturaliste et descriptif vidalien, modèle qui repose également de manière presque exclusive sur la distribution des catégories socioprofessionnelles et les quartiers de l’INSEE, et qui mobilise enfin principalement les outils de l’écologie urbaine factorielle. Les résultats qu’il produit sont attendus et les mises à l’épreuve qu’en fait l’ouvrage les confirment. Sont rappelés tour à tour la forte division sociale de l’espace, la concentration des catégories socioprofessionnelles extrêmes avec une intensité accrue pour les catégories supérieures, le peu d’impact de la taille de l’agglomération sur le phénomène et la relative inertie des structures urbaines. Cette dernière caractéristique ne doit cependant pas masquer les évolutions lentes qui ont lieu au niveau de la division sociale de l’espace par «le mécanisme de la proximité socio-spatiale». Après avoir indiqué comment ce processus joue de manière importante pour les phénomènes d’embourgeoisement, entre autres, l’auteur insiste sur un des facteurs qui le rend possible en étudiant les dynamiques du «marché du logement de l’occasion», lequel est devenu le segment dominant du marché dans le courant des années 1980. Réalisant une enquête sur les centres-villes de Cholet et de La Roche-sur-Yon, il montre cependant que la mobilité résidentielle liée au marché de l’occasion est plus un vecteur d’inertie que de changement de la structure socio-spatiale. Il est bon de noter que ces enquêtes dataient de la fin des années 1980 et portaient sur des échantillons de petite taille, l’accès difficile aux sources de données enregistrant les événements sur le marché du logement expliquant en grande partie ces limites. La voie de recherche suivie est dès lors de mieux articuler l’analyse sociale et l’analyse morphologique, autrement dit les caractéristiques de la population et celles des logements. Appliqué à Nantes, ce type d’analyse permet d’y dégager, au moyen d’une classification automatique discriminant les territoires selon leur structure socioprofessionnelle, les caractéristiques de leur habitat et leur situation géographique, neuf grands contextes socio-morphologiques.

Si la première partie présente une facture relativement classique, il n’en va pas de même de la seconde, qui cherche «à observer comment la façon dont les politiques de l’habitat et du logement mises en oeuvre par les pouvoirs publics peuvent éclairer, du moins en partie, les contextes socio-morphologiques des villes françaises». Cette hypothèse n’est certes pas neuve, comme en témoignent les nombreux travaux cités dans l’ouvrage, mais le traitement qu’elle reçoit n’en est pas moins original. En effet, si le chapitre sur les politiques du logement en France est principalement historique, celui consacré aux «régulations des déséquilibres socio-territoriaux» montre bien, à partir d’une approche chronologique détaillée, comment sont nées les politiques de la ville et les politiques locales de l’habitat, une des conclusions à retenir étant qu’elles ne peuvent être confondues. Au contraire, les politiques locales de l’habitat se situent à un point de confluence unique dans les politiques publiques françaises, puisqu’elles sont rendues possible à la fois par les lois de décentralisation de l’urbanisme votées au début des années 1980 et orientées par les lois successives visant à remédier aux déséquilibres socio-territoriaux enregistrés dans le domaine du logement – Loi d’orientation de la ville de 1991 (LOV) et Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain de 2000 (SRU) –, l’enjeu du dispositif étant de mieux répartir l’effort entre les différentes entités locales en termes de production du logement HLM et de rétablir ainsi la cohésion sociale nationale et le droit au logement inscrit dans la Constitution. Enfin, le dernier chapitre donne toute son ampleur aux synthèses historiques qui précèdent en traçant une esquisse d’évaluation de ces politiques. Il produit les résultats de trois études de cas: une sur la politique de la ville à La Roche-sur-Yon, les deux autres sur la politique de l’habitat à Cholet et à Nantes. La première souligne les difficultés structurelles auxquelles se confronte la politique de la ville lorsqu’elle cherche à promouvoir l’insertion économique des individus et leur participation à la vie sociale locale, constat produit à maintes occasions. En revanche, les deux études de cas sur les politiques locales d’habitation retiendront l’attention du lecteur, ce type d’enquêtes étant rares. Elles indiquent ainsi comment la constitution de politique locale de l’habitat à l’échelon intercommunal contribue involontairement au maintien des divisions sociales de l’espace, les acteurs impliqués dans les jeux politiques locaux cherchant à préserver leur base électorale ou à renforcer, sur le dos d’une politique imposée par le centre, une dynamique intercommunale encore toute jeune.

Par les matières qu’il couvre et le mode d’exposition qu’il adopte, l’ouvrage s’adresse, d’une part, aux chercheurs désireux de parfaire leurs connaissances sur le contexte urbain en France, la partie sur les politiques de la ville et de l’habitat revêtant un apport certain, et, d’autre part, aux étudiants de géographie ou d’études urbaines soucieux de se familiariser avec les travaux et les enjeux qui entourent actuellement la question de la division sociale de l’espace en France. En revanche, la première partie laissera un peu sur leur faim les spécialistes du domaine. Mais cette impression est peut-être plus l’effet involontaire de l’exercice académique dont le livre est extrait que le reflet exact de la pensée de l’auteur, l’ouvrage proposant de nombreuses pistes de recherche intéressantes et prometteuses sur lesquelles il aurait été bon de pouvoir s’attarder. Gageons que nous les retrouverons menées à leur terme dans de futurs travaux.