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En 1999, les universités de Ouagadougou et de Padoue initient un programme de recherche consacré à l’étude de la genèse du territoire hydraulique de la vallée du Sourou. Pour diverses raisons, cette petite région isolée du nord-ouest du Burkina Faso est devenue sous le gouvernement révolutionnaire de Thomas Sankara (président de 1983 à 1987) un modèle de mise en oeuvre de gestion collective des terres. Le gouvernement a changé, mais la dynamique des aménagements engendrés a perduré, dans une idéologie alors libérale. L’intérêt de la recherche menée est la confrontation des modèles de gestion de l’eau imposés (socialiste puis libéral) avec les structures sociétales et spatiales traditionnelles, ainsi que la recherche de plages de compatibilité entre tradition et innovation. Son objectif final est l’étude des trames et caractéristiques de cet espace en gestation.

Le programme de recherche a mobilisé une dizaine de chercheurs et a duré quatre ans. L’ouvrage présenté ici est le fruit de ce travail collectif.

Le premier chapitre s’organise en deux volets: le premier présente la vallée en elle-même, ses aspects hydrologiques, géomorphologiques, pédologiques, pluviométriques, biogéographiques, humains, qui ont incité les décideurs à se lancer dans ce projet d’aménagement; le deuxième volet relate les attentes et motivations des acteurs (État, populations autochtones et migrantes) et décrit en quelques pages le projet et la structure du territoire «Vallée du Sourou».

Le second chapitre entre dans le détail du processus de territorialisation hydraulique. Il traite dans un premier temps de l’historique des projets qui se sont succédés dans la vallée du Sourou depuis la période coloniale et de la place prédominante occupée par le projet d’aménagement de cette vallée dans la politique révolutionnaire de Thomas Sankara. Il décrit ensuite la gestion administrative des projets et ses pesanteurs, avec la mise en place des coopératives de gestion des aménagements à la fin des années 1980, leurs difficultés de fonctionnement et leur remise en cause. Il relate l’arrivée, dans les années 1990, d’opérateurs privés dans le jeu des acteurs, le transfert des compétences de gestion des équipements aux exploitants et les problèmes engendrés. Il remet enfin en perspective la place de la vallée du Sourou dans l’hydraulique sahélienne.

Le chapitre 3 nous met plus directement face au terrain et à l’analyse de situations concrètes: plusieurs thèmes sont retenus en vue d’illustrer la diversité des structures administratives et sociales observées dans le Sourou et réunissant «la quasi-totalité des options possibles en matière de gestion de l’espace et de l’eau dans les pays sahéliens». Du maraîchage au riz et aux cultures pluviales, en passant par le coton, le bananier, la pêche et les difficultés rencontrées par les éleveurs, un état des lieux très complet est dressé, chaque thème étant passé en revue de façon analytique, tant d’un point de vue historique que spatial, économique et social, dans un exposé dense et détaillé.

Le chapitre 4 est consacré aux impacts du processus de territorialisation sur les structures foncières, ainsi que sur les conflits «environnementaux» liés à la pénurie des ressources (eau, terre, arbres) et au pouvoir des acteurs engagés. Sont évoqués aussi les impacts directs et indirects des aménagements hydrauliques sur l’environnement naturel, et plus longuement les problèmes de santé induits par la présence permanente de l’eau de surface et par l’inobservance individuelle des règles d’hygiène élémentaire. Les impacts positifs du projet (riziculture, pêche, meilleure couverture sanitaire, etc.) sont aussi mentionnés.

Enfin, le chapitre 5 met en perspective les facteurs locaux et nationaux déstabilisants, susceptibles de mener à une remise en cause du projet, puis fait le point sur les flux monétaires et matériels engendrés par la Vallée et leur rôle dans le développement local. Il aborde ensuite, de façon particulièrement intéressante, le problème de la sécurisation alimentaire de la population locale. Il se conclut par la mise en évidence de modalités d’interactions transformatives entre projet et territoire, et propose deux scénarios prospectifs (l’un récessif, l’autre optimiste), présentés sous forme de chorèmes, qui donnent une vision possible (et incertaine) de l’avenir du Sourou.

Cet ouvrage dresse ainsi un tableau très complet des différents aspects liés à l’eau dans le Sourou, aussi bien dans sa dimension physique que sociale, politique et économique, tout en tenant compte des emboîtements d’échelle de fonctionnement du système «eau». Très dense, très informé, précis, complet, il met en évidence, à travers cet exemple, les enjeux et les contraintes de la gestion de l’eau en milieu rural sahélien. Il alterne passages descriptifs détaillés, paragraphes explicatifs et références théoriques et épistémologiques, la contrepartie de cette richesse d’informations et de réflexions étant parfois quelques longueurs et un léger manque de lisibilité dans la logique d’organisation des connaissances.

Cet ouvrage nous convie, à travers ses différents chapitres, à une réflexion sur «la capacité de la paysannerie africaine à rechercher et trouver des compromis entre tradition et modernité», une réflexion sur l’impact réel des grands projets sur l’environnement, la santé, et surtout le «mieux-vivre» de populations qui continuent à subir ces projets plutôt qu’à en être les promoteurs, enfin une réflexion sur la viabilité des territoires créés dans ce type de contexte. Ainsi, si de prime abord cet ouvrage peut sembler s’adresser à un public averti, l’éventail des thèmes de réflexion auxquels il invite l’ouvre à un public plus large.