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De par sa popularité auprès des chercheurs, son histoire et son degré de développement, le champ des études mayanistes se prête particulièrement bien aux perspectives comparatives et offre une riche matière première à qui désire réfléchir sur son évolution passée, présente et future. Dans la foulée d’ouvrages de synthèse comme Heritage of Conquest (Tax 1952) et Heritage of Conquest : Thirty Years Later (Kendall, Hawkins et Bossen 1983), le présent volume cherche à nous offrir un panorama des sociétés mayas contemporaines en nous présentant une série d’études sur l’une ou l’autre des problématiques clés qui viennent structurer ce champ aujourd’hui. Ces problématiques sont parfois ancrées dans la dynamique propre aux communautés mayas, comme c’est le cas des nouveaux questionnements qui ont émergé du mouvement zapatiste au Mexique et du mouvement pan-mayaniste au Guatemala. Elle peuvent aussi être le fruit de développements internes à la discipline anthropologique qui, comme le montre Jan Rus dans son chapitre intitulé « Rereading Tzotzil Ethnography », a vécu de profondes transformations depuis ses premiers efforts d’envergure en mésoamérique.

On trouve donc, au coeur même de l’ouvrage, un projet à la fois théorique et comparatif. Du côté théorique, on cherche à répondre à certaines interrogations actuelles sur les sociétés mayas elles-mêmes. Plus précisément, les directeurs du volume s’intéressent à la représentation des groupes mayas par les anthropologues, ce qui semble préoccuper les auteurs dans l’introduction mais n’était guère présent dans les efforts de synthèse antérieurs. Comment concilier, se demandent Watanabe et Fischer, les critiques faites à une ethnographie classique jugée trop « insulaire et homogénéisante » (p. 3-4) et les transformations constructivistes qu’à connues la discipline pour répondre à ces critiques, avec le recours à l’essentialisme stratégique que l’on observe aujourd’hui chez plusieurs groupes mayas politisés. Le deuxième axe du livre, qui nous semble lier les contributions entre elles de manière plus convaincante que ne le fait le premier, est une interrogation cherchant à comprendre de manière anthropologiquement satisfaisante, le point d’intersection entre les études du système-monde et les études ethnographiques. Il est supposé (p. 4) que ce point d’intersection peut être trouvé en partie dans le « contexte national ». Dans la mesure où tel est le cas, la comparaison entre la situation des Mayas vivant au Mexique et celle des Mayas vivant au Guatemala proposée dans cet ouvrage est intéressante.

Au-delà de ces considérations venant chapeauter l’ouvrage, le véritable intérêt de Pluralizing Ethnography réside dans ses contributions prises isolément. Les chapitres de ce volume sont tous écrits par des mayanistes de premier plan, et chaque chapitre recèle des faits, des interprétations et des réflexions théoriques qui constituent des apports importants à notre connaissance des sociétés mayas d’aujourd’hui. John Watanabe nous offre une comparaison synthétique mais néanmoins éclairante des deux contextes nationaux faisant l’objet du livre. Victoria Bricker compare les idéologies linguistiques des Mayas du Yucatán avec celles des Tzotzils de Zinacantán. Christine Kray reprend un débat de plus en plus présent dans les études mayanistes en se penchant sur la question des conversions religieuses et du rôle qu’à joué (ou n’a pas joué) le Summer Institute of Linguistics dans ces dernières chez les Mayas du Yucatán et du Guatemala. Offrant une nouvelle analyse de matériaux qu’il avait publiés en 1999, Gary Gossen aborde pour sa part le contexte historique de l’émergence du discours zapatiste sur l’État mexicain et sa place actuelle, au côté d’autres discours, dans les communautés tzotziles du Chiapas. June Nash compare les mouvements autonomistes mayas au Mexique et au Guatemala. Après le chapitre réflexif de Jan Rus, dont nous avons parlé plus haut, l’ouvrage se clôt sur deux contributions importantes, celle de Victor Montejo et celle d’Edward Fischer, sur l’impact complexe de la mondialisation économique sur des communautés mayas du Guatemala.

Il ne faudrait pas oublier, dans ce survol, la conclusion écrite par Richard Fox. Dans son texte, Fox met en lumière ce qui semble, en effet, être la principale contribution de cet ouvrage en tant qu’ensemble. Pour lui, la richesse des matériaux et des études qu’ont entre leurs mains les mayanistes offre un outil précieux pour théoriser non plus le changement social, qui est au coeur des recherches actuelles, mais bien plutôt les continuités sociales et culturelles qui, ironiquement, se trouvent aujourd’hui négligées par l’anthropologie. Relire Pluralizing Ethnography à la lumière des commentaires finaux qu’en fait Fox donne une cohérence à l’ensemble de l’ouvrage que les commentaires introductifs n’avaient pas tout à fait réussi à mettre en évidence.

À la lumière de la question de Fox demandant « quelle peut être, exactement, la contribution des études mayanistes à notre compréhension de la mondialisation et de l’analyse postcoloniale? » (p. 291), les excellentes contributions du volume deviennent autant de réflexions sur les continuités choisies, réinventées et parfois subies par les Mayas dans un monde en constante transformation.