Corps de l’article

Introduction

Les racines représentent de 50 à 90 % de la biomasse végétale. Conséquemment, les insectes qui leur sont associés peuvent potentiellement avoir un impact important sur la biologie, la physiologie et l’écologie des plantes. Cependant, d’après une récente revue de littérature (Blossey et Hunt-Joshi 2003), leur rôle demeure encore méconnu. Parmi les 241 articles rapportés dans la revue citée, on compte très peu d’études écologiques. Seulement 19 espèces d’insectes des racines retrouvées sur neuf espèces végétales sont rapportées alors qu’en Amérique du Nord, on compte plus de 17 000 espèces de plantes indigènes et plus de 5 000 espèces de plantes introduites. Les insectes des racines les plus connus sont les ravageurs de plantes agricoles (Hill 1994). Les études portant sur les genres Diabrotica et Delia dominent nettement la littérature scientifique. Les agents utilisés en lutte biologique comptent également parmi les insectes des racines les plus rapportés par Blossey et Hunt-Joshi (2003) avec 88 espèces sur 33 plantes-hôtes. Ces études portent principalement sur des ravageurs d‘origine européenne surtout à cause de leur intérêt comme agents potentiels de lutte biologique contre les espèces de plantes introduites d’Europe. La présente synthèse traite des taxons associés aux insectes des racines, ainsi que de la distribution géographique, de la biologie et de l’impact de ces insectes.

Taxons

Si on considère que la classe Insecta regroupe près d’un million d’espèces décrites jusqu’à présent (Triplehorn et Johnson 2005), les insectes qui passent une partie de leur cycle vital associés aux racines regroupent relativement peu d’espèces; seulement quelques ordres sont bien représentés (Brown et Gange 1990). Parmi les exoptérygotes, les stades immatures et les adultes des homoptères, des hémiptères, des isoptères et des orthoptères s’alimentent de racines. Chez les endoptérygotes, les larves de plusieurs espèces de coléoptères, de diptères et de lépidoptères font de même. Au sein de ces grands ordres, l’herbivorie des racines se limite à quelques familles. L’ordre des coléoptères est celui qui regroupe le plus grand nombre d’espèces pouvant causer des dommages d’importance économique, particulièrement au sein de la famille des scarabées (Arnett et al. 2002). Les autres ordres dans lesquels on retrouve quelques espèces s’attaquant aux racines sont ceux des collemboles, des neuroptères et des thrips (Brown et Gange 1990).

Distribution géographique

Les insectes des racines sont présents sur tous les continents sauf en Antarctique (Andersen 1987). La distribution géographique cosmopolite des ordres est toutefois restreinte au niveau des familles et plutôt endémique au niveau des genres et des espèces. Font exception à cette règle les espèces introduites par les activités humaines. Par exemple, le scarabée japonais, Popilla japonica Newman, originaire de Chine et du Japon a été introduit en Amérique du Nord au début du siècle dernier. Il a acquis sur notre continent un statut de ravageur qu’il ne possède pas dans son aire d’origine (Potter et Held 2002). Un autre exemple célèbre est celui du phylloxéra de la vigne, Daktulosphaïra vitifoliae [Homoptera : Phylloxeridae], originaire de l’Amérique du Nord, dont l’introduction en Europe, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Japon fut une véritable catastrophe pour l’industrie viticole au siècle dernier (Ordish 1987). Des différences biologiques ont également été notées chez certaines espèces en fonction de leur distribution. Par exemple, le puceron lanigère du pommier, Eriosoma lanigerum [Homoptera : Aphididae], colonise les racines d’arbres en Afrique du Sud, en Amérique du Nord et en Australie, mais pas en Europe (Hill 1987).

Biologie

Les insectes des racines holométaboles ont généralement le cycle vital suivant : le stade adulte est mobile et terrestre et il s’alimente sur les parties aériennes des plantes (Brown et Gange 1990). La ponte est effectuée dans le sol, près de la ressource. Les larves, peu mobiles, se développent en s’alimentant sur ou dans les racines jusqu’à ce qu’elles atteignent le stade de pupe. Les adultes émergent et s’accouplent hors du sol. La longueur de leur cycle peut varier. En climat tempéré, les cycles de développement sont plus longs qu’en climat tropical. La diapause qui vient ralentir le cycle vital s’effectue aux stades oeuf (genre Diabrotica), larvaire (scarabées et taupins) ou adulte (Sitina spp.) (Hill 1987). Les scarabées et les taupins ont un cycle vital de trois ans en climat tempéré, mais sont univoltins en climat tropical. Les charançons et les chrysomèles sont univoltins en climat tempéré mais multivoltins sous les tropiques (Hill 1983). Les hépiales et les sésies ont une génération tous les trois ans en climat tempéré et une génération par an en climat tropical. Quant aux noctuelles, elles sont univoltines en climat tempéré et multivoltines sous les tropiques. Le cycle vital des espèces hémimétaboles est lui aussi parfois assez complexe surtout chez les pucerons qui possèdent plusieurs hôtes et sont polymorphiques. C‘est le cas du phylloxera de la vigne (Downie 1999).

Plusieurs facteurs du sol influencent le développement et la survie des ravageurs des racines : la texture, la compaction, le pH, la température, l’humidité et les nutriments (Brown et Gange 1990). Par exemple, chez les scarabées (Régnière et al. 1981) et les chrysomèles (Marrone et Stinner 1984), un taux de survie plus élevé est rapporté dans les sols à texture plus fine. La présence de fissures dans ces sols permet à ces insectes de se déplacer alors que dans les sols sableux de telles fissures ne peuvent se former. Les sols plus fins offrent également une meilleure rétention d’eau et préviennent la dessiccation des larves. De plus, ces dernières sont moins exposées à l’effet abrasif des grains de sable dans leurs déplacements. Par contre, la compaction est un facteur nuisible à la survie des insectes de racines puisqu’elle fait obstruction à leurs déplacements.

La température est également déterminante pour le développement des insectes de sol. Plus la température du sol est élevée et plus leur développement est rapide. De plus, les insectes vivant sous un climat tempéré peuvent tolérer des températures plus basses que les insectes des régions tropicales (Hill 1993). Il y a beaucoup de différences d’une espèce à l’autre. Par exemple, la mouche du chou, Delia radicum L. [Diptera : Anthomyidae], survit à une température de –10 ºC (Block et al. 1987) en Grande-Bretagne et le puceron des racines de la laitue, Pemphigus bursarius (L.) [Homoptera : Aphididae] à 0 ºC pendant 40 semaines au Canada (Alleyne et Morrison 1978). Par contre, le scarabée Heteronychus arator Burmeister [Coleoptera : Scarabaeidae] ne peut se développer qu’à des températures d’au moins 20 ºC (King et al. 1981) et le phylloxéra de la vigne se développe optimalement lorsque les températures varient entre 16 et 32 ºC (Grannet et Timper 1987). La température du sol influence également la taille des insectes et leur survie hivernale. Pour une même espèce, une température plus élevée produit des larves de taille plus grosse et ces dernières survivent mieux à l’hiver (Brown et Gange 1990).

Finalement, la teneur en eau est le facteur déterminant de la survie et de l’abondance des insectes des racines. De nombreuses études ont montré que leur survie est considérablement réduite lorsque le sol est sec. Les oeufs et les premiers stades larvaires de certains coléoptères sont particulièrement sensibles à la dessiccation. Par exemple, les oeufs des chrysomèles des racines ont besoin d’un taux d’humidité de 100 % à un certain stade de leur embryogenèse afin de compléter ce stade de développement (Krysan 1976). Également, la survie des larves de tipules est tributaire d’un taux de saturation en eau très élevé. C’est pourquoi ils sont plus abondants dans les sols lourds (Blackshaw et Coll 1999). Par contre, pour les pucerons des racines, des conditions anaérobies peuvent être néfastes (Dixon 2002).

Impacts

Les impacts des insectes des racines sur les plantes sont très variables, allant d’un continuum de potentiellement positif à très négatif. Par exemple, au niveau des impacts positifs, Agapeta zoegana (L.) [Lepidoptera : Cochylidae], retrouvé dans le cortex des racines de la centaurée maculée, Centaurea maculosa Lam., augmente la mise à fleur de cette dernière (Müller et Steinger 1990). Par contre, les insectes des racines exercent de nombreux effets négatifs directs sur la physiologie des plantes en ce qui concerne l’absorption de l’eau et des éléments nutritifs, l’entreposage des sucres, la synthèse des hormones de la plante, la production des substances chimiques secondaires, la photosynthèse et la conductance des stomates (Blossey et Hunt-Joshi 2003). Il en résulte parfois d’importantes pertes de rendement (Hill 1993). En plus des dommages directs causés par ces insectes, il convient de souligner les risques d’invasion par des ennemis secondaires, des agents pathogènes ou autres, qui peuvent coloniser la plante au niveau des blessures infligées aux racines par les ravageurs primaires (Peterson et Higley 2001).

Au Québec, les principaux insectes ravageurs des racines dans les cultures agricoles sont les larves de mouches du genre Delia, les larves de taupins, de chrysomèles des racines, de hannetons, de charançons des racines et de vers gris. La plupart de ces espèces sont issues de taxons introduits d’Europe. On peut présumer que la clé de leur prolifération est liée à un cycle vital bien adapté aux conditions climatiques, édaphiques et biologiques rencontrées dans les cultures du Québec.