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Qu’un auteur masculin décide de donner la parole à un locuteur ou un narrateur féminin, cela n’a rien de très surprenant si l’on considère l’élargissement de la palette expressive que permet un tel investissement de la voix et de l’identité de l’Autre. Ainsi, Ovide, dans ses Héroïdes, prête à Pénélope, Laodamie, Médée ou Didon des accents qui pourraient difficilement être ceux de locuteurs masculins [1]. Dans un tel contexte, le pathos que donne à voir le texte est indissociable de l’ethos de la femme seule ou abandonnée, dont la douleur trouve à s’épancher grâce à la forme épistolaire [2]. On pourrait relever, dans l’histoire littéraire, un certain nombre d’ouvrages — aussi bien masculins que féminins — faisant appel à la fiction d’une locutrice, notamment dans le but d’exploiter, d’une manière ou d’une autre, l’association traditionnelle des femmes avec la déraison et les débordements passionnels [3]. Certains textes poussent même plus loin les procédés de « ventriloquie », en occultant l’identité de l’auteur de façon à laisser croire que la persona féminine fictive est l’auteur véritable. Parce qu’elle fait disparaître les marques les plus apparentes de la fictionalisation, une telle occultation lie encore plus étroitement certaines manifestations du pathos avec la construction d’un ethos féminin particulier. Ainsi, les Comptes amoureux de madame Jeanne Flore (vers 1537) ont longtemps été attribués à une femme, jusqu’à ce que des travaux récents suggèrent une rédaction à plusieurs mains [4]. Au xviie siècle, le cas le plus célèbre de brouillage de l’identité auctoriale est certainement celui des Lettres prétendument écrites par une religieuse portugaise, qui ont contribué à consacrer le style « naturel » des femmes, que postulent certains traités de l’époque [5]. Si, sous cet éclairage, les femmes apparaissent particulièrement soumises à la passion, c’est pourtant cette vulnérabilité aux sentiments, doublée d’une connaissance sommaire de la rhétorique, qui, fait-on valoir au xviie siècle, confère à leur expression un naturel digne d’être cité en exemple pour la pratique de la lettre ou de la conversation [6].

À côté des personae féminines développées en conformité avec les attributs habituels des femmes, on peut parfois trouver, au xviie siècle, d’autres figures qui exploitent, sous la plume d’hommes mais peut-être le plus souvent de femmes, les dispositions dites féminines en empruntant des avenues moins fréquentées et en faisant d’une simple femme le porte-parole d’un discours collectiviste destiné à défendre les intérêts supérieurs de l’État. Plus que la prétendue propension féminine aux débordements passionnels, c’est une sensibilité toute particulière aux difficultés ou aux malheurs de la Nation qu’affichent de tels textes. L’ethos qu’ils construisent est celui d’une femme de condition modeste, attentive aux événements politiques et investie d’une mission tout à fait étrangère à sa condition sociale : celle de convaincre un personnage en vue de modifier son action politique pour le bien du plus grand nombre. C’est précisément sa position fortement marginale face aux lieux du pouvoir qui, à la faveur d’un renversement paradoxal, confère à la locutrice une certaine autorité, les intérêts du petit peuple qu’elle représente venant à se confondre avec ceux de la Nation.

Parmi les nombreux pamphlets à caractère politique que compte la première moitié du xviie siècle français, deux courts textes illustrent, avec une vivacité particulière, l’utilisation d’un ethos féminin à des fins polémiques. Il s’agit de la Responce de Dame Friquette Bohëmienne, parue en 1615, pendant la régence de Marie de Médicis, et des Admirables sentiments d’une fille Villageoise, publiés en 1649, en pleine période de Fronde [7]. Dans des contextes sociopolitiques différents, ces deux écrits adressent des remontrances à un individu ou à un groupe par la voix censément auctoriale de figures féminines plutôt inattendues dans ce contexte : une bohémienne et une villageoise, dont la compétence en matière d’affaires publiques est pour le moins douteuse. Créés par une plume probablement masculine, dans le cas de la Responce, et féminine, dans celui des Admirables sentiments, ces personnages font valoir le point de vue qu’une faction politique cherche à imposer par le truchement d’une représentante très humble de la nation française (la villageoise) ou de celui d’une étrangère dont les dons de prescience sont notoires (la bohémienne). Sur le plan éthique, ces personae se ressemblent à plusieurs égards et donnent à voir certaines des postures énonciatives qui, en cette époque de modernité naissante, sont attribuables aux femmes. Même si leur facture, leur tonalité et leur visée délibérative diffèrent à bien des égards, ces deux textes sont centrés sur une figure féminine dotée d’une forme de « clairvoyance » politique. L’origine modeste de la locutrice, bien loin d’être un obstacle, semble favoriser au contraire la prise de parole et l’accès à la vie publique d’une simple femme qui a tant à coeur les intérêts de la collectivité qu’elle se permet d’entrer en dialogue avec des individus (ou des groupes) qui font l’actualité. À travers l’ethos que le texte construit, la bohémienne ou la villageoise devient ainsi une figure emblématique des intérêts les plus élevés de l’État.

Diseuse de « mal-advanture »

En 1615 paraît un opuscule de quinze pages dont le titre accrocheur décrit clairement la situation d’énonciation : celle d’une bohémienne s’adressant à un groupe de mécontents et de critiques du pouvoir royal. Bien qu’appelée en France par ces gens qui pensaient apprendre d’elle « quelque bonne advanture » (RDF, p. 9), Friquette annonce plutôt à ces « mal-contents » « les mal[-]heurs qui tallonneront [leurs] desseins » (RDF, p. 8) s’ils les exécutent, prédisant ce qui risque d’arriver

à ceux qui ont murmuré et dressé des partis contre les resolutions de leur[s] Majestez, qui ont malicieusement interprété les pures intentions des Princes, des officiers de la Couronne […] et mal pensé de la fidelité et amour des celebres Parlemens de France, envers le Roy, l’Estat, et la Patrie […].

RDF, p. 9

Ce faisant, Friquette se retourne, en quelque sorte, contre ses éventuels employeurs qui, de sa part, espéraient des signes d’encouragement, alors qu’ils deviennent l’objet de ses remontrances et invectives, même s’ils ne sont désignés que très indirectement. En effet, la locutrice évite de faire explicitement référence aux meneurs aristocratiques du groupe des mécontents, c’est-à-dire à Henri II de Bourbon, prince de Condé, et Charles de Gonzague, duc de Nevers, qui, au cours des années 1614-1617, ont cherché à contrer l’influence de Concini sur la régente Marie de Médicis, notamment au sujet du projet de mariage du jeune roi avec une infante espagnole [8]. Cet épisode du règne de Louis XIII a suscité, en 1614-1615, une littérature polémique considérable : environ 104 pamphlets, dont certains comptent plus d’une vingtaine de pages. Un bon nombre de ces textes appartiennent à la veine que Hélène Duccini qualifie de burlesque et qui attribue le discours textuel à une figure fictive, dont les traits comiques sont déjà suggérés par le libellé du titre [9]. Dans cette production, on peut compter quelques textes qui, comme la Responce de Friquette [10], font entendre une voix féminine, vraisemblablement modelée par un auteur masculin [11].

Le discours de Friquette se déploie suivant une disposition qui s’articule en trois grands volets. Le premier (RDF, p. 3-6), de nature autoréférentielle, permet à la locutrice de se présenter. Bien qu’énigmatique à certains égards, il est le plus intéressant du point de vue de l’ethos ; nous y reviendrons plus loin. Le deuxième volet (RDF, p. 6-8), quant à lui, consiste en une série d’énoncés à caractère prophétique décrivant, sous la forme d’un inventaire, les malheurs qui risquent de s’abattre sur les mécontents. Le ton du passage, le caractère sibyllin des formules employées, de même que l’usage du latin, nous engagent vers un mode de lecture parabolique [12] :

Les uns viendront aux nopces de l’espoux, mais trop tard par un long repentir, à raison dequoy ils trouveront la porte de grace fermée, et le maistre du logis qu’ils penseront accoler pour toute consolation leur dira nescio vos [13].

RDF, p. 7

Autres viendront frapper le chien en la presence du lyon pour l’appaiser, s’evertueront de faire quelque bon office pour le bien du public, mais le Seigneur qui aura souvenance de ce qui s’est passé dira, non mihi placet multitudo victimarum vestrarum, allez, je n’ay point pour agréable la quantité de vos offrandes et services […] [14].

RDF, p. 7

Les menaces qui se font sentir dans ces paroles se précisent dans les remontrances du troisième volet (RDF, p. 9-15), qui permettent une identification plus nette des destinataires du discours. Friquette affirme s’adresser non aux princes, « grandes colomnes et firmamens de l’Estat », pas plus qu’à « tous bons et legitimes sujects du Roy », mais aux « petits broüillons criards, clabaudeurs, seditieux et rebelles qui [l’ont] appellee en ce Royaume » (RDF, p. 9). À partir de ce moment, le discours de la bohémienne vise à indiquer à ces gens leur erreur et leur absence de jugement politique. Pratiquant le dénigrement de l’interlocuteur, Friquette exploite le registre de la petitesse pour invalider la position de ces « petits vers de terre » aux « consciences estroictes » (RDF, p. 10). Il vaudrait mieux pour eux faire comme les « limassons » et retirer leurs « cornes » pour ne pas être « la fable et la risee de ceux qui sont plus sages et advisez » qu’eux (RDF, p. 10). Bref, sur le mode de la dérision — et non sans ironie, quand on pense à son propre statut social —, elle leur enjoint de ne pas « porter [leur] nez aux affaires d’Estat » (RDF, p. 9).

Pourtant, contrairement à ce que laisse croire la locutrice, ceux que l’on désigne habituellement comme les « mécontents » sont surtout de grands seigneurs. À qui donc Friquette s’adresse-t-elle, sinon à ces princes, mais de manière détournée, en semblant prendre pour cible un groupe quelconque de sujets, qui est défini moins par son statut social que par la nature problématique de son allégeance au roi (et, par conséquent, à la Nation) ? Dans le contexte de l’époque, tout particulièrement dans celui de la production pamphlétaire anonyme qui accompagne cette vague de mécontentement, la référence ne peut être que transparente, alors que le texte, tout en affectant une rhétorique de la modestie, prétend bel et bien rappeler aux princes la nature intéressée de leur conduite « factieuse », c’est-à-dire contraire au bien de l’État [15]. Faut-il voir là une défense de Concini et de Marie de Médicis, que le texte ne nomme pas mais qui appartiennent au groupe de gens soucieux de l’État (tout en étant, notons-le au passage, des étrangers, comme Friquette) ? Cela est peu vraisemblable, du moins si l’on se fie à la discrétion des allusions à l’entourage royal, les individus étant subsumés, par-delà les intérêts partisans, dans la notion plus abstraite de « Nation », qui prend forme vers la fin des guerres de Religion en France, en se cristallisant dans l’idée de l’intérêt collectif, supérieur à celui des individus et des groupes [16]. Ce que donne à lire le texte est probablement moins un plaidoyer en faveur d’un groupe (en réponse aux attaques d’un autre groupe) qu’une défense du bien commun qui s’articule autour de la personne symbolique du roi.

D’un point de vue rhétorique, l’ensemble du texte peut ainsi s’interpréter comme un processus d’invalidation du groupe séditieux par celle-là même qui était censée leur porter secours. Sollicitée par ces gens, la bohémienne refuse de venir en France pour la « consultation » que l’on souhaite obtenir d’elle et décide plutôt de répondre par écrit à la demande qui lui a été faite. Dans sa réponse, elle prend à parti les adversaires de l’entourage royal, elle qui n’est vraisemblablement pas française, mais qui, depuis l’étranger, défend les intérêts de la Nation, associés implicitement au « clan Concini ». Mais pourquoi l’auteur du texte fait-il appel à une telle défenderesse, dont le statut identitaire est tout aussi problématique que la pertinence de son intervention ? En l’absence de toute certitude quant aux intentions auctoriales, on peut du moins constater que l’auteur exploite l’ambiguïté qui, souvent associée aux figures féminines, leur permet de revêtir des attributs à la fois positifs et négatifs dans l’imaginaire collectif. Si elle peut être rattachée à la figure inquiétante de la sorcière, et donc placée sous le signe d’une redoutable marginalité, la bohémienne rappelle également la figure plus noble de la sibylle, représentée de façon fort positive dans le Chemin de longue étude de Christine de Pizan, par exemple, où la Sibylle de Cumes guide Christine dans l’univers allégorique du savoir [17].

Dès le début du texte, dans le premier volet où elle parle d’elle-même, Friquette affirme avoir été autrefois « mandee par les Seigneurs de Russie et Prussie pour predire leur bonne fortune sur les troubles qui s’estoient eslevez entr’eux et le Roy de Pologne » (RDF, p. 3). S’étant fait « recognoistre pour la subtilité de [s]on beau jugement », la bohémienne souligne d’emblée la compétence qui est la sienne, surtout dans le domaine des conflits politiques, puisqu’elle a prédit « tous les mal-heurs qui nasquirent » (RDF, p. 3) des querelles entre ces rois. C’est certainement grâce à cette crédibilité que se trouve assuré, tout au long du texte, le bien-fondé des affirmations de la locutrice. Quand on connaît l’importance des arts divinatoires dans les pratiques culturelles renaissantes, tout particulièrement pour certains personnages politiques influents [18], l’intervention de Friquette dans le domaine public ne saurait vraiment surprendre. Mais tout comme « l’advanture » qu’elle « dit » peut être bonne ou mauvaise, notre bohémienne tient à la fois de la figure hiératique de la sibylle et de celle, plus triviale, de la femme de basse extraction. Dès le titre, son nom renvoie déjà à un registre familier que confirme le sens attesté par certains dictionnaires du xviie siècle, notamment celui de l’Académie, qui donne pour friquet/friquette : « Terme bas et populaire qui se dit d’un jeune garçon, d’une jeune fille qui a l’air éveillé [19] ». Qu’une femme affublée d’un tel nom soit la conseillère des princes, il y a là de quoi s’étonner : quel écart vertigineux entre les grands de la société française et une modeste bohémienne, apatride par définition ! En effet, le texte joue sur le caractère vague de son lieu de résidence : elle n’est pas en France, puisqu’elle refuse d’y venir ; elle n’est pas non plus en Russie, dont elle a servi le roi [20]. Tout au plus, la Responce laisse-t-elle entrevoir le projet, chez Friquette, de s’installer quelque part : « [les seigneurs de Russie et de Prussie] avoient promis me donner lieu de demeure en leurs marches et contrees pour estre prestz de mes advis […] » (RDF, p. 3). Mais elle signale également l’impossibilité de réaliser ce projet : « […] le mauvais air qui s’eleva soudainement en ce pays fort contraire à ma santé me fit changer de resolution » (RDF, p. 4). Ce « mauvais air », c’est-à-dire la présomption qui pèse contre elle « d’abuser ainsi les grands par [s]es vaines predictions », aurait pu inciter le roi de Pologne à la faire « estriller en Dame de [s]a qualite et au partir delà [lui] couper la robbe jusques au raze et vis à vis des fesses » (RDF, p. 4). Comique dans sa formulation, ce détail sert surtout à confirmer le statut marginal de la bohémienne, puisque la peine ici évoquée semble être l’une de celles réservées, à l’époque, aux tsiganes qui transgressaient les interdictions de séjour édictées par certains gouvernements régionaux [21]. S’il sert peut-être à signaler la nature fictive du personnage, sans pour autant mettre en doute la crédibilité rattachée à son ethos, ce détail qu’évoque l’auteur met bien sûr en lumière le sort qui est réservé aux femmes comme elle et explique pourquoi Friquette n’arrive à s’installer ni en Europe de l’Est ni en France. La Responce confirme ainsi son errance, qui la voue à n’être nulle part chez elle. Certes, le texte indique clairement que la bohémienne refuse de venir en France, parce qu’elle peut prédire que sa propre « mal-fortune » est étroitement liée à celle des mécontents. Dès le début du pamphlet, consciente des « mauvaises destinees » qu’annoncent leur horoscope et le sien propre, ne déclare-t-elle pas préférer les voir assumer seuls « la mal enchere et toute la mal-encontre sur le dos de [leurs] belles devises et pretendus desseins » (RDF, p. 4) ?

Tout le texte est porté par le retournement, contre les mécontents, de leur alliée potentielle, qui se présente comme un personnage haut en couleurs, à la fois trivial et inspiré, faisant appel à des registres variés, depuis le ton familier jusqu’au style prophétique intégrant au passage des citations latines. Dans la mesure où l’on ne s’attend pas à trouver, chez une bohémienne, la maîtrise stylistique d’un rhéteur ou d’un orateur, on ne s’étonnera pas que Friquette s’adresse sur un ton familier à des gens dont la condition sociale surpasse considérablement la sienne. Au début du texte, la bohémienne interpelle ses destinataires en leur disant « mes bons amis » (RDF, p. 4) ; par la suite, elle fait preuve d’une condescendance quasi maternelle à leur égard, puisqu’ils deviennent « [s]es pauvres enfans » (RDF, p. 5 et 8). Ces adresses, absentes de la partie plus invective de l’opuscule, reviennent vers la fin du texte sous la forme de « mes bonnes gens » (RDF, p. 12) et « mes pauvres amis » (RDF, p. 14). En dépit de ses origines modestes, Friquette se place donc en position de surplomb face à ses destinataires ; elle en sait plus qu’eux et se permet de leur donner des conseils dans leur propre intérêt, car ce qu’elle leur a dit « n’a point esté pour le lucre, ny pour avoir la croix », mais « plustost par charité reformative qu’autrement » (RDF, p. 13-14). Elle devient même la voix de la collectivité en unissant la sienne propre à celle de la majorité des Français :

Mes pauvres amis, non seulement les vostres, mais encor nos voisins et habitans de nos parroisses s’en mocquent [de vos affaires], et ont trouvé ce langage fort insolent, et factieux : et pour ceux qui ne sont pas accoustumez aux scrupules, et qui en avallent bien d’autres, ont neantmoins jugé cestuy-ci de difficile digestion […].

RDF, p. 14-15

La stratégie de Friquette consiste ici à isoler et à marginaliser les « factieux », même face à leurs proches, bref, à réduire leur influence à quelque chose qui serait fort négligeable si l’on ne songeait au tort, même minime, qu’ils peuvent causer à la France en « infer[ant] de la santé et repos de l’Estat » (RDF, p. 14). Les troubles civils des guerres de Religion sont encore présents à l’esprit de l’auteur, lorsqu’il évoque les Ligueurs qui, comme les mécontents, faisaient prêter un serment à leurs adhérents et ainsi « couvoient la ruine de l’Estat de ce nom specieux d’union » (RDF, p. 15). Les intérêts de tels groupes ne sauraient en aucun cas supplanter ceux de la Nation, que représentent Marie de Médicis et le jeune roi Louis, « leurs Majestez qui sont vrayement peres communs des François » (RDF, p. 14).

Dame Friquette dit avoir accès à un savoir supérieur, celui du bien de la Nation, qui relève, paradoxalement, d’une forme d’évidence que seul un esprit aux « oppinions erronees » (RDF, p. 9) ne peut voir avec clarté. Le choix d’une figure féminine modeste n’est pas indifférent ici ; par sa bouche s’exprime la condamnation des velléités belliqueuses des « mal-contents », rejet que partageraient sans nul doute les propres femmes des factieux : « […] ha mes bonnes gens je m’assure que si vous en demandiez le conseil à vos femmes qu’elles vous chanteraient bien le contraire [;] elles ne demandent pas la guerre ains le repos et le jeu, et non le cliquetis des armes » (RDF, p. 12). Sous ces allusions plaisantes au jeu de l’amour [22], c’est bien la valeur du bon sens, du « sens commun », que le texte met en relief mais que rejettent les factieux, au risque de s’aliéner leurs proches.

Les attributs particuliers de Friquette lui permettent, aux yeux de l’auteur de la Response, d’assumer une position discursive à la fois d’exclusion et d’inclusion. En tant qu’apatride, son plaidoyer pour l’unité de la Nation autour de la figure du roi semble désintéressé ; mais, comme elle s’associe à l’ensemble de la population française, son double statut lui permet de devenir le point de focalisation du bien collectif. Certes, le ton parfois léger du propos est susceptible d’enlever de la force à la dénonciation à laquelle se livre la locutrice, aussi bien lorsqu’elle se moque de ses destinataires que lorsqu’elle parle de « Madamoiselle [s]a personne » (RDF, p. 12) [23]. Mais loin d’invalider sa portée, le caractère direct du propos, parce qu’il correspond à ce que l’on pourrait attendre d’une telle locutrice (notamment en ce qui a trait aux ruptures de ton), semble plutôt participer au développement d’une persona fictive dont le caractère inhabituel lie un don, particulièrement significatif par ses implications collectives et politiques, et des attributs très populaires. Combinant la trivialité et l’élévation, les signes d’élection et d’appartenance au petit peuple, Friquette met sa marginalité au service des intérêts collectifs [24]. C’est pourquoi la description de cette marginalité sur laquelle s’ouvre le discours s’estompe au profit du message lui-même, jusqu’à un certain point dissocié de la messagère, à la fin du pamphlet [25]. De ce point de vue, la bohémienne ressemble plus à une sibylle qu’à une sorcière, l’auteur ayant cherché à désamorcer les aspects féminins potentiellement négatifs en les mettant au service d’un discours inspiré et presque providentiel. Femme à la fois faible et forte, qui se situe à l’extérieur et à l’intérieur de la politique française, Friquette est investie d’une mission particulière qu’exprime l’ethos d’une messagère modeste dont l’autorité est cependant assurée par sa connaissance des intérêts de la Nation, qu’elle a à coeur presque autant que les siens propres…

Une villageoise aux nobles sentiments

On pourrait dire sensiblement la même chose de la persona à laquelle sont attribués Les admirables sentiments d’une fille Villageoise, texte de sept pages qui se termine par les initiales C.H., signature possible de Charlotte Hénault, femme de plume à laquelle on doit plusieurs courts écrits polémiques [26] publiés autour de 1650 chez Jean Hénault, à Paris [27]. Nettement moins riche que la Responce en indications à caractère éthique, ce texte campe, de façon plus directe et plus simple, la figure d’une Française de condition très humble (certainement plus modeste que celle de l’auteure présumée), qui se mêle de politique en pleine période de Fronde, à la manière de ces fruitières et harengères auxquelles on attribue, en 1649, un certain nombre de mazarinades [28]. En adressant une remontrance à un prince de sang royal, Louis II de Bourbon, dit le Grand Condé, afin de l’exhorter à abandonner le parti du cardinal Mazarin [29], cette villageoise souligne l’abîme qui la sépare de la condition sociale du destinataire. Pareille prise de parole pourrait sembler présomptueuse, mais cette très modeste sujette se prémunit contre cette accusation en s’associant à la collectivité nationale dont elle devient la voix privilégiée. En suggérant que le prince est victime d’un égarement passager, incompatible avec sa gloire militaire et politique, la villageoise, sans trop heurter son destinataire, se charge de le rappeler respectueusement à l’ordre. De manière bien plus nette que Friquette, cette figure féminine choisit de s’effacer au profit de son rôle de messagère, ce choix lui permettant de se dispenser d’une autodescription comparable à celle que fournit la Responce dès l’incipit du texte. C’est pourquoi la villageoise débute directement sa harangue en formulant le reproche qu’elle adresse au prince de Condé :

Je m’estonne fort de ceste grande bonté qui vous engage si facilement à espouser un malheureux party, concerté pour la ruine de vostre patrie, qui n’a jamais eu que trop d’amour pour vous, et que neantmoins Vostre-Altesse abandonne, pour suivre une personne qui a conspiré vostre perte, et celle du public, vos interests estants si inseparablement attachez aux nostres, qu’il ne peut rien entreprendre contre Vostre-Altesse, qu’il n’entreprenne contre nous, comme estant nostre support envers nos ennemis.

ASV, p. 3

La ronde des pronoms et des adjectifs possessifs est digne d’intérêt : du je au vous, on passe à un nous martelé en fin de phrase, qui fait disparaître le je dans un collectif élargi. Le propos est clair : la villageoise représente le « public », auquel elle cherche à rattacher le prince de Condé, en le soustrayant à l’influence négative de cet « avorton d’Enfer » qu’est Mazarin (ASV, p. 5). Friquette et la villageoise, on l’aura compris, ont en commun d’être les porte-parole des intérêts de la France, mais leur lien avec celle-ci diffère. La première, figure marginale, envisage les choses d’un point de vue extérieur à la collectivité. La seconde, quant à elle, fait corps avec cette dernière ; elle en est l’émanation, la voix simple et directe qui se confond avec le nous collectif. La présence des initiales à la toute fin du texte indique le désir de laisser la figure de la villageoise assumer, dès la page de titre, la responsabilité d’un écrit qui se réclame de « sentiments » d’autant plus « admirables » que ce sont ceux d’une simple femme anonyme, soucieuse du bien de la Nation.

Le choix de ne pas trop personnaliser la locutrice doit donc se comprendre à la lumière de la visée et des modalités délibératives du texte, qui contrastent avec celles de la Responce. Alors que ce pamphlet vise un groupe indéfini que l’on marginalise en se moquant de lui, les Admirables sentiments ont un seul destinataire, important et connu, dont il s’agit de respecter la figure si l’on veut obtenir un changement d’attitude de sa part. Ici, nulle invective, nulle attitude condescendante face à un haut personnage auquel on veut simplement rappeler ses devoirs. C’est pourquoi la villageoise se montre très respectueuse envers son destinataire dont elle se dit la « tres-humble Servante, et sujette » (ASV, p. 7). Si elle ose adresser à Condé sa « supplication tres-humble », c’est parce que « ce n’est point des-honneur à un Prince, de recevoir les advis d’une personne moindre que luy », surtout quand « il y va du salut de la France » (ASV, p. 5). Le ton est peu personnalisé, parce que les traits spécifiques de la villageoise se perdent dans un nous, ce qui fait d’elle moins une personne singulière qu’une figure allégorique représentant la collectivité. Face à ce nous se dresse une figure forte, que l’on flatte afin de la détacher de Mazarin. Par conséquent, tout le texte est tourné vers Condé, au détriment, si l’on peut dire, de la locutrice. L’éloge que la villageoise fait du prince confère ainsi au texte une dimension qui l’apparente au discours épidictique, seul capable de mieux faire sentir, auprès du destinataire, les obligations politiques qui découlent de sa stature de militaire et de grand aristocrate. Bref, être un personnage de ce rang impose des responsabilités, face au peuple et à la Nation, que la villageoise se charge de lui rappeler discrètement, mais fermement.

La villageoise commence par souligner la valeur du prince, qui « contiendrait des volumes entiers ». C’est pourquoi il ne faut surtout pas ternir ces « genereux exploits » en « serv[ant] d’asile au crime du plus meschant des mortels » (ASV, p. 4), c’est-à-dire Mazarin. La locutrice tisse tout un réseau d’images qui accentuent le contraste entre la noblesse de Condé et la vilenie du cardinal, comme s’il s’agissait d’une association contre nature :

Ce seroit prodiguer les forces invincibles de vostre bras, que de l’employer à soustenir la tyrannie, dont il [Mazarin] s’est servy depuis six années qu’il gouverne l’Estat, et après avoir esté la sangsuë de la plus pure substance de nos veines, il a couronné ses vols de l’enlèvement de nostre Roy ; qui estoit seul thresor dont nous pouvions estre riches dans nos disettes.

ASV, p. 4

Allusion à cet épisode où, fuyant l’animosité de la population parisienne, Anne d’Autriche et le jeune Louis s’installent au château de Saint-Germain-en-Laye à l’initiative de Mazarin, ce passage illustre la circulation du sens à l’oeuvre dans une série d’unités analogues formant le corps du discours de la villageoise : à l’éloge de Condé (vous) succède le dénigrement du cardinal (lui) en regard des intérêts de la collectivité (nous). Pour un valeureux chef militaire, qui a mené la France à la victoire et à la vertu duquel « le sang de François a donné le plus bel éclat », peut-il être envisageable d’être le « support d’une guerre si injuste » (ASV, p. 5) ? La villageoise rappelle à Condé son devoir de fidélité au sang des Bourbons : il faut ôter, écrit-elle, « à ces estrangers ennemis de l’Estat, cette folle persuasion, et ce dernier refuge qui leur reste » (ASV, p. 6) [30]. On en arrive ainsi à la conclusion du discours qui, tout naturellement, revient à une locutrice qui ne visait qu’à exprimer de « sinceres sentiments » dont l’origine se trouve à l’extérieur d’elle-même :

Ce sont les veux, et les desirs que forme tous les jours pour son altesse, une simple fille Villageoise, laquelle semble estre inspirée de Dieu, pour vous advertir de prendre un chemin qui vous conduise plus glorieusement au faiste de la grandeur […].

ASV, p. 7

Les héritières de Jeanne d’Arc ?

C’est l’idée de l’inspiration divine qui, à la fin du parcours textuel, donne sa légitimité à la prise de parole de la villageoise [31]. D’une manière analogue, les dons surnaturels de la bohémienne lui permettent de se mêler de questions qui sont forcément étrangères aux préoccupations et au registre discursif que commande sa condition sociale. Les deux textes mettent donc en place une persona de condition modeste qui, poussée par une forme de « révélation », s’engage dans une activité rhétorique qui lui est réputée étrangère. Un peu à la manière du fou du roi, que sa situation et sa parole, à la fois insensée et inspirée, autorisent à dire des choses que personne d’autre n’oserait proférer [32], les deux figures qui nous intéressent jouissent d’un statut illocutoire paradoxal [33]. Du point de vue de l’ethos, elles sont d’ailleurs apparentées, la visibilité de l’une rencontrant le même objectif que l’effacement de l’autre, soit l’expression du bien collectif sous la forme de remontrances adressées à un individu ou à un groupe. Effronterie et soumission sont ici les deux facettes d’une même posture éthique qui n’est pas sans évoquer la figure visionnaire et patriotique de Jeanne d’Arc. Dans le domaine du discours politique (et non celui de l’action, comme c’était le cas de Jeanne, mais la parole n’est-elle pas action ?), ces deux femmes finissent par jouir d’une visibilité sur la scène publique que leur origine modeste ne pouvait laisser prévoir. À l’instar de la pucelle d’Orléans, elles cherchent à sauver la Nation, même si leur capacité à influencer le cours de l’Histoire est au départ bien faible. Mais précisément parce qu’elles ne sont pas appelées à jouer un véritable rôle politique, leur prise de parole gagne paradoxalement en force. La petitesse et la marginalité de ces femmes fait de leur voix celle du peuple qui, en l’occurrence, coïncide avec celle de la Nation. Cet engagement dans les affaires de l’État réduisant — au moins symboliquement — les différences et les écarts entre les individus préoccupés par le bien collectif, on comprendra l’intérêt que pouvait représenter, pour les chroniqueurs et les historiographes des xvie et xviie siècles, une figure comme celle de Jeanne d’Arc, exemple fort de l’engagement du petit peuple dans une cause et un conflit dont les enjeux lui échappaient en grande partie [34]. À partir de Mathieu Thomassin (1456), certains historiographes ne manqueront d’ailleurs pas de souligner l’écart entre la mission salvatrice de Jeanne et sa place dans l’échelle sociale, la plus modeste qu’on puisse trouver, écart que seule peut expliquer l’intervention de la volonté divine [35]. Cette lecture « étatique » et « providentielle » de l’aventure de Jeanne d’Arc a culminé au xviie siècle dans l’Histoire de France (1643-1651) de Mézeray [36], qui utilise la figure de Jeanne pour affermir le concept de Nation, autour de la personne du roi, comme on peut bien sûr s’y attendre sous le règne de Louis XIV.

Il y a lieu de se demander si les auteurs des deux pamphlets que nous avons examinés n’avaient pas Jeanne en tête lorsqu’ils ont rédigé leur texte. Certes, la prudente Friquette est loin d’être une Jeanne d’Arc ; même la villageoise n’a rien d’héroïque, bien que son propos se situe dans un registre plus soutenu que celui de la bohémienne. Toutes deux n’en deviennent pas moins, dans l’ordre du discours, des prophétesses dont la voix représente l’incarnation même du bien collectif et national, de la même façon que Jeanne, habitée par des voix la poussant à l’action [37], a été parfois qualifiée, dès le xve siècle, de « sibylle française [38] ». C’est cette facette du personnage de Jeanne d’Arc — et non pas son image de femme forte et guerrière, à la manière de Judith [39] — qui semble trouver un écho chez Friquette et la villageoise, dont l’action reste confinée au registre de la parole. Comme Jeanne d’Arc, elles cumulent diverses marginalités, aussi bien géographiques que sociales [40] ; c’est d’ailleurs cette position excentrée qui confère à leur intervention sur la place publique une relative crédibilité, récupérée, dans chaque cas, au profit d’une cause politique.

On peut s’interroger sur l’influence qu’ont exercée les représentations de Jeanne d’Arc sur les auteurs des deux textes qui nous intéressent. Toutefois, envisagées sous l’angle d’un ethos féminin conçu comme un mélange de faiblesse et de force, d’ignorance et de savoir, de maîtrise rhétorique et de simplicité du dire, les personae qu’ils mettent en scène ne sont pas sans évoquer la figure de la pucelle d’Orléans. Tributaires de la vision chrétienne qui valorise les petits de ce monde [41], ces figures sont investies de la dualité idéologique, à la fois rassurante et inquiétante, généralement attribuée à la femme et qui contribue à rendre très floues les frontières identitaires entre la sibylle et la sorcière. Pour la bohémienne et la villageoise, les marques de l’ethos sont mises au service d’une parole qui est celle de Dieu ou de la Nation. À travers ce qu’elles disent d’elles-mêmes se construit un discours politique dont elles ne sont pas les instigatrices mais qu’elles assument pleinement, faisant corps avec celui-ci, puisqu’elles en deviennent les plus ardentes représentantes. Certes, cette façon particulière d’être à l’avant-plan confine la femme à un rôle d’intermédiaire, mais la projection de ces voix féminines sur la scène publique, de plus en plus nombreuses à mesure que le siècle avance, semble témoigner d’une nouvelle façon de penser l’émergence du petit peuple et des femmes sur la scène politique. De ce point de vue, il est possible d’envisager que l’exemple de Jeanne d’Arc ait frappé l’imaginaire politique, en quête, à partir de la fin du xvie siècle, de nouveaux modèles pour concevoir la participation du peuple aux destinées de la collectivité. Bien que fictives, les voix féminines qui s’élèvent, dans ces moments d’agitation politique, révèlent une portion du territoire discursif qui est désormais accessible aux femmes. Le fait que l’auteur des Admirables sentiments soit vraisemblablement une femme explique peut-être, parmi d’autres facteurs, pourquoi le traitement de la villageoise reste nettement plus neutre, sans ces éléments comiques qui contribuent à donner du relief au personnage de la bohémienne. En accentuant les traits de son personnage, l’auteur de la Responce semble, en revanche, tenté par un développement satirique de sa figure féminine [42], ce qui n’est pas le cas du pamphlet de 1649, qui opte pour une présentation plus allégorique et abstraite de la villageoise.

Coïncidence ou non, ce dernier type de traitement se trouve également dans certains textes de Suzanne de Nervèze, contemporaine de Charlotte Hénault qui a rédigé bon nombre de courts écrits polémiques. Ainsi, dans la Lettre d’une bourgeoise […] presentée à Mademoiselle et la Lettre d’une religieuse presentee au Roy et à la Reine regente [43], l’auteure, désignée à la toute fin par les initiales S.D.N. — procédé analogue à celui des Admirables sentiments —, fait appel à une persona féminine modeste, manifestement distincte de sa propre personne, afin de convaincre le destinataire de contribuer à la pacification d’une France divisée. La bourgeoise et la religieuse en question représentent, à la manière de la villageoise, moins des figures bien individualisées qu’une catégorie générale de femmes dont le statut contraste avec celui des destinataires de ces lettres : la Grande Mademoiselle, d’un côté, le jeune Louis XIV et, surtout, sa mère, de l’autre. C’est sur cette tension entre destinateur et destinataire que se construit une bonne partie des textes, en développant un ethos d’une grande modestie, surtout dans le cas de la paroissienne de Saint-Eustache, qui se décrit comme « une petite Bourgeoise de la lie du peuple » (LB, p. 3) n’étant que « cendre et poussiere » (LB, p. 8). Mais, pour témoigner du fait que le « pauvre bourgeois [entendre : le peuple] n’en peut plus » (LB, p. 11), cette femme décide néanmoins de prendre son « lamentable crayon » (LB, p. 7) et de supplier Anne Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, d’intervenir afin de faire cesser les troubles politiques et les « communes souffrances des mal-heureux » (LB, p. 7) : « […] désarmés nos Princes et nos Bourgeois, remettés le Proprietaire dans sa maison, et l’Artisan à son ouvrage […] » (LB, p. 9). Non seulement ce texte possède-t-il une coloration épidictique assez analogue à celle des Admirables sentiments, mais le déploiement de l’ethos de la locutrice emprunte des voies similaires, qui produisent une figure féminine abstraite et très humble, devenue la voix du petit peuple, victime des troubles politiques de l’époque [44].

Seul un examen systématique du vaste corpus polémique de ces deux périodes de troubles civils permettrait de déterminer si les auteurs, tant masculins que féminins, développent des stratégies analogues de représentation des figures féminines fictives. À la lumière du corpus très limité sur lequel nous nous sommes penché, il est possible, toutefois, d’observer une démarche analogue qui, chaque fois, met certains traits féminins au service d’un discours délibératif exploitant des personae dont on motive et oriente le propos en tirant parti du contraste entre leur condition sociale et l’importance des questions traitées. Si de telles postures éthiques confirment, en apparence, l’humilité attendue des femmes dans la sphère publique, elles témoignent également de leur participation accrue au discours politique, sinon dans la réalité historique, du moins dans l’imaginaire collectif qui façonne celle-ci [45]. De ce point de vue, délaissant quelque peu le statut d’agent de désordre qui lui a souvent été attribué [46], la femme apparaît comme soumise, sinon à la raison individuelle, du moins à la « raison d’État », à deux moments de l’histoire du xviie siècle où — curieuse coïncidence — le pouvoir était officiellement assumé par une régente [47]