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Jésus et les origines chrétiennes

1. Hans-Josef Klauck, Religion und Gesellschaft im frühen Christentum : Neutestamentliche Studien. Tübingen, Mohr Siebeck (coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament », 152), 2003, x-456 p.

Le dernier ouvrage de Hans-Josef Klauck (ci-après K.), professeur depuis 2001 à la prestigieuse Divinity School de Chicago, se présente sous la forme d’une collection d’articles récents (écrits entre 1995 et 2002), à laquelle s’ajoute un chapitre introductif inédit. Le tout est divisé en sept sections thématiques, qui comptent chacune entre un et trois articles, pour un total de seize, soit quatorze en allemand et deux en anglais. Comme le titre l’indique, l’ensemble des travaux rassemblés traite de l’interaction entre le christianisme primitif et la société gréco-romaine contemporaine. Seule la dernière section s’inscrit résolument à l’extérieur de ce champ d’investigation. Et puisqu’un compte rendu détaillé de l’ensemble des contributions testerait même le lecteur le plus patient, il nous a semblé juste de choisir, au sein de chaque section, les parties les plus marquantes.

Religion und Gesellschaft im frühen Christentum s’ouvre sur un chapitre introductif (I. Einleitung, p. 3-53) qui a presque les dimensions d’une monographie, et que K. intitule « Pantheisten, Polytheisten, Monotheisten — eine Reflexion zur griechisch-römischen und biblischen Theologie ». L’A. y explore les représentations du divin depuis le judaïsme jusqu’au christianisme, en passant par le paganisme gréco-romain. Il discute notamment la valeur moderne — entendre depuis le dix-neuvième siècle (le titre renvoie à une maxime de Goethe) — qu’on rattache à une telle évolution. K. tente ainsi d’évaluer la validité des repères conceptuels, les « frontières » entre les différents théismes, à l’aide d’une redéfinition des fondements du monothéisme. Il en arrive à insister sur la nature du monothéisme trithéiste en particulier, comme s’affirmant à travers un processus négatif de refus du polythéisme et de défense de son caractère proprement monothéiste en regard des critiques du monothéisme juif. Si dans le cas présent, la conclusion n’a rien de surprenant et offre peu qui n’ait été dit ailleurs, comme il arrive parfois chez K., le chemin emprunté présente au moins autant d’intérêt que le point d’arrivée.

Le premier bloc thématique (II. Sünde und Vergebung, p. 57-115) contient deux articles écrits en 1996 (respectivement « Die kleinasiatischen Beichtinschriften und das Neue Testament », p. 57-81 et « Heil ohne Heilung ? Zur Metaphorik und Hermeneutik der Rede von Sünde und Vergebung im Neuen Testament », p. 82-115). Leur objectif commun est de démontrer les possibilités qu’offre l’épigraphie pour l’étude du christianisme primitif et du Nouveau Testament. Elles mettent aussi toutes deux en lumière le désir de K. de conduire ses recherches en vue d’une Geistesgeschichte globale, en considérant la société contemporaine — largement païenne — dans l’étude du christianisme. Ainsi K. met-il en lumière un langage religieux analogue entre les deux communautés, ainsi qu’une attention prêtée aux mêmes concepts et rites, en particulier à ceux du pardon et du salut.

La section suivante (III. Ekstatische Rede, p. 119-167) traite sous deux aspects le même problème : celui de la glossolalie, telle qu’elle apparaît dans 1 Co. Le premier article (« Von Kassandra bis zur Gnosis. Im Umfeld der frühchristlichen Glossolalie », p. 119-144) offre une mise en contexte du phénomène dans ses manifestations préchrétiennes pour mieux comprendre son incarnation chrétienne, tandis que le second (« Mit Engelszungen ? Vom Charisma der verständlichen Rede in 1 Kor. 14 », p. 145-167) se concentre sur la glossolalie comme partie d’un problème exégétique précis. Les deux études gagnent ainsi à être lues ensemble, même si cela entraîne quelques répétitions inévitables.

La troisième section (IV. Mysterienkulte und Herrenmahl, p. 171-202) examine l’influence des cultes à mystères païens sur le christianisme primitif. Le premier des deux articles, « Die antiken Mysterienkulte und das Urchristentum — Anknüpfung und Widerspruch », propose un généreux survol de la question de la place du « mystère » dans les premières communautés chrétiennes. On y trouve K. à son meilleur, tant par la clarté de son propos que par son sens aigu de l’économie du texte : il sait en quelques pages résumer des sujets fort complexes. Il fournit aussi une bibliographie étoffée, laquelle est admirablement parcourue dans un status quaestionis que trop de chercheurs ont tendance à escamoter, souvent au détriment du lecteur. L’A. prend aussi la précaution de bien cerner son sujet en définissant de manière sémantique et phénoménologique le concept de mystère religieux.

Dans la quatrième section (V. Volk Gottes und Gemeinde, p. 205-247), K. tourne son attention vers la question identitaire au sein de la communauté chrétienne. Deux pièces se démarquent de l’ensemble. Dans « Gemeinde und Gesellschaft im frühen Christentum — ein Leitbild für die Zukunft ? », K. tente d’examiner les processus d’autodéfinition des chrétiens menant à la constitution d’une Église. Il s’agit d’un survol de la question dirigé de main de maître qui prépare le terrain pour l’étude de cas de l’article suivant, « Junia Theodora und die Gemeinde von Korinth », qui nous fait entrer dans une communauté grâce à l’épigraphie. K. y analyse cinq textes du milieu du premier siècle (trois décrets et deux lettres) qui concernent l’activité civique d’une évergète romaine, Junia Théodora, et qui ont la particularité d’offrir de nombreux points de contacts avec le Nouveau Testament et le corpus paulinien. Un grand nombre des articles discutés jusqu’à maintenant montrent clairement que K. fait partie de cette nouvelle génération de théologiens et d’historiens du christianisme qui veulent tirer le meilleur des ressources qu’offrent les sciences dites « auxiliaires » de l’histoire — sans oublier les sciences sociales — pour dresser un portrait plus précis et nuancé du climat culturel dans lequel le christianisme a pris naissance et s’est développé. Ainsi n’hésite-t-il pas à se tourner vers l’épigraphie à maintes reprises pour fournir un point de départ à ses recherches ou pour étayer ses arguments. Assurément, l’époque où le fait chrétien était analysé dans une sorte de splendide isolation est révolue.

Avec la prochaine section (VI. Herrscherkritik und Kaiserkult, p. 251-313), nous abordons la question du culte du souverain dans son rapport au christianisme. Parmi les trois articles qu’elle contient, le second, « Do They Never Come Back ? Nero Redivivus and the Apocalypse of John », est sans doute le plus surprenant. K. y développe une théorie selon laquelle sous les traits de l’Antéchrist se trouverait nul autre que l’empereur Néron. L’obscurité de ce texte étant proverbiale et la quête pour en percer les mystères vieille de plusieurs siècles, l’effort paraît presque futile. Il faut d’ailleurs noter que l’A. n’est pas le premier à reconnaître en l’ultime représentant des Julio-Claudiens l’adversaire du Christ. Mais c’est sans compter sur la capacité de K. de revitaliser un sujet grâce à l’application de nouvelles idées sur de vieux thèmes. C’est ainsi qu’à l’aide des Oracles sibyllins, il fait le lien de manière convaincante, bien que prudemment, entre la légende de Néron — selon laquelle l’empereur reviendrait de chez les Parthes pour reconquérir son trône, puis le monde entier — et les prophéties concernant l’Antéchrist dans l’Apocalypse. Même si la certitude totale échappera sans doute à jamais aux chercheurs sur cette question, les arguments de K. sont si persuasifs, ou du moins si ingénieux, qu’ils sont au moins destinés à fournir des avenues fécondes à la recherche.

La sixième section (VII. Geteilte Briefe ? (aus anderer Sicht), p. 317-337) contient un seul article, lui aussi en anglais. Dans « Compilation of Letters in Cicero’s Correspondence », K. tente de revitaliser le débat sur la nature du corpus paulinien en le comparant à d’autres collections épistolaires que nous a léguées l’Antiquité, en particulier celle de Cicéron. L’objectif d’une telle étude comparative était de déterminer si les lettres de Paul avaient fait l’objet de retouches éditoriales avant leur « publication ». Après avoir examiné les différentes transformations subies par les lettres de Cicéron (interpolation, refonte, partition, etc.), K. en arrive à la conclusion que des partitions avaient sûrement eu lieu, mais qu’elles étaient sans doute de nature assez simple. Il demeure toutefois extrêmement prudent, marquant bien le caractère exceptionnel des lettres de l’orator romain. La comparaison elle-même ne prouve peut-être rien, mais elle réussit tout de même à replacer les lettres de Paul dans un contexte plus large qui lui fait généralement défaut.

La dernière section (VIII. Exegese und Kirche, p. 341-420), se démarque du reste du volume en proposant trois études assez disparates, dont la présence au sein du volume semble au mieux douteuse. Sans préjuger de leur valeur intrinsèque, ni d’ailleurs de leur intérêt, l’inclusion des deux derniers articles en particulier (« Die katholische neutestamentliche Exegese zwischen Vatikanum I und Vatikanum II », p. 360-393 ; et « Alle Jubeljahre : Zum neuen Dokument der Päpstlichen Bibelkommission », p. 394-420) dans un recueil traitant du christianisme primitif a de quoi étonner, dans la mesure où il s’agit de thèmes résolument modernes. Ce bloc thématique a le mérite de nous montrer une autre facette des travaux de K., mais peut-être aurait-il été préférable de ne pas l’inclure.

Religion und Gesellschaft im frühen Christentum compte 33 pages d’index (index nominum et index locorum, p. 423-456) et est présenté dans le format impeccable auquel nous a habitués la maison Mohr Siebeck. L’ouvrage de K. profitera à de nombreux lecteurs, spécialistes ou non, et mérite de figurer dans toute bibliothèque universitaire offrant un volet de théologie ou de christianisme ancien.

Jean-Michel Lavoie

2. Étienne Nodet, Histoire de Jésus ? Nécessité et limites d’une enquête. Préface par Olivier-Thomas Venard, o.p. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Lire la Bible », 135), 2003, xxiv-248 p.

Histoire de Jésus ? Voici un titre qui, dès le départ, peut susciter une question dans l’esprit du lecteur : le point d’interrogation porte-t-il sur « Jésus » ou sur « histoire » ? La lecture du livre nous fait croire que l’A. utilise le point d’interrogation pour les deux à la fois. En effet, Étienne Nodet se donne pour objectif de proposer aux lecteurs un ouvrage offrant une synthèse accessible des derniers travaux consacrés à l’historicité de Jésus de Nazareth, personnage que la foi chrétienne confesse comme vrai Fils de Dieu et vrai Fils d’homme. Le livre se situe donc à la jonction de la proclamation de la mort et de la résurrection de Jésus, et de l’affirmation de son origine dans la race humaine. Par ailleurs, comme pour toute oeuvre historique, nous sommes confrontés à une sérieuse documentation, évaluée et analysée. Ainsi, avec beaucoup d’habileté, l’A. sait entraîner le lecteur dans l’univers évangélique en présentant l’enfance de Jésus qu’il met en parallèle avec l’interrogation permanente qui traverse le livre au sujet de la réalité historique des faits relatés. La méthode choisie pour une telle enquête est la « démarche régressive » (p. 203), ce qui signifie que l’A. part de l’état actuel du christianisme afin de remonter dans le temps jusqu’au milieu social, politique et religieux de son personnage principal.

L’hypothèse, un peu provocatrice peut-être, de l’A. est que les évangélistes nous ont fourni une « biographie » de Jésus qui a été « christianisée » par la prédication post-évangélique (p. 80). C’est pourquoi le lecteur moins familiarisé avec de tels ouvrages peut trouver les analyses et les raisonnements difficiles à suivre. Les arguments peuvent être reçus ou refusés. D’ailleurs, l’A. lui-même ne prétend qu’à donner le point de vue d’un croyant pour des croyants sur l’histoire de Jésus. Malgré les recherches assez minutieuses et parfois très détaillées sur le Jésus de l’histoire, É. Nodet conclut son ouvrage en citant la fameuse affirmation du fondateur de l’École biblique de Jérusalem, M.-J. Lagrange : « Les évangiles sont les seules vies de Jésus que l’on puisse écrire. Il n’est que de les comprendre le mieux possible » (p. 209).

La question à laquelle l’A. se propose de répondre dans son livre est, d’une part, celle de savoir jusqu’à quel point il est possible, par-delà les affirmations et les discordances des évangiles, de retrouver quelques traits de Jésus, de ses faits et de ses gestes, et, d’autre part, celle de l’utilité d’une telle recherche. En fonction de cette question posée dès le départ, la structure du livre coule de source. Une brève introduction, où l’A. expose sa problématique et la méthode à suivre, et une courte conclusion de synthèse encadrent les quatre chapitres de l’ouvrage. Le premier chapitre propose l’analyse de l’eucharistie chrétienne d’aujourd’hui, qui est à la fois la plus ancienne action liturgique chrétienne, pouvant remonter à l’époque du Jésus historique, et l’élément fondateur du christianisme autour duquel se construit la communauté chrétienne. Elle signifie la présence de Jésus-Christ au milieu des fidèles réunis pour faire mémoire de la mort et de la résurrection du Seigneur. Les documents juifs contemporains de l’époque de Jésus, parmi lesquels ceux de Flavius Josèphe figurent en première place, sont étudiés dans le deuxième chapitre. Il s’agit, pour l’A., de présenter un regard non chrétien sur le personnage de Jésus et sur l’époque dans laquelle il a vécu, enseigné et agi. Le troisième chapitre est consacré à l’analyse des évangiles canoniques. En se gardant de toute tentative d’harmonisation des récits évangéliques, l’A. veut reconstruire un visage de Jésus le plus proche possible de la réalité. Nous trouvons dans ce chapitre une abondance de témoignages patristiques sur la canonicité et l’inspiration des Écritures, d’une part, et sur l’interprétation des concordances et des discordances des quatre textes évangéliques, d’autre part. Enfin, le quatrième chapitre traite de la « Vie de Jésus », et occupe presque la moitié du livre. À partir des éléments essentiels de la confession de la foi chrétienne magnifiquement mis en lumière, nous pouvons mieux dégager la vie, l’action et l’enseignement de Jésus. En partant de la mort et de la résurrection de Jésus, l’A. remonte au procès et Jésus et à la dernière Cène afin de mieux discerner les traits humains du Jésus historique. Ce chapitre profitera d’autant plus au lecteur s’il est complété par la lecture de l’ouvrage précédant du même auteur : Le Fils de Dieu. Procès de Jésus et Évangiles[1].

Pour alléger le texte, l’ouvrage ne compte pas que des références en notes de bas de page. Deux annexes enrichissent l’ouvrage. Dans la première, l’A. présente, en traduction française et par thèmes, les principales sources anciennes et dans la seconde, il nous offre quelques éléments bibliographiques portant des points de vue différents des siens sur le même sujet.

La grande originalité d’une telle recherche est de présenter les Écritures concernant Jésus en parallèle avec d’autres textes anciens historiques. Le lecteur découvre ainsi la portée des différents lieux et événements mentionnés dans les récits évangéliques : le Jourdain, Jérusalem, la Galilée, Capharnaüm. Le but d’É. Nodet n’est pas de nous laisser croire que la Bible soit simplement un conglomérat des textes se renvoyant les uns aux autres, ni seulement la description des événements annonciateurs d’un personnage à venir. Sans renoncer à la tradition théologique pour interpréter les Écritures, l’A. a le mérite d’ouvrir de nouvelles perspectives sur l’histoire de Jésus en appliquant la critique historique aux textes commentés. Il se fonde en cela sur deux constats historiques qui sont en même temps ses principes herméneutiques : l’un touchant aux traces laissées par le personnage historique de Jésus, et l’autre concernant la prédication chrétienne de Jésus-Christ mort et ressuscité. Même si la résurrection occupe peu de place dans l’ouvrage, cela s’expliquant par le fait que, pour un historien, l’événement reste insaisissable, il est transhistorique. L’A. la conçoit non pas comme un « simple retour à la vie ordinaire, comme si ne s’était rien passé, mais comme une source d’inspiration » (p. 157).

Lucian Dîncã

Histoire littéraire et doctrinale

3. Philippe Henne, Introduction à Origène suivie d’une Anthologie. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Initiations aux Pères de l’Église »), 2004, 304 p.

Penseur chrétien né en 185 et mort en 254, Origène est surtout connu pour son Contre Celse, ouvrage polémique visant à réfuter les préjugés indéracinables contre les chrétiens de son époque. Or, son oeuvre ne s’y limite point et c’est pour contrer une certaine méconnaissance d’Origène par le grand public que l’A. entreprit de le présenter par la recontextualisation de sa vie et de sa pensée. La réflexion d’Origène, influencée par le milieu intellectuel alexandrin où il grandit et étudia, par les périodes de persécution (Septime Sévère en 202-203 et Dèce en 250), par son implication dans l’Église d’Alexandrie puis de Césarée en Palestine, visait l’élaboration d’un système cohérent des conceptions chrétiennes et l’ouverture d’un dialogue, notamment avec le milieu rabbinique. Auteur prolifique mené par une volonté profonde de compréhension de l’Écriture et de ses trois niveaux de lecture (littéral, allégorique et spirituel), Origène oeuvra dans les domaines scripturaux, théologiques, polémiques, apologétiques et ascétiques. Son oeuvre, qui influença considérablement la pensée chrétienne des siècles subséquents, conduisit à deux crises origénistes (aux quatrième et sixième siècles). Ces crises se soldèrent par la condamnation d’Origène comme hérétique au concile de Constantinople en 553, parfois, comme le souligne l’A., pour des théories qui n’étaient pas complètement les siennes.

Pour surmonter cette stricte conception hérétique d’Origène, l’A. invite le lecteur à aborder l’Alexandrin dans son contexte historique. La première partie de l’ouvrage présente d’abord ses principaux éléments biographiques, puis entre au coeur de sa pensée par l’étude de textes. Cette pensée est exposée à travers quatre thématiques interdépendantes : son oeuvre, son exégèse, sa théologie et sa croyance. L’A précise, avec raison, que les conceptions religieuses d’Origène ne peuvent se comprendre que dans le contexte immédiat dans lequel elles émergèrent et que les condamnations ultérieures illustrent l’avancement des réflexions chrétiennes sur des thématiques dont Origène fut un précurseur. Il souligne qu’il est d’autant plus difficile d’accéder à la pensée complète de l’Alexandrin que certains de ses ouvrages ne nous sont parvenus que par des traductions dont la fiabilité est remise en question.

Pour mieux illustrer son propos, l’A. a constitué une anthologie présentée dans le même ordre thématique que la première partie. Parfois introduits par une brève explication, les textes sélectionnés proviennent d’oeuvres diverses de l’Antiquité. Outre l’abondance des écrits d’Origène, sont présentés des extraits d’auteurs l’ayant influencé (Philon d’Alexandrie) et ayant été influencés positivement ou non par sa pensée (Basile de Césarée, Eusèbe de Césarée, Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome et Jérôme). Cette anthologie ouvre sur une perspective intéressante. Cependant, l’harmonie entre les deux parties de l’ouvrage aurait gagné en valeur didactique par le renvoi de la première à la seconde, assurant ainsi une meilleure compréhension des propos tenus. Une introduction justifiant la sélection et expliquant la méthode d’utilisation des textes anciens présentés fait également défaut, ce qui nuit à une bonne exploitation de cette section. L’apport de cette anthologie à la présentation d’Origène, de son oeuvre et de son influence au sein de la chrétienté est ainsi quelque peu discutable.

Chacun des chapitres de la première partie se clôt par une brève conclusion résumant l’ensemble des éléments présentés. L’ouvrage comporte également une bibliographie générale et thématique, suivant encore une fois le plan de rédaction, dont les notices sont parfois commentées brièvement. Deux listes, par ordre alphabétique et par chapitre, permettent une consultation rapide des extraits cités dans l’anthologie. L’absence totale de notes critiques constitue l’une des principales lacunes de cet ouvrage[2]. Celui-ci constitue toutefois une bonne introduction à Origène et aux courants de pensées philosophiques et religieux de son époque, qui étoffe celle déjà réalisée dans cette collection[3].

Steve Bélanger

4. Aloys Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrétienne. 1. De l’âge apostolique au concile de Chalcédoine (451). Préface et 2e édition française revue par Theresia Hainthaler, traduction par Soeur Pascale-Dominique. Paris, Les Éditions du Cerf (col. « Cogitatio Fidei », 230), 2003, 1120 p.

A. Grillmeier, ancien professeur de théologie fondamentale et dogmatique, est un nom bien connu de ceux qui s’intéressent au développement de la christologie des premiers siècles du christianisme. L’ouvrage dont nous faisons la recension, une somme de la doctrine christologique jusqu’au concile de Chalcédoine, s’inscrit parmi les classiques qui nous aident à comprendre la foi héritée des Apôtres et les débats qui ont conduit à sa cristallisation. L’édition originale de cet ouvrage a été publiée en anglais[4] comme un développement d’un article intitulé « Die theologische und sprachliche Vorbereitung der christologischen Formel von Chalkedon ». La première traduction en français a paru en 1973. Cette nouvelle édition a été préparée par l’A. lui-même avec la collaboration, pour la traduction française, de Sr. Pascale-Dominique qui a pris en charge sa révision et sa publication après le décès de l’auteur.

L’ouvrage compte trois parties. La première est consacrée au développement christologique des origines jusqu’à Origène. Les Pères apostoliques ont confessé leur foi au Christ vrai Dieu et vrai homme. Cependant, avant que les Écritures chrétiennes ne jouissent d’un statut de canonicité bien défini, les formules christologiques se sont multipliées et se sont transmises par la voie orale « la foi vient de l’écoute ». Les premiers écrits patristiques, la Didachè et le Pasteur d’Hermas sont marqués par ces formules en circulation et nous permettent de dégager « une foi trinitaire ou du moins binaire (Père-Fils) » (p. 217). La lutte des apologistes a été de convaincre le monde païen de la solidité et de la véracité de leur foi au Christ, l’envoyé de Dieu pour le salut de toute l’humanité. Après l’époque des Pères apostoliques et apologistes, ce sont les Pères alexandrins, Clément et Origène, qui ont apporté une réflexion solide, centrée sur l’Incarnation du Logos, au développement christologique. Clément, se situant plus dans la perspective de la lutte anti-gnostique, voit « le rôle du Logos comme la source et le maître de la “gnose” » (p. 363) qui nous permet de contempler Dieu. Quant à Origène, il concentre son attention sur la confession de sa foi en l’incarnation en tenant compte de la réalité de la divinité et de l’humanité du Christ. Chez lui « plus on fait ressortir les principes fondamentaux de sa théologie, plus l’image de sa christologie gagne en profondeur » (p. 373). Cette recherche pour définir la foi chrétienne en Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme, sera reprise et menée à son apogée par les Pères du quatrième siècle et les formulations christologiques des premiers conciles oecuméniques.

La seconde partie de l’ouvrage présente le débat christologique d’Origène au concile d’Éphèse. Le quatrième siècle est traversé par la « crise arienne », d’où la nécessité de réunir un premier concile oecuménique. Contre la doctrine d’Arius, qui affirmait qu’« il y eut un temps où le Logos n’existait pas et [que] le Logos est une créature du Père », les Pères nicéens signent la première profession de foi imposée à toute l’Église : « Le Fils est éternel et consubstantiel au Père ». Il a fallu tout le dynamisme d’Athanase d’Alexandrie, en Orient, et la détermination d’Hilaire de Poitiers, en Occident, pour arriver à une victoire définitive de l’affirmation de la vraie divinité et de la réelle humanité du Logos. La christologie se développe donc autour de l’idée du Logos-Sarx alexandrin, qui réussit à maintenir un juste milieu pour la confession de la foi ecclésiale. La deuxième section de ce même chapitre étudie, en réaction à la doctrine apollinariste, une christologie Logos-Anthropos de type antiochien développée par Damase, Diodore de Tarse et Éphrem le Syrien. Cette christologie avait l’avantage d’incorporer « à la fois des éléments de la christologie de l’“homo assumptus” et de l’“homo factus” » (p. 682). Par de telles formules, les antiochiens voulaient réagir contre la doctrine d’Apollinaire de l’unique nature dans le Christ. L’A. nous introduit progressivement au débat sur les deux natures du Christ dont Nestorius et Cyrille d’Alexandrie sont restés les illustres représentants.

Enfin, la troisième partie consacre sa première section au « scandalum oecumenicum » déclenché par la christologie de Nestorius. Le but de celui-ci est d’écarter les deux extrêmes dans les titres donnés à Marie : « théotokos » et « anthropotokos ». D’une part, le titre « théotokos » promu par Cyrille et ses partisans les identifiait à Apollinaire, d’autre part, les partisans du titre « anthropotokos » se rangeaient du côté d’Arius. Par conséquent, le titre qui convient le mieux à Marie et que promeut Nestorius est celui de « christotokos ». Le concile d’Éphèse, en 431, réagit contre cette position affirmant la divinité du Christ fait homme, par conséquent la maternité divine de Marie. Elle est « théotokos » : « Un seul et même est le Fils éternel du Père qui, dans le temps, est né selon la chair de la Vierge Marie, celle que nous pouvons, de ce fait, appeler Mère de Dieu » (p. 922). La deuxième section de la troisième partie centre les recherches sur la période qui va du concile d’Éphèse et à celui de Chalcédoine. La réaction antiochienne ne tarde pas. Il a fallu l’esprit conciliateur de Théodoret de Cyr pour maintenir l’équilibre entre les positions nestorienne et cyrillienne. Son but est de mettre en relief la liberté de l’Incarnation en confessant « invariablement une unité substantielle réelle dans le Christ » (p. 932). La base de la réconciliation entre les deux partis est la formule de foi signée à Antioche en 432. Dans ce « Symbolum antiochenum », la confession de Jésus-Christ, vrai Fils de Dieu et vrai Fils de l’homme, parfaitement Dieu et parfaitement homme, et ayant une âme raisonnable et un corps, est clairement affirmée. L’apollinarisme et l’arianisme sont exclus, et la foi de Nicée réaffirmée. La troisième section continue de nous familiariser avec les débats christologiques autour de la double nature du Christ. Le concile de Chalcédoine se donne pour objectif de compléter Éphèse, en forgeant une formule dogmatique permettant d’éclairer « l’unité et la différence dans le Christ » (p. 1003). L’A. propose une analyse de la définition chalcédonienne en relevant à la fois la continuité et la progression dans la cristallisation du dogme christologique depuis Nicée.

Par rapport à la première édition française, cette seconde édition a l’avantage de nous donner une bibliographie plus détaillée et mise à jour. On a également regroupé certains chapitres et on en a ajouté d’autres. Enfin, les notes de bas de page sont plus abondantes. L’ouvrage comprend à la fin quelques index (des auteurs anciens, des mots grecs et latins) indispensables pour tirer profit de l’ouvrage.

Lucian Dîncã

5. Hervé Inglebert, Interpretatio Christiana.Les mutations des savoirs (cosmographie, géographie, ethnographie, histoire) dans l’Antiquité chrétienne (30-630 après J.-C.). Paris, Institut d’Études Augustiniennes (coll. « Études Augustiniennes », série « Antiquité », 166), 2001, 632 p.

Par « mutation des savoirs », il faut entendre « adaptation des savoirs à la christianisation du monde antique », et par « savoirs » il faut comprendre « connaissances sur le monde ». L’A. propose en effet dans cet ouvrage une histoire culturelle, une histoire des idées et de la façon dont ces idées ont été comprises, essentiellement du point de vue de la représentation du monde et de son histoire. À l’époque chrétienne, il y a un hiatus entre savoir et représentation, tels qu’ils étaient entendus dans l’éducation classique. En effet, la culture profane a valorisé le savoir pour lui-même, alors que l’appréhension du savoir biblique ne s’est pas faite en fonction de la connaissance, mais en fonction de la signification de l’existence humaine (p. 30). L’A. expose comment une lecture historique de la Bible a modifié ou s’est opposée aux représentations que les chrétiens ont héritées de leur formation dans la païdéia. Les quatre tendances face à l’héritage classique (refus, création d’une nouvelle conception, reprise indifférente et conversion par l’aménagement ou la synthèse des savoirs) peuvent être observées dans chacune des disciplines étudiées.

Le livre est divisé en deux grandes étapes historiques. Tout d’abord, la christianisation des savoirs antiques et les rapports entre savoir et foi sont analysés dans la cosmographie, la géographie et l’ethnographie. Ensuite, on traite de la perception chrétienne de l’histoire et du problème de l’adoption des savoirs historiques antiques dans l’historiographie chrétienne, de la naissance des histoires des hérésies et du développement des histoires universelles. L’histoire occupe à elle seule la moitié du volume en raison de son importance dans la culture chrétienne. En effet, l’histoire fonde la vérité de la foi et, à ce titre, elle est pour les chrétiens un savoir privilégié, ce qui a pour conséquence de modifier son rôle dans l’équilibre des savoirs antiques.

À titre d’exemple de l’analyse pratiquée, l’A. montre l’originalité d’un document tel que le Diamerismos, attribué à Hippolyte de Rome. Cet exposé amalgame, sans les harmoniser, des données sur la répartition des peuples provenant de la tradition biblique juive (tripartition des peuples en fonction des descendants des fils de Noé, cf. Gn 10), et des traditions grecques ethnographique (classement par peuples) et chorographique (classement par régions), complétées de quelques indications d’époque romaine. Ces juxtapositions nécessitent une correspondance entre les noms hébreux des peuples bibliques et les noms grecs des peuples connus, et entraînent évidemment quelques redites dans l’énumération des peuples et des incohérences dans leur distribution géographique. Ces difficultés ne reçurent une tentative d’explication qu’avec Épiphane de Salamine qui les expliqua par l’histoire des occupations territoriales successives, c’est-à-dire la colonisation et les ambitions territoriales de Cham et ses descendants (p. 171). Dans le texte d’Hippolyte, les sections sur l’Afrique et l’Europe (du moins en partie) énumèrent les peuples en « ordre géographique », c’est-à-dire selon une progression périégétique, reprenant ainsi un schéma classique. Cette représentation cartographique des peuples restera partielle chez les auteurs chrétiens, qui tenteront toujours de faire coïncider listes de la Bible et savoir païen, jusqu’à Isidore de Séville.

Ces diverses superpositions de données trouvent leur meilleure illustration avec l’historiographie. L’A. montre comment le développement de cette discipline par les chrétiens est passé par trois étapes, soit le synchronisme des données bibliques et des données de la païdéia, la synthèse, puis le syncrétisme de ces données (p. 553). Ces mouvements se sont produits à des époques différentes dans chaque partie de l’empire, au rythme de l’absorption des modèles grecs de la rédaction historique.

Sur le plan des mentalités, l’A. montre que le dédain dont ont souvent fait preuve les chrétiens envers le savoir, arguant que la connaissance ne servait en rien au salut puisque seule la foi pouvait sauver, est en fait hérité d’une tradition philosophique inculquée par la païdéia. Ce mépris cessera complètement lorsque le paganisme ne servira plus de référence culturelle, mais ce sera à ce moment la fin de l’Antiquité et le véritable début du Moyen Âge (p. 570).

On ne répétera pas assez l’importance de la polémique contre les païens dans la structuration du savoir chrétien aux quatrième et cinquième siècles. D’une part, les chrétiens devaient faire concorder les savoirs de la païdéia avec les données qu’ils trouvaient dans la Bible, ou réfuter les premiers au profit des secondes. D’autre part, la culture chrétienne s’est développée dans un climat de débats dialectiques essentiellement façonnés par le modèle de la païdéia grecque. Ce modèle culturel n’a donc pas été effacé par la subordination de la raison à la foi comme moyen de compréhension du monde : seul l’angle d’approche de la culture fut modifié. Dans la définition des savoirs, un problème épistémologique n’est culturellement chrétien que s’il entraîne un débat religieux.

Nous avons ici une étude complète qui ne sera pas à refaire. L’exhaustivité de la rédaction entraîne cependant quelques redites, qui ne sont pas allégées par les tableaux récapitulatifs. La langue utilisée est technique mais sobre, avec à l’occasion quelques néologismes qui laissent perplexe (p. ex. p. 184, n. 132, où l’on affirme qu’une association d’Ambroise de Milan fut « reusée par Jérôme »). L’ensemble est d’une très grande qualité.

Marie-Pierre Bussières

6. Christophe Boureux, Commencer dans la vie religieuse avec saint Antoine, suivi de la « Vie d’Antoine » par Athanase d’Alexandrie. Paris, Les Éditions du Cerf, 2003, 272 p.

Dès les premières lignes, l’A. donne au lecteur le ton de l’ouvrage : « La vie religieuse, ça n’arrête pas de commencer. Et dans ce commencement qui n’est qu’un recommencement, la vie religieuse trouve sa raison d’être et sa fin, sa relation au passé et à l’avenir, sa place dans l’Église et la société » (p. 9). Dans une société occidentale où nous assistons à une diminution démographique du nombre des congrégations religieuses, Christophe Boureux, religieux dominicain, fait appel à saint Antoine, le « Père du monachisme », pour nous présenter un style de vie religieuse trouvant sa force et sa raison d’être dans un continuel commencement. Il nous invite donc à une redécouverte en profondeur du « don » de la vie religieuse[5] que Dieu fait à l’Église. La première difficulté à soulever est de savoir si Jésus a inauguré un tel état de vie. La question aide l’A. à faire la distinction entre l’aspect théologal et l’aspect historique de la vie religieuse : « […] il serait inexact de suggérer que ce fut Jésus historique qui aurait inauguré la vie religieuse. Comme toute la vie chrétienne, la vie religieuse trouve son modèle, sa figure, dans la description des faits et gestes, paroles et actes de Jésus rapportés dans les Évangiles » (p. 18). L’exhortation apostolique Vita Consecrata[6], mettant un terme aux hésitations ecclésiales séculaires sur la validité de la vie religieuse, vient apporter un atout à l’intérêt et à la pertinence de cette étude.

La Vie d’Antoine[7], un classique de la littérature spirituelle monastique, est la plus importante source pour comprendre le commencement de la vie religieuse. L’A. choisit cette haute figure du monachisme chrétien pour appuyer son hypothèse d’une vie religieuse toujours à commencer. En six chapitres, l’ouvrage nous fait découvrir les grandes étapes d’Antoine, cet « homme de Dieu » et « ami des hommes », comme autant d’expériences toujours à commencer. Après la conversion à la parole évangélique (ch. 1) : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, et viens, suis-moi, tu auras un trésor dans le ciel » (Mt 19,21), la vie monastique commence avec Antoine. Désormais, il vivra un commencement toujours à renouveler : commencer à devenir moine (ch. 2), la contribution d’Athanase au commencement d’Antoine (ch. 3), commencer en traversant un deuil (ch. 4), l’opposition des démons au commencement d’Antoine (ch. 5) et la victoire d’Antoine sur toutes ces expériences de commencement (ch. 6). En examinant le chemin parcouru par Antoine à travers ses expériences de commencement dans la vie monastique, l’ouvrage fait ressortir l’originalité d’Antoine dans l’inauguration de la vie religieuse poursuivie par des générations après lui. Pour conclure sa recherche, l’A., sans vouloir prendre le « risque de schématiser une réalité par essence dynamique » (p. 201), tient à expliquer la différence entre un « débutant » et un « commençant » dans la vie religieuse. Cette distinction, relue à la lumière de la Vied’Antoine, lui permet d’apporter un dernier argument en faveur de l’hypothèse qui traverse tout l’ouvrage : « la vie religieuse, ça n’arrête pas de commencer » (p. 9 et 201).

L’abondance des notes de bas de pages, le vocabulaire d’une grande profondeur spirituelle mais aussi théologique, mystique et psychologique, de même que l’analyse attentive de la Vie d’Antoine, ouvrage fondateur de la vie monastique, aide le lecteur à mieux saisir le rôle de la vie religieuse, et plus largement encore, la place de la religion et des valeurs qu’elle véhicule dans la culture de nos sociétés cosmopolites occidentales. Enfin, l’A. nous fait le cadeau de présenter en annexe de son ouvrage la traduction par G.J.M. Bartelink[8] du texte intégral de la Vie d’Antoine d’Athanase d’Alexandrie. Quiconque lit cet ouvrage découvre en Antoine un moine idéal toujours actuel et imitable pour tous ceux qui veulent vivre leur propre vie religieuse ou leur vie de foi au Christ ressuscité comme un continuel commencement.

Lucian Dîncã

7. Vahan Hovhanessian, Third Corinthians. Reclaiming Paul for Christian Orthodoxy. New York, Peter Lang Publishing (coll. « Studies in Biblical Literature », 18), 2000, xv-202 p.

Ce volume constitue la première monographie consacrée à la Correspondance apocryphe entre Paul et les Corinthiens (3 Co) depuis celle de P. Vetter (1894)[9]. En introduction, Vahan Hovhanessian présente d’abord la Correspondance et les différents témoins du texte. Il y discute ensuite de quelques citations de la Correspondance rencontrées dans la littérature syriaque et arménienne, et donne enfin un aperçu de l’histoire de la recherche. Dans le chapitre intitulé « Establishing the Original Text », l’A. traite de la question de la relation entre les Actes de Paul et la Correspondance et aussi de la relation entre les différents témoins du texte. Sur la base des différences théologiques, textuelles et stylistiques entre les Actes de Paul et la Correspondance, l’A. conclut que celle-ci ne constituait pas originellement une partie des Actes de Paul, mais était plutôt un document indépendant qui y fut intégré plus tardivement. L’analyse des leçons de onze passages du texte de la Correspondance amène Hovhanessian à conclure que le texte conservé par le papyrus grec Bodmer X est celui qui présente le moins d’interpolations et qu’il doit donc être considéré comme le manuscrit qui contient le texte le plus proche de l’original. Il en donne d’ailleurs une nouvelle traduction anglaise à la fin du chapitre. Dans le dernier chapitre de son ouvrage, l’A. brosse un tableau de la controverse qui sévissait autour de la figure de Paul au deuxième siècle, controverse qui mena à la composition de pseudépigraphes pauliniens. Il y présente également une analyse de la théologie de la Correspondance articulée autour de quatre thèmes : la naissance de Jésus par Marie, le rôle des prophètes, le Dieu tout-puissant et la résurrection des morts. Cette analyse l’amène à constater le caractère général de la réfutation de la Correspondance, qu’il croit cependant dirigée contre les Valentiniens, et plus particulièrement contre les Ophites en raison des deux allusions au serpent qu’on trouve dans la lettre de Paul (versets 20 et 38), ce qui ferait de la Correspondance une production de la fin du deuxième siècle. À la fin du volume, on trouve trois appendices qui contiennent une synopse des onze passages étudiés au chapitre II, une retranscription du texte grec du papyrus Bodmer X tirée de l’editio princeps de M. Testuz[10] et une retranscription du texte arménien de la Correspondance tirée de la Bible de Zohrab[11]. Ce livre contient également une bibliographie et un index thématique.

Ce volume m’a laissé sur mon appétit pour plusieurs raisons. Premièrement, le lecteur doit se méfier des références données par l’A. Par exemple, à la p. 11, l’A. nous renvoie à l’Exposé IV, 12 d’Aphraate, alors que le passage auquel il se réfère se trouve en VI, 12. À la p. 55, dans une discussion sur le concept de la résurrection dans les Actes de Paul, Hovhanessian mentionne que Paul dit de la résurrection qu’elle survient par la procréation et par la connaissance du vrai Dieu, alors que le texte rapporte plutôt les paroles des adversaires qui veulent la perte de Paul, soit Démas et Hermogène. Aux p. 35 et 58, l’A. suggère que le manuscrit latin de Zurich contient la lettre de Paul, alors que la particularité de ce témoin est justement son absence ! À la p. 69-70, l’A. indique que la mention « promis par les prophètes » (verset 13 de la lettre de Paul) du texte arménien est unique, mais elle se rencontre aussi dans le manuscrit latin de Berlin. Deuxièmement, nous pouvons aussi lui reprocher son manque de rigueur dans la sélection des manuscrits qu’il décide de conserver pour son analyse (p. 56-76). Troisièmement, Hovhanessian adopte la définition du mot « gnosticisme » retenue lors du congrès de Messine en 1966 (cf. chap. 3, n. 2, p. 171), définition qui témoigne d’une vision étroite et restrictive du phénomène. Finalement, certains passages laissent transparaître une vision un peu simpliste de l’histoire du christianisme ancien par une opposition trop systématique des notions d’orthodoxie et d’hérésie. Il laisse ainsi croire qu’il existait une orthodoxie doctrinale unique au deuxième siècle, ce qui n’est pas le cas, la réalité étant beaucoup plus complexe. Somme toute, nous avons là un livre qui peut être intéressant à condition de l’utiliser avec prudence et discernement.

Steve Johnston

8. Stephen Spence, The Parting of the Ways : the Roman Church as a Case Study. Leuven, Dudley, Mass., Peeters Publishers (coll. « Interdisciplinary Studies in Ancient Culture and Religion », 5), 2004, vi-404 p.

Le but de ce livre est de se concentrer sur ce qui est le plus souvent laissé à l’arrière-plan des études néotestamentaires, à savoir les combats d’un nouveau mouvement religieux pour s’établir en tant que communauté indépendante. Le cas étudié est l’Église de Rome et l’approche utilisée combine à la fois la méthode historique et un modèle sociologique. L’approche proprement historique consiste à analyser les données disponibles sur l’Église de Rome — il faudrait plutôt parler des Églises, en les comparant à celles dont on dispose à propos de groupes comparables : collegia, synagogues et autres associations volontaires. Le modèle sociologique utilisé est emprunté aux travaux de Rodney Stark qui distinguent deux types de nouveaux mouvements religieux, la secte et le culte. La secte est un mouvement de renouveau interne à une tradition religieuse particulière, alors que le culte est un mouvement religieux dont l’origine est extérieure à la société ou à la culture dans lesquelles il est importé. Un nouveau mouvement religieux peut donc être à la fois l’un et l’autre. Ainsi, le mouvement des dévots de Krishna pourra être une secte pour un hindou mais un culte pour un adepte d’origine chrétienne. Cette distinction est importante dans la mesure où les études contemporaines montrent que les membres d’une secte et les membres d’un culte n’adoptent pas la même attitude à l’égard de leur tradition religieuse d’origine ou à l’égard de la société ambiante. En effet, les membres d’une secte, dont le but est de renouveler leur propre tradition religieuse de l’intérieur, auront tendance à se montrer très fidèles aux exigences de cette tradition, alors que les adeptes d’un culte d’origine étrangère auront tendance à minimiser l’écart entre ce culte et la société à laquelle ils appartiennent.

Dans le cas des premières générations chrétiennes, dont l’origine ethnique et religieuse est double, juive ou hellène, la distinction est importante. En effet, un adepte d’origine religieuse juive cherchera, tout en adhérant à la foi nouvelle, à se montrer fidèle aux exigences du judaïsme afin de montrer que sa foi est en réalité le vrai judaïsme, ce faisant, il aura tendance à accentuer l’écart avec la société ambiante. Au contraire, un adepte d’origine hellène adoptera la nouvelle foi en cherchant à la rendre plus acceptable au milieu ambiant en réduisant cet écart et, par conséquent, en augmentant la distance avec le judaïsme. Par conséquent, au sein des premières Églises chrétiennes, deux tendances diamétralement opposées devaient s’affronter, une tendance judaïsante chez les fidèles originaires du judaïsme pour lesquels le nouveau mouvement était une secte interne au judaïsme (le parti des Nazoréens [Ac 24,5] à côté de ceux des Pharisiens ou des Sadducéens [Ac 5,17]) et une tendance hellénisante chez les fidèles d’origine hellène, pour lesquels le mouvement était un culte oriental plus ou moins exotique, comme l’étaient à leurs yeux le judaïsme lui-même aussi bien que les autres cultes étrangers.

Ce modèle appliqué aux données disponibles concernant les Églises de Rome au premier siècle, probablement celles dont l’histoire est la mieux documentée, amène l’A. à conclure que la séparation des voies (the parting of the ways), une métaphore pour décrire la séparation entre l’église et la synagogue, a dû intervenir dès la fin des années 50 ou le début des années 60, soit avant la persécution de Néron.

Après un premier chapitre proposant une introduction théorique et méthodologique dans laquelle l’A. dénonce le biais idéaliste qui tend à privilégier les idées et les doctrines au détriment des réalités sociales lorsqu’on étudie les commencements du christianisme, les deux chapitres suivants sont consacrés respectivement aux rapports des chrétiens de Rome avec le judaïsme et avec les autorités romaines. Le chapitre 4 est consacré aux effets de l’économie religieuse romaine sur l’église de Rome, une économie qui diffère substantiellement selon qu’on la considère du point de vue des élites romaines elles-mêmes ou du petit peuple beaucoup plus cosmopolite. Le chapitre 5 est consacré à l’analyse de la lettre de Paul aux Romains. Le chapitre 6 considère les autres documents disponibles, soit l’Épître aux Hébreux, la prima Clementis, le Pasteur et la Lettre aux Romains d’Ignace du point de vue des lumières qu’ils peuvent jeter sur la question de la séparation des voies. Une conclusion et deux annexes consacrées aux références aux synagogues romaines rencontrées dans les catacombes et aux caractéristiques des sectes chez les différents sociologues du vingtième siècle, de même qu’une abondante bibliographie, complètent le tout.

Issu d’une thèse de doctorat, cet ouvrage d’une clarté exemplaire aux plans théorique et méthodologique apporte une contribution majeure à l’étude du développement de l’église romaine du premier siècle, non pas tant en raison de la nouveauté ou de l’originalité des conclusions auxquelles il arrive, mais en raison du chemin qu’il parcourt pour y arriver. En ce sens, il apporte un complément remarquable à l’ouvrage de Peter Lampe récemment traduit en anglais, Die stadtrömischen Christen in den ersten beiden Jahrhunderten : Untersuchungen zur Sozialgeschichte[12].

Louis Painchaud

9. Alan F. Segal, Life After Death. A History of the Afterlife in the Religions of the West. New York, Doubleday, 2004, xii-866 p.

Alan Segal’s book, Life After Death, is a remarkable survey of the notions of heaven, hell, and life after death in the western tradition. With an enjoyable style and expertise, Segal guides the reader through the biblical tradition from ancient Hebrew notions to patristic and rabbinic writings. When necessary, he discusses other cultures’ notions of the afterlife as a possible background to or influence on the Judeo-Christian ideas. There are, for example, chapters on Egyptian, Iranian, and Greco-Roman views. However, the latter should have perhaps deserved more space and attention than it did, especially taking the subtitle of Segal’s book into account. Islam plays a specific role in the book. Not only is the whole work framed by the question of the motivation of the hijackers of September 11th, but most of the discussion of the Quran and Islamic notions of the afterlife is filtered through 9/11 and the Israeli-Palestinian conflict. No doubt, chapter 15, dealing with Islamic notions of the afterlife, which is mostly devoted to the above-mentioned horrible events, does make extremely interesting reading. However, in my opinion, Segal would have been wise to leave out some of the political discussion, including his suspicion of Iraq’s involvement in 9/11 or pointing out connections between the Muslim world and Nazi Germany (p. 671 ff.).

An interesting and strong feature in Segal’s book is his efforts to link the subject matter to modern issues and events. In addition to Islamic terrorism, he devotes some space to the discussion of neurological states underlying religious experiences and religiously interpreted or altered states of consciousness (ch. 8). One of the recurring themes in the book is the often conflicting co-existence between the Greek notion of the immortality of the soul and the Jewish idea of the resurrection of the body. Segal is strong in discussing Paul (ch. 10), rabbinic Judaism (ch. 14), and Christian anti-Judaism (p. 453 ff.). However, his sober discussion about the definition of Gnosticism (p. 537 ff.) is, in my view, slightly eclipsed by his strange definition of Sethian Gnosticism. Segal chooses Hypostasis of the Archons as the sole representative of Sethianism, and states that, “We can characterize the Hypostasis of the Archons as a Sethian text, due to the portrayal of Eve and the serpent as salvific characters” (p. 560). Neither one of these features is included in any meaningful definition of Sethianism, nor does the serpent play a salvific role in more than two of the 16 texts normally included in the Sethian corpus.

Despite some of the minor shortcomings, Segal’s work is a learned and very well written book, accessible and useful to students and scholars alike. The summary at the end of the book is also useful due to the massive amount of data in the volume.

Tuomas Rasimus

Gnose et manichéisme

10. Karen L. King, What is Gnosticism ? Cambridge, Mass., London, The Belknap Press of Harvard University Press, 2003, xiv-343 p.

Ce livre ne propose pas une description de tous les groupes, textes et idées qui ont été attribués au gnosticisme ; il n’est pas davantage un compte rendu exhaustif de l’étude du gnosticisme au vingtième siècle. Son but est plutôt de contribuer à la vaste entreprise de déconstruction de l’histoire du christianisme, en examinant comment l’historiographie moderne en est venue à inventer une nouvelle religion, le gnosticisme, à partir de polémiques chrétiennes anciennes et sous l’influence de l’historicisme découlant du siècle des Lumières, du colonialisme et de la phénoménologie existentielle. C’est en ces termes que l’A. présente son propos (p. viii). Dans un premier chapitre, elle pose la question de savoir pourquoi le gnosticisme est si difficile à définir (p. 5-19), soulevant les problèmes liés au processus même de définition. Dans le dernier paragraphe, King précise le but qu’elle poursuit : examiner comment le discours des polémistes chrétiens anciens a influencé la recherche moderne sur le gnosticisme et montrer comment cela a biaisé notre analyse des textes anciens, dans le but, non seulement d’en arriver à pouvoir écrire une histoire qui rende mieux compte du christianisme ancien dans toute sa diversité, mais aussi de pouvoir critiquer les politiques de différenciation religieuse, plutôt que de reproduire inconsciemment leurs stratégies et leurs effets (p. 19). Le deuxième présente la construction du gnosticisme comme hérésie chrétienne (p. 20-54). Le troisième, intitulé « Adolf von Harnack and the essence of Christianity », expose l’influence qu’eurent sur cet auteur les discours chrétiens anciens à propos de la construction de l’identité chrétienne (p. 55-69). Le quatrième s’attaque à l’école de l’histoire des religions (p. 71-109), qui attribue au gnosticisme une origine extérieure au christianisme, s’attardant aux contributions de Reitzenstein et de Bousset. Le cinquième chapitre est consacré à la remise en question de la notion de gnosticisme (p. 110-149). Les sixième et septième chapitres reprennent la question des catégories et des origines telles qu’elles se posent après la découverte de Nag Hammadi (p. 149-190) et celle des typologies (p. 191-217). Le dernier chapitre, intitulé « The end of Gnosticism ? » (p. 218-238), tient lieu de conclusion. L’A. y insiste non pas sur le rejet de la catégorie « gnosticisme » comme telle et ne propose pas de la remplacer par une autre, comme l’a fait Williams, mais appelle plutôt à un usage critique, conscient des distorsions qu’implique cette notion. Le volume est complété par une longue note méthodologique (p. 239-248), par une bibliographie et un index indispensables pour qui voudra approfondir la réflexion sur les questions soulevées.

Le principal intérêt de ce livre est double : d’une part, il procure un bon survol de l’histoire du concept de gnosticisme et de son utilisation et, d’autre part, le parcours proposé est nourri d’une perspective critique et éthique clairement exposée, principalement dans la note méthodologique, influencée par Foucault et Bourdieu, et, dans une moindre mesure, par Schüssler Fiorenza. Tout discours, qu’il s’agisse du discours hérésiologique ancien ou du discours scientifique moderne, sera donc analysé comme une construction sociale et replacé dans son contexte politique. En ce sens, il n’est jamais inutile de rappeler que le discours moderne sur le gnosticisme a été et demeure le produit de personnes appartenant à des institutions universitaires ou religieuses, elles-mêmes liées à la définition normative du christianisme, et qui, de ce fait, peuvent avoir tendance à reprendre ou à transposer l’ancien discours sur l’orthodoxie et l’hérésie.

En définitive, cet ouvrage ne met évidemment pas en cause l’existence au deuxième siècle du phénomène que veulent décrire les catégories d’hérésie ou de gnosticisme ; il rappelle utilement que Valentin, Basilide, ou les autres figures que l’on range sous ces étiquettes, n’ont pas eu d’existence en tant qu’hérétiques ou en tant qu’exemples du « gnosticisme » avant que ces étiquettes ne fussent inventées par les anciens polémistes ou les penseurs modernes (p. 224). Voilà un livre qui ne s’adresse pas uniquement au spécialiste du gnosticisme, mais à quiconque s’intéresse à l’histoire du christianisme et à sa critique théorique et méthodologique. On pourra regretter qu’en présentant son survol historiographique comme une sélection de cas où le discours hérésiologique ancien a influencé la recherche moderne sur le gnosticisme (p. 54), l’A. est amenée à passer sous silence les chercheurs qui depuis Graetz[13] (1846) jusqu’à Pearson[14], en passant par Friedländer[15] (1898) et Scholem[16] (1962), ont accordé une place centrale à la composante juive dans la construction du concept de gnosticisme.

Louis Painchaud

11. Majella Franzmann, Jesus in the Manichaean Writings. Edinburgh, T&T Clark, Ltd. Publishers, 2003, xiv-168 p.

In this follow-up to her previous study of Jesus in the Nag Hammadi texts (1996), Australian scholar Majella Franzmann directs her attention to the Jesus of the Manichaean writings. In brief, as a response to the assertion by several scholars during the 20th century that there are multiple Jesuses in Manichaeism, Franzmann’s study re-affirms the position that, in actual fact, there is only one who appears in many guises (p. 144). While this is a conclusion that appears obvious enough,[17] it seems as though the preconceptions of previous scholars, such as H.-J. Klimkeit (p. 102), about the “historical” or the “Gnostic” Jesus have gotten in the way of their ability to interpret the many masks that Jesus wears within the context of Manichaean thinking (p. 108). As a result, Franzmann has felt compelled to re-assert the idea that Mani and the earliest Manichaeans especially adored only one Jesus (p. 1, 105). While I have no objections per se about the conclusion that is reached, it is the way that Franzmann gets there that I find somewhat problematic.

To begin with, in Chapter 1, Franzmann suggest that what distinguishes her study for most previous examinations of Manichaean Christology is the fact that she is not restricting herself to one, regional or linguistic source base — the desired result being a comprehensive and holistic view of the Manichaean Jesus. While she admits that Eugen Rose (1979), who reached the same conclusion about the unity of Jesus in Manichaeism,[18] was criticized, particularly by Klimkeit (p. 12), for “putting all the texts together indiscriminately” (p. 3), Franzmann has repeated the same methodological error. For some reason, she sweeps aside the entire issue with the statement that since Rose, “no further attempt has been made to find a methodologically sound route through the predicament of a multitude of texts from different times and places” (p. 3) — a statement that is not entirely accurate. A logical first step, it seems to me, would have been not to follow the same procedure as Rose. This, however, is precisely what has occurred.

Structurally, Franzmann’s study is organized according to theme, with separate chapters devoted to individual figures of Jesus, such as Jesus the Splendour (Chapter 3), Jesus the Apostle of Light (Chapter 4), Jesus the Judge (Chapter 5), etc. This, in itself, is not a problem, but the way in which the textual evidence is assembled within each chapter does present some difficulties. It is not uncommon for Latin, Coptic, Iranian, and Chinese sources to be cited on the same page (see p. 39 et passim) with little or no attention paid to their setting or provenance. In fact, it could be said that the sources are cited “indiscriminately” or at least viewed as implicitly consistent. In my view, such a procedure cannot be justified. While there certainly was a degree of consistency in the transmission of Manichaean ideas, they had to have been conditioned by their cultural setting. In fact, Franzmann’s statements on the occurrences of Jesus the Youth and Jesus the Moon demonstrate that regional differences did count.[19] It cannot be assumed that Aramaic or Coptic speaking Manichaeans in third or fourth century Mesopotamia or Egypt would have had identical attitudes towards Jesus as Sogdian merchants or Chinese courtiers from the ninth or twelve centuries. Attention, therefore, must be paid to social, historical, or linguistic factors that undoubtedly influenced the transmission of Manichaeism. A more refined procedure such as this is not without precedent in Manichaean Studies. Jason BeDuhn, in his recent study of Manichaean ritual, was careful to establish a firm methodological basis and to distinguish between the “western”, “central”, and “eastern” contexts of Manichaeism within each chapter, even though he suggested that Manichaean “ritual practices were more conservatively maintained than Manichaean discourse in general” (The Manichaean Body, 2000, p. 7). By way of contrast, the literary-comparative approach undertaken by Franzmann appears outdated and has resulted in a superficial treatment of the sources.[20]

In addition to the need for more socio-historical context, more attention could have been paid to the individual characteristics of the texts more frequently cited. In particular, by making reference to the Kephalaia, the Psalm Book, or the Homilies Franzmann tends to treat them as unified works and to overlook the fact that within these codices are individual compositions and sub-groupings with their own unique rhetorical aims, authors, contexts, and provenance. While, admittedly, it is not always obvious or even known what such characteristics are, they undoubtedly influenced the way in which Jesus is described in texts such as the Bema Psalms, the Psalms of Heracleides,[21]The Sermon on the Crucifixion or particular Kephalaia chapters.[22] If modern Manichaean Studies is going to mature, more attention needs to be paid to understanding the internal dynamics and characteristics of the surviving texts.

This brings me to a further point. In light of the fact that Manichaean Studies continues to develop and large portions of text remain to be published, Franzmann’s study appears somewhat premature. Perhaps it would have been preferable to wait until the immanent publication of the remains of Mani’s letters from Medinet Madi and Kellis. Indeed, the letters are mentioned in her chronology of sources (p. 13).[23] This might have enabled Franzmann to incorporate important new data from Mani himself, whose intense, personal attachment to Jesus[24] will soon necessitate a re-examination of the Christological question, thereby outdating Franzmann’s efforts.

A final comment concerns consistency of approach. On page 1 Franzmann states that this “present work recognizes that Christian elements and the Jesus figure have a central place (emphasis added) in Manichaeism,”[25] but by page 144 she feels compelled to admit that “perhaps, in the end, the Manichaean Jesus is not essential to the function and coherence of the entire Manichaean myth as such.” This comment relates to the realization late in the work that the correspondences among Manichaean theological figures may lie within the deep-structure of the Manichaean myth, i.e., that Jesus himself may ultimately be an extension of Primal Man. Unfortunately, however, this important question lay beyond the scope of Franzmann’s study. Nevertheless, such an admission seems to weaken the book’s central thesis about the unity of the Manichaean Jesus. A similar turn-around is made on page 143, where Franzmann suggests that certain inconsistencies among the Jesus figures could be attributed to the fact that perhaps Manichaeism “was never intended to be a logical system” (p. 143). This is another attempt to avoid important methodological problems. One need only peruse a few chapters from the Kephalaia to observe an intense interest (even obsession) with systematization. The problem is that the textual remains we possess provide us with incomplete “snapshots” of a religion whose ideas were in evolution and responding to ever increasing cultural and temporal distance from the founder. Attributing inconsistencies to a lack of logic does not do justice to the complexity of the sources.

While Jesus in the Manichaean Writings is a detailed and amply documented study of Manichaean Christology, the work as a whole suffers from its lack of a clear and consistent methodological frame. I would have preferred a more systematic approach that took into account the socio-historical and literary characteristics of the sources. Even though modern Manichaean studies still lacks a solid methodological basis for dealing with such a diverse set of linguistic and socio-historical contexts, that does not mean the attempt should not be made to do integrative research. This particular attempt, unfortunately, left me disappointed.

Timothy Pettipiece

12. Iain Gardner, Samuel N.C. Lieu, ed., Manichaean Texts from the Roman Empire. Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2004, xx-312 p.

This long-awaited volume from Australia-based scholars Iain Gardner (University of Sydney) and Samuel N.C. Lieu (Macquarie University) constitutes the first anthology of non-Central Asian Manichaean texts in English, thereby filling a great need in the ever-expanding field of Manichaean Studies. Its stated aim is to provide an accessible and readable selection of Manichaean texts that can be used as “an introductory source-book” by instructors, students, and interested readers (p. 3). As such, the editors have collected a rich selection of texts from Medinet Madi and Kellis, supplemented by a wide variety of fragments and testimonies from Christian,[26] pagan,[27] and Muslim[28] critics and observers of the movement. Also included are a small number of Iranian texts providing information about Manichaean activities in the Roman Empire. The majority of the texts are recently or freshly translated, although a few are adapted from previously existing translations.[29] Particularly welcome inclusions in this volume are the substantial portions of the Homilies codex[30] and the updated translation of most of the Cologne Mani Codex (CMC)[31] that provide so much important information about the formation and early history of the “Religion of Light”. The selected texts are distributed through a series of thematic chapters dealing with the “Life of Mani” (Chapter 2), “Manichaeism in the Roman Empire” (Chapter 3), “The Scriptures of Mani” (Chapter 4), “Teachings” (Chapter 5), “Worship and Ethic” (Chapter 6), and “Community Texts” (Chapter 7). This distribution, while certainly justified, leads to some awkward breaks in texts such as the CMC, from which the citations from Mani’s Letter to Edessa and Living Gospel are cut and placed in Chapter 4. Nevertheless, the volume is well organized and annotated.

Perhaps a bit more difficult to justify is the title of the anthology — Manichaean Texts from the Roman Empire — since it is not entirely clear what this title is meant to convey. Does it refer to the context or content of the texts selected ? Whether the anthology is meant to collect only those texts that originate or were discovered in the context of the Roman Empire or simply those texts whose content refers to the Roman world is left (perhaps deliberately) ambiguous. In actual fact, Gardner and Lieu’s anthology seems to be a mixture of both of these potential criteria. For instance, the CMC and the Homilies, while discovered in (Roman) Egypt,[32] convey in their content early Manichaean history in Sassanian Mesopotamia, outside the influence of Rome. Similarly, the selections from the Psalm Book and the Kephalaia, while certainly produced and uncovered in Egypt, contain hymns and theological formulations that likely pre-date the Manichaean penetration of Egypt. The same could be said for the chapter on Mani’s scriptures, which collects a mixture of fragments and testimonies from Arabic, Chinese, Greek, Latin, Syriac, and Coptic sources. These scriptures, while certainly known to Manichaeans in the Roman Empire,[33] could be said to reflect Mani’s Aramaic cultural milieu. Nevertheless, the fact that these texts were obviously read by Manichaeans in the Roman world and played a central role in their liturgical life certainly justifies their inclusion here.[34] As for the second, content-driven criterion, Iranian texts (#21 and 22) are included because they refer to the missionary activity of Mar Adda, Mani’s emissary to the Roman Empire. This is in addition to other specifically “Roman” material such as the evidence from the Church Fathers and texts from the Kellis community.

Gardner and Lieu, however, cannot be faulted for the ambiguity resulting from the title of their anthology, since it reflects one of the most important methodological challenges of Manichaean Studies — i.e., the fact that Manichaeism tends to challenge and blur the literary, linguistic, and socio-historical restraints that are imposed upon it. Manichaeans, whether in Egypt or Central Asia, tended to be mobile, commercially minded, highly literate, and multi-lingual. Such characteristics led to the rapid diffusion of their doctrines and practices in a wide variety of cultural and geographic areas. Thus, if such an introductory collection of texts is to be pedagogically useful, it is important for the editors to provide a sense of where Manichaeism came from, who its founder was, and what it taught. An anthology that focused exclusively on Manichaeism in the Roman world might seem superficial without the context provided by texts such as the Homilies and the CMC. Besides, it should be remembered, as Peter Brown pointed out in his classic article on the “Diffusion of Manichaeism in the Roman Empire” (1969) that Manichaeism came into existence in the dynamic cultural matrix of Aramaic Mesopotamia, on the margins of both the Roman and Sassanian empires, margins that in actual fact were in a constant state of flux. As a result, any attempt to define Manichaeism as a uniquely Hellenic, Semitic, Roman or Persian phenomenon fails to do justice to the complex environment from which it emerged and in which it was engaged. Thus, if this volume is intended to provide an introduction to Manichaeism for students of Roman history or early Christianity, and to distinguish itself from previous anthologies, then the title should be allowed to stand.

Other aspects of Gardner and Lieu’s anthology that are worthy of note are the “List and Concordance of Texts”[35] and the “Glossary” of Manichaean terms and divine beings. Both of these indices will prove extremely useful to the uninitiated. It should also be mentioned that the 45 pages of introduction do a great deal to situate the reader within the history of both Manichaeism itself and the compelling story of its continuing rediscovery. In the absence of an accessible, introductory textbook about Manichaeism in English, this introduction serves as a useful and up-to-date initiation.

In sum, then, Gardner and Lieu have met a great need by providing English-speaking readers and class-rooms with a readable and teachable anthology that will hopefully facilitate the inclusion of this important late antique religious movement in the curricula of Religious Studies and Ancient History departments from which Manichaeism has all too often been ignored or excluded.

Timothy Pettipiece

Éditions et traductions

13. Atanasio,Trattati contro gli ariani. Introduzione, traduzione e note a cura di Pietro Podolak. Roma, Città Nuova Editrice (coll. « Testi patristici », 173), 2003, 361 p.

Nous saluons avec joie l’édition en italien[36] de l’ouvrage dogmatique fondamental d’Athanase d’Alexandrie, Discours contre les Ariens. Cette oeuvre nous fait découvrir à la fois la personnalité d’Athanase et le théologien qu’il était, appelé « le Grand ». Succédant à Alexandre en 328 sur le siège métropolitain d’Alexandrie, Athanase passe tout son épiscopat à défendre contre les ariens le Symbole de foi, signé par les « quelque 300 pères » présents au premier concile oecuménique à Nicée en 325, et dont la pierre d’achoppement était le terme « homoousios ». Même s’il a dû subir plusieurs fois l’épreuve de l’exil, « le pape d’Égypte » se donne les moyens de garder le contact avec ses fidèles afin de les encourager à vivre dans la foi au Christ, vrai Dieu et vrai homme, foi héritée des Évangiles et prêchée par les Apôtres.

Dans la courte introduction à la présente édition, Podolak nous présente le contexte socio-religieux dans lequel Athanase est amené à rédiger ses traités Contre les Ariens (C.A.). Tout d’abord, il nous initie à la doctrine d’Arius et à la réaction du concile de Nicée. Ensuite, il résume brièvement les disputes doctrinales post-nicéennes en nous rappelant les cinq exils subis par Athanase, le défenseur acharné de la foi nicéenne. Enfin, il présente l’état de la question sur la paternité et la datation de l’ouvrage. Concernant la paternité des trois traités athanasiens, il faut souligner l’intention louable de Podolak de mentionner brièvement les thèses existantes sur le sujet, dont celle de Kannengiesser[37] qui a fait l’objet de critiques assez vigoureuses de la part de Stead. La majorité des chercheurs s’accordent aujourd’hui pour attribuer à Athanase les trois premiers traités, avec comme arguments que les préoccupations fondamentales de l’Alexandrin s’y trouvent : centralité de l’incarnation du Logos, souci scripturaire dans l’argumentation de sa doctrine, procédés rhétoriques communs aux trois traités, utilisation des mêmes images pour expliquer les relations entre le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, les normes exégétiques formulées dans le premier traité qui font aussi surface dans le troisième et ultime livre de l’oeuvre. Quant au quatrième traité, qui n’apparaît même pas dans cette édition[38], plus personne ne défend sa paternité athanasienne aujourd’hui. Pour la datation de l’ouvrage, l’éditeur choisit l’année 340 comme date de la composition des deux premiers traités. Le troisième traité aurait été composé un peu plus tardivement, soit en 345-346[39]. Il ressort du C.A. 1, 1 4 que le destinataire de l’ouvrage pourrait être le propre public d’Athanase, dont il a charge d’âme en tant que pasteur. La méthode utilisée par Athanase est donc celle de l’exposition catéchétique et pastorale plutôt que celle de la synthèse théologique ou philosophique, son but étant de garder les fidèles des « pièges des ariens ».

Le premier traité s’ouvre par une introduction générale qui résume la teneur et le but de l’ouvrage. Athanase expose la doctrine qu’il entend combattre tout au long de son travail, et qu’il tire de l’ouvrage principal d’Arius, la Thalie. Ensuite, il reprend les grands thèmes discutés par les ariens : l’éternité, la génération, l’immutabilité et la divinité du Fils pour faire ressortir, à l’aide de l’Écriture, la véracité de la foi chrétienne en la divinité du Logos de Dieu fait homme pour notre salut. Le Fils est « homoousios » (C.A. 1, 9, 2) au Père et « homoousios » à l’homme en prenant une vraie chair au sein de la Vierge Marie. Le deuxième traité explique trois grands thèmes christologiques, cosmologiques et sotériologiques : la divinité du Fils et l’économie du salut, la divinité du Fils et la création de l’univers, le Logos de Dieu et le mystère du salut offert par philanthropie divine à tout être humain. Enfin, le troisième traité se présente sous une structure plus systématique et a une teneur plus catéchétique et pastorale. Quatre thèmes sont pris en considération et sont défendus par Athanase : l’unité du Père et du Fils, l’unité des chrétiens, l’exégèse de Jn 1,14 : « Le Logos s’est fait chair » et le Logos de Dieu qui n’a pas son origine dans la volonté du Père. Chaque thème est argumenté par la constitution des dossiers bibliques, la plupart du temps les mêmes que ceux des partisans d’Arius, dont Astérius pousse à l’extrême la doctrine.

Tout au long de l’ouvrage, nous découvrons un évêque soucieux de la foi de ses fidèles. Il se plaint des ariens dont la doctrine détruit l’unité de Dieu qui a tout créé par et pour le Logos. Également, cette doctrine déchire l’unité du Christ parce qu’elle ne reconnaît pas en lui le vrai Fils de Dieu et le vrai Fils de l’homme fait chair pour notre salut. Enfin, les disciples d’Arius « blasphèment » contre le Dieu Créateur et Père qui engendre depuis toute éternité son Fils Unique. La Trinité, fondatrice de l’économie du salut, est désunie en faisant intervenir dans sa composition de l’incréé, le Père, et du créé, le Fils et l’Esprit-Saint. C’est pourquoi Athanase n’hésite pas à nommer la doctrine arienne « orgueilleuse », car elle prétend tout connaître de Dieu. Sans le dire comme Irénée de Lyon (Adversus Haereses 5, 20, 2), Athanase laisse entendre dans son oeuvre que l’enseignement des ariens est comparable au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, et que celui qui y goûte est expulsé de l’Église qui est le vrai paradis de la vie.

Cette édition italienne du Contra Arianos se distingue par les nombreux renseignements que nous trouvons dans les notes en bas de page, par la clarté et la qualité de la traduction et par trois index, qui nous permettent un meilleur repérage dans l’oeuvre athanasienne. Nous pouvons déplorer, toutefois, la brièveté de la bibliographie sélective proposée. Également, nous attendions un développement plus consistant des enjeux majeurs et des répercussions que cette oeuvre eut pour la postérité chrétienne.

Lucian Dîncã

14. Le Mystère du Christ. Contre Apollinaire (ive s.), le défi d’un Dieu fait homme. Athanase, La lettre à Épictète. Pseudo-Athanase, De l’Incarnation contre Apollinaire, I-II. Grégoire de Nysse, Réfutation de l’« Apodeixis » d’Apollinaire. Introduction, traduction, notes, index par Raymond Winling. Paris, Migne (coll. « Pères dans la foi », 89-90), 2004, 316 p.

La collection « Pères dans la foi » s’enrichit en présentant la traduction française de trois ouvrages significatifs pour une meilleure compréhension du débat christologique et trinitaire au quatrième siècle. La doctrine arienne, condamnée à Nicée en 325, négation de la vraie divinité du Fils, trouve son pendant dans la doctrine d’Apollinaire de Laodicée, négation de la pleine humanité du Christ. Grand défenseur de la doctrine nicéenne et ami d’Athanase d’Alexandrie, Apollinaire commence à enseigner une doctrine selon laquelle le Logos aurait assumé de la Vierge Marie un corps humain composé de trois éléments : âme, νοῦς et chair. Dans cette doctrine « orthodoxe » à première vue, l’évêque de Laodicée ajoute que le νοῦς humain est remplacé par le Logos divin. Cette affirmation le conduit à défendre la préexistence de la chair du Logos, son statut coéternel avec la divinité et sa consubstantialité avec οὐσία divine. Également, étant donné que le Logos divin remplace le νοῦς humain, il est contraint d’accepter les souffrances, la passion et la mort de la divinité sur la croix de même que sa descente dans le tombeau. À cette doctrine, ses disciples ont ajouté d’autres spéculations plus extrêmes : le Logos s’est changé en chair ou, du moins, il subit une certaine déchéance dans l’incarnation ; le corps du Logos vient du ciel, il est céleste, par conséquent il ne peut pas venir de Marie par la voie habituelle des naissances humaines ; la chair du Logos est consubstantielle à Dieu parce qu’elle est formée de la substance divine du Logos. Dans l’introduction de cette traduction française, R. Winling remarque qu’Apollinaire lui-même condamne les dérives de certains de ses disciples (p. 16-17).

Malgré l’amitié qu’Athanase et Basile portent à Apollinaire, ils se rendent compte du danger de sa doctrine pour la foi de l’Église. Ils affirment qu’après avoir été un défenseur acharné du nicéisme, l’évêque de Laodicée a bouleversé la doctrine chrétienne de l’incarnation. Si le Logos n’assume pas tout l’homme (âme, νοῦς, chair), il n’est pas sauveur de tout l’homme, car ce que le Logos n’a pas assumé dans l’incarnation ne peut être sauvé. Attribuant au Fils de l’homme une humanité imparfaite, amputée du νοῦς, Apollinaire se situe au même niveau qu’Arius qui attribuait au Fils de Dieu une divinité imparfaite. Le pape Damase, Épiphane, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse ont pris position face à la doctrine apollinariste, qui a connu un fractionnement en deux groupes après la mort d’Apollinaire : les intransigeants ou synousiastes, défendant l’union du Logos et de la chair en une seule essence, et les modérés, évitant les positions extrêmes de la doctrine apollinariste. Ils écartent la notion de la consubstantialité avec la divinité de la chair du Logos incarné. Le premier groupe défend donc un apollinarisme radical, tandis que le second reste attaché à la thèse fondamentale d’Apollinaire selon laquelle dans le Christ il n’y a pas de νοῦς humain. Ce groupe finira par adhérer à la foi de la grande Église.

Dans le présent ouvrage, Winling rassemble trois des ouvrages majeurs rédigés contre la doctrine apollinariste naissante. La Lettre à Épictète est une réponse d’Athanase sur des questions christologiques posées par l’évêque de Corinthe : consubstantialité de la chair du Christ à la divinité du Logos, changement du Logos divin en chair, souffrances et passion de la divinité, naissance du corps du Christ de Marie, Quaternité ou Trinité dans la divinité, etc. Il est intéressant de remarquer qu’Athanase ne fait aucune allusion dans cette Lettre à la doctrine fondamentale d’Apollinaire sur le νοῦς humain, alors qu’il aborde tous les autres points qui en découlent et qui sont défendus soit par Apollinaire lui-même, soit par ses disciples les plus intransigeants. La méthode suivie par Athanase est de prendre les thèses une à une en les évaluant à l’aune des Écritures, de l’enseignement apostolique et des synodes ecclésiastiques afin de confondre ceux qui les propagent et que cesse l’enseignement de telles doctrines pleines de honte pour la foi. À la fin de la Lettre, l’évêque d’Alexandrie encourage Épictète à exercer son autorité d’évêque en proposant la foi de l’Église aux fidèles telle qu’elle a été signée à Nicée. De l’Incarnation contre Apollinaire I-II, un ouvrage faussement attribué à Athanase, a été rédigé peu après 373. Déjà, Le Nain de Tillemont avait remarqué que le style n’était pas celui de l’évêque alexandrin. L’auteur, probablement un disciple proche d’Athanase, répond aux questions d’un proche (« mon très cher »), qui lui demande des clarifications au sujet de la foi face à tous ceux qui se réclament du Symbole adopté à Nicée tout en proclamant des doctrines « étrangères ». Après la liste des erreurs, semblable à celle de la Lettre à Épictète, l’auteur prend une à une ces doctrines en établissant les critères selon lesquels une doctrine doit être reconnue vraie : conforme à l’Écriture, enseignée par le Christ, prêchée par les apôtres, définie par les synodes ecclésiastiques. Le premier traité condamne d’abord toute une série d’erreurs groupées autour du thème central : la chair incréée du Logos. L’auteur s’attache ensuite à démontrer l’impiété de la doctrine selon laquelle le νοῦς humain serait remplacé par le Logos divin dans le Christ. Retrancher au Christ le νοῦς, c’est aller à l’encontre du message évangélique qui nous présente la mission du Christ aboutissant avec la passion, la mort et la résurrection. La question de fond du second traité est la conséquence de l’assomption par le Logos d’un νοῦς humain : la peccabilité du Christ. L’auteur dégage des arguments bibliques en faveur de l’incarnation du Logos ayant assumé un corps en tout semblable au nôtre, excepté le péché, pour rendre à l’homme l’incorruptibilité et l’immortalité. Le Christ est Sauveur de tout l’homme parce qu’il assume tout l’homme. Enfin, le troisième écrit édité dans cet ouvrage est une Réfutation par Grégoire de Nysse de l’ouvrage dogmatique fondamental d’Apollinaire, l’Apodeixis. Celui-ci comprenait deux parties : la première était une réfutation de la thèse selon laquelle le Christ serait un homme inspiré sur lequel serait descendu l’Esprit comme sur les prophètes, et la seconde présentait la défense de la thèse d’Apollinaire selon laquelle le Christ est à comprendre comme « Théos ensarkos — Dieu dans la chair ». Dans ce traité, l’évêque de Laodicée visait les antiochiens qui soutenaient la présence dans le Christ de l’homme parfait et de Dieu parfait. Il s’adresse aussi aux « orthodoxes » qui défendent la perfection de l’humanité et de la divinité du Christ mais sans expliquer le mode d’union entre les deux. Il se propose d’expliquer cette union en éliminant le ?ο?? humain remplacé par le Logos divin dans le Christ. Grégoire choisit des fragments de cet ouvrage pour réfuter des erreurs doctrinales présentées la plupart du temps sous le couvert de l’orthodoxie nicéenne. Nous devons reconnaître à Grégoire un double mérite : d’une part il nous donne une vue d’ensemble de l’écrit dogmatique d’Apollinaire, et, d’autre part, en le réfutant, il contribue à la formulation christologique qui aboutira à Chalcédoine en 451 par l’affirmation de la double nature dans le Christ, divine et humaine, sans mélange ni confusion dans une unique personne.

Le lecteur découvre un livre accessible à tout public familiarisé, ne serait-ce que peu, avec les débats christologiques et trinitaires du quatrième siècle. Winling met à la disposition du lecteur une introduction succincte à la vie et à la doctrine d’Apollinaire et d’abondantes notes explicatives en bas de page pour une meilleure compréhension de la pensée des auteurs mentionnés. À la fin de l’ouvrage, le traducteur nous offre également un intéressant glossaire des termes théologiques apparaissant dans les textes, ainsi que trois index, biblique, des auteurs cités et thématique. Enfin, une courte bibliographie sélective introduit aux dernières recherches sur l’apollinarisme et ses adversaires.

Lucian Dîncã

15. Jean Philopon,La Création du monde. Traduction par Marie-Claude Rosset et Marie-Hélène Congourdeau ; introduction, notes et guide thématique par Marie-Hélène Congourdeau. Paris, Migne (coll. « Pères dans la Foi », 87-88), 2004, 318 p.

Cet ouvrage offre la première traduction française du traité sur La création du monde de Jean Philopon[40]. Ce traité, dont le titre grec se traduit plutôt par Exégèse sur la cosmogonie de Moïse, est divisé en sept livres. Les livres I et II portent tous deux sur le premier jour de la création ; le livre III, sur le second ; le livre IV traite des troisième et quatrième jours ; les livres V et VI portent respectivement sur le cinquième et le sixième jour ; et finalement, le livre VII poursuit sur le sixième jour et conclut sur la création en six jours suivis d’un jour de repos. Cette structure en sept livres n’est donc pas directement calquée sur le schéma biblique des « six jours de la création augmentés du sabbat » (p. 26), contrairement à ce que suggère Mme Congourdeau dans l’introduction de l’ouvrage.

Bien qu’il procède de façon assez systématique, Jean Philopon ne se laisse ainsi pas contraindre par la structure du texte biblique et se permet plusieurs digressions. Le but de son entreprise n’est pas simplement de fournir un nouveau commentaire du premier récit de la création, sa visée est avant tout apologétique et polémique. En effet, l’auteur veut défendre la position de Basile de Césarée contre les attaques des tenants d’une lecture littérale de la Bible. Il entreprend donc de poursuivre l’oeuvre de Basile visant à démontrer la compatibilité de la Bible avec les sciences profanes, en s’attaquant cette fois aux « passages de la lettre qui sont plus difficiles et qui ne semblent pas s’harmoniser avec la nature » (V, 1). Du même souffle, il condamne ses opposants de l’école asiatique qui, par leur approche littérale des Écritures, rejettent la science des philosophes comme inconciliable avec la Révélation, seule vérité. Le lecteur est donc plongé au coeur d’un débat entourant l’interprétation de la Bible et la place accordée à celle-ci dans le monde de l’époque. On voit alors s’affronter deux écoles, celle d’Alexandrie et celle d’Antioche, avec leurs principaux protagonistes, soit Basile de Césarée et Théodore de Mopsueste et leur disciple respectif, Jean Philopon et Cosmas Indicopleustès[41].

Dans son introduction, Mme Congourdeau trace les grandes lignes de ce débat afin de permettre au lecteur d’aujourd’hui de replacer les propos de l’auteur dans leur contexte historique. Des notes infrapaginales éclairent aussi le lecteur en identifiant les auteurs et en citant, lorsque nécessaire, les opinions auxquelles Jean Philopon réagit. Le travail de Mme Rosset et Mme Congourdeau est ainsi merveilleusement adapté au lectorat ciblé par la collection « Pères dans la foi ». De l’avant-propos sur la relation entre la Bible et la science à travers les époques, à l’index thématique qui résume et commente tout le traité, cet ouvrage a été conçu de façon à permettre à un public cultivé, mais non spécialisé, de faire une lecture profitable de l’oeuvre. Notons également que la traduction, parfois accompagnée de notes explicatives, adopte un vocabulaire et une syntaxe clairs et accessibles.

« Nous savons tous que la terre tourne autour du soleil, et il y a quelque chose d’émouvant à voir Jean déployer tant d’astuces et d’intelligence pour nous prouver le contraire » (p. 297). Cette phrase de Mme Congourdeau introduit bien la question de l’intérêt de l’oeuvre de Jean Philopon dans le contexte actuel. Le développement et les intérêts scientifiques du sixième siècle alexandrin forment la toile de fond du traité, lui conférant ainsi un grand intérêt pour l’histoire des sciences et du développement de la connaissance. Par le portrait qu’il trace des débats entre les écoles asiatiques et alexandrines, il s’impose également comme une source importante pour l’histoire du christianisme. Or, la grande richesse de La Création du monde de Jean Philopon est avant tout d’offrir un magnifique exemple d’exégèse chrétienne bien enracinée dans son contexte intellectuel. On constate aussi que l’approche de Jean est résolument moderne. Son commentaire est construit selon l’objectif présumé de l’auteur de la Bible. Puisque pour lui, Moïse n’est ni physicien ni philosophe, mais avant tout théologien, Jean Philopon ne cherche pas dans le récit de la Genèse des explications du monde et de sa création, mais tente simplement de démontrer que la Bible et les phénomènes sont en accord.

Moa Dritsas-Bizier

16. Grégoire le Grand (Pierre de Cava),Commentaire sur le Premier livre des Rois. Tome III (III, 38-IV, 78), Tome IV (IV, 79-217) et Tome VI (1-116). Introduction, texte, traduction et notes par Adalbert de Vogüé. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 432, 449 et 482), 1998, 2000 et 2004, 480 p., 340 p. et 264 p.

Attribué traditionnellement à Grégoire le Grand, ce Commentaire sur le Premier livre des Rois est paru en six tomes. Nous avons recensé les tomes III, IV et VI pour la présente chronique. Moine de la Pierre-qui-Vire, Adalbert de Vogüé est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés au monachisme, particulièrement à la règle de saint Benoît, qu’il a éditée pour la collection « Sources Chrétiennes ».

Le tome III débute par un avertissement (p. 9-10). L’A. mentionne en effet qu’il a fait une découverte qui remet en question l’attribution traditionnelle du Commentaire des Rois au pape Grégoire. Cette découverte est expliquée avec plus de détail dans l’introduction du tome IV. L’A. y précise d’abord qu’il fit la lecture d’une chronique inédite du douzième siècle provenant de l’abbaye de Venosa publiée en 1995 par Hubert Houben. Le chroniqueur mentionne qu’un abbé de ce monastère, Pierre Divinacellus (1141-1156), « avait écrit un commentaire très savant sur les Livres des Rois jusqu’à l’onction de David », ce qui correspond exactement à l’oeuvre que nous possédons. De plus, l’unique manuscrit du Commentaire des Rois date du douzième siècle et provient de l’abbaye de Cava, communauté à laquelle appartenait Pierre Divinacellus avant d’être envoyé avec 12 frères pour relever la communauté défaillante de Venosa. Pierre Divinacellus était également l’auteur d’une Vitae quatuor priorum abbatum Cauvensium, qui était un véritable pastiche des Dialogues de Grégoire le Grand. Cette nouvelle découverte permet donc d’expliquer la parenté, mais surtout les différences entre ce Commentaire des Rois et les autres oeuvres authentiques de Grégoire le Grand.

Hormis cette importante découverte qui permet de changer l’attribution du Commentaire des Rois, les trois tomes recensés offrent au lecteur d’excellentes introductions présentant les thèmes principaux du commentaire ainsi que certaines données linguistiques et stylistiques. L’A. du Commentaire des Rois s’intéresse principalement au sens typique, moral et spirituel à donner au Premier livre des Rois. Il y dénonce également les comportements des prêtres, des évêques et des moines qu’il accuse, entre autres, de manquement à la chasteté. L’édition et la traduction du texte sont excellentes si l’on fait exception de quelques coquilles. Chaque tome est complété par des index, des tables et des cartes qui sont très utiles au lecteur.

L’apport d’Adalbert de Vogüé marque donc un tournant dans l’histoire de la recherche sur le Commentaire des Rois. Même si c’est avec regret qu’il renonce « à voir dans ce beau commentaire biblique l’oeuvre du grand spirituel qu’était Grégoire » (tome III, p. 10), sa contribution a le mérite de situer cette oeuvre dans l’espace et dans le temps, ce qui ouvre de nouveaux horizons de recherche pour les spécialistes de l’époque médiévale.

Steve Johnston

17. Gregory of Nazianzus, Select Orations. Translated by Martha Vinson. Washington, D.C., The Catholic University of America Press (coll. « The Fathers of the Church », 107), 2003, xxxiii-251 p.

Grégoire de Nazianze n’a pas eu, dans le monde anglophone, un sort comparable à ses amis et confrères Grégoire de Nysse et Basile de Césarée. Jusqu’à tout récemment, une large part de son corpus oratoire n’avait pas été traduite dans la langue de Shakespeare, une lacune étonnante que l’ouvrage de Martha Vinson (ci-après V.), professeur d’études byzantines à l’Université de l’Illinois, vient en partie combler. Pour quiconque s’intéresse à la patristique, la parution de ce volume est donc la bienvenue.

Il faut d’abord reconnaître que le projet a du mérite. V. nous offre la traduction de 19 discours (VI ; IX-XI ; XIII-XV ; XVII ; XIX ; XX ; XXII-XXVI ; XXXII ; XXXV ; XXXVI et XL), précédée d’une courte introduction générale de 10 pages abordant l’oeuvre et la vie du théologien. Le tout est complété par une bibliographie et deux index. La plupart des discours présentés apparaissent en anglais pour la première fois. Dans les autres cas, il s’agit plutôt de fournir une nouvelle traduction, l’ancienne remontant parfois — c’est le cas des discours XIV et XV — aussi loin que le début du dix-huitième siècle. En partie en raison du manque d’accessibilité à ses oeuvres, Grégoire souffre d’une réputation malheureuse : celle d’un prélat détaché des affaires mondaines et souverainement préoccupé de sa seule personne. Il était donc impératif pour V. de rendre enfin accessibles les textes qui ne l’étaient que partiellement, voire pas du tout, mais aussi de corriger ce préjugé, en incluant des morceaux moins connus illustrant la vie et l’action publique de Grégoire de Nazianze.

Il est à déplorer que V. n’ait pas porté jusqu’au bout la logique de son programme. En effet, la sélection qu’elle présente est explicitement considérée comme un négatif, ou plutôt comme un complément des 24 pièces qui figurent déjà dans le septième volume de la vénérable Select Library of Nicene and post-Nicene Fathers. Mais cet ouvrage est déjà plus que centenaire : il date de 1894[42]. Il aurait été opportun de refaire le travail à neuf. Les éditeurs de la collection « The Fathers of the Church » auraient dû saisir l’opportunité et offrir, comme C. Moreschini l’a fait en italien en 2000, un volume où figureraient tous les discours du Nazianzène[43]. Le projet n’a rien d’irréalisable : la collection publie régulièrement des ouvrages d’une dimension comparable à celle qui serait nécessaire à une telle entreprise. Même si le choix de textes de V. a du mérite, combien aurait-il été pratique de pouvoir trouver en anglais, sous une seule couverture, toutes les oeuvres oratoires de notre évêque ? La peine et le labeur supplémentaires auraient été bien investis.

L’introduction du volume, bien qu’offrant une mise en contexte fort instructive pour les 19 discours ainsi que quelques considérations sur les procédés littéraires employés par Grégoire, demeure un peu courte. Il en est de même pour l’appareil extratextuel, qui ne s’en tient souvent qu’au strict nécessaire. Le lecteur non-spécialiste, à qui cet ouvrage s’adresse au premier chef, a besoin de toute l’aide disponible. Peut-être aurait-il fallu être plus généreux.

La traduction qu’offre V. est d’une teneur admirable ; elle s’éloigne rarement du sens littéral du grec, et l’élégance de la langue de Grégoire ne souffre pas trop aux dépens de la tenue de l’anglais. Il faut en revanche préciser que la traduction porte les stigmates d’un effort constant en vue de la lisibilité. La poursuite à tout prix d’un tel objectif anéantit trop souvent la période ample de l’évêque cappadocien en la tronquant en parties plus petites, donc plus « digestes » pour le public ciblé. Il est vrai que ce dernier pourrait fort bien être étourdi autant par la virtuosité rhétorique de l’original grec que par les idiosyncrasies propres à une traduction plus littérale du texte. Choisir la lisibilité aux dépens de la précision n’est pas toujours une vertu et, dans ce cas, il s’agit d’un compromis qui risque à plus d’un endroit de ne pas rendre justice à l’art oratoire de Grégoire de Nazianze. Les six premières lignes du discours 32 sont en ce sens, extrêmement représentatives :

Ἐπειδὴ συνεληλύθατε προθύμως, καὶ πολυάνθρωπος ἡ πανήγυρις, καὶ διὰ τοῦτο μάλιστα καιρὸς ἐργασίας, φέρε τι δῶμεν ὑμῖν ἐμπόρευμα, εἰ καὶ μὴ τῆς προθυμίας ἄξιον τῆς κοινῆς, ἀλλά γε τῆς δυνάμεως τῆς ἡμετέρας μὴ ἐνδεέστερον. Ἡ μὲν γὰρ ἀπαιτεῖ τὰ μείζω, ἡ δὲ εἰσφέρει τὰ μέτρια (XXXII, 1, éd. Moreschini, SC, 318).

Our festival is well attended and you have gathered here in eager anticipation. And so a splendid opportunity presents itself for me to ply my trade. Allow me then without further ado to offer you a sampling of my wares. It is a moderate one and cannot meet the anticipation you all have, which expects more, yet is in keeping with my ability ; one does better to contribute what one can than not to make efforts at all (Vinson, p. 191).

Les exordes de discours posent, bien entendu, de redoutables défis aux traducteurs. Il s’agit de parties souvent extrêmement travaillées et au caractère « rhétorique » très prononcé. V. a pris le parti de découper la première phrase en quatre petits énoncés, ce qui brise considérablement le rythme de l’original. La traduction ne rend pas la symétrie très nette, accentuée par les particules μὲν… δὲ, de la dernière phrase. Enfin, l’expression « it is a moderate one » ne trouve pas d’équivalent en grec ; au mieux, il s’agit d’une large paraphrase du propos, au pire, d’un ajout pur et simple. On trouve malheureusement ce genre de défauts un peu partout au fil de la lecture. Mais que le lecteur ne s’y trompe pas : l’ouvrage de V. possède d’indéniables qualités et fournira sans aucun doute une solide base pour ceux qui s’initient à l’oeuvre de Grégoire de Nazianze.

Jean-Michel Lavoie

18. Antje Kolde, Politique et religion chez Isyllos d’Épidaure. Basel, Schwabe & Co AG Verlag (coll. « Schweizerische Beiträge zur Altertumswissenschaft », 28), 2003, xvi-443 p.

Le poète Isyllos d’Épidaure était totalement inconnu avant la découverte et la publication, en 1885, de la grande inscription versifiée qu’il fit graver et ériger dans le sanctuaire d’Asclépios, et il est resté une figure obscure de la littérature grecque malgré l’étude que lui consacra U. von Wilamowitz en 1886 et malgré les éditions parues dans les deux ou trois décennies qui suivirent sa découverte, la dernière en date étant celle de F. Hiller von Gaertringen dans la seconde édition des Inscriptiones Graecae IV, 1 (1929). Les auteurs antiques et byzantins n’ayant gardé aucune trace de lui, les seuls renseignements dont nous disposons à son sujet sont ceux, bien maigres, que livre l’inscription elle-même. Ainsi, nous savons avec certitude qu’il se nommait Isyllos, qu’il était originaire d’Épidaure et que son père s’appelait Socrate. Pour le reste, l’inscription nous permet seulement de deviner qu’il avait des affinités politiques avec le parti aristocratique et prospartiate, de supposer qu’il était d’une famille noble et aisée, de conjecturer qu’il revêtit peut-être la fonction de prêtre d’Asclépios, et, quant à l’époque à laquelle il vécut, de discuter trois datations possibles à partir de la mention qu’il fait d’une attaque menée contre Sparte par un Philippe de Macédoine, événement dont il fut témoin alors qu’il n’était encore qu’un jeune garçon : une datation « haute » en 338 (en référence à Philippe II), une datation « moyenne » vers 317-316 (sous Philippe III) et enfin une datation « basse » en 218 (sous Philippe V), proposée par F. Blass et d’autres, mais rejetée par A. Kolde. L’inscription elle-même, divisée en sept segments dont cinq sont versifiés, commémore l’institution par Isyllos d’une nouvelle loi sacrée en l’honneur d’Asclépios, dont elle relate les circonstances, et célèbre la puissance du dieu dans un chant cultuel racontant le mythe de sa naissance et son intervention en faveur de Sparte. Nous ignorons toutefois si Isyllos est vraiment l’auteur du texte de l’inscription ou s’il s’est contenté d’en passer la commande à un écrivain attaché au sanctuaire d’Asclépios.

L’étude d’A. Kolde offre au lecteur une mise à jour détaillée de toutes les questions que soulève cette inscription intrigante. Devant la brièveté du texte (79 lignes) et face aux incertitudes qui l’entourent, le titre du livre paraît néanmoins un peu surfait : il fait passer Isyllos pour un auteur dont l’étendue de l’oeuvre permettrait et justifierait une étude générale des concepts de politique et de religion, comme on la ferait pour un Platon ou un Thucydide, alors qu’en réalité, il s’agit d’un commentaire détaillé de l’inscription, doublé d’une étude sur son contexte historique, politique et religieux. Ce détail formel n’enlève toutefois rien à la valeur des recherches entreprises par A. Kolde.

L’ouvrage se divise en deux parties. La première est consacrée au texte même de l’inscription, dont elle fournit une édition et une traduction (chap. 1, p. 1-15), ainsi qu’un commentaire linéaire (chap. 2, p. 16-222). La seconde comporte trois chapitres de synthèse portant sur les aspects littéraires du texte (chap. 3, p. 223-256), sur la date et le contexte politique de l’inscription (chap. 4, p. 257-301) et enfin sur ses composantes religieuses et mythologiques en relation avec le culte d’Asclépios (chap. 5, p. 302-333). Après une brève conclusion (p. 334-337), l’étude se poursuit par une annexe double, offrant les textes et traductions d’un choix de lois sacrées (p. 338-351) et des légendes de la naissance d’Asclépios (p. 352-363), ainsi que par un important appendice sur l’épiclèse Σωτήρ (p. 364-398), et se termine par une bibliographie et un quadruple index (général, mots grecs, noms propres, passages cités).

L’édition du texte est basée sur une autopsie de la pierre et est munie d’un important apparat critique faisant état des lectures divergentes proposées par les éditeurs successifs. On saluera la présence d’une photographie de l’inscription en p. xvi, heureux complément aux éditions antérieures, tout en regrettant qu’elle soit si petite et incomplète (elle ne couvre que les lignes 1-60). La disposition du texte reproduit fidèlement celle de la pierre, sauf pour la ligne 28, qui a été transcrite en retrait sans qu’une justification n’en soit donnée dans l’apparat critique ni dans le commentaire à cette ligne (en fait, le lecteur doit faire quelques recherches avant de comprendre qu’on a voulu marquer graphiquement qu’il s’agissait d’un hexamètre à double catalexe).

La traduction est fidèle au texte grec, mais elle n’est pas exempte de maladresses et de fautes de français. Ainsi, le bon usage veut qu’on utilise le conditionnel après l’expression « au cas où », ce qui n’est pas respecté pour la traduction de la l. 8. Semblablement, dans le segment 3, l’utilisation du mot « citoyens » comme adjectif est incorrecte, à moins que l’article n’ait été oublié devant le nom (« le courage et le respect [des] citoyens » ?). Dans ce même segment, la succession d’infinitifs expliquant le contenu de la loi dans le texte grec est malencontreusement interrompue dans la traduction, rendant le texte peu compréhensible à la première lecture. Dans l’ensemble, malgré les justifications avancées par A. Kolde en p. xiv, la traduction se lit mal.

Le commentaire, pour sa part, est de très bonne facture. Après une courte discussion de la structure générale du texte, vient une section consacrée à la présentation détaillée des schémas métriques des cinq segments rédigés en vers. Nécessairement technique, cette section pèche par une présentation trop mécanique des résultats de l’analyse métrique, dont certains n’apportent rien à la discussion. On regrettera aussi que les signes graphiques utilisés pour marquer les césures et les limites des pieds soient si peu différenciés, altérant ainsi la clarté des schémas métriques. Par ailleurs, pour éviter les recoupements et les renvois internes, il aurait sans doute été préférable de regrouper toutes les observations sur la métrique au même endroit plutôt que d’en réserver certaines aux sections introductives des divers segments dans le commentaire.

Le commentaire à proprement parler est linéaire et suit la subdivision du texte en sept segments, offrant pour chacun d’eux une analyse prosodique, structurale et dialectale avant d’en expliquer le texte ligne par ligne. Le choix des lemmes est judicieux, les explications sont pertinentes et le commentaire précis. Sans conteste, A. Kolde a fait un très bon travail de recherche et l’une de ses qualités est de ne pas avoir hésité à offrir au lecteur des discussions plus approfondies sur certaines notions ou certains aspects plus problématiques, constituant ainsi de petites mises au point individuelles fort utiles, par exemple sur αἰδώς (p. 76-79), καλοκαγαθία (p. 89-95), εὐνομία (p. 97-102), ἄδυτον (p. 120-126), θάρσει (p. 198-209). Parfois, en revanche, on attendrait des explications plus détaillées. Ainsi, à la ligne 2 (p. 49), l’observation sur la multiplication du son a est judicieuse, mais on se demande si Isyllos poursuivait par là un but précis. À la l. 9 (p. 62), la remarque sur la prononciation de l’oméga et de l’omicron aurait pu être étayée d’une référence à des ouvrages spécialisés. À la l. 12 (p. 74), si la voix moyenne du verbe surprend, on aimerait précisément savoir pourquoi elle est utilisée, de même qu’à la l. 20 (p. 83), la présence d’un hapax legomenon aurait mérité plus qu’une simple mention. D’une manière générale, toutefois, les explications fournies par A. Kolde sont intéressantes et utiles et ont le mérite d’être présentées d’une façon neutre et objective qui permet au lecteur de se forger sa propre opinion en connaissance de cause.

Cette même objectivité, doublée d’une prudence de bon aloi, caractérise la seconde partie de l’ouvrage, consacrée à la discussion des aspects littéraires, politiques et religieux de l’inscription. A. Kolde ne tient rien pour acquis et analyse avec une parfaite honnêteté intellectuelle toutes les hypothèses liées à la personnalité du poète, à la date de l’inscription, à son message politique, etc. L’analyse littéraire du texte est bien menée et fait apparaître Isyllos comme un poète doté d’une honnête culture littéraire qu’il essaie de mettre au service de sa poétique, avec maladresse sans doute, mais sans tomber dans la médiocrité que lui ont reprochée les commentateurs modernes. La discussion de la date de l’inscription est elle aussi d’une grande objectivité. Pour diverses raisons qu’il serait trop long d’évoquer ici, A. Kolde propose de dater l’inscription de 280 et donne ainsi la préférence à la datation moyenne de l’expédition de Philippe mentionnée dans le texte. Pour ce faire, elle se lance dans une analyse fort pertinente non seulement des relations politiques entre Sparte et la Macédoine, mais aussi des allusions au mirage spartiate ainsi qu’aux guerres médiques contenues dans le texte d’Isyllos. Un dernier argument, basé sur un lien possible entre l’épithète σωτήρ utilisée à propos d’Asclépios et les Soteria de Delphes, institués pour commémorer la victoire des Grecs sur les Galates en 279, semble a priori plus douteux, mais la discussion, prolongée dans l’appendice, est intéressante et méritait d’être faite. L’étude se termine par une section consacrée aux divergences que le texte d’Isyllos présente par rapport aux légendes de la naissance d’Asclépios. A. Kolde démontre que ces modifications d’ordre mythographique s’insèrent dans un contexte de propagande politique et de rivalité entre lieux de culte.

L’étude d’A. Kolde est une contribution importante à notre connaissance du poète Isyllos ainsi que du contexte historique, politique et religieux qui caractérise son époque. C’est un travail de mise au point complet, utile et bienvenu. On regrettera seulement qu’il n’ait pas été soumis à une révision plus rigoureuse au moment de sa publication. Le livre comporte en effet un grand nombre d’imperfections formelles : fautes d’orthographe et coquilles typographiques, lourdeurs stylistiques, notes de bas de page répétées textuellement (cf. n. 2 p. 17 = n. 8 p. 18) ou redondantes (cf. n. 132 à 134, p. 34), incohérences (cf. n. 20, p. 2 : Käppel 1994 ? bibliographie, p. 405 : Käppel 1992), expressions curieuses (cf. p. 80 : un sens très étymologique). Par ailleurs, si la bibliographie aspire à être complète, il conviendrait d’y ajouter la notice de L. Radermacher dans Philologus, 58 (1899), p. 314-316, ainsi que les articles de M.T. Molinos Tejada sur la langue d’Isyllos (cf. Année philologique, 64 [1993], no. 3153 et 70 [1997], no. 2754).

Thomas Schmidt