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1. Ampleur du phénomène

Depuis longtemps, la criminalité du père est considérée comme un facteur pouvant mener à l’apparition de troubles psychologiques et comportementaux chez ses enfants et adolescents. Le repli sur soi, l’absentéisme scolaire, le manque de discipline ou la délinquance avérée ne sont que quelques-uns des comportements problématiques que risquent de manifester les représentants de la jeune génération (Shaw, 1987 ; Gabel, 1995 ; Johnston, 1995a ; Seymour, 1998 ; Le Quéau et al., 2000 ; Simons, 2000). L’une des études longitudinales les plus connues, celle de Cambridge en Angleterre, a permis d’établir un lien significatif entre la délinquance du garçon et celle de ses parents (Rowe et Farrington, 1997). Depuis, la question des transmissions intergénérationnelles figure parmi les thèmes prioritaires de recherche en criminologie développementale (par exemple Loeber et Dishion, 1983 ; Stewart et De Blois, 1983 ; Jaffee, Moffit et Caspi 2003). En bref, on constate généralement que les enfants de prisonniers sont de 5 à 6 fois plus susceptibles que leurs pairs d’être incarcérés à leur tour (Barnhill, 1991 : cité dans Adalist-Estrin, 1994). Il est donc naturel de postuler la pertinence d’intervenir avant que ce cycle ne soit trop engagé.

Les derniers chiffres officiels établissant la proportion d’hommes mariés et de pères parmi les détenus canadiens ont malheureusement plus de huit ans. Le Profil instantané d’une journée des détenus dans les établissements correctionnels pour adultes du Canada de 1996 indique que 31 % de 37 000 détenus sous responsabilité provinciale ou fédérale se sont alors dit mariés (Robinson, Porporino et Millson, 1998). Le document reste toutefois muet sur le nombre de pères. Cette proportion, il faut la chercher dans l’enquête de Foran qui concluait, en 1995, que 59,1 % des détenus sous juridiction fédérale canadienne avaient des enfants ou des beaux-enfants. Faute de résultats plus concluants, nous nous risquons donc à estimer qu’au Canada, plus de 25 000 enfants (31 000 détenus, 60 % de pères, 1 à 2 enfants par famille en moyenne) proviennent de familles aux prises avec le problème de l’incarcération du père.

De telles enquêtes et estimations, utiles pour mesurer l’ampleur du phénomène, ne suffisent pas cependant à rendre compte de la complexité de cette expérience familiale. Ainsi, précisons d’emblée que l’incarcération du père ne signifie pas automatiquement pour l’enfant un éclatement familial à venir. Presque une fois sur deux, la séparation des parents est survenue antérieurement à la sentence. De plus, à la séparation des parents s’ajoutent d’autres expériences : la famille a pu être victime des activités délinquantes du parent criminel, avoir assisté à l’arrestation du parent ou vivre dans l’inconnu durant la période de libération sous cautionnement (c.-à-d. en attente du procès) ; d’opaques silences peuvent empêcher tout simplement les enfants de savoir où est le père détenu ; le parent ayant la guarde et les enfants peuvent vivre de plus grandes difficultés économiques ou être confrontés à des jugements négatifs émanant de l’entourage ; des craintes peuvent surgir à propos de ce qu’il adviendra du parent dans l’univers carcéral, tandis que des dilemmes peuvent attendre les parents à propos d’éventuelles visites des enfants à la prison. En fonction de la qualité du réseau social du parent ayant la guarde, la situation pourra aussi signifier, pour ces enfants, un placement en foyer d’accueil ou en centre de réadaptation.

Voilà pourquoi la problématique des pères détenus soulève de nombreuses questions relatives aux rôles et fonctions habituellement assumés par ces derniers, aux différentes étapes qui jalonnent la peine (arrestation, détention, libération) et aux services qui pourraient être offerts aux familles. Les lignes qui suivent tentent d’éclairer ces trois questions : les deux premières sont traitées dans le cadre d’une recension des écrits, tandis que la dernière est abordée au moyen d’une étude s’appuyant sur l’analyse d’entretiens semi-dirigés.

2. Les rôles et les fonctions habituellement assumés par le père

Pour atteindre notre premier objectif, nous avons analysé un ensemble de textes traitant du rôle du père et des conséquences de son absence. Il s’en dégage que les rôles parentaux ont subi d’importantes transformations au cours des trois dernières décennies. L’arrivée des femmes sur le marché du travail et l’évolution récente des moeurs ont entraîné une redistribution des tâches familiales, ainsi qu’un engagement accru des pères auprès de leurs enfants (par exemple Dulac, 1993 ; Le Camus, 1995 ; Pleck, 1997). Nombreuses sont les études qui permettent de reconnaître que les caractéristiques interactives des mères et des pères sont distinctes et qu’elles favorisent, chez les enfants, des acquisitions déterminées. Du moins en est-il ainsi dans les familles non touchées par la criminalité (par exemple Lamb et al., 1985 ; Baruch et Barnett, 1986 ; Phares, 1992 ; 1996 ; 1999). En synthétisant de très nombreux travaux en psychologie du développement, il est possible d’avancer qu’un père présent, engagé (et non délinquant) protège normalement le lien d’attachement mère-enfant (Marvin et Stewart, 1990), incite l’enfant à explorer son environnement (Le Camus, 1995 ; 1997), socialise celui-ci au moyen du jeu (Lamb, 1997), l’aide à consolider son identité sexuelle (Stevenson et Black, 1988), son estime de soi et ses capacités d’apprentissage (Biller, 1984). Selon Belsky (1984 ; 1996), une telle complémentarité des rôles parentaux contribue à une meilleure adaptation sociale et cognitive de l’enfant.

Faisant contrepoids à ce contexte généralement favorable de l’engagement du père, des changements sociaux tout aussi importants ont affecté la vie conjugale et généré une diversification des structures familiales (familles séparées, recomposées, etc.) et de plus grands risques d’absence du père. En analysant les résultats de très nombreuses études portant sur les effets de la séparation et du divorce, Cyr (1998) nous rappelle tout d’abord que la grande majorité des enfants (70 % à 80 %) ne présente pas de difficultés sévères et persistantes à la suite de la transformation de la famille (Hetherington, 1993 ; Zill, Morrison et Coiro, 1993). Il n’en demeure pas moins que de 20 % à 30 % des jeunes s’en tirent moins bien et connaissent des problèmes de réussite scolaire, de compétence sociale, de régulation des pulsions agressives et d’impulsivité (Peterson et Zill, 1983 ; Biller, 1984 ; Guidubaldi et Perry, 1984 ; 1985 ; Johnson, 1999 ; Phares, 1996 ; 1999). De nombreuses variables modératrices/médiatrices viennent alors amplifier ou atténuer les risques, notamment : i) l’âge de l’enfant au moment de la séparation, ii) le genre de l’enfant, iii) l’évolution de la situation économique des ex-conjoints, iv) l’importance des conflits familiaux préexistants et v) le maintien de liens harmonieux à la suite de la rupture (Peterson et Zill, 1983 ; Amato et Keith, 1991 ; Hetherington, 1993 ; Shaw et al., 1993 ; Valois, 1998 ; Johnson, 1999).

La plupart des facteurs contribuant à l’adaptation des enfants de familles séparées jouent un rôle aussi important dans la modulation des réactions à l’incarcération du père. Les travaux de Johnston (1995), mettent en évidence l’effet de l’âge des enfants au moment de l’incarcération. Pour les enfants âgés de 2 à 6 ans, la détention du père peut entraîner des angoisses d’abandon, des réactions somatiques (maux de ventre, otites et insomnies) et des difficultés relationnelles avec d’autres figures d’attachement (comportements accaparants ou agressifs). Pour les enfants d’âge scolaire, ce sont plutôt les processus de socialisation et de scolarisation qui risquent d’être perturbés. Par rapport au genre de l’enfant, Gabel et Shindlecker (1993) observent que les garçons manifestent davantage de comportements de fuite, de gestes agressifs et/ou délinquants tels que le repli sur soi, l’absentéisme scolaire, l’indiscipline, alors que les filles éprouvent plus de difficultés d’attention et de concentration. La question du manque d’argent est aussi bien documentée. En fonction de l’évolution de la situation économique des familles, il peut s’installer un climat de précarité, voire de survie caractérisée notamment par l’éviction du logement ou le manque de biens essentiels tels que la nourriture ou les vêtements (Shaw, 1987 ; Davis, 1991 ; Mc Dermott et King, 1991 ; Gabel, 1992 ; King, 1993 ; Adalist-Estrin, 1994 ; Johnston, 1995c ; Beatty, 1997). Finalement, les relations conjugales antérieures et actuelles colorent assurément l’expérience de l’incarcération du père. Les études de Hairston (1989 ; 1998) montrent que les détenus mariés reçoivent plus régulièrement la visite de leur(s) enfant(s) (62 %), comparativement aux détenus séparés/divorcés (42 %) ou célibataires (20 %). Cependant, la composition de la cellule familiale est souvent beaucoup plus complexe. À ce propos, Hairston (1989) a noté qu’au moins la moitié des détenus qui ont deux enfants ou plus, les ont eus de mères différentes. De plus, environ un cinquième des pères détenus disent que leur(s) enfant(s) ne les visitent pas à cause de l’opposition de la mère (Hairston,1995) et de la persistance d’importants litiges conjugaux. Force est donc de constater que la majorité des pères incarcérés n’entretient pas de relations stables, ni de relations harmonieuses avec la mère de son ou de ses enfants (Mumola, 2000).

3. L’incarcération du père : une expérience familiale en trois temps

La deuxième question soulevée en introduction implique que l’expérience des familles soit inscrite dans une perspective temporelle. En effet, s’il est admis que, pour les enfants et les conjointes, la détention du père est habituellement vécue avec difficulté (Carlson et Cervera, 1991 ; King, 1993 ; Gabel, 1995 ; Lanier, 1991 ; 1995 ; Harrison, 1997 ; Accordino et Guerney, 1998 ; Hairston, 1998 ; Le Quéau et al., 2000 ; Simmons, 2000 ; Withers et Healy, 2001), cette épreuve doit être discutée en fonction d’étapes, à savoir l’arrestation et la procédure d’admission, la détention et la remise en liberté (Withers, 2002).

3.1. L’arrestation et l’admission en établissement

L’arrestation d’un parent par les policiers est généralement perçue comme un événement plus ou moins traumatisant, selon le cas. Selon Blanchard (2002), l’exposition directe de l’enfant à la scène reste peu fréquente dans la mesure où les forces policières cherchent généralement à l’éviter. Cela dit, cette période génère son lot de stress. Qu’il s’agisse d’une surprise ou qu’elles découlent d’activités criminelles déjà connues du père, les procédures entourant l’arrestation et l’incarcération entraînent généralement peine, colère, déception et honte chez les membres de la famille. S’y ajoutent le manque d’informations, la longueur et la complexité des procédures judiciaires. L’enfant peut alors devenir très inquiet et s’accrocher à l’espoir de voir les tribunaux innocenter son père. Il pourrait être en proie au plus grand découragement advenant le cas contraire. La mère, de son côté, vit de nombreuses épreuves : inquiétudes relatives au manque d’argent, à l’obligation d’éduquer seule les enfants ou à la possible non-réintégration sociale du père (Adalist-Estrin, 1994 ; Carr, 1995). Pour pallier la honte, elle peut être tentée de cacher les événements à ses proches (Shaw, 1987 ; Dormoy, 1992 ; Withers, 2001) et à ses enfants (Moore, 1992). Par ailleurs, il semble que l’arrestation conduise certains membres du cercle d’amis à prendre leurs distances (Shaw, 1987 ; Mc Dermott et King, 1991 ; King, 1993 ; Adalist-Estrin, 1994 ; Johnson, 1995 ; Beatty, 1997). Comme les mères, les enfants se sentent souvent stigmatisés, que ce soit par leurs professeurs ou par d’autres enfants (Clarke, Newell et Rayfield, 1991 ; Gabel, 1995 ; Beatty, 1997).

3.2. La détention proprement dite

À la suite de leur enfermement, certains hommes continuent d’investir leur paternité. Pour ceux-là, la séparation d’avec les enfants est associée à des sentiments de perte et de tristesse (Lanier, 1993 ; 1995), la culpabilité d’avoir perturbé la vie familiale (King, 1993), des regrets de ne pas avoir passé plus de temps avec les enfants (Dormoy, 1992 ; Lanier, 1993 ; 1995) et la crainte d’être oubliés (Hairston, 1989 ; Johnston et Gabel, 1995 ; Beatty, 1997). Quant aux autres, c’est-à-dire les pères qui étaient déjà distants ou ceux qui préfèrent couper les ponts, ils ont toutes les chances de voir leurs relations familiales s’effriter très rapidement, au bout de quelques semaines ou de quelques mois seulement (Hairston, 1995 ; Johnston et Gabel, 1995 ; Mumola, 2000 ; Barrette et al., 2002). Pour la mère des enfants, en règle générale, la détention du père représente une expérience de solitude (Arsenault, 1986 ; Fischman, 1990 ; Gabel, 1992 ; Gieshick, 1994), de peine et de colère, souvent accompagnée de symptômes somatiques (King, 1993 ; Accordino et Guerney, 1998). Le nombre limité de contacts autorisés (visites, téléphones et lettres), le stress et l’absence d’intimité sexuelle (Hairston, 1989) font en sorte qu’il est très complexe et difficile de maintenir une relation amoureuse (Adalist-Estrin, 1994). De fait, seulement 50 % des femmes visitent leur conjoint durant l’incarcération (Hairston, 1998). Pour les enfants, il est bien établi que la détention du père a plus d’effets délétères qu’une absence de celui-ci motivée par un divorce ou un travail à l’étranger (Richards, 1991 ; Dormoy, 1992 ; Johnson, 1995). Au fil des ans, l’enfant sera souvent tenté d’assumer un rôle parental (par exemple, devenir le confident, l’allié ou le consolateur du parent ayant la garde), cette inversion s’accompagnant d’une sorte de pseudo-maturité (Beatty, 1997 ; Eddy et al., 2001). Chez les jeunes de 11 à 14 ans, les réactions d’agressivité et d’anxiété semblent particulièrement difficiles à gérer. Shaw (1987) a observé que plusieurs enfants s’enfuient de la maison ou s’absentent de l’école lorsque leur père est incarcéré. Ces comportements perturbateurs peuvent s’accompagner de difficultés d’attention, de concentration ou de troubles sérieux du comportement (Fritsch et Burkhead, 1982 ; Johnston, 1995). En somme, si le « coeur » de détention semble être une période de récupération et de stabilisation (Withers, 2002), elle n’en exige pas moins une importante réorganisation, analogue à celle que vivent plusieurs familles monoparentales et économiquement démunies, les risques de stigmatisation en plus.

3.3. La remise en liberté et la réunification familiale

La remise en liberté engendre très souvent de nouvelles tensions pour le détenu et sa famille (Arseneault, 1986 ; Mc Dermott et King. 1991, Withers, 2002). À ce moment particulier, le principal défi consiste à redéfinir la relation entre l’enfant et ses deux parents. Des mois ou des années se sont écoulés, les uns ont appris à se passer des autres… de telle sorte que la réunification nécessite tout un processus de clarification, de négociations, d’ajustements et de compromis. À ce sujet, quelques pères nous ont déjà mentionné s’être sentis comme des étrangers lorsqu’ils ont réintégré leur famille (voir Barrette et al., 2002). Parmi les conjointes, plusieurs craignent que le père ne commence à trop choyer les enfants, avec l’intention de « rattraper le temps perdu », et qu’il n’exerce pas suffisamment son autorité. Du côté des enfants, le retour du père dans la collectivité ne rassure pas pour autant quant à la permanence de sa présence. Il pourrait bien s’agir d’un « faux retour à la maison » (Withers, 2002). Certains enfants, plus jeunes, ont du mal à composer avec le séjour du père en maison de transition, avec les allées et venues que cela comporte (Barrette et al., 2002). Sur le plan des réactions et des comportements, les jeunes enfants peuvent s’accrocher à l’un ou l’autre des parents, devenir anxieux ou être jaloux du temps que le parent de retour consacre à l’autre parent. Les enfants plus âgés, de leur côté, peuvent traiter le parent libéré comme un étranger dans la maison, manifester des comportements agressifs ou se sentir en concurrence avec le parent de retour si, durant la détention, l’enfant a été tenté d’assumer un rôle parental (devenir le confident, l’allié ou le consolateur du parent ayant la garde).

En somme, ce moment attendu et souvent idéalisé paraît à hauts risques de tension ou de déception, chacun des membres de la famille devant s’adapter au changement de la dynamique familiale et réorganiser son mode de vie. Si l’on se fie aux travaux portant sur la recomposition familiale après une séparation ou un divorce, il y a tout lieu de penser que le père de retour dans sa famille gagnera à adopter des attitudes de soutien avant de vouloir reprendre son rôle d’autorité.

4. Les programmes existants pour les familles de parents détenus

Aux plans national et international, même s’ils sont relativement méconnus, de nombreux programmes sont offerts aux familles de parents détenus (Cannings, 1990 ; Anderson et al., 1991 : Kazura, 2001). Les expériences les plus avancées de ce point de vue sont probablement les « Relais Enfants-Parents » (www.eurochips.org/presentation.html), le Center for Children of Incarcerated Parents dirigé aux États-Unis par Ann Adalist Estrin et le Regroupement canadien d’aide aux familles des détenu(e)s (Withers, 2001 ; 2003 ; Withers et Healy, 2001). Dans leur Directory of Programs Serving Families of Adult Offenders, Mustin et D’Arville (2001) répertorient plus de 300 programmes américains, parmi lesquels figurent des initiatives ayant plus de 30 ans (Prisoner Visitation and Support, fondé à Philadelphie en 1968 ou Friends Outside in Contra Costa County, fondé en Californie en 1969). On y trouve aussi des programmes plus récents, bien financés et structurés, qui ont fait école (Long Distance Dads/ Incarcerated Fathers Program, à Albion en Pennsylvanie ou encore Men Inside Loving Kids [M.I.L.K], établi en Virginie). Au Canada, le Regroupement canadien d’aide aux familles de détenu(es) (RFCAD, 2003) a répertorié près de 300 programmes, regroupés essentiellement autour des services d’aumônerie, de l’Armée du salut et de la Société Élizabeth Fry.

Plusieurs auteurs (Jorgensen et al., 1986 ; Gendreau et Andrews, 1990 ; Gendreau, 1996 ; Hairston, 1998 ; Lange, 2001) indiquent que des résultats positifs sont associés à ces programmes. L’étude de Wilczack et Markstrom (1999), notamment, conclut que les pères détenus ayant bénéficié d’une intervention familiale acquièrent des connaissances à l’égard de leur rôle parental et que le développement des enfants s’en trouve amélioré. Pour d’autres, ces programmes favorisent la réintégration sociale et réduisent les risques de récidive des détenus (Carlson et Cervera, 1991 ; Hairston, 1998). Bayse, Algid et Van Wyk (1991) rapportent que lorsque le maintien des relations familiales est soutenu, les pères détenus sont moins nombreux à retourner en prison (2 à 4 % retournent en prison) et qu’ils ont moins de problèmes disciplinaires à l’intérieur de l’institution.

Il n’existe actuellement au Québec que peu de programmes, organismes ou interventions spécialisés visant à aider les pères détenus, leurs conjointes et leurs enfants (Barrette et al., 2002). Parmi les heureuses exceptions, il faut mentionner les aumôniers des différents établissements du service correctionnel canadien, les organismes Continuité famille auprès des détenues (CFAD) et Relais Famille, ainsi que le programme « Grandir sainement avec un père détenu » de la Maison Radisson de Trois-Rivières.

Withers (2001) a tenté d’établir l’ensemble des services qui pourraient être nécessaires au soutien des parents détenus. Son inventaire comporte des informations quant aux droits et responsabilités des parents, aux interventions spécialisées en matière de toxicomanie, aux relations interpersonnelles, à la violence familiale, à la maltraitance et la négligence, au soutien des compétences parentales, à l’aide à l’emploi, à l’aide au logement et à l’aide financière, aux services de consultation/médiation familiale, ainsi qu’à un programme de réunification progressive des familles.

5. Le point de vue des principaux intéressés

Le troisième objectif poursuivi par ce texte consiste à comprendre l’expérience des pères détenus ou remis en liberté, des mères et de leurs enfants. De manière plus particulière, nous voulons savoir quels sont les besoins ressentis, les difficultés éprouvées et les stratégies d’adaptation mises de l’avant par ces familles. Comment réagissent les conjointes et les enfants à l’absence, puis au retour du père ? Quand faudrait-il proposer une intervention ? Et comment ?

5.1. Portraits de famille

Les pères interrogés dans le cadre de cette étude (n=19) séjournent en maison de transition. Ils ont en moyenne 40 ans. Plusieurs d’entre eux sont demeurés célibataires (42,1 %), malgré leur paternité. Viennent ensuite les hommes qui vivent en union libre (36,8 %), ceux qui sont mariés (et ce, depuis approximativement 10 ans : 10,5 %), puis les autres, qui se disent séparés ou divorcés (10,5 %). Tous n’en sont pas à leur première incarcération, dans la mesure où bon nombre d’entre eux ont déjà été emprisonnés une première fois dans un établissement provincial (57,9 %) ou dans une institution pénitentiaire fédérale (47,4 %). Sur le plan des antécédents, il est aussi pertinent de signaler que plus de la moitié des pères ont été pris en charge, durant leur jeunesse, par les Services sociaux ou les Centres jeunesse. Au moment de l’étude, 31,6 % de ces hommes ont été incarcérés pour une infraction liée aux drogues, 21,1 % pour un vol qualifié ou un vol à main armée, 15,8 % pour un meurtre ou un homicide, 10,5 % pour un vol ou une introduction par effraction, 10,5 % pour une fraude et 10,6 % pour une autre catégorie de délits. Durant les entretiens, les pères disent bénéficier d’une mise en liberté depuis approximativement 4,6 mois.

Trente sept pour cent des pères mentionnent avoir seulement un enfant, alors que 26,3 % en ont deux et 36,8 % en ont trois ou plus. D’autre part, plus du tiers des pères ayant plus d’un enfant affirment qu’ils proviennent de mères différentes, ce qui correspond tout à fait aux résultats trouvés par Hairston (1989). Ces enfants ont en moyenne 11,7 ans. Plus de la moitié des pères ont des enfants âgés de 2 à 12 ans. Parmi les autres, 29 % ont des adolescents de 13 à 18 ans et une proportion moins importante (18 %), des jeunes adultes de 19 à 29 ans.

Outre les 19 pères interrogés, l’échantillon comporte sept conjointes et deux enfants. En effet, chaque père était invité à nous laisser les coordonnées de la mère et de ses enfants. Il nous a fallu rencontrer environ trois pères détenus pour réussir à interviewer une conjointe (19 pères pour 7 mères) et rencontrer 10 pères détenus pour avoir la possibilité d’interviewer un enfant de plus de 12 ans (19 pères pour 2 enfants). C’est que les pères ont émis un bon nombre de réserves face à un éventuel appel de notre équipe de recherche, affirmant connaître des difficultés conjugales importantes ou vouloir épargner à leur conjointe le rappel d’événements douloureux. Au terme de cette démarche de recrutement, il apparaît assez clairement qu’à la sortie de l’univers carcéral, la sphère familiale devient souvent, pour le père, un lieu intime et bien gardé.

Les conjointes interviewées (n = 7) ont en moyenne 36,7 ans. Elles entretiennent une relation maritale ou vivent en union libre avec leur conjoint depuis plusieurs années (9 à 23 ans). Elles ont généralement plus de deux enfants à leur charge et vivent dans des conditions économiques précaires. En effet, quatre mères sur sept bénéficient de prestations de la sécurité du revenu, ce qui constitue un revenu n’excédant pas 1 400 $ par mois. Fait à noter, ces mères présentent une situation économique assez semblable à celle des familles monoparentales des Centres jeunesse du Québec (voir Pauzé et al., 2000). Finalement, les enfants (n = 2) rencontrés ont respectivement 12 et 15 ans. Il s’agit d’un garçon et d’une fille, l’un fréquentant une école de niveau primaire (6e année) et l’autre, de niveau secondaire (4 e).

Les prochaines sections s’attardent à la présentation des besoins éprouvés par les familles, des différents types d’aide qui leurs ont été offerts et des suggestions faites par les participants concernant de nouveaux services à mettre en place.

5.2. Perceptions qu’ont les familles des étapes de l’arrestation, de la détention et de la remise en liberté

Nous avons déjà dit que le parcours carcéral est ponctué d’une série de transitions pouvant être regroupées en trois temps : a) l’arrestation et l’attente du procès b) l’incarcération proprement dite et c) la remise en liberté. L’analyse de ces transitions mériterait un développement plus important que celui que nous lui réservons dans ces quelques lignes. Une discussion plus approfondie de ce volet de la recherche se trouve dans le rapport de recherche de Barrette et al. (2002). Pour l’essentiel, les propos de nos interviewés laissent supposer que l’arrestation constitue pour plusieurs un événement inattendu, voire une situation de crise. Certains membres de la famille paraissaient ignorer les activités criminelles du père et sont déconcertés lorsque survient l’arrestation. Ceci n’est toutefois pas une règle générale, les propos d’autres familles montrant que, bien souvent, certaines se doutaient des activités du père sans nécessairement s’être questionnées sur leurs répercussions possibles.

Ma femme elle s’en doutait. Ben quand tu vois ton mari avec 4-5 pagettes, c’est pas normal. Mais elle n’a jamais posé de questions, pis c’était comme ça, il ne fallait pas non plus (père 11).

Oui, j’étais avec ma femme, pis mon gars, quand que la SWAT a défoncé chez nous pour me ramasser. Ben ils ont traumatisé la famille parce que réveiller un enfant de six ans avec une mitraillette dans la face là euh… Disons que c’est pas évident. Lui ça l’a traumatisé ben gros ce trip là… Pis elle, elle n’a pas trouvé ça comique non plus (père 18).

Survient ensuite l’incarcération proprement dite qui, dans presque tous les cas, se traduit par une absence et un vide qui semblent se vivre très difficilement. À ce sujet, certaines mères soulignent avoir vécu de la solitude et de l’ennui. Parmi celles-ci, quelques-unes ont également montré des signes de dépression :

Au début, je pleurais parce que je m’ennuyais. J’ai assez pleuré cet été-là, mais c’était le stress (conjointe 6).

Après ça, ben c’est sûr que moi, la mère, j’étais… je faisais juste pleurer, pleurer, pleurer. Pis, c’est ça.. Mes parents et mes deux soeurs sont venus chacun leur tour… Faitque, ils ramassaient les morceaux (conjointe 3).

Les enfants manifestent aussi des réactions de tristesse durant l’incarcération de leur père. Ils craignent, en outre, que leur père se retrouve dans un environnement dangereux :

Oh j’étais triste parce que j’aimais beaucoup mon père, pis il me manquait, faitque c’est pour ça que j’étais triste (enfant 1).

Ma fille, elle braillait à chaque fois qu’elle partait. Elle me demandait souvent : « pourquoi tu t’en viens pas à la maison ? Je m’ennuie » (père 7).

Quant à la remise en liberté du père, elle se traduit par une réorganisation des habitudes de vie qui avaient été établies lors de l’incarcération du père. Plusieurs mères étaient en effet parvenues à organiser leur vie et doivent désormais s’ajuster au retour du père dans la famille.

Je suis tellement habituée d’être toute seule que… quand il est à la maison, et qu’on est deux à décider là… Moi je ne suis pas habituée à ce que l’autre décide : « Ben là, attends un peu, Whao ! » Non, je « dealais » très bien toute seule. Même que j’ai de la misère à m’adapter depuis qu’il est revenu (mère 4).

J’étais gênée, je te le dis, j’étais gênée. Ça faisait tellement longtemps qu’il n’était pas là que je le savais plus. Je le savais pas quoi faire t’sais. D’après moi, ça prend un temps, ça prend un temps pour revenir (mère 1).

5.3. Les interventions mises en place

Très peu de services sont prodigués aux familles des pères détenus au cours des différentes périodes entourant l’admission, la détention et la libération. La majorité des pères affirment en effet qu’aucune intervention particulière destinée à la famille ne leur a été offerte dans le milieu correctionnel, ni lors de leur mise en liberté. Bien que certains pères aient bénéficié de suivi psychologique, ils jugent les services mis à leur disposition insatisfaisants. Par conséquent, l’aide reçue provenait principalement des autres détenus, de leur conjointe ou encore de leur famille.

Faitque j’essayais de m’endurer moi-même (père 3)

On s’aidait beaucoup mutuellement. Lui (codétenu) quand il était déprimé, je l’aidais. Quand j’étais en thérapie, lui m’aidait (…) Du soutien ? Ah ! Ma blonde, j’avais ma blonde, j’avais maman (…) mais j’avais surtout ma blonde. C’est les personnes qui m’ont aidé (père 14).

La situation des mères ne semble pas bien différente. En effet, très peu de conjointes mentionnent avoir bénéficié d’interventions familiales des établissements correctionnels durant l’incarcération et lors de la libération du père. Plusieurs mères soulignent, tout comme leur conjoint, avoir plutôt bénéficié de l’aide de leur famille ou, dans quelques cas, avoir eu recours aux services d’un psychologue dans la collectivité :

Non. Je n’en demandais pas non plus. Mais, non, on a jamais eu d’aide. Si tu veux avoir quelqu’un pour t’aider, il faut que tu payes. Mais là, tu vois, t’sais euh… tu gaspilles pas d’argent pour le donner à quelqu’un pour venir t’aider euh, pis te l’enlever cet argent là, t’sais. Faitque tu as à faire face toute seule. J’ai jamais eu d’aide autre que mes parents (Mère 4).

J’ai eu beaucoup d’aide de ma belle-mère en face (…) Faitque je savais qu’elle était là. Elle nous a ben aidé, en plus de sa présence. C’était ce qu’il y avait de plus important pour moi, sa présence. Mais elle m’a ben aidé aussi avec la nourriture, puis toute… (Mère 5).

La situation des enfants est similaire, très peu de services ayant été offerts au moment de l’arrestation et durant la détention du père. Dans de rares circonstances, certains enfants manifestant des problèmes jugés importants par les parents ont bénéficié de suivi psychologique ou du soutien des professionnels de l’école. C’est le cas de quelques enfants ayant éprouvé des problèmes scolaires, des pensées suicidaires, ou de ceux dont les parents craignaient qu’ils ne se tournent vers la délinquance. Notons qu’un enfant n’a pas pu bénéficier d’aide professionnelle à son école parce qu’il a été expulsé.

On s’entraidait tous là, c’est sûr, là. Mes tantes, mes oncles, ma grand-mère, mon grand-père… (enfant 1).

Pis même, quand j’étais en dedans, on… je l’ai fait suivre à l’extérieur avec ma femme par… je ne sais pas si c’est un psychologue, pour savoir ce qui arrivait là t’sais. Pour essayer de le prendre le plus tôt possible au lieu d’attendre qu’il débloque à 14-15 ans, pis qu’il se mette à être délinquant ou quelque chose comme ça (père 7).

Il a parlé de se suicider aussi. C’est pour ça qu’il voit un psychologue. Il a parlé plusieurs fois de se suicider (père 16).

5.4. Suggestions des participants à propos des interventions à offrir

Au cours des entrevues, nous avons demandé aux participants s’ils avaient des suggestions à émettre par rapport aux interventions à proposer en de telles circonstances. Évidemment, ce ne sont pas tous les participants qui ressentent le besoin de recourir à une aide extérieure. La très grande majorité juge toutefois important que des services soient offerts dans un premier temps à toutes les familles de détenus.

5.4.1. L’arrestation et l’admission en établissement

Les femmes rencontrées par notre équipe de recherche ont vécu très difficilement l’arrestation de leur conjoint. Elles ont ressenti de la déception, de la peine et de la colère envers ce dernier. Après ce choc initial, elles se sont senties bien souvent démunies face au système de justice, manquant de connaissances et d’informations. Il leur est apparu très difficile de se soumettre aux longues procédures judiciaires et d’assumer les frais en résultant.

On avait déjà des problèmes financiers depuis cinq ans à cause de ça. On essayait de payer un avocat qui réclamait, qui réclamait… Faitque, en tout cas, je me suis retrouvée avec des problèmes d’argent, déjà au départ. Là, je me ramassais comme toute seule. C’était plus comme un découragement (conjointe 4).

Ces femmes désirent obtenir davantage d’informations et de conseils sur le déroulement des procédures judiciaires, mais également bénéficier d’un soutien au plan social et financier. Par ailleurs, l’inquiétude à l’égard du stress que vivent les enfants est palpable dans une grande majorité de cas.

Comme je viens de te dire. C’est d’avoir un support. Que la famille ait un support (…) Moi j’aurais aimé ça avoir un travailleur social pour mon garçon ! J’en parlais avec mon agent là-bas. Je n’en ai pas eu de support sur ce côté là (père 10).

C’est dur d’avoir de l’aide pour la famille. Moi, je rentre en prison, j’ai le droit à un psychologue, des programmes, etc. Mais c’est ma famille, dehors… Que ma femme puisse avoir les services d’un psychologue. Et les enfants avec (père 2).

Oui, j’aurais aimé ça avoir un suivi avec les enfants quelque chose comme ça t’sais de quoi de même (…) T’sais que mes enfants comprennent aussi la situation là, surtout mon garçon… (mère 2).

5.4.2. L’incarcération proprement dite

En ce qui a trait aux conditions entourant la détention proprement dite, les différents membres de la famille ont formulé plusieurs commentaires. Les plus spontanés évoquent des questions architecturales ou géographiques : le caractère froid des visites, le manque d’intimité des salles communautaires, les importants coûts des appels téléphoniques et des déplacements, ainsi que la distance à parcourir. Plusieurs sujets mentionnent l’importance d’améliorer les conditions des salles de visites et d’implanter un système de transport facilitant les déplacements des familles.

Peut-être mettre des horaires pour ceux qui ont des enfants. Parce que, un, si toi tu viens voir ton copain là-bas, pis que moi, l’autre, j’arrive avec mes quatre enfants, ben je vais te déranger. Deux, ça va me déranger de voir mes enfants là-bas, t’sais, ce n’est pas une place pour eux-autres (…) Peut-être ce qu’il pourrait y avoir c’est un autobus qui se déplace et qui amène la famille au pénitencier. Ça serait peut-être une bonne idée (…) Oui, le monde paierait les frais. C’est juste qu’il y en n’a pas qui viennent jusque là. Ils sont obligés de prendre le (bus) Voyageur, puis de poigner un taxi après. T’sais, tu les fais se rendre à un métro, tu leur fais payer un tarif, pis tu les fais monter (père 12).

Pour les longues distances, il y a des choses à améliorer là-dessus (père 19).

Quelques participants de l’étude mentionnent qu’il devrait également y avoir, à l’intérieur des pénitenciers et des maisons de transition, des lieux spécialement aménagés pour les parents et les enfants, ainsi que des activités favorisant les liens parent-enfant.

Il n’y a rien, c’est pas organisé pour eux… pour que les enfants puissent s’amuser avec le père, pis jouer (…) Mais il devrait y avoir des lieux peut-être plus appropriés pour les visites, qui seraient probablement repensés dans ce but là (père 4)

Oui, (des lieux) juste pour les enfants. T’sais, il y a des enfants à côté, pour que, si tu veux jouer avec ton gars, « va y ostie ! Défoule toé, c’est là pour ça ». Ils ont juste à mettre des matelas à terre, une télé dans un coin… C’est de faire quelque chose, que je puisse me retrouver avec mon gars. T’sais avoir quelque chose à faire avec mon gars, avoir une conversation, faire des choses avec lui et non être entouré de monde. Ben, qu’il y ait du monde ce n’est pas grave, mais qu’il y ait un endroit où je peux me retirer. T’sais apprendre à connaître mon gars… (père 12).

Certains pères qui sont séparés croient aussi qu’il serait bénéfique d’implanter des services d’aide leur permettant de maintenir des liens avec leurs enfants, même s’ils n’entretiennent pas de bons contacts avec la mère de leurs enfants.

Souvent, y’en a qui perdent tout. Souvent tu sais, soit que leur femme les laisse, leur blonde les laisse, soit que leur famille se tasse ou whatever… Mais si le bonhomme a de la misère avec son ex-conjointe, son ex-femme ou les personnes qui s’occupent de ses enfants, puis que le gars a un certain lien pareil avec ces enfants, je pense que pour moi… ma pensée, ce serait que d’essayer de faire de quoi pour le bonhomme, pour qu’il puisse voir ses enfants à un rythme régulier (père 9).

5.4.3. La remise en liberté

Plusieurs membres de la famille indiquent qu’il pourrait être intéressant, au moment de la réunification familiale, de dispenser aux pères des apprentissages plus formels, des ateliers sur les compétences parentales et le développement de l’enfant. Ceci est souvent évoqué dans l’espoir de faciliter la redéfinition des rôles familiaux et la cohésion entre les parents sur les questions de pratiques éducatives :

Ce que j’aurais aimé, c’est d’avoir quelqu’un qui n’est peut-être pas spécialisé, mais qui connaît un petit peu les comportements des enfants pis avec qui que j’aurais pu… T’sais, quand ils venaient me voir pendant trois jours, (savoir) comment réagir pour que ça ne soit pas difficile. Quelqu’un pouvant me montrer comment gérer les comportements (…) Dans une maison de transition, faire des ateliers dans les maisons de transition ou en dehors ou je sais pas là.. Moé c’est sûr que ce serait ça (que je suggérerais) aujourd’hui (père 8).

Je dirais que ce ne serait pas méchant qu’il y ait des programmes à ce niveau là, au niveau des enfants, pis de l’apprentissage, de l’évolution des années en années. Qu’est-ce que les enfants ont besoin… Les enfants aussi manipulent là, c’est comme les prisonniers (rire). Apprendre… (qu’il serait bien) qu’ils ne lâchent pas ce niveau là, même si le père est pas avec les enfants. Il a le droit de connaître son rôle de père, si tu veux (mère).

La libération, en plus d’être une période d’ajustement, constitue pour plusieurs familles une phase de réflexion et de remise en question. Les récits montrent que plusieurs participants ressentent alors le besoin de se questionner sur l’emprisonnement du père et de faire le bilan. Un accompagnement professionnel dans cette remise en question est donc souhaité par plusieurs :

Ben moé, c’est plate à dire, mais ça l’a un côté positif. T’sais je me force. Je me dis qu’il faut que je me prenne en main, pis j’ai pas le droit de faire ça à… de les laisser tout seuls. Faitque ça me motive encore plus, pis j’essaie de trouver les bons moyens pour ne pas revenir en prison… pour ne pas poigner une autre sentence (père 5).

Avec ma famille, pis mes enfants… Oui c’est comme si… C’est sûr que ça m’a servi de leçon parce qu’avant ça (c.-à-d. une sentence fédérale), les sentences provinciales c’était pas des longues sentences (père 12).

6. Discussion et conclusions

Dans nos sociétés occidentales, les parents sont habituellement considérés comme des figures d’attachement offrant des liens sécurisants et stables. Ils sont aussi des éducateurs jouant un rôle primordial dans la supervision, l’encadrement et la socialisation de l’enfant. Dans ce contexte, il est certain que l’incarcération d’un parent crée une situation délicate et potentiellement conflictuelle pour les intervenants. Voilà que la figure socialisante est reconnue coupable d’un comportement délinquant… Ce paradoxe vient souvent heurter des valeurs profondes et créer des malaises. Il est alors facile de tomber dans les jugements hâtifs pour ensuite les transmettre à un jeune qui, visiblement, écope de la situation. De là la nécessité d’intervenir auprès de ces familles.

À partir d’une perspective théorique écosystémique (Bronfenbrenner, 1995, 1999 ; Johnson, 1999), on se doit de souligner l’importance du réseau de soutien pour les familles de détenus. À partir des entretiens semi-dirigés que nous avons analysés, il appert que les familles confrontées à la délinquance et à la détention du père ne comptent habituellement que sur le soutien de leur réseau informel (essentiellement, la famille et la belle-famille). Le soutien formel, soit celui dispensé par les différents services ou ressources qui pourraient oeuvrer auprès des familles, est souvent considéré comme lacunaire. Divers besoins qui n’ont jamais été explicitement exprimés aux intervenants et aux établissements dans le passé ont été ressentis. C’est plus particulièrement aux moments de l’arrestation et de la remise en liberté que les besoins d’intervention semblent plus pressants. Au moment de l’arrestation et de l’admission, les familles désirent pouvoir bénéficier de renseignements et de conseils sur le déroulement du processus judiciaire et du procès. Un soutien social et financier, au besoin, leur permettrait aussi de mieux affronter ce qui est vécu comme une situation de crise. Les pères et leurs conjointes ont exprimé leur souhait d’être mieux encadrés par un programme ou une intervention visant précisément les pratiques parentales au moment de la réunification familiale. Un accompagnement leur permettant de revenir sur les événements et de faire le bilan de l’incarcération est aussi souhaité.

Entre les deux, durant la détention proprement dite, les répondants nous disent souhaiter l’amélioration des lieux réservés aux visites familiales, notamment l’aménagement des salles destinées aux activités parents-enfants, ainsi que l’implantation d’un système de transport offrant plus de facilité. Pour les couples en situation de litige et les pères incapables de voir leurs enfants, un service de liaison, de négociation et de médiation familiale a aussi été évoqué. La question du meilleur aménagement des salles de visite a déjà fait l’objet de maints débats. Dans la décision B. (A.-S.), tutrice des enfants mineurs : B.-R. (J.), B.-R. (Ja.) et B.-R. (N.) contre Nicole Quesnel, directrice du Centre de détention de Bordeaux, la Cour supérieure du Québec concluait que, même si cela n’était pas dans le meilleur intérêt de l’enfant, l’établissement n’avait pas à aménager les meilleures conditions que l’on puisse imaginer pour l’exercice des droits de visite : « Si les contacts entre les enfants et leur père comportent des éléments certains de frustration, cela résulte non pas des décisions imposées par l’intimée [Nicole Quesnel], que le prévenu n’a pas contestées, mais plutôt du fait que le père fait face à des accusations très sérieuses ».

En clair, cela signifie que l’exercice du droit de visite des enfants peut être limité et encadré par les impératifs de sécurité nécessaire au bon fonctionnement du pénitencier et que l’intérêt de réaménager les salles de visite est laissé au bon jugement des directions d’établissement. Il est donc plus réaliste de tenter de mettre en place de nouveaux services que de convaincre l’administration des prisons et des pénitenciers de la nécessité de modifier l’aménagement… En ce sens, i) l’information juridique portant sur le déroulement du processus judiciaire et du procès, ii) un soutien de la conjointe et des enfants au moment de l’arrestation et de l’admission au pénitencier, iii) la mise en place d’un système de transport offrant plus de facilité pour les visites au pénitencier, iv) un service de négociation et de médiation familiale pour les couples en litige et v) un accompagnement dans le processus de réunification familiale à la sortie de prison paraissent être des avenues à explorer.

Cela dit, il faut bien évidemment garder à l’esprit qu’en matière d’intervention familiale impliquant des jeunes, chaque situation est un cas d’espèce. L’analyse de la problématique doit donc se faire cas par cas, l’incarcération du parent n’étant souvent qu’une circonstance parmi les nombreux autres éléments contribuant à l’évaluation et l’élaboration de la stratégie d’intervention. Ajoutons que le « meilleur intérêt de l’enfant » est le principe qui devrait guider toute décision (Philips et Bloom, 1998).

Il nous reste à souligner l’ampleur des besoins de recherche. Dans Crime and Justice, Hagan et Dinovitzer (1999) constataient la pauvreté et le morcellement des connaissances sur les conséquences familiales de la détention. De leur côté, Tonry et Petersillia (1999) écrivaient : « The most pressing task is to pull together existing knowledge in order to formulate plausible hypotheses and develop systematic research agendas on the maintenance of prisoners’ relationships with families and on the short- and long-term well being and social fonctionning of prisoners’ children » (p. 6). Les besoins de recherches-action et d’innovations auprès des familles de pères détenus nous semblent particulièrement importants.