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Bien que les connaissances sur l’eau souterraine demeurent incomplètes, voire insuffisantes, au Québec, cette source d’eau potable est très importante et, dans l’ensemble, facilement accessible et de bonne qualité. Environ 1 450 000 personnes, soit 21 % de la population québécoise, consomment de l’eau souterraine en s’approvisionnant, à part égale, soit par un puits individuel, soit par un puits municipal connecté à un réseau de distribution. Cette population est répartie dans 66 % des municipalités recouvrant 90 % du territoire québécois. Les municipalités s’approvisionnant en eau souterraine ont généralement une population de 5 000 habitants et moins ; plusieurs d’entre elles s’approvisionnent exclusivement à partir de l’eau souterraine[1].

Bien que souterraine, cette ressource demeure, à divers degrés, vulnérable à la contamination. Plusieurs problèmes de conflit d’usage et de contamination ont amené le gouvernement du Québec à adopter des mesures ayant pour objectif d’assurer une meilleure protection[2]. La prévention de la contamination de l’eau souterraine implique la prise en charge par les élus municipaux d’un éventuel problème de contamination. Comme mesure de protection, une municipalité peut imposer des distances minimales à respecter pour certaines activités se déroulant près de l’aire de captage, ou contrôler sinon interdire celles-ci par l’application d’un règlement municipal. De plus, une municipalité peut adopter des mesures pour prévenir la contamination : acquisition de terrain, contrat de nappe, adoption d’un plan de gestion et de protection, etc.

Les initiatives municipales visant à prévenir la contamination des sources d’eau potable demeurent à ce jour peu connues au Québec. Bien que les municipalités se préoccupent des problèmes d’hygiène reliés à la distribution de l’eau potable, l’idée de protéger leur ressource par une approche intégrée, par opposition au cas par cas, est relativement récente au Québec. Une politique municipale de prévention suppose que les élus municipaux considèrent comme problème sérieux la possibilité de contamination et adoptent une mesure de protection.

Dans ce qui suit, nous examinons la mise en place des politiques municipales en matière de protection de l’eau souterraine. Plus précisément, nous évaluons les facteurs, autres qu’institutionnels, facilitant ou contraignant la mise à l’ordre du jour municipal d’un problème de contamination et l’adoption de mesures de protection. Notre objectif est ainsi de comprendre la capacité d’une municipalité à élaborer ses propres politiques.

Comme cadre d’analyse, nous adoptons le modèle de J.W. Kingdon (1995). Bien que l’approche institutionnelle explique une partie du processus de décision, elle comporte des limites dans la mesure où elle néglige d’autres facteurs qui structurent l’action locale (Sabatier, 1993). La tendance actuelle des études sur l’environnement est d’analyser l’action des autorités municipales, bien placées pour répondre aux conditions ou préférences locales et pour expérimenter des approches innovatrices (Parson, 2000).

Le modèle de Kingdon concerne la mise à l’ordre du jour et le choix des actions à entreprendre ; il peut toutefois s’appliquer à l’étude de l’ensemble du processus politique (Lemieux, 1995 ; Demers et Lemieux, 1998 ; Zahariadis, 1999 ; Quesnel, 2000). Kingdon indique quatre facteurs qui influencent la mise à l’ordre du jour et le choix des actions : les problèmes, les solutions, le politique et la « fenêtre politique ». Dans le modèle de Kingdon, le processus de développement de politiques est traversé par trois courants (problèmes, solutions et politique) indépendants répondant à leurs propres dynamiques et règles. La mise à l’ordre du jour effective d’un problème ou l’adoption de solutions dépend de la rencontre de ces trois courants.

En ce qui concerne les problèmes, l’attention des élus sera attirée par des indicateurs qui feront voir l’amplitude d’un changement, par des événements ou crises et par les effets d’un programme déjà existant. Cela se transforme en problème lorsque des individus croient qu’une action doive être entreprise. Le problème sera défini de manière à attirer l’attention des élus afin d’obtenir un geste de leur part.

Plusieurs solutions seront explorées, mais seulement celles qui répondent à certains critères seront retenues : elles doivent être applicables au plan municipal et faisables techniquement ; leurs coûts doivent être raisonnables ; et elles doivent être acceptables pour la communauté politique et le public en général et avoir réception favorable auprès des élus. Les solutions qui ne satisfont pas à ces critères ont peu de chance d’être considérées sérieusement.

En matière politique, différents éléments peuvent influencer l’adoption d’une politique publique tels des changements dans « l’esprit du temps » ou les idées dominantes de l’heure, dans le personnel politique (administration, élections) ou dans le degré d’influence exercée par les groupes d’intérêt.

Une fenêtre politique qui s’ouvre dans un des trois courants précédents (problème, solutions, politique) donne ainsi l’occasion à différents acteurs de réunir les trois courants. La mise à l’ordre du jour sera principalement influencée par les problèmes et la politique tandis que, pour l’adoption, les solutions et la politique seront prépondérantes (Lemieux, 1995).

Kingdon identifie différents acteurs qui agissent à l’intérieur des trois courants et y exercent leur influence. Les entrepreneurs politiques sont des individus qui investissent beaucoup de temps et de ressources pour prôner la solution à tel problème. Ils peuvent s’affairer dans un seul courant ou dans plusieurs. Leur présence est un facteur déterminant dans le processus de définition d’une politique publique. Lorsqu’une fenêtre politique s’ouvre, les entrepreneurs tenteront d’en tirer avantage pour promouvoir leurs propositions ou faire reconnaître leur problème auprès des élus.

Méthode

La collecte de l’information s’est faite principalement par des entrevues auprès des principaux acteurs politiques (maires, autres élus municipaux, fonctionnaires municipaux et citoyens) engagés directement dans une démarche de protection de l’eau souterraine. Ils furent préalablement identifiés grâce à quarante entrevues exploratoires. Les entrepreneurs politiques furent reconnus comme les principaux acteurs politiques ayant fait la promotion de mesures de protection de l’eau souterraine. L’information fut complétée à partir des journaux locaux ou régionaux, mémoires, documents internes à la municipalité, publications officielles et rapports d’experts.

Nous avons analysé le cas de quatre municipalités où s’est présenté un danger de contamination. En comparant ces cas, nous voulons connaître les facteurs, autres qu’institutionnels, favorisant ou contraignant la mise à l’ordre du jour du problème et l’adoption de solution. Les municipalités étudiées ont toutes une population entre 1 300 et 5 000 habitants et se situent dans un rayon approximatif de 10 à 20 km du centre urbain le plus important de leur région respective. Elles possèdent un réseau d’aqueduc distribuant l’eau à une partie de leurs résidents et s’approvisionnent exclusivement à partir de l’eau souterraine.

Le cas de Saint-Antoine-de-Tilly illustre une situation où la possibilité de contamination fut portée à l’attention des élus, mais ne fut par inscrite à l’ordre du jour municipal. Saint-Antonin et Saint-Étienne-des-Grès sont des municipalités où il y a eu inscription d’un problème potentiel à l’ordre du jour, mais où aucune mesure de protection ne fut adoptée. Finalement nous avons analysé le cas de Lac-Beauport où le conseil municipal adopta des mesures pour protéger la source d’eau souterraine.

Dans un premier temps, nous décrivons brièvement les quatre cas, puis nous les comparons ; finalement, nous analysons le rôle des entrepreneurs politiques locaux dans le développement d’une politique municipale de protection de l’eau souterraine.

Saint-Antoine-de-Tilly

Le cas étudié se déroule entre 1989 et 1993. Saint-Antoine-de-Tilly est une municipalité d’environ 1 400 habitants dans la MRC de Lotbinière (région de Chaudière-Appalaches). Vers la fin des années quatre-vingt, cette municipalité décida d’améliorer ses infrastructures d’assainissement des eaux usées en adhérant au Programme d’assainissement des eaux du Québec ou PAEQ. Tandis que la partie « village » de la municipalité était desservie par un réseau d’aqueduc connecté à l’usine de traitement, la partie « fonds », située au niveau du fleuve, avait un émissaire qui déversait les eaux usées directement dans le fleuve sans traitement préalable. La municipalité signa une entente de principe avec la Société québécoise d’assainissement des eaux du Québec (SQAE) et mandata une firme d’ingénieurs pour étudier deux possibilités : rénover l’usine de traitement déjà existante et construire des étangs aérés pour traiter les eaux usées.

La construction d’étangs aérés aurait eu comme préalable l’expropriation d’une partie des terres d’un résident de la municipalité. Inquiet et insatisfait de l’information donnée par la municipalité, ce citoyen mobilisa ses voisins et forma un groupe de citoyens. Pour obtenir plus d’information, le groupe entama des démarches auprès de plusieurs ministères et organismes de recherche. Après consultation de nombreux experts, le groupe de citoyens considéra que le projet d’étangs aérés constituait une menace pour la source d’eau potable à cause de leur trop grande proximité du puits municipal.

Étant donné l’attitude non réceptive des élus municipaux, le groupe de citoyens tenta d’obtenir l’appui de hauts fonctionnaires et d’élus du gouvernement du Québec, mais sans succès. C’est alors que le groupe de citoyens tenta de mobiliser la population afin qu’elle appuie sa démarche et convainque la municipalité d’interrompre le projet. Le groupe parvint à mobiliser une bonne partie de la population grâce à des « assemblées de cuisine », à la distribution de tracts et de journaux. Mais, constatant que les études préliminaires nécessaires à la signature de la convention de réalisation du projet étaient terminées, et voyant que la date de signature approchait, le groupe de citoyens multiplia ses interventions pour empêcher la réalisation du projet, notamment en intervenant systématiquement lors des séances régulières du conseil municipal.

Une séance publique fut organisée afin de débattre du projet municipal. Étaient présents les membres du conseil, des représentants de la SQAE, la firme d’experts, le groupe en question et plusieurs citoyens. D’un côté, les promoteurs du projet faisaient valoir les avantages des étangs aérés et leur caractère de protection environnementale, et de l’autre, le groupe de citoyens demandait un moratoire sur le projet et une réévaluation de ce dernier. À la fin de la séance publique, une proposition de vote en faveur de la réalisation d’étangs aérés fut rejetée par la très grande majorité des citoyens présents.

Malgré cette opposition, le conseil municipal décida d’aller de l’avant, et adopta, dans une réunion ultérieure, une résolution à l’effet de signer la convention de réalisation. Une étude d’hydrogéologie, qui aurait été commandée par la SQAE à la demande de la municipalité, concluait que le site prévu de construction des étangs aérés ne présentait pas de risque pour la source d’eau souterraine. Cependant, une contre-expertise demandée par le groupe de citoyens signala qu’un danger de contamination demeurait. La municipalité devait signer cette convention pour que le projet se réalise avant 1996, sans quoi les subventions ne seraient plus garanties. D’autre part la SQAE refusa de reconsidérer la localisation des étangs malgré la demande de la municipalité. Selon le ministère de l’Environnement, la contre-expertise n’ajoutait rien aux conclusions de l’étude de la firme mandatée par la municipalité. Aussi, la DSC de Lévis concluait qu’il n’y avait aucune raison de douter de la sécurité du projet, quoique certaines précautions s’imposaient. À la lumière de ces informations, la municipalité obtint l’autorisation du ministère de l’Environnement et signa la convention de réalisation avec la SQAE. Il ne manquait plus que la signature du ministre.

Le groupe de citoyens continua à faire pression sur le conseil municipal et fit signer une pétition de près de 800 noms. Les élections municipales de 1993 offraient une occasion de transformer le problème potentiel de contamination en enjeu électoral : le président du groupe de citoyens présenta sa candidature au poste de maire et remporta les élections. Toutefois, la majorité du conseil municipal était toujours composée des conseillers favorisant la poursuite du projet. Finalement, son abandon ne fut pas le fruit d’une décision municipale, mais bien d’un moratoire imposé par le gouvernement du Québec sur le projet du PAEQ.

Saint-Antonin

Le deuxième cas étudié se déroule entre 1995 et 1997. Saint-Antonin est une municipalité locale d’environ 3 500 habitants de la MRC de Rivière-du-Loup (région du Bas-Saint-Laurent). Lors de la réfection d’une route municipale, quelque chose d’inhabituel se produisit. Les travaux avaient provoqué la résurgence de la nappe phréatique à proximité du puits municipal. Cet incident fut rapporté par l’inspecteur municipal au comité d’urbanisme de la municipalité qui était composé d’élus, dont le maire, et de citoyens. L’inspecteur, familier avec l’hydrogéologie du terrain, faisait remarquer aux membres du comité que cette résurgence indiquait que, contrairement à ce qu’il croyait auparavant, la nappe phréatique à partir de laquelle la municipalité puisait son eau était vulnérable à la contamination. Les préoccupations de l’inspecteur furent entendues par le maire qui en fit part au conseil municipal.

Bien que le puits municipal n’ait pas été contaminé, les élus municipaux avaient pris connaissance de plusieurs cas de contamination dans les municipalités voisines. Ce problème amena Saint-Antonin, et d’autres municipalités avoisinantes, à adopter un règlement pour encadrer la localisation des porcheries. Toutefois, ces mesures n’empêchaient pas la possibilité d’épandage de lisier à proximité des puits municipaux. Qui plus est, la municipalité avait entamé des démarches pour éviter qu’un projet de pisciculture, situé tout près du puits municipal, n’entraîne un conflit d’usage de la ressource. L’incident qui provoqua la résurgence de l’eau souterraine et le contexte qui le précédait amenèrent les élus à examiner sérieusement la possibilité de contamination.

Une firme d’urbanisme, mandatée par la municipalité, proposa un projet de règlement de zonage permettant de contrôler et d’interdire certaines activités à l’intérieur des périmètres de protection immédiat, rapproché et éloigné. Ce projet fut soumis au conseil municipal, mais n’était pas acceptable pour certains élus, qui considéraient que ce règlement portait atteinte aux droits d’usage de certains propriétaires. Pour eux, ce projet constituait une forme d’expropriation déguisée. Certains élus informèrent les propriétaires concernés des implications de l’adoption du règlement de zonage.

Cette position était marquée par un conflit entre la municipalité voisine, Saint-Modeste, et la municipalité de Rivière-du-Loup qui projetait la construction d’un puits d’alimentation en eau souterraine pour suppléer à son problème d’approvisionnement en eau potable. Ce conflit influença le débat au conseil municipal de Saint-Antonin concernant le projet de règlement de zonage destiné à protéger les puits municipaux. Un comité de citoyens de Saint-Modeste/Saint-Antonin et le conseil municipal de Saint-Modeste s’opposaient à ce que la ville de Rivière-du-Loup vienne construire un puits sur son territoire. Ces citoyens craignaient l’impact qu’aurait un éventuel rabaissement de la nappe phréatique sur leur propre approvisionnement en eau et sur le débit d’une rivière avoisinante. Une autre crainte planait : le projet était susceptible d’imposer des contraintes, qualifiées de « quasi-servitude » ou « d’expropriation déguisée». Aussi, le conseil municipal de Saint-Antonin avait appuyé par une résolution la position de Saint-Modeste ; toutefois, le conseil municipal n’était pas unanime car le maire et un conseiller votèrent contre cette résolution, appuyant ainsi le projet de Rivière-du-Loup.

Malgré cette division créée au sein du conseil municipal de Saint-Antonin, le projet de règlement de zonage fut adopté à la majorité grâce au vote du maire. Les citoyens concernés votèrent contre le projet de règlement de zonage au cours d’un référendum. À la suite de quoi les élus en faveur du règlement décidèrent d’abandonner le projet.

Saint-Étienne-des-Grès

Cet autre cas se déroule entre 1996 et 1998. Saint-Étienne-des-Grès est une municipalité d’environ 3 900 habitants de la MRC de Francheville (région de la Mauricie). En 1996, soit un an avant le « grand verglas » qui toucha le Québec, les citoyens reçurent une abondante pluie verglaçante qui provoqua une pénurie d’eau potable pendant plusieurs jours, ainsi qu’une crise au sein de la communauté car la municipalité dut établir des mesures d’urgence.

Cette crise obligea les élus municipaux à se pencher sur les problèmes d’approvisionnement en eau potable et sur l’état des infrastructures. La réfection du système d’approvisionnement en eau potable fut l’occasion de penser à protéger l’eau souterraine contre une contamination potentielle. La réfection des puits municipaux avait nécessité la détermination des périmètres de protection des puits. Jusqu’alors, ceux-ci étaient dotés d’un périmètre immédiat de 30 m, offrant une protection minimale. Toutefois, les périmètres rapproché et éloigné s’étendaient sur une plus grande superficie incluant des terres agricoles.

Entre 1996 et 1998, l’émergence du débat sur la gestion de l’eau au Québec constituait la « toile de fond » de l’action municipale de Saint-Étienne-des-Grès. De plus, quelques années auparavant, la conservation de sources d’eau pouvant servir à l’approvisionnement municipal fut l’objet de préoccupations de la part des élus municipaux. Enfin, le verglas de 1996 rappela aux élus que la municipalité avait connu une pénurie d’eau douze ans auparavant.

Au début de l’année 1998, le conseil municipal adopta un projet de règlement de zonage limitant ou interdisant certaines activités à l’intérieur d’un périmètre de protection d’un kilomètre autour des puits municipaux. Ce règlement se voulait plus restrictif que les recommandations du ministère de l’Environnement[3], compte tenu que la directive 001 du ministère présentait des « normes minimales ». Le projet de règlement incluait deux sources d’eau souterraine, non exploitées, pouvant répondre à un accroissement de la demande en eau potable. Le conseil municipal adopta le projet de règlement et, par la suite, demanda à la MRC de Francheville un avis de conformité.

Le projet de règlement de zonage incluait une zone à vocation agricole. Or, en janvier 1997, un Comité consultatif agricole (CCA) vit le jour au sein de la MRC. Le comité était composé d’un membre du conseil de la MRC, de trois producteurs agricoles, d’un citoyen et d’un élu municipal. La Loi modifiant la Loi sur la protection du territoire agricole et d’autres dispositions législatives afin de favoriser la protection des activités agricoles fut mise en vigueur par le gouvernement du Québec, créant ainsi les CCA pour gérer les problèmes de cohabitation des usagers en zone agricole.

Même si à plusieurs reprises le CCA produisit des avis défavorables à propos d’éventuels règlements municipaux, le conseil de la MRC décidait parfois de ne pas en tenir compte et émettait quand même un avis de conformité. Afin de remédier à cette situation, la MRC et le CCA décidèrent que tous les règlements d’urbanisme, touchant la zone agricole ou les usages agricoles, devaient être l’objet d’un préavis du CCA. Toutefois, ce dernier devait expliquer les raisons d’un refus ou d’une acceptation et la municipalité en contrepartie ne pouvait intervenir auprès du CCA. C’est dans ce contexte que la MRC présenta le projet de règlement de la municipalité de Saint-Étienne-des-Grès au CCA. Celui-ci dernier s’objecta au projet de règlement car il allait à l’encontre des objectifs de protection du territoire et des activités agricoles. Lorsque la municipalité vit que son projet de règlement obtenait un avis défavorable, le conseil municipal décida de respecter la nouvelle entente avec le CCA et, par conséquent, de ne pas demander au conseil de la MRC de sanctionner son projet.

Les élus de Saint-Étienne-des-Grès décidèrent de ne pas donner suite à leur projet de règlement. Ils évaluèrent que l’étendue du périmètre de protection, la protection de source potentielle d’eau potable et les limites imposées seraient difficiles à justifier, malgré que la protection de l’eau demeura une question importante.

Lac-Beauport

Ce cas-ci se déroule entre 1987 et 1995. Lac-Beauport est une municipalité d’environ 5 800 habitants, de la MRC de la Jacques-Cartier (région de la Capitale nationale). Depuis bon nombre d’années, les résidents de Lac-Beauport éprouvaient régulièrement des difficultés à s’approvisionner en eau potable. Certains résidents desservis par des réseaux d’aqueduc privés étaient souvent insatisfaits par la piètre qualité et la faible quantité d’eau. Au cours de l’élection municipale de 1987, la question de l’eau potable devint un enjeu électoral. Ce problème fut souvent soulevé par les citoyens au cours de la campagne électorale. Le candidat au poste de maire proposa la construction d’un puits municipal qui fournirait une eau de qualité en toute sécurité. La solution envisagée était de trouver une source d’approvisionnement en eau potable distribuée par un réseau d’aqueduc municipal.

L’élection du nouveau maire et de ses conseillers entraîna l’inscription du problème d’approvisionnement à l’ordre du jour municipal. Toutefois, plusieurs années passèrent avant que le maire ne persuade le gouvernement du Québec d’accorder à la municipalité le financement pour la construction d’un puits municipal et d’un réseau d’aqueduc. Finalement, la municipalité obtint une subvention et entreprit les travaux. Des périmètres de protection autour du puits municipal furent établis par des hydrogéologues et par les ingénieurs de la municipalité.

Le conseil municipal décida d’envisager la possibilité de contamination de la source d’approvisionnement ainsi que la façon de la conserver. Les questions environnementales étaient une préoccupation des citoyens et des élus depuis plusieurs années. Une commission municipale de l’environnement, la présence d’un employé préposé aux questions environnementales, et l’engagement des citoyens et d’élus municipaux contribuaient à entretenir la préoccupation environnementale au sein de la municipalité. Les élus adoptèrent un règlement prescrivant des mesures préventives à l’intérieur des périmètres de protection établis afin d’éliminer les sources de contamination. Pour la conservation de la ressource, la municipalité adopta plusieurs dispositions permettant de contrôler l’utilisation de l’eau.

Le conseil municipal adopta, en 1995, le règlement prescrivant des mesures de protection du puits alimentant le réseau d’aqueduc municipal. La municipalité adopta le règlement de protection en vertu des dispositions du Code municipal du Québec (Art. 557, 1er paragraphe, section XXI). Le règlement venait, en quelque sorte, se superposer au règlement de zonage déjà existant. Ainsi, le caractère résidentiel de la zone concernée prévenait le développement commercial susceptible de contaminer la nappe phréatique. Le règlement ne provoqua pas de protestation de la part de citoyens ou des propriétaires des réseaux privés d’aqueduc expropriés.

Mise à l’ordre du jour municipal d’un problème potentiel de contamination de l’eau souterraine

Les problèmes

Les élus prennent connaissance de différentes manières des changements des conditions de la ressource. Ainsi, les plaintes de citoyens (Saint-Antoine-de-Tilly, Lac-Beauport), une crise (Saint-Étienne-des-Grès) ou un incident rapporté par un fonctionnaire municipal (Saint-Antonin) attirent l’attention des élus municipaux. La définition du problème, plus que la nature même des changements remarqués, aura eu une influence sur la mise à l’ordre du jour. Pour certains élus, les conditions identifiées et portées à leur attention ne représentaient pas un problème (Saint-Antoine-de-Tilly) tandis qu’elles constituaient, pour d’autres, un danger nécessitant une action de leur part (Saint-Antonin, Saint-Étienne-des-Grès, Lac-Beauport).

Dans les cas étudiés, les acteurs ont utilisé plusieurs catégories pour définir un risque de contamination. Ils cherchaient à attirer l’attention des élus sur les effets d’une contamination en l’associant à une « menace pour la santé », une « menace pour la ressource », une « menace économique », « une menace pour la sécurité publique » ou « un problème de responsabilité municipale ». L’utilisation d’une catégorie plutôt qu’une autre ne fut pas le fruit du hasard. C’était un moyen de traduire une perception dans l’objectif d’amener d’autres personnes à voir un problème de la même façon. La plupart des catégories utilisées par les acteurs désirant attirer l’attention des élus avaient en commun le fait de traduire une perception de vulnérabilité : vulnérabilité humaine face à la ressource (menace pour la santé et pour la sécurité publique), vulnérabilité économique (menace économique) et vulnérabilité de la ressource en tant que telle (menace pour la ressource). Les acteurs peuvent utiliser plus d’une catégorie pour définir le problème, ce qui leur permet de trouver une définition qui traduit le mieux la perception des personnes ou des groupes d’individus qu’ils cherchent à influencer.

L’utilisation d’une catégorie pour définir le problème plutôt qu’une autre a eu des implications politiques importantes. Le choix d’une catégorie peut devenir un enjeu politique stratégique, car il peut induire une mobilisation de la population ou tenter d’en éviter une (Saint-Antoine-de-Tilly). Elle peut rallier les élus (Saint-Antonin ; Saint-Étienne-des-Grès) ou se transformer en enjeu électoral (Lac-Beauport). Parmi les catégories utilisées, la « menace pour la ressource » semble avoir eu plus d’importance dans le processus. Dans le cas de Saint-Antoine-de-Tilly, l’utilisation de cette catégorie par le groupe de citoyens entraîna la mobilisation de la population.

Mais lorsque deux définitions du problème sont en compétition, comme ce fut le cas à Saint-Antoine-de-Tilly, les acteurs politiques font intervenir les experts comme arbitres dans un débat entourant la définition du problème. Par contre, l’intervention des experts dans le débat ne permet pas de prédire quelle définition prévaudra. Autrement dit, la science ne pourra résoudre un problème politique. Les acteurs politiques iront chercher l’expertise, s’ils en ont les moyens, qui appuie leur définition du problème, mais si l’expertise contredit leur théorie, ils feront valoir l’incertitude scientifique des résultats et (ou) remettront en question la crédibilité des experts en les identifiant à un parti. Cette incertitude sera d’autant plus grande que les experts devront démontrer qu’il y a un problème potentiel, et non actuel, de contamination. L’incertitude créée ou maintenue deviendra un levier de mobilisation. Toutefois, la définition du problème ne suffira pas à induire une action de la part des élus. Les solutions anticipées pour résoudre un problème potentiel de contamination de l’eau souterraine influencent également la décision d’inscrire un problème à l’ordre du jour.

Les solutions anticipées

Le fait de réunir diverses solutions au problème n’assure pas qu’il y aura inscription de ce problème à l’ordre du jour municipal (Saint-Antoine-de-Tilly). Dans une situation où il y a divergence dans la définition du problème, les acteurs qui désirent faire reconnaître la possibilité de contamination devaient persuader les élus que les solutions proposées (moratoire, autres méthodes d’assainissement des eaux usées) étaient applicables au plan municipal, faisables techniquement, à un coût raisonnable et qu’elles étaient acceptables auprès du public en général et de la communauté politique. Si les solutions ne répondaient pas à tous ces critères, comme ce fut le cas à Saint-Antoine-de-Tilly, elles avaient peu de chances de « survivre » au processus. Ainsi, le groupe de citoyens qui proposait des solutions de rechange à la technologie des étangs aérés n’a pu persuader les élus qu’elles étaient faisables techniquement car elles n’étaient pas reconnues par la communauté d’experts. Aussi, le moratoire proposé impliquait-il des coûts inacceptables pour les élus puisque l’arrêt du projet risquait de remettre en question les subventions gouvernementales.

Dans les cas où il y a eu mise à l’ordre du jour du problème (Saint-Antonin, Saint-Étienne-des-Grès, Lac-Beauport), les élus reconnaissaient l’existence d’un problème qui nécessitait une action de leur part. Lors de la mise à l’ordre du jour municipal, les élus et autres acteurs politiques portent principalement leur attention sur la possibilité de contamination et non sur les solutions ou les actions qu’ils auront à entreprendre. Comme nous le verrons dans la prochaine section, le contexte politique sera important dans la mise à l’ordre du jour municipal.

Le politique

Différents facteurs politiques ont influencé les actions des participants dans le processus. Ainsi, « l’esprit du temps », le climat politique local et un changement dans l’équipe gouvernementale (élections) ont, dans une certaine mesure, conditionné l’action de certains acteurs. Notre analyse montre que les élus municipaux et les autres acteurs politiques évaluent ou perçoivent les tendances favorables et défavorables à leur action. Les acteurs locaux déchiffrent « l’esprit du temps » et y voient une occasion propice pour mettre de l’avant leurs idées ou au contraire pour être peu réceptifs aux idées portées à leur attention. L’émergence du débat sur la gestion de l’eau au Québec a influencé les acteurs locaux, dont les élus, dans la mesure où ce débat était perçu comme un contexte favorable pour promouvoir la protection de l’eau souterraine (Saint-Étienne-des-Grès, Saint-Antonin). Les restrictions budgétaires du gouvernement du Québec et la révision de programmes coûteux ont semblé propices pour contrer un projet susceptible de contaminer les eaux souterraines, mais en contrepartie ont influencé négativement les élus en matière de protection de l’eau souterraine (Saint-Antoine-de-Tilly).

Le climat politique local semble aussi avoir influencé la mise à l’ordre du jour du problème. Ainsi l’adoption de mesures réglementaires pour prévenir la contamination de l’eau souterraine par les porcheries dans plusieurs municipalités voisines de Saint-Antonin et la méfiance locale devant l’accroissement de l’industrie porcine étaient perçues par les élus de Saint-Antonin comme créant un climat propice pour envisager sérieusement la possibilité de contamination.

Les élections municipales sont un facteur politique important dans la mise à l’ordre du jour municipal du problème. Un changement dans l’équipe du gouvernement municipal a conditionné l’action des promoteurs qui défendaient l’idée de protéger l’eau souterraine. Dans les cas de Saint-Antoine-de-Tilly et de Lac-Beauport, les promoteurs ont choisi de se porter candidats aux élections municipales, transformèrent la possibilité de contamination en enjeu électoral, et tentèrent de faire élire une majorité de candidats favorables à leur position. Dans le cas de Saint-Antoine-de-Tilly, le changement dans l’équipe gouvernementale ne fut pas suffisant pour inscrire le problème potentiel de contamination à l’ordre du jour municipal, tandis que, dans le cas de Lac-Beauport, l’élection a permis de former un nouveau conseil majoritairement favorable à l’idée de considérer sérieusement ce problème.

Adoption d’une mesure de protection de l’eau souterraine

Dans cette section, nous comparons les trois municipalités ayant décidé de prendre au sérieux la possibilité de contamination (mise à l’ordre du jour), soit Saint-Antonin, Saint-Étienne-des-Grès et Lac-Beauport. Nous étudierons le processus d’adoption de mesures de protection des sources d’eau potable de ces municipalités.

Maintien du problème à l’ordre du jour

Tout au long du processus qui aboutit à l’adoption d’une mesure de protection, il est important que le problème reste prioritaire pour les élus. Une fois que le problème de la contamination est inscrit à l’ordre du jour municipal, il peut se passer un temps assez considérable avant l’adoption d’une mesure de protection, ce qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs.

Dans les trois cas où une possibilité de contamination fut mise à l’ordre du jour, il n’y a pas eu, au cours du processus qui suivit, de remise en question de la définition du problème. Malgré l’intervention de nouveaux acteurs au cours du processus, l’attention était tournée vers les solutions. Tout au cours du processus, le problème potentiel de contamination restait prioritaire.

Le maintien de cette priorité peut s’expliquer en partie par la persistance d’une préoccupation concernant l’approvisionnement en eau de la municipalité (Saint-Étienne-des-Grès et Lac-Beauport). De plus, le maintien à l’ordre du jour municipal peut-il être influencé par la présence d’un comité d’urbanisme (Saint-Antonin) ou d’une commission ayant des préoccupations environnementales (Lac-Beauport). Mais, dans chacun des cas, le maintien du problème de la contamination à l’ordre du jour s’explique, en partie, par le maintien en poste des maires et de quelques élus municipaux désirant appliquer des mesures de protection.

L’émergence d’un autre problème peut parfois remettre en question l’action à entreprendre pour régler un risque de contamination. Ainsi, à Saint-Antonin, l’émergence d’un problème potentiel de conflit d’usage de l’eau souterraine dans la municipalité voisine (Saint-Modeste) est venue interférer dans la priorité de certains élus municipaux. L’émergence de ce nouveau problème en cours de processus ne remit pas en question la reconnaissance du problème potentiel de contamination, mais l’adoption de la mesure de protection envisagée.

« Survie » des solutions au processus

La protection d’une source d’eau souterraine peut prendre différentes formes, qui toutes, gardent le même objectif, soit le contrôle ou l’interdiction d’activités reconnues comme sources réelles ou potentielles de contamination. Toutefois, pour que des mesures de protection soient retenues, la majorité des élus municipaux doivent être persuadés que la solution envisagée est applicable au plan municipal, qu’elle est faisable techniquement, que son coût est raisonnable, et qu’elle est acceptable pour la communauté politique et pour le public concerné.

La non-adoption de mesures de protection (Saint-Antonin et Saint-Étienne-des-Grès) s’explique en partie par le fait que les solutions mises de l’avant pour prévenir la contamination n’ont pas répondu à certains de ces critères. Dans les deux cas de non-adoption, au cours de la formulation des projets de règlement de zonage, les élus considéraient que cette mesure de protection était applicable au plan municipal, qu’elle respectait des critères techniques reconnus et impliquait des coûts acceptables. Toutefois, cette mesure n’était pas acceptable pour une partie de la communauté politique. Dans ces deux cas, les projets de règlement n’étaient pas acceptables parce qu’ils remettaient en cause des activités existantes et potentielles. Parmi cette communauté politique, il y avait certains élus de la municipalité de Saint-Antonin, les maires de la MRC de Francheville (Saint-Étienne-des-Grès), la Commission consultative agricole de la même MRC, certains agriculteurs et une partie des citoyens de Saint-Antonin concernées par le projet de règlement. Tous avaient la possibilité d’intervenir dans le processus d’adoption d’un projet de règlement de zonage. Les promoteurs abandonnèrent, persuadés qu’il était difficile, voire impossible, de persuader ces acteurs importants de la pertinence de leur projet.

Dans le cas de Lac-Beauport, les élus étaient favorables à l’adoption d’un règlement permettant la protection de l’eau souterraine. L’absence de contestation des citoyens concernés par le règlement pouvait laisser croire qu’il était acceptable auprès du public. La présence d’une commission de l’environnement (Lac-Beauport) et d’un comité d’urbanisme (Saint-Antonin) ont eu une certaine influence dans la prise de décision des élus. Dans le cas de Saint-Étienne-des-Grès, l’influence des groupes d’agriculteurs s’est davantage fait sentir par l’intermédiaire de la Commission consultative agricole de la MRC de Francheville. Cette commission a eu un effet significatif dans l’abandon du projet de règlement de zonage, car son avis prenait appui sur des bases d’une loi protégeant les activités agricoles.

Bien que l’adoption de règlements permettant la protection de l’eau souterraine dépende de leur « survie » à différents critères, celui de l’acceptation par la communauté politique semble, dans ces cas-ci, avoir été le plus important dans le processus. Toutefois, le contexte politique doit favoriser le choix de telles solutions.

Contexte politique local

Nos résultats indiquent que les élus municipaux et les autres acteurs politiques locaux évaluent les grandes tendances sociales favorables à leur action. Les entrevues auprès des maires ont révélé que leur action est influencée par les idées de l’heure. Les maires de Saint-Antonin, de Saint-Étienne-des-Grès et de Lac-Beauport ont mentionné l’émergence du débat sur la gestion de l’eau au Québec comme créant un climat propice à l’adoption de mesures de protection. Au Québec, le débat sur la gestion de l’eau a pris de l’ampleur vers le milieu des années 1990. La Commission sur la gestion de l’eau au Québec note ce changement depuis la création du PAEQ en 1978 : « Le PAEQ n’a pas été porté par une opinion publique vigilante et militante. Aujourd’hui, au contraire, le débat de l’eau devient une question nationale. Cela montre bien combien, en vingt ans, au-delà des courants de pensée, la conscience a évolué » (Bape, 2000, p. 39). Ce débat prend sa « source » dans une multitude d’événements locaux et nationaux qui attirèrent l’attention médiatique : conflits d’usage entre des compagnies d’embouteillage d’eau et de citoyens (ex. : Franklin, Mirabel), contamination des puits causée par des activités agricoles (porcheries), projet d’exportation massive de l’eau, privatisation de l’eau, inondation au Saguenay, etc. Il en ressortait une idée générale : il faut préserver cette ressource même si elle se retrouve en abondance au Québec. C’est dans ce contexte, jugé favorable par les maires des trois municipalités, que les projets de règlement furent proposés.

Le contexte politique local peut être favorable au développement d’une politique de protection de l’eau souterraine. Tel fut le cas de Saint-Antonin où la méfiance des différentes municipalités de la région à l’égard du développement de l’industrie porcine contribua à persuader les élus qu’une mesure de protection des puits municipaux devait être appliquée. Toutefois, ce climat peut évoluer. Ainsi à Saint-Antonin, le conflit opposant un groupe de citoyens de Saint-Modeste/Saint-Antonin à la ville de Rivière-du-Loup avait entraîné une méfiance quant à l’imposition d’une mesure qui affecterait le droit d’usage. Ce climat provoqua une scission au sein du conseil municipal de Saint-Antonin créant un groupe de « défenseurs du droit de propriété » et un groupe qui se voyait comme « défenseurs de l’intérêt public ». Ce changement dans le climat politique local influença négativement l’adoption du projet de règlement.

Dans les trois cas étudiés, les élections municipales ne furent pas un facteur déterminant dans l’adoption ou la non-adoption d’un règlement puisqu’aucune élection n’eut lieu au cours du processus (Saint-Antonin et Saint-Étienne-des-Grès). Toutefois, cet aspect pourrait être important dans la mesure où des élections municipales peuvent offrir une occasion de contrer ou de promouvoir une mesure de protection de l’eau souterraine. L’élection au Lac-Beauport a mis en poste une majorité d’élus réceptifs à l’idée de protéger cette ressource et la réélection d’une majorité d’entre eux a possiblement contribué à assurer une continuité et le maintien de cette priorité au sein du conseil. Ainsi, un changement significatif des élus au sein d’un conseil municipal peut favoriser ou défavoriser l’atteinte d’un objectif de protection de l’eau souterraine. Selon J.D. Powell (1985), ce qui distingue les municipalités davantage mobilisées par une contamination de leur eau souterraine, ce sont les caractéristiques individuelles des élus qui dominent le conseil municipal.

Dans le cas de Saint-Antonin, le groupe de citoyens de Saint-Modeste/Saint-Antonin a eu une certaine influence dans le rejet du projet de règlement. Ses actions semblent avoir influencé la réceptivité de certains élus et citoyens de Saint-Antonin concernés par le projet de règlement de zonage, et qui refusaient toute mesure limitant leur droit d’usage. Fleichman et Pirannunzi (1990) constataient, après l’analyse de 2 300 applications de règlements de zonage dans la région métropolitaine d’Atlanta, que l’approbation ou l’opposition de groupe de citoyens ou de promoteurs n’étaient pas des facteurs de prédiction importants de la décision des élus. Toutefois, notre étude montre que la pression exercée par les groupes de citoyens peut être déterminante dans certaines situations.

L’adoption d’une mesure de protection dépend de la présence d’individus, qui investissent leur temps et leurs ressources pour faire accepter les solutions qu’ils préconisent auprès de la communauté politique locale, des élus et des citoyens. Comme nous le verrons dans la section suivante, ces individus ou entrepreneurs politiques locaux agiront au niveau des problèmes, des solutions et de la politique de manière à provoquer la mise à l’ordre du jour municipal d’un problème potentiel de contamination et à faire adopter leur mesure de protection.

Les fenêtre politiques et les entrepreneurs politiques locaux

L’analyse des quatre cas montre que l’action de certains individus fut déterminante tout au long du processus de développement d’une politique de protection de l’eau souterraine. Il a été possible d’identifier certains individus comme les principaux défenseurs de l’idée de protéger cette ressource. Leur présence fut déterminante dans l’action municipale en matière de protection de l’eau souterraine. Les individus identifiés comme entrepreneurs politiques locaux occupaient divers postes : un fonctionnaire (Saint-Antonin), un citoyen (Saint-Antoine-de-Tilly) et des maires (Saint-Antonin, Lac-Beauport et Saint-Étienne-des-Grès). La position de chacun de ces entrepreneurs politiques détermine son action et les ressources à sa disposition pour défendre ses idées : temps, finance, information, position d’autorité dans la prise de décision ou habileté à parler au nom d’autres personnes. Parfois, les entrepreneurs politiques doivent déployer beaucoup d’effort pour avoir accès à ces ressources, soit par une mobilisation de la population (Saint-Antoine-de-Tilly) ou par leur élection (Saint-Antoine-de-Tilly, Lac-Beauport). Schneider et Teske (1992) montrent dans leur étude que l’un des facteurs expliquant l’émergence d’entrepreneurs politiques au plan local est la difficulté de surmonter les problèmes reliés à l’action collective. Nous avons constaté que des entrepreneurs politiques locaux doivent parfois consacrer beaucoup de temps et de ressources personnelles à la promotion de leurs idées. Lorsqu’un entrepreneur politique s’engage dans le processus, il lui est difficile d’évaluer ou de prédire le temps qu’il devra accorder à la cause qu’il défend. Il doit évaluer ses chances de succès avant et pendant le processus et décider alors s’il continue son action ; l’expérience et le succès des entrepreneurs politiques dans d’autres dossiers influencent cette évaluation. Plusieurs des entrepreneurs politiques ont fait mention en cours d’entrevue de leur implication dans des dossiers locaux à caractère environnemental où leur action fut déterminante dans le succès de la démarche. Cette expérience fut pour eux une occasion d’apprentissage et un moyen d’évaluer leur habileté.

L’analyse de quatre cas a permis de relever différentes actions ou stratégies utilisés par les entrepreneurs politiques locaux pour influencer le processus. Les entrepreneurs politiques étaient généralement actifs dans les trois courants sauf le fonctionnaire de Saint-Antonin qui fut actif principalement en matière de problèmes et de solutions. Ils sont aux aguets pour repérer une « fenêtre politique » qui leur permette de persuader les élus municipaux de se pencher sérieusement sur la possibilité de contamination de la source d’eau potable et la nécessité d’adopter des mesures de protection. Ces « fenêtres » peuvent s’ouvrir dans le politique, soit par des élections, un changement dans le climat politique local et dans l’« esprit du temps » ou dans la définition des problèmes lorsqu’un événement ou une crise offre une occasion de promouvoir l’idée de protéger la ressource.

Toutefois, les changements qui se produisent en matière de problèmes, de solutions ou de politique peuvent interférer dans le succès ou l’échec des entrepreneurs politiques locaux qui défendent l’idée de protéger l’eau souterraine. Ceux-ci réévaluent alors si leurs actions ont une chance de succès, sans quoi, ils décideront de cesser la promotion de leur problème ou de leur solution comme ce fut le cas à Saint-Antonin et à Saint-Étienne-des-Grès.

La protection de l’eau souterraine amène les élus municipaux à choisir entre le besoin de limiter certaines activités ou usages du territoire pour préserver leur ressource en eau potable et le besoin d’assurer le développement local et, parfois, l’obligation de maintenir certaines activités économiques. Notre étude montre que l’initiative municipale pour la protection de l’eau souterraine ne dépend pas uniquement des outils institutionnels disponibles, mais aussi d’une réalité locale plus complexe où s’affrontent différentes définitions des problèmes et des intérêts. L’instauration de périmètres de protection, et plus particulièrement le contrôle ou l’interdiction d’une activité, est une mesure de protection difficile à valoriser, et qui amène les élus à s’opposer aux intérêts économiques locaux.

Les initiateurs (maires, conseillers, fonctionnaires ou citoyens) doivent surmonter des contraintes sociales, économiques, informationnelles et politiques. Comme nous avons pu le constater, l’application de mesures de protection implique parfois des négociations difficiles et peut devenir une source de conflit. C’est pourquoi la présence d’individus ou entrepreneurs politiques locaux habiles et prêts à investir du temps et des ressources est un élément déterminant dans l’adoption de mesures de protection de l’eau souterraine. Toutefois, l’échec ou le succès d’une telle initiative locale dépend aussi d’éléments qui échappent au contrôle des acteurs concernés. Les difficultés amènent, parfois, les élus locaux à abandonner les procédures aux dépens d’une protection de l’eau souterraine.

La reconnaissance d’une possibilité de contamination de l’eau souterraine dépend de la réceptivité des élus, de la communauté politique locale et de la population concernée. L’obligation imposée aux municipalités par le nouveau Règlementsur le captage des eaux souterraines (L.R.Q., c. Q-2) de délimiter des périmètres de protection autour des puits municipaux et d’identifier les activités susceptibles de contaminer la source d’eau potable peut certainement contribuer à la protection de cette ressource. Toutefois, l’impact d’une telle mesure dépendra en grande partie de la volonté politique locale d’appliquer des mesures contraignantes permettant de protéger l’eau souterraine, source d’eau potable. C’est pourquoi cette démarche doit, aussi, offrir un cadre de réflexion sur la protection de cette ressource afin que l’ensemble des citoyens et de la communauté politique locale puisse prendre conscience de ce problème collectif et en débattre. Cette procédure obligatoire doit être l’occasion d’envisager des règles d’action communes où chacune des parties concernées s’engage à atteindre le même objectif, soit la protection des sources d’eau potable.