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L’histoire de l’apéline commence avec le clonage de l’ADNc du récepteur APJ à partir d’une banque génomique humaine par O’Dowd et al., en 1993 [1]. Il s’agit d’un récepteur orphelin de 380 acides aminés qui appartient à la famille des récepteurs à sept domaines transmembranaires couplés aux protéines G (RCPG) et qui partage 31 % d’identité de séquence protéique avec le récepteur de type 1 des angiotensines (AT1), d’où son nom APJ pour protéine putative reliée au récepteur AT1. Ce récepteur a depuis été cloné chez la souris [2] puis chez le rat [3, 4]. Parallèlement, Tatemoto et al. [5] isolaient, fin 1998, le ligand endogène du récepteur APJ humain à partir d’extraits d’estomac de boeuf en utilisant une méthode de criblage fondée sur la mesure des variations de pH extracellulaire à l’aide d’un appareil, le Cytosenseur. Ils nommèrent le peptide isolé « apéline », pour ligand endogène pour le récepteur APJ. Il s’agit d’un peptide de 36 acides aminés (apéline 36), issu d’un large précurseur, la proapéline, composé de 77 acides aminés. Le gène de l’apéline humaine est situé sur le chromosome X et la phase ouverte de lecture est localisée dans deux exons (1 et 2) séparés par un intron d’environ 6 kb. La partie non codante en 3’ se retrouve aussi dans deux exons (2 et 3). Ces données peuvent expliquer la présence de deux transcrits de taille différente, de 3,0 et 3,5 kb, en proportions variables suivant les tissus étudiés [7]. La proapéline a été isolée dans différentes espèces [5-7] et l’alignement des séquences de souris, rat, boeuf et homme a révélé une conservation stricte des 17 derniers acides aminés carboxyterminaux correspondant à l’apéline-17 ou K17F (Figure 1). In vivo, la proapéline donne naissance à différentes formes moléculaires d’apéline : dans le cerveau et le plasma de rat, on retrouve majoritairement la forme pyroglutamyl de l’apéline 13, pE13F (Figure 1) et en plus faible quantité, K17F [8] ; dans le testicule et l’utérus, c’est l’apéline 36 qui prédomine, alors que, dans la glande mammaire, on retrouve à la fois l’apéline 36 et pE13F [9].

Figure 1

A. Séquence primaire du précurseur de l’apéline, la proapéline, chez l’homme, le boeuf, le rat et la souris. La proapéline a été isolée dans différentes espèces [5-7] et l’alignement des séquences de souris, rat, boeuf et homme a révélé une conservation stricte des 17 derniers acides aminés carboxyterminaux correspondant à l’apéline-17 ou K17F. B. Structure primaire de différents fragments d’apéline, apéline-17 (K17F), forme pyroglutamyl de l’apéline-13 (pE13F), apéline-10 (R10F), apéline-5 (G5F).In vivo, la proapéline donne naissance à différentes formes moléculaires d’apéline : dans le cerveau et le plasma de rat, on retrouve majoritairement la forme pyroglutamyl de l’apéline 13, pE13F et en plus faible quantité, K17F [8]. Ces deux peptides présentent une forte affinité (nM) pour le récepteur APJ, alors qu’elle est très faible pour R10F et G5F. C. Inhibition de la production d’AMPc induite par la forskoline (FSK) par différents fragments d’apéline.Les fragments sont appliqués sur des cellules CHO exprimant de façon stable le récepteur de l’apéline étiqueté à son extrémité carboxyterminale avec une protéine fluorescente l’EGFP (R-Apéline-EGFP) [12, 13] : K17F (courbe d’inhibition en orange), pE13F (en vert), R10F (en violet), G5F (en bleu). D. Internalisation du récepteur de l’apéline (R-Apéline-EGFP) dans une lignée de cellules CHO exprimant de façon stable ce récepteur sous l’action de différents fragments d’apéline (K17F, pE13F, R10F) [12, 13].

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À l’aide de K17F et d’autres fragments d’apéline tronqués à l’extrémité aminoterminale de K17F, plusieurs laboratoires ont montré que les récepteurs murin et humain de l’apéline, exprimés de façon stable dans des cellules ovariennes de hamster chinois (CHO), sont couplés négativement à l’adénylate cyclase. Les fragments les plus actifs du propeptide sont K17F ainsi que l’apéline 13 (Q13F) et pE13F [4, 6, 10, 11] (Figure 1). Ces mêmes fragments induisent l’internalisation du récepteur de l’apéline [11-13]. De plus, la stimulation du récepteur de l’apéline par pE13F entraîne l’activation de la voie des MAP-kinases et des PI3-kinases [14].

Distribution de l’apéline et de son récepteur dans le cerveau

Le développement d’un anticorps polyclonal de haute affinité et sélectivité contre K17F [8, 12] a permis de visualiser, pour la première fois chez le rat, la présence de neurones apélinergiques dans le système nerveux central. Les corps cellulaires de ces neurones sont particulièrement abondants dans les structures de l’hypothalamus et du bulbe rachidien impliquées dans le contrôle neuroendocrinien, le comportement dipsique et la régulation de la pression artérielle, notamment dans la partie magnocellulaire des noyaux paraventriculaire (PVN) et supra-optique (SON) de l’hypothalamus, le noyau arqué, le noyau réticulé latéral et le noyau ambigu [15]. Une forte densité de fibres et de terminaisons apélinergiques est également présente dans la couche interne de l’éminence médiane et dans l’hypophyse postérieure [12, 16], suggérant que les neurones apélinergiques du PVN et du SON se projettent, comme les neurones magnocellulaires vasopressinergiques et ocytocinergiques, dans l’hypophyse postérieure. Des études de double marquage en immunofluorescence ont confirmé cette hypothèse en montrant que l’apéline était en fait localisée dans les mêmes neurones magnocellulaires hypothalamiques que la vasopressine (AVP) [8, 17] et l’ocytocine [16]. De nombreuses fibres apélinergiques ont également été visualisées dans la région située le long du troisième ventricule, la lame terminale (composé de l’organe subfornical [SFO], l’organe vasculaire de la lame terminale [OVLT] et le noyau médian préoptique [MnPO]), impliquée dans la régulation de la prise de boisson [18].

Tout comme l’apéline, le récepteur de ce peptide est très largement distribué dans le système nerveux central du rat [3, 4, 7]. Ainsi, on observe, par hybridation in situ, l’expression de l’ARNm du récepteur de l’apéline dans le cortex cérébral, l’hippocampe et des structures contenant les neurones mono-aminergiques (substance noire, noyau raphé dorsal, locus coeruleus). Une expression très forte est détectée dans les noyaux hypothalamiques riches en apéline, dont le PVN, le SON et le noyau arqué, ainsi que dans la glande pinéale et les lobes antérieur et intermédiaire de l’hypophyse. De plus, des études en double marquage associant l’immunocytochimie et l’hybridation in situ, ont démontré que dans le PVN et le SON, les récepteurs de l’apéline [12, 19], tout comme ceux de l’AVP de type 1a et 1b (V1a et V1b) [20], sont synthétisés par les neurones magnocellulaires vasopressinergiques. On sait depuis longtemps que ces neurones neurosécrétoires libèrent l’AVP, un peptide vasoconstricteur et anti-aquarétique, dans les capillaires fenêtrés de la neurohypohyse, en réponse aux variations d’osmolalité plasmatique et de volémie [21, 22] ou sous l’action de différentes neurohormones comme l’angiotensine II/III et les peptides natriurétiques [23, 24]. On ignorait cependant jusqu’à tout récemment quelle était la réponse apélinergique à ces mêmes stimulus.

Implication de l’apéline dans la régulation de l’équilibre hydrique et des fonctions cardiovasculaires

La colocalisation AVP/apéline dans les neurones magnocellulaires de l’hypothalamus et l’association étroite des récepteurs des deux peptides avec ces mêmes neurones nous a conduits à postuler qu’indépendamment du rétrocontrôle exercé par l’AVP sur sa propre libération, l’apéline pouvait réguler la libération de l’AVP. Cette hypothèse a été testée dans le modèle de la rate en lactation, dans lequel on retrouve une hyperactivité des neurones magnocellulaires vasopressinergiques [25] destinée à conserver au mieux le contenu hydrique de l’organisme pour une production optimale de lait. Dans ce modèle, l’apéline (K17F) injectée par voie centrale diminue l’activité électrique phasique des neurones vasopressinergiques, réduit la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine et entraîne une diurèse aqueuse [8] (Figure 2). De la même façon, une réduction importante de la sécrétion systémique d’AVP est observée après injection intracérébroventriculaire des fragments d’apéline K17F ou pE13F chez des souris déshydratées pendant 24 heures [12], condition qui entraîne elle aussi une hyperactivité des neurones vasopressinergiques. On peut conclure de ces résultats que l’apéline pourrait, comme l’AVP, être libérée au niveau somatodendritique et exercer un effet inhibiteur direct sur l’activité phasique des neurones vasopressinergiques et la libération systémique d’AVP via des autorécepteurs synthétisés par ces neurones. Par ce mécanisme, l’apéline jouerait donc le rôle d’un inhibiteur naturel de l’effet antidiurétique de l’AVP.

Figure 2

Action centrale de K17F.

Action centrale de K17F.

Chez la rate en lactation, K17F inhibe l’activité électrique phasique des neurones magnocellulaires vasopressinergiques et la sécrétion systémique de la vasopressine, provoquant une augmentation de la diurèse aqueuse. SON : noyau supra-optique ; PVN : noyau paraventriculaire ; AVP : vasopressine. Les deux photographies à droite de la figure représentent le corps cellulaire d’un neurone magnocellulaire doublement marqué en immunofluorescence avec un anticorps dirigé contre la vasopressine (en vert) et un anticorps dirigé contre l’apéline (en rouge) [8, 17].

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Bien que les deux peptides soient localisés dans les mêmes neurones, chez le rat déshydraté pendant 24 heures, l’hyperactivité des neurones vasopressinergiques et l’augmentation concomitante de la sécrétion systémique d’AVP s’accompagnent d’une diminution des taux d’apéline dans le plasma [8]. On observe en parallèle, par immunohistochimie quantitative, une déplétion du contenu en AVP et une augmentation du contenu en apéline des neurones vasopressinergiques du PVN et du SON [17]. L’augmentation des concentrations intracellulaires d’apéline observée chez les animaux déshydratés est inhibée par l’administration centrale d’un antagoniste sélectif des récepteurs V1 de l’AVP et est mimée par une administration intracérébroventriculaire d’AVP [17], suggérant qu’elle est causée par l’augmentation de libération somatodendritique d’AVP secondaire à la déshydratation. Cette interprétation implique que l’apéline et l’AVP sont libérées de façon différentielle par les neurones magnocellulaires vasopressinergiques dans lesquels elles sont colocalisées. En accord avec cette hypothèse, des études de double marquage en microscopie confocale ont montré que les deux peptides se retrouvent en grande partie dans des granules neurosécrétoires, de taille et de distribution distinctes, dans les neurones magnocellulaires [8, 17] (Figure 2).

Ces résultats démontrent que lors d’une déshydratation, l’apéline et l’AVP jouent un rôle complémentaire. Alors que l’augmentation de libération somatodentritique de l’AVP optimise l’activité phasique des neurones vasopressinergiques [26, 27], facilitant la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine, l’apéline s’accumule dans ces neurones au lieu d’être libérée dans la circulation sanguine, provoquant une diminution de son activité inhibitrice et, par ce biais, une amplification de l’activité phasique des neurones vasopressinergiques. Cette régulation croisée de l’apéline et de l’AVP semble avoir une finalité biologique puisqu’elle permet de maintenir l’équilibre hydrique de l’organisme, en évitant une perte d’eau supplémentaire par les reins. Cette régulation fine et bien orchestrée est nécessaire puisque, de façon intrinsèque, l’AVP et l’apéline ont des actions opposées sur la diurèse.

Il est possible qu’en plus de cet effet central, l’apéline joue un rôle direct sur la diurèse à la périphérie. En effet, l’expression de l’ARNm du récepteur de l’apéline a été detectée dans le rein chez le rat [3, 28] et une immunoréactivité apéline a été visualisée dans le canal collecteur chez l’homme [29]. Enfin, en accord avec un rôle de l’apéline dans la régulation de l’équilibre hydrique qui dépend non seulement de la sécrétion d’AVP, mais aussi de la régulation de la soif et de la prise de sel [30], des fibres et des terminaisons apélinergiques ont été visualisées dans les centres de la soif (SFO, OVLT, MnPO) [15] et l’injection d’apéline par voie intracérébroventriculaire chez le rat déshydraté pendant 24h réduit la quantité d’eau ingérée [12].

Outre ces effets sur le contrôle de l’équilibre hydrique, l’apéline a aussi des effets cardiovasculaires propres. L’ARNm des récepteurs de l’apéline a été détecté dans le myocarde et l’endothélium vasculaire [3]. L’apéline injectée par voie systémique diminue la pression artérielle [7, 12, 31] via un mécanisme dépendant de la production de NO [31]. Dans le coeur du rongeur, l’apéline augmente la force contractile du myocarde par un effet inotrope positif tout en diminuant les pré- et post-charges [32-35]. Une augmentation de l’immunoréactivité apéline a été observée dans le plasma de patients ayant une insuffisance cardiaque à un stade précoce, alors qu’une diminution apparaîtrait à un stade plus sévère [36]. Ces données suggèrent que le récepteur de l’apéline de par les effets inotrope positif, vasodilatateur et diurétique de son ligand, pourrait représenter une cible thérapeutique potentielle dans le traitement de l’insuffisance cardiaque.

Conclusions

La découverte de l’apéline comme ligand endogène du récepteur orphelin APJ, constitue une avancée importante au plan fondamental et, potentiellement, au plan clinique. Au plan fondamental, elle représente un bon exemple de la validité de l’approche de « désorphanisation » des récepteurs orphelins pour l’identification de nouveaux peptides bio-actifs et de nouvelles cibles thérapeutiques. Les données expérimentales obtenues jusqu’ici démontrent que l’apéline, par son rôle inhibiteur sur l’activité électrique phasique des neurones vasopressinergiques et la sécrétion systémique de vasopressine, induit une diurèse. À la périphérie, elle diminue la pression artérielle, augmente la force contractile du myocarde tout en diminuant les pré- et post-charges, des actions opposées à celles de la vasopressine et de l’angiotensine II. L’ensemble de ces données (Figure 3) montre que ce nouveau (neuro)peptide vaso-actif circulant pourrait jouer un rôle crucial dans le maintien de l’équilibre hydrique et des fonctions cardiovasculaires. Sur le plan clinique, le développement d’analogues non peptidiques du récepteur de l’apéline, fondé sur la connaissance de la structure de l’apéline et de celle de son récepteur, pourrait offrir de nouveaux outils thérapeutiques pour le traitement des sécrétions inappropriées d’AVP, de l’insuffisance cardiaque et de l’insuffisance rénale.

Figure 3

Récapitulatif des actions biologiques de l’apéline au niveau central et périphérique.

Récapitulatif des actions biologiques de l’apéline au niveau central et périphérique.

L’apéline, un intégrateur de plusieurs fonctions impliquées dans le contrôle de l’équilibre hydrique et des fontions cardiovasculaires, diminue la sécrétion de vasopressine et la pression artérielle et augmente la force contractile du myocarde [7, 8, 12, 32, 34].

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