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L’objectif de cet ouvrage consiste à assurer un traitement détaillé et cohérent du domaine de la biologie des sols en privilégiant une approche holistique qui couvre un éventail d’échelles spatiales, de l’interface racines-sol au paysage. Les trois auteurs sont, dans l’ordre, botaniste (Gobat), microbiologiste (Aragno) et zoologiste (Matthey). Ils mettent résolument l’accent sur la présentation de toute la gamme des organismes vivants qui sont en contact avec le sol (par exemple, arbres, fourmis, champignons, etc.) et sur la mise en relief de l’impact crucial qu’ils exercent sur les propriétés, la formation et le fonctionnement des sols. Cet ouvrage ne prétend par ailleurs pas à l’exhaustivité quant au traitement des caractéristiques chimiques, physiques et minéralogiques des sols, mais il en résume néanmoins les éléments saillants et essentiels à la discussion du rôle et de la diversité des organismes édaphiques.

La mention « Base de pédologie, Biologie des sols » qui paraît au bas de la page couverture traduit bien la perspective biologique privilégiée par les auteurs. Elle aurait toutefois gagné à être mieux intégrée au titre.

L’éditeur précise dans sa publicité que ce livre est destiné aux étudiants des trois cycles en biologie, géologie, agronomie, sylviculture, écologie et sciences de l’environnement, aux praticiens en agronomie, foresterie et sciences de l’environnement ainsi qu’aux enseignants du niveau secondaire supérieur. Cet énoncé exclut curieusement les spécialistes et chercheurs de carrière en science des sols qui trouveront dans cet ouvrage une riche source d’informations.

Le livre contient 17 chapitres divisés en deux parties : une première qui traite des fondements de la pédologie, en six chapitres, selon une approche plutôt linéaire et une seconde qui aborde onze thèmes touchant la biologie des sols, thèmes ordonnés en fonction d’une logique propre à la chaîne d’évolution des matières organiques. Ici, le lecteur peut facilement entrer et sortir au gré de ses intérêts en biologie des sols. L’objectif de chaque chapitre est clairement annoncé dans une introduction brève et limpide.

Les chapitres un à six présentent, en séquence, le concept de sol (chap. 1), les constituants inertes et vivants du sol (chap. 2), les propriétés physiques et chimiques du sol (chap. 3), les relations plante-sol, le fonctionnement racinaire et les microorganismes du sol (chap. 4), la pédogenèse et un aperçu de la classification des sols (chap. 5) ainsi que les diverses formes d’humus (chap. 6).

Les thèmes sélectionnés pour illustrer l’importance de la biologie des sols sont : les relations sol-végétation à diverses échelles spatiales (chap. 7), les structures minérales (pierres) ou organiques (troncs d’arbres, cadavres, etc.), sources d’hétérogénéité dans le sol, les annexes du sol (chap. 8), la formation de la tourbe et le développement des sols organiques (chap. 9), le compostage et l’utilisation des composts (chap. 10), la bioremédiation des sols contaminés par les métaux et les composés organiques (chap. 11), les animaux du sol et leurs spécificités fonctionnelles (chap. 12), les réseaux de circulation de l’énergie et les chaînes alimentaires du sol (chap. 13), les enzymes du sol et la biochimie de l’humification (chap. 14), la dynamique de l’interface plante-sol, la rhizosphère (chap. 15), les principales symbioses mutualistes du sol (chap. 16) et les nouvelles avenues de recherche en biologie des sols (chap. 17). Ce chapitre constitue, en fait, la conclusion de l’ouvrage.

À l’intérieur des chapitres, une place est réservée à la présentation de méthodes facilitant l’étude des organismes du sol, dont la biologie moléculaire et, réciproquement, aux techniques de bioindication qui utilisent les organismes du sol, ces sentinelles de l’environnement terrestre, pour la détection des conditions particulières du sol.

La bibliographie couvre 27 pages et regroupe plus de 700 entrées, dont une grande proportion est en français. Les publications en langue allemande sont aussi bien représentées. On peut toutefois regretter qu’à peine une quarantaine de références soient postérieures à 1999. Une liste des unités accompagne par ailleurs le texte. Enfin, l’index, très détaillé, intègre des synonymes et contient un renvoi à chacune des définitions.

La structure du livre est fortement hiérarchisée et l’ouvrage est finement découpé en sous-sections qui s’imbriquent, en général, très bien et dont la présence assure une lecture balisée au débutant sans agacer pour autant le spécialiste.

Le propos des auteurs s’appuie sur une multitude d’illustrations, de tableaux, d’encadrés contenant définitions (près de 1 300) et rappels, et de citations savoureuses de Colette, Giono ou Steinbeck placées en marge du texte. Il faut aussi souligner la qualité élevée des figures originales et des reproductions photographiques, en particulier l’ensemble couleur qui intervient au milieu de l’ouvrage. Ces éléments graphiques et textuels sont pour l’essentiel conçus avec soin, pertinents et ils aident le lecteur dans la consultation de cet ouvrage de synthèse. On perçoit ainsi chez les auteurs un réel souci d’adopter une approche pédagogique dynamique et conviviale arrimée à une solide maîtrise des outils disponibles à cette fin.

Au niveau de la langue, on notera que la première phrase de l’avant-propos (une citation en anglais) contient une irrévérencieuse coquille. D’autres apparaissent à l’occasion et viennent troubler le plaisir de la lecture. On aurait souhaité une rigueur un peu plus grande de la part de la maison d’édition à cet égard.

Tout au long du texte, les auteurs utilisent le Référentiel pédologique pour la nomenclature des sols et des horizons. Ils soulignent aussi, et à juste titre, le problème apparemment insoluble que constitue la multiplicité des systèmes de classification des sols. Les lecteurs pour qui ledit référentiel n’est pas familier se surprendront néanmoins à souhaiter, dans certains cas, l’usage d’une classification hiérarchisée comme la Soil Taxonomy. En toute honnêteté, il ne s’agit toutefois pas là du problème des auteurs, mais bien de celui de la pédologie.

Dans l’univers de la science des sols, le domaine de la biologie des sols est actuellement en forte expansion. Le rôle déterminant des organismes vivants sur, entre autres, l’altération des minéraux, la spéciation des métaux traces, le cycle du carbone, la nutrition des plantes, la pédogenèse, la construction de réseaux poreux et d’unités structurales stables et la résistance des sols à l’érosion est de mieux en mieux démontré et davantage accepté au sein de la communauté scientifique. L’impact des organismes vivants sur la dynamique des sols s’explique tant par leur abondance, leur diversité et l’intensité de leur activité que par leur ubiquité. En effet, pratiquement aucun milieu terrestre, de l’Antarctique aux sommets himalayens, n’est exempt de ces organismes vivants de toutes tailles qui s’organisent en colonies, en réseaux ou en biofilms. Si, comme le souligne Roger Dajoz dans la préface du livre, le fonctionnement du sol est aujourd’hui considéré comme une des dernières grandes inconnues en sciences naturelles, la connaissance fine de l’activité biogéochimique des organismes du sol, notamment les microorganismes, en représente très certainement une des frontières critiques. Dans ce contexte, les auteurs proposent une démonstration éloquente des liens fondamentaux et intimes qui unissent les sols aux organismes vivants. Ils élaborent encore davantage cette relation en explorant son caractère appliqué tant dans le domaine de la restauration des sols contaminés (bioremédiation, phytoremédiation), de l’impact des changements climatiques et environnementaux que dans celui du contrôle des organismes génétiquement modifiés. Cette approche intégrée du rôle des organismes vivants contribue efficacement à vivifier l’étude des sols.

En somme, Le Sol vivant est un ouvrage de synthèse construit avec aplomb, richement imagé, foisonnant de renseignements et accessible à un vaste public. Au plan scientifique, il satisfait admirablement son objectif principal qui est de mettre en lumière et de valoriser la contribution fondamentale, et trop souvent négligée, des organismes vivants à la dynamique des sols en privilégiant une vision holistique.