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Quand on parle de l’histoire de la recherche archéologique au Nouveau Monde, Acosta fait figure de précurseur en ce qui concerne l’origine des populations autochtones. En effet, au XVIe siècle, l’on attribuait généralement l’origine des civilisations indiennes aux Étrusques, aux Égyptiens, ou encore à l’Atlantide ou au continent de Mu. Acosta est le premier à proposer que les premières populations du Nouveau Monde ont pénétré le continent à partir de l’Asie par le détroit de Béring. Il propose même une date de deux mille ans avant notre ère pour ce passage, respectant toutefois en cela la Bible. C’est pourquoi je voulais relire cet ouvrage.

Le livre Historia Natural y moral de las Indias a été publié pour la première fois en 1590. Le père José de Acosta (1540-1600), son auteur, est un jésuite qui fut missionnaire au Nouveau Monde et plus particulièrement au Mexique et au Pérou, bien qu’il ait également séjourné dans les Caraïbes et en Bolivie. Le but de son ouvrage était de présenter et de faire du sens avec ce « Nouveau Monde » et ses pratiques culturelles. Il s’agit en fait d’une conceptualisation des « Indes » dans une perspective philosophique et théologique plus vaste. Le livre, écrit en espagnol, fut immédiatement traduit en italien, français, anglais, hollandais et latin, sans doute du fait de l’intérêt que suscitait la connaissance de ces nouvelles contrées.

Acosta a été influencé par de nombreux écrits de chroniqueurs et de missionnaires débarqués au Mexique et au Pérou au début du XVIe siècle. Pour ce qui est du Mexique, Acosta a puisé beaucoup dans le manuscrit Tovar (Juán de Tovar), sans doute inspiré du codex Ramirez, lui-même influencé par les écrits de Durán. Pour ce qui est du Pérou, ce sont les écrits de Juán Polo de Ondegardo qui ont joué ce rôle. La Historia était en fait une introduction à un manuscrit plus important qu’Acosta avait écrit auparavant, De procuranda Indorum salute, une sorte de théologie de la libération de l’époque.

On trouve en introduction au texte d’Acosta un long prologue de quelque quatre-vingts pages d’Edmundo O’Gorman, traduit de l’édition mexicaine de 1940. La perspective de l’auteur est critique et remet en question la valeur des textes historiques. Pour ce dernier, l’approche d’Acosta est déjà très postmoderne, dans le courant de la nouvelle critique britannique.

L’ouvrage se compose d’une introduction portant sur la place du Nouveau Monde dans la configuration de la terre dans le contexte de la conversion et de sept Livres :

Livre I : Cosmologie, géographie, Histoire et origine du Nouveau Monde ; Livre II : Équateur habité? ; Livre III : Configuration « naturelle » des « Indes » : air, eau, terre, feu; Livre IV : Minéraux, plantes et animaux ; Livre V : Êtres humains, Religion ; Livre VI : Éducation, système d’écriture, chronologie, politique, économie ; Livre VII : Traité du passé, de « l’histoire ».

L’ouvrage d’Acosta aura de l’intérêt pour deux groupes de lecteurs : ceux qui s’intéressent à la Mésoamérique ou à l’aire andine, et plus spécifiquement aux périodes qui précèdent la conquête espagnole. Bien que de nombreuses informations soient tirées de textes antérieurs, elles sont ici présentées dans une autre perspective qui devrait être considérée par le spécialiste de ces cultures. Je crois toutefois qu’il sera d’un grand intérêt pour les historiens et particulièrement les historiens des idées et des idéologies. En effet, l’ouvrage d’Acosta sera lu plus tard, au XIXe siècle, à l’époque de l’éclatement des nationalismes et également de la naissance de l’anthropologie. O’Gorman, le présentateur, invite le lecteur à s’éloigner des idéologies nationales pour comprendre le passé et à regarder la constitution et la transformation du monde moderne-colonial et les phénomènes de globalisation de 1500 à aujourd’hui. Acosta écrivait l’histoire que les Amérindiens n’avaient pas. Mais nulle part il ne reconnaît les connaissances et la contribution de ces derniers à cette histoire.