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Le dynamisme d’un groupe minoritaire suffit-il pour comprendre les conditions qui lui permettent de participer à son épanouissement ? C’est la question que se pose Linda Cardinal, professeure de science politique à l’Université d’Ottawa, dans cet essai sur l’Ontario français. Plus particulièrement, l’auteure et ses collaboratrices proposent d’examiner l’évolution de la francophonie ontarienne sous un éclairage autre que celui traditionnellement privilégié : elles favorisent davantage l’étude de la vitalité politique du milieu francophone que celui de sa vitalité communautaire. De ce point de vue, il s’agit moins d’examiner l’impact de certaines formes de mobilisation sur le changement mais plutôt les conditions particulières — principalement de nature politique — qui permettent de concrétiser les demandes des groupes. Il s’ensuit que, selon cette perspective, l’action des groupes sera évaluée moins en termes de « succès ou d’échec » que plus précisément en termes de « biens collectifs » obtenus (ou perdus) au fil du temps.

Au-delà des considérations théoriques qui encadrent cette étude et qui sont exposées au premier chapitre, l’ouvrage, comme l’indique l’auteure, est essentiellement un remaniement des résultats d’une enquête commandée par la Table féministe francophone de concertation provinciale de l’Ontario à la fin des années 90. Destinée au milieu associatif et gouvernemental, cette étude devait faire état de la question de la prestation des services de santé et des services sociaux en vue, entre autres, d’élaborer des stratégies visant à intéresser davantage les femmes francophones — généralement les premières concernées par ces questions — à participer au développement de la francisation de ces services. On comprend alors pourquoi, sur les 159 acteurs interviewés pour l’étude, on a choisi 24 femmes et 48 groupes de femmes.

À partir du travail documentaire d’envergure et des données recueillies pour cette enquête, Linda Cardinal élargit, quelques années plus tard, son champ d’étude pour écrire ce livre en ajoutant sommairement les réalisations dans les services en français pour les secteurs judiciaire, municipal, public et scolaire. Cela crée un déséquilibre incontestable que l’auteure elle-même souligne dans l’introduction. Pour quiconque connaît la francophonie ontarienne, la décennie couverte par l’ouvrage ne sera pas surprenante : elle constitue en effet une période mouvementée parce qu’elle commence par la Loi sur les services en français (1986) avec l’arrivée au pouvoir du Parti libéral l’année précédente et se termine avec les élections des conservateurs dirigés par Mike Harris (1995) qui, selon l’auteure, « est sans doute le premier [de tous les premiers ministres conservateurs ontariens] qui tentera de rompre une fois pour toutes avec l’interventionnisme étatique propre à la logique providentielle. » On passe donc, en l’espace de dix ans, d’un contexte d’ouverture politique à celui de recul. Un des intérêts de cet ouvrage est justement de situer l’action de l’ensemble des intervenants de la francophonie ontarienne dans l’évolution de ce contexte. Dans cette optique, l’auteure accorde une importance à l’examen de la dynamique des liens entre ces intervenants et des rôles qu’ils jouent dans le processus de changement.

Linda Cardinal atteint bien le but qu’elle s’est fixé en écrivant ce livre : amorcer une réflexion non seulement sur les enjeux et les défis que pose le développement des services en français en Ontario (services bilingues ou homogènes, diversité culturelle) mais sur l’évolution de la recherche sur les mouvements sociaux. En effet, on retrouve dans l’ouvrage une intéressante typologie de la recherche effectuée jusqu’à maintenant sur les francophones de l’Ontario. Également, et plus fondamentalement, l’auteure maintient que ceux et celles qui ont mené ces recherches ont souvent milité au sein du milieu francophone, « ce qui teinte peut-être trop leurs analyses et peut donner lieu à une confusion des discours entre les chercheurs et les acteurs ». La méthodologie qui sous-tend l’étude de Linda Cardinal a bien tenu compte de cette préoccupation. Pour conclure, il importe d’ajouter que le néophyte profiterait bien de ce bref exposé comme d’une introduction en profondeur sur la question de la francophonie ontarienne.