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Les thérapies systémiques ont démontré leur utilité auprès de clientèles réputées difficiles (Prochaska et Norcross, 2003). Les personnes avec un trouble de personnalité limite (TPL) bénéficient le plus souvent d’approches diversifiées qui doivent s’ajuster à leurs besoins changeants de contenance, de soutien, de compréhension et de développement (Linehan et al., 1991). L’instabilité qui les caractérise au niveau de leurs cognitions et de leurs émotions, couplée à leur impulsivité conduit inévitablement à des troubles relationnels. Dans les situations de crise, les approches systémiques qui impliquent l’ensemble des proches favorisent la résolution dans le ici et le maintenant. Avec le temps, nous avons constaté à quel point les proches des patients TPL apprécient de ne pas être tenu à l’écart et de pouvoir collaborer à la résolution des problèmes qu’ils se posent. Il est question ici de compétence et d’habilitation (empowerment]) de chacun des membres du système familial. Cet article aborde des principes de base permettant d’intervenir auprès de ces personnes dans le contexte d’une crise suicidaire à l’urgence psychiatrique et dans le cadre d’un suivi auprès d’une famille en voie d’éclatement.

Menace de suicide : Intervention dans le contexte d’une urgence psychiatrique

Cadre conceptuel

Le cadre théorique du processus que nous décrivons est dérivé à la fois du point de vue structural (Minuchin et al., 1975) et du point de vue stratégique (Haley, 1976, Watzlawick, 1974). L’objectif principal est de réduire les risques de passage à l’acte autodestructeur et les angoisses de mort déstructurant le système familial. Nous illustrons les techniques utilisées : questionnement circulaire, connotations positives, injonctions paradoxales et position basse.

Programme des troubles relationnels

Le programme des troubles relationnels est un dispositif spécialisé dans l’évaluation et le suivi des personnes souffrant d’un trouble limite de la personnalité. Il offre des services de consultation aux autres composantes du département de psychiatrie, dont l’urgence, des services de suivi à l’hôpital de jour (hospitalisation partielle) et au volet externe. Les équipes interdisciplinaires de ces trois volets travaillent en étroite collaboration entre elles et avec le réseau qui entoure le patient identifié. Ce dispositif vise à réduire les hospitalisations, les régressions pathogènes et la psychiatrisation. Il tente la meilleure intégration possible de diverses approches théoriques. Il est orienté vers la recherche et l’application de solutions et s’appuie sur les compétences de l’ensemble des membres du système incluant le patient et ses proches.

Volet — consultation à l’urgence

Lors d’une consultation à l’urgence, le psychiatre du Programme répond à une demande du psychiatre de l’urgence. Il intervient pour ralentir le système pris dans une escalade de réactions et de contre-réactions du patient, de ses proches et des intervenants, par une injonction paradoxale de type : « Il n’y a pas d’urgence à prendre une décision. » Les membres de ce système devenu « fou » doivent retrouver un sentiment de sécurité et de confort relatif pour mentaliser à nouveau et ne pas « prendre en otage » les nouveaux intervenants.

Vignette clinique

Une femme de vingt-cinq ans, secrétaire, mariée, mère d’un enfant de dix-huit mois se présente à l’urgence psychiatrique. Il s’agit de sa troisième visite en dix jours. Elle est accompagnée de son conjoint et sa famille affolés par ses menaces suicidaires : elle parle de prendre toute sa médication ou de se jeter en bas d’une automobile en marche.

Lors des deux premières visites à l’urgence psychiatrique, la patiente a rapidement cessé ses menaces de se tuer. Elle a reçu son congé par la suite et a été orientée vers le volet externe du Programme des troubles relationnels (délai d’attente d’une semaine). À la troisième visite, le psychiatre constate une décompensation attribuable au trouble de personnalité plutôt qu’à une psychopathologie à l’axe I. Il demande une consultation au Programme des troubles relationnels et instaure à l’unité d’ultracourt séjour (unité fermée) le régime suivant tel que convenu avec le programme :

  1. Un milieu sécuritaire avec des intervenants formés ;

  2. Aucun contact avec l’extérieur ;

  3. Une médication neuroleptique à petite dose ;

  4. Une préparation à la rencontre familiale dans les prochains 48-72 heures ;

  5. Une thérapie — « Pas de psychothérapie » : les échanges verbaux sont limités aux besoins de base. La patiente est encouragée à ventiler par écrit ses émotions qui ne sont pas discutées.

L’entrevue débute par l’arrivée du psychiatre accompagné de l’infirmière de la patiente. Elle et sa famille sont assises autour d’une table. Tous adoptent une position préoccupée et teintée d’impuissance. Cette attitude dénote un paradoxe puisque la patiente et sa famille attendent depuis 48-72h... un grand spécialiste… Il débute par des propos de courtoisie et de socialisation banale puis explicite le but de la rencontre : soumettre au psychiatre traitant une opinion au sujet du diagnostic, de la dangerosité et d’éventuels services disponibles. Il procède à une analyse du système : qui se présente ou pas ? Qui souffre (ce n’est apparemment pas la patiente identifiée) ? De quoi ? Quelles solutions ont été tentées pour résoudre la crise ? Il analyse minutieusement les faits et le contexte des menaces puis questionne avec empathie la cliente au sujet des circonstances de sa présence à l’urgence. Il s’agit de recueillir des faits, non des opinions. Le psychiatre utilise la méthode du questionnement circulaire auprès des proches en insistant sur la séquence des faits. Il s’agit de contenir l’expression des émotions dans ce système qui souffre d’une surcharge émotionnelle et de construire une alliance de travail en exprimant des connotations positives au sujet de chacun.

Que révèle l’exercice ?

À la rencontre, sont présents le conjoint de la patiente, son père, sa mère, sa soeur aînée qui vit en appartement. Son autre soeur aînée, retournée vivre chez ses parents et décrite « dépressive », n’est pas venue. Le père déclare que son frère maniaco-dépressif est en train de décompenser. La patiente pleurniche, ne répond pas aux questions. Le père raconte les difficultés du couple de sa fille depuis l’arrivée du bébé, son sentiment d’être délaissée par son conjoint, son aventure extra-conjugale brève il y a six mois suivie de somatisations multiples, de nombreuses consultations médicales non apaisantes, diverses médications prises sans succès. La révélation de son infidélité, il y a trois mois, a provoqué une colère importante du conjoint qui en plus de ne pas pardonner, ne tolère plus les plaintes somatiques de sa femme. Elle est allée se faire « soigner » chez ses parents. Ses malaises ont augmenté, elle ne fait plus rien, ne se lave plus. De plus en plus infantile, elle réclame avec force de retourner au domicile conjugal tout en se montrant incapable d’assumer ses responsabilités d’épouse et de mère (message paradoxal). Le conjoint craint pour leur bébé, s’oppose à son retour. La patiente menace de se tuer.

Les antécédents de la patiente révèlent de l’impulsivité, une pauvre modulation affective et des relations interpersonnelles tumultueuses. Les menaces se situent dans un contexte d’abandon et visent à forcer la prise en charge par le conjoint. Le père est débordé et hostile au conjoint, la mère demeure passive tandis que la soeur rationalise. À la question, qui souffre, de quoi ? On peut répondre que le père a peur car il ne dort plus pour surveiller sa fille suicidaire. Il se sent impuissant parce qu’il ne parvient plus à mettre de l’ordre dans sa famille et se sent coupable de se mêler autant des conflits conjugaux de sa fille.

La famille a tenté de solutionner la crise en déresponsabilisant la fille ce qui a entraîné une importante régression. Le père nous l’amène pour que nous assumions à sa place la protection ce qui perpétuerait le problème.

Intervention

L’intervention paradoxale visera donc à remettre à la patiente la responsabilité de sa vie en présence de son conjoint et de ses parents. Le psychiatre dit : « Madame, je peux comprendre votre souffrance. C’est un peu comme si vous aviez la conviction d’être en phase terminale d’un cancer et que l’unique solution pour vous est de mourir. Nous (conjoint, famille, intervenants) ne pourrons donc vous en empêcher… Nous serons attristés par votre mort mais n’en serons pas coupables. Peut-être devons-nous nous préparer à votre disparition. » La patiente a donc un choix à faire.

La technique consiste alors à attendre dans un climat de tension importante puisque l’impuissance de tous est manifeste, la réponse de madame — qui peut se faire désirer : « Et si je veux vivre ?… » Avec hésitation et prudence, le psychiatre répond : « Si vous avez peur de vous tuer, nous pouvons peut-être vous offrir quelque chose pour vous en sortir… si vous vous gardez en vie. Pour assurer votre protection, vous pouvez vous présenter à l’urgence en tout temps et demander qu’on vous garde 24-48h. Si votre conjoint et vos parents ont peur, vous aurez à les rassurer sinon il vous faudra vous trouver un autre hébergement… qui ne sera pas l’hôpital. » Le psychiatre s’assure que les directions faites à la patiente sont bien comprises par tout le monde et leur précise ce qu’ils doivent faire si Madame leur fait peur à nouveau — l’envoyer à l’urgence. Ensuite, le psychiatre expose les services offerts — si Madame choisit de vivre. La rencontre se termine sur une série d’ententes pratiques.

Commentaires

Donc, en plus d’une intervention paradoxale qui consiste en la responsabilisation de quelqu’un qui se montre irresponsable, une prescription de symptôme est ordonnée : utiliser l’urgence aussi souvent que nécessaire pour calmer la peur. Paradoxalement, les membres du système inventent alors d’autres solutions.

Typiquement, un patient atteint de TPL craint d’être abandonné mais non de mourir. C’est ainsi qu’il prend des risques avec sa vie pour éviter qu’un abandon se produise. Ce sont alors les autres qui ont peur pour sa vie et qui font des efforts frénétiques pour le sauver aussi longtemps qu’ils peuvent le supporter. Éventuellement se produisent le rejet et l’abandon appréhendés et le patient en panique pose alors des gestes d’une létalité accrue (Dawson, 1988). Pour mettre un terme à cette escalade, il s’agit donc de rendre explicites les conséquences de menaces et de gestes para-suicidaires. Si la solution choisie par le patient pour mettre un terme à sa souffrance est de se tuer, les membres du système sont impuissants. La crainte de l’abandon est donc immédiate. Pour éviter cela, le patient doit assurer sa sécurité et sa survie : « Si vous voulez vous tuer, nous ne pouvons rien faire, » Les responsabilités de chacun sont précisées et départagées. Il protège sa vie par les moyens disponibles ; les proches et les intervenants poursuivent la relation. En tout temps, au cours d’un suivi, cette entente sera répétée : « Si vous avez peur de vous tuer, quels moyens prendrez-vous pour assurer votre protection ? » La collaboration des proches à cette entente restructure le système. L’impuissance de chacun à garder en vie quelqu’un qui ne le désire pas est reconnue. Ce cadre aura à être renforcé lorsque des pressions s’exerceront à nouveau par le patient sur un membre ou l’autre du système par de nouvelles rencontres de la famille et des intervenants. La réduction des menaces et des actions para-suicidaires permet d’instaurer un climat de sécurité. L’énergie du patient peut alors être utilisée pour construire sa vie, consolider les liens utiles et se défaire des autres.

Flewett et al. (2003) suggèrent même de spécifier à l’avance et par écrit un plan de traitement en cas de crise détaillant le système de traitement (équipe psychiatrique, famille, police, urgence), une reconnaissance du risque à agir et une explication des dangers relatifs aux réponses préconisées de la part du service. Ceci permet de casser le cycle de responsabilité assumée par les intervenants plutôt que par le client, ou de rejouer une dynamique parent-enfant traumatisante avec régression subséquente et risque accru d’institutionnalisation.

Conclusion

Le processus d’une intervention systémique en cas de crise suicidaire à l’urgence a été détaillé : prise de contact, recueil d’information, intervention paradoxale, prescription de symptôme et entente sur les modalités du suivi. Le recadrage opéré — « Vous êtes une adulte responsable de votre vie. » — permet tout au long du suivi proposé au Programme des troubles relationnels de délimiter clairement les compétences de chacun : patients, proches et intervenants en plus de favoriser la construction d’une relation de collaboration.

Interventions auprès des familles en crise dont un parent est aux prises avec un trouble de personnalité limite

Vignette clinique

La famille Y est en crise lorsqu’elle vient consulter. Le couple a décidé de se séparer après dix ans de vie commune et se dispute la garde des six enfants. Ceux-ci connaissent une instabilité au niveau de leur organisation de vie ; plusieurs déménagements, des changements de garde (tantôt chez la mère, tantôt chez le père, et de nouveau chez la mère), des changements de milieux scolaires, la perte des amis et des personnes ressources, etc. Les enfants réagissent par une augmentation des troubles de comportement : un des garçons fugue à répétition de l’école, un autre ne cesse de se battre, une des filles devient insolente avec les figures d’autorité, une autre s’attaque aux plus démunis de sa classe et commet de petits vols. Tous accusent une baisse de résultats scolaires et lorsqu’ils se retrouvent ensemble, ils deviennent infernaux en poursuivant les batailles, les provocations, les mensonges, les larcins, etc.

Pendant cette période, le père remet en question sa paternité pour l’un des enfants (qui lui ressemble pourtant énormément). Les conflits légaux et administratifs prennent de l’ampleur entre les parents à un moment donné, il y a rupture soudaine du lien mère-enfant. Madame disparaît, côtoie le monde de la drogue et de la prostitution, elle n’est plus en mesure de s’occuper de sa famille Les enfants forment alors une coalition avec le père et la grand-mère maternelle, contre la mère. Madame se stabilise et refait sa vie. Le père n’en peut plus, il est à bout de ressources et demande une garde partagée. Lorsque Madame se trouve un nouveau conjoint, le conflit conjugal est ravivé. Les enfants assistent et participent à de multiples disqualifications de la part de chacun des parents et du nouveau conjoint. Ces disputes et ces dévalorisations se répercutent au sein de la fratrie : les troubles de comportements des enfants reprennent de plus belle. Rien ne va plus !

Pourquoi favoriser une thérapie familiale

Plusieurs auteurs s’accordent pour reconnaître qu’il y a souvent un pairage pathologique entre les adultes et les enfants (Searles, 1959 ; Schwoeri et Schwoeri, 1982 ; Villeneuve et Guttman, 1994). De plus, il est difficile de traiter séparément les membres d’une même famille dont les liens pathologiques sont intrinsèquement liés. Le travail familial permet d’éviter une désorganisation de la personnalité et une trop grande dépendance du patient au thérapeute, tout en favorisant une dilution des transferts massifs.

Caractéristiques de ces familles

On retrouve plusieurs caractéristiques communes chez les familles dont un membre est aux prises avec un trouble de personnalité limite. Elles ont une histoire de conflits continuels et de multiples crises suggérant une séparation imminente (Lansky, 1986 ; Mandelbaum, 1977 et 1980 ; Minuchin et al., 1975, Brown, 1987). Les rôles sont rigides et inversés entre les parents et les enfants. Dans cette vignette clinique, les deux filles aînées jouent le rôle de la mère ou de la conjointe avec le père, le garçon aîné joue le rôle de père et de conjoint avec la mère, le père joue le rôle d’un enfant, et les deux parents se disputent comme s’ils étaient frères et soeurs. Il y a des mouvements extrêmes entre les membres de la famille où chacun se retrouve soit trop près, soit trop loin, rejeté ou abandonné. On retrouve ces mêmes difficultés d’aménagement d’un espace confortable physique et mental, entre les membres de la famille Y. Les enfants vivent avec leur mère pendant quelques mois, puis se retrouvent soudainement chez leur père, leur mère étant alors considérée comme la méchante, la mauvaise mère. Monsieur est perçu comme un bon père tant que Madame est perçue comme la méchante mère, mais lorsqu’il n’est plus en mesure de s’occuper des enfants et que Madame reprend la garde, c’est au tour de Monsieur de porter le blâme de la part du reste de la famille.

Il existe un mythe voulant que l’autonomie et les processus de séparation-individuation soient dangereux pour la famille (Everett et al., 1987). Dans cette vignette clinique, la fille aînée adopte une position extrême avec sa mère et se range du côté du père, pour former avec lui une coalition contre Madame, afin de mieux se séparer d’elle, au moment où la jeune fille entre de plain-pied dans l’adolescence. On peut voir une autre illustration de cette difficulté à s’individualiser de la masse moïque familiale, lorsque Madame choisit un nouveau conjoint : elle est vue par les autres membres de la famille comme une ingrate, une traîtresse. Aussi, chaque renégociation pour la garde des enfants induit une crise (menaces de suicide, agressions, passages à l’acte).

Stratégies d’interventions familiales

Dans ce type de famille, même s’il est impératif de reconnaître que plusieurs des individus qui la composent ont besoin de consulter, et ce souvent en situation d’urgence, il est souhaitable de gérer les multiples crises en cherchant à comprendre les points de vulnérabilité de cette famille dans son ensemble. Une fois les fonctionnements familiaux problématiques repérés et compris, on peut intervenir sur chacun de ces niveaux : enchevêtrement, surprotection et/ou négligence, lacunes dans la capacité à résoudre des conflits (manque d’adaptation), absence de limites et de frontières, atrophie de l’espace personnel et pauvre perception de soi et des autres (Schane et Kovel, 1988 ; Everett et al., 1987 ; Mandelbaum, 1980). Lorsque la famille est plus fragile, elle a tendance pour se rassurer, à former un tout sans distinction de l’individualité de chacun. On parle alors de famille enchevêtrée (Minuchin, 1974). À chaque fois qu’il y a un mouvement d’individuation, cela est perçu par la famille comme une menace. Ce qui entraîne une augmentation des tensions et une situation de crise devant le risque de voir la famille éclater. Il est donc important que le thérapeute tienne compte des limites de la famille et de la nécessité de s’affilier à elle, pour ensuite renforcer la structure, avant de favoriser une plus grande autonomie de chacun de ses membres (Jones, 1987). Le thérapeute travaille aussi à diminuer la surprotection et les trop grands rapprochements, ce qui contribue à diminuer les risques de polarisation vers la négligence et le rejet (Mandelbaum, 1980). Il peut offrir du support pour pallier aux lacunes des compétences parentales, comme par exemple faire appel au service d’un éducateur spécialisé à la maison, d’une garderie ou de substituts parentaux (camp de jour, famille d’accueil pour un répit parental) et de groupes d’entraide.

On peut apprendre à la famille à mieux résoudre les problèmes et les conflits en visant une plus grande utilisation des fonctions cognitives pour endiguer les émotions vives souvent suscitées (Linehan et al., 1991 ; Lansky, 1981). La participation à un groupe de parents et à un groupe d’enfants permet de mieux s’outiller sur le plan cognitif et de mettre en application les solutions trouvées tout en recevant du support.

On doit compenser pour le manque de limites et de frontières en apportant plus de structure à l’intérieur des séances et au sein même de la famille (Gunderson, et al., 1997 ; Mandelbaum, 1977 ; Horwitz et al., 1996 ; Hartman et Boerger, 1989). Le thérapeute favorise l’épanouissement personnel en proposant des activités qui ont pour but d’augmenter l’espace de chacun et d’apporter du ressourcement.

Afin de corriger la pauvre perception de soi et des autres que vivent plusieurs membres de la famille, on utilise une approche soutenante. Le thérapeute fait du renforcement pour toute attitude positive en évitant de disqualifier les individus. L’apprentissage de la résolution de problème permet un meilleur contrôle des situations critiques en augmentant l’estime de soi et en diminuant la honte (Lansky, 1986). Le thérapeute cherche à restaurer les fonctions parentales nécessaires pour un retour au développement normal de l’individu et de la famille. Cela se fait en gardant à l’esprit les frontières et les rôles des individus, tout en soutenant les parents dans ce rôle qu’ils ont justement de la difficulté à maintenir. La participation à un groupe de parents, l’aide offerte par la protection de la jeunesse, que ce soit le répit-dépannage, le placement des enfants, et autres supports aux parents et enfants peuvent aider la famille à développer et à conserver des rôles appropriés pour chacun de ses membres. Le thérapeute aide à travers la résolution des crises rencontrées, à faire passer la famille d’une dépendance pathologique à une dépendance plus saine, puis à une meilleure individuation (Lachkar, 1984). Ce processus demande du temps et se fait à plus long terme. L’établissement d’un lien plus solide entre le thérapeute et la famille permet à cette dernière d’expérimenter un renforcement des liens entre les individus malgré les différentes menaces. Cela peut permettre aux parents d’accepter qu’une plus grande distance s’établisse entre eux et leurs enfants. Ceux-ci deviennent moins nécessaires pour leurs parents au niveau psychique et retrouvent alors leur espace personnel. Dans ces conditions, les parents peuvent plus facilement accepter qu’une ressource extérieure supporte la famille.

Lorsqu’on se retrouve devant un pairage pathologique, on favorise le travail avec la dyade parent-enfant porteuse du symptôme. On vise à diminuer l’intensité du lien et le risque d’une augmentation des tensions. L’établissement d’une distance confortable abaisse le risque d’une crise. Le thérapeute contient le parent et soutient l’enfant. Il dégage le parent de l’enfant, et les amène à se regarder et à se contrôler davantage sur le plan émotionnel. Il suggère aux parents différents moyens pour résoudre les problèmes en cherchant à diminuer la rage ou l’anxiété. Parfois, il est nécessaire d’ajouter de l’aide supplémentaire en suggérant au parent une thérapie individuelle. On diminue le besoin vital du parent de se projeter dans un de ses enfants. Le renforcement du sous-système parental et du sous-système de la fratrie contribue à défaire le pairage pathologique (Brown, 1987).

Dans le cas de la famille Y, le thérapeute rencontre les parents seuls et chaque parent avec l’enfant « problématique » pour ensuite rencontrer l’ensemble de la fratrie, cela dans le but très précis de diminuer la dyade parent-enfant. Il a accepté de rencontrer le nouveau conjoint de Madame pour la soutenir et de reconnaître cette nouvelle possibilité d’autonomie au sein de la famille. Il a aussi validé les parents dans les difficultés et les nombreux défis que représente l’éducation de leurs enfants tout en adoptant une position d’acceptation de leur propre vulnérabilité. À travers les nombreuses crises vécues ensemble, le thérapeute a essayé d’identifier (ce qui a entraîné un processus de deuil du parent idéal) et de trouver avec eux des moyens pour pallier à leurs lacunes. Du support parental a été ajouté ainsi que des ressources pour appuyer les enfants dans la poursuite de leur développement.

Intérêt particulier pour l’approche structurale

L’approche structurale inspirée de Minuchin est un outil intéressant dans la gestion de crise familiale. Elle favorise le développement et le maintien d’une structure thérapeutique, malgré les nombreuses crises et offre la possibilité de parler des problèmes plutôt que de passer à l’acte. Elle cherche à trouver des moyens pour composer avec ces problèmes. Dans la famille Y, le père et le fils furent invités à parler de ce qui avait amené la remise en question de la paternité ; puis le père s’est fait suggérer des mesures concrètes pour clarifier cette question.

L’approche structurale permet de développer un plus grand sens de la réalité dans la famille par la reconnaissance des forces et des faiblesses de chacun, ce qui donne lieu à une plus grande acceptation de cette réalité et la possibilité d’avoir du support. Elle favorise un désengagement interactionnel et autorise ainsi un travail avec le système intergénérationnel. L’usage du génogramme permet de diminuer la dévalorisation et de créer une plus grande empathie (Lansky, 1981). Les grands-parents sont parfois invités à supporter leurs enfants et leurs petits-enfants. De plus, cette approche solidifie l’alliance conjugale et les sous-systèmes de la fratrie. Toujours dans le cas de la famille Y, le travail pour reconnaître la nouvelle entité du couple de Madame auprès des enfants, et l’implication du nouveau conjoint pour la supporter dans ses tâches parentales, ont favorisé un rapprochement et un mieux-être pour une partie de la famille. L’approche structurale défie les perceptions peu appropriées et confirme la famille dans ses forces. Malgré la lourdeur des blessures et le grand nombre d’enfants dans la famille Y, la thérapie a permis de valoriser les compétences parentales. Aussi, elle a donné aux parents la possibilité de continuer à s’occuper de leurs enfants tout en acceptant de recevoir de l’aide.

L’utilisation d’une approche qui utilise et enseigne la résolution de problèmes permet de préserver une structure, de focaliser sur les bons enjeux et de faire expérimenter à la famille des réussites et une plus grande maîtrise des difficultés. Le maintien de la structure permet à la famille d’être de plus en plus tolérante face aux conflits qui surviennent, sans cliver ou projeter, ce qui crée une plus grande harmonie familiale et diminue l’intensité et la fréquence des crises.

Conclusion

Au delà des approches psychothérapeutiques particulières présentées ici, la stratégie générale vise à construire une alliance de travail, à maintenir une consistance dans les interventions, à valider l’expérience émotionnelle du patient et de ses proches et finalement, à faire renaître l’espoir. Les interventions visent à restructurer et à clarifier le contexte ainsi qu’à miser sur les capacités du patient et de ses proches. À court terme, le temps n’est pas aux explications et aux compréhensions plus ou moins profondes. Il est d’abord question de survivre et de s’adapter en utilisant les ressources du milieu qui sont disponibles.