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On l’a cru longtemps en régression, l’Organisation Mondiale de la Santé avait prévu son éradication à l’aube du 3e millénaire ; pourtant, la tuberculose est aujourd’hui l’une des premières causes de mortalité à l’échelle de la planète, tuant chaque année plus de deux millions de personnes. Cette maladie est particulièrement contagieuse, puisqu’un tiers de la population mondiale est actuellement porteur de Mycobacterium tuberculosis. On estime que 10 % des personnes infectées développeront la maladie au cours de leur vie, ce qui représente plus de 200 millions de malades potentiels pour les 50 prochaines années. La plupart des malades (90 %) habitent les pays de l’Afrique sub-saharienne, du Sud-Est asiatique, en Inde ou en Chine. La pandémie de sida est la meilleure alliée du bacille, puisque 60 % des personnes séropositives habitant en Afrique meurent en fait de tuberculose.

Dans l’attente d’une vaccination efficace qui permettrait une prévention à l’échelle mondiale, nous disposons de stratégies thérapeutiques qui présentent malheureusement de plus en plus de failles. Le panel d’antituberculeux est spécifique et très limité car fort peu d’antibiotiques à large spectre sont actifs sur le bacille de Koch. Les traitements sont longs et s’accompagnent d’une pléthore d’effets secondaires, atteignant particulièrement les patients affaiblis par le virus du sida. L’observance des traitements par les malades est donc souvent mise en échec et de nombreux cas de multirésistances apparaissent, essentiellement dans les pays en développement ou émergents, ainsi que dans de nombreux pays industrialisés paupérisés par les crises économiques. Malheureusement, l’identification de nouveaux antituberculeux se fait cruellement attendre. Aucune nouvelle famille d’antituberculeux n’a été commercialisée au cours des 30 dernières années, illustrant la difficulté de la tâche mais aussi le désintérêt global des sociétés industrialisées pour cette problématique. Ainsi, les patients porteurs de souches résistantes aux antibiotiques dits de première intention doivent être traités par une seconde ligne d’antibiotiques particulièrement toxiques. Depuis plusieurs années, notre équipe étudie le mode d’action de l’éthionamide (ETH), l’un de ces antituberculeux de seconde ligne. Nos travaux nous ont conduits à proposer une stratégie qui permet d’augmenter la sensibilité des mycobactéries à cet antibiotique, ce qui pourrait aboutir à une réduction substantielle de la toxicité du traitement antituberculeux tout en conservant son efficacité.

L’ETH est un antibiotique puissant, mais fortement hépatotoxique. Plusieurs antituberculeux comme l’isoniazide, la pirazinamide et l’ETH sont des prodrogues, nécessitant d’être activées pour acquérir leur pouvoir antibactérien. L’activation de l’ETH dépend d’une protéine synthétisée par le bacille tuberculeux, la mono-oxygénase EthA [1]. Cette enzyme transforme la prodrogue ETH en un dérivé sulfoxyde, qui donnera ensuite le (ou les) composé(s) actif(s) [2]. Dans son état physiologique normal, la mycobactérie produit peu de mono-oxygénase EthA, ce qui limite l’activation de la prodrogue ETH et se traduit par une faible sensibilité de la bactérie à cet antibiotique. Contrôler la production de EthA reviendrait donc à contrôler la sensibilité de la bactérie à l’ETH.

Nous avons récemment montré que la production de la mono-oxygénase EthA est sous le contrôle du répresseur transcriptionnel EthR. De la même façon que le régulateur LacI réprime les gènes de structure de l’opéron lactose, la fixation de EthR sur l’opérateur du gène ethA empêche la transcription de ce dernier [3] (Figure 1A). Résolue en collaboration avec les cristallographes V. Villeret et F. Frénois, la structure tridimensionnelle du répresseur EthR a révélé un complexe dimérique typique de la famille des répresseurs transcriptionnels de la famille TetR. De façon inattendue, un ligand enchâssé dans chaque sous-unité du dimère a été identifié lors de cette analyse [4]. Par analogie avec d’autres répresseurs de la famille TetR, nous avons montré que ce ligand induit une conformation de EthR incompatible avec sa fixation ultérieure à l’ADN. Mimer cette situation in vivo aboutirait à la dérépression du gène ethA et donc à une meilleure activation de l’ETH (Figure 1B). Ce ligand co-cristallisé a été purifié, identifié puis resynthétisé, mais l’hydrophobicité élevée de cette molécule la rend faiblement biodisponible.

Figure 1

Synergie d’action de l’ETH et d’un ligand d’EthR.

Synergie d’action de l’ETH et d’un ligand d’EthR.

A. En l’absence de ligand (L), les dimères de répresseur EthR se fixent à l’opérateur de ethA, inhibant sa transcription. Sans production de mono-oxygénase EthA, la prodrogue ETH n’est pas transformée en dérivé bactériotoxique. La bactérie est résistante à l’antibiotique. B. En présence de ligand (L), les dimères de EthR adoptent une conformation incompatible avec leur fixation à l’ADN. La transcription de ethA est libérée et l’enzyme EthA produite active la prodrogue ETH en dérivé bactériotoxique ETHx. La synergie entre l’ETH et le ligand rend la bactérie hypersensible à l’antibiotique.

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Poursuivant l’analogie avec le paradigmatique opéron lac où le lactose est à la fois ligand du répresseur LacI et substrat de la voie de biosynthèse contrôlée par LacI, nous avons postulé que, de la même façon, des substrats physiologiques de EthA pourraient constituer de bons ligands pour EthR. En présence d’un de ces substrats [5], la benzylacétone, la sensibilité de la mycobactérie à l’ETH s’est vu accrue d’environ cinq fois, suggérant que ce composé constitue un ligand efficace de EthR et ainsi inhibe sa fixation à l’opérateur de ethA [4]. Déréprimée, la production d’EthA permet dès lors de doper l’activation de l’ETH. Nous tentons actuellement d’identifier des ligands synthétiques de forte affinité pour EthR et co-administrables avec l’ETH. Réduire la dose thérapeutique de cet antibiotique devrait ainsi limiter l’apparition des effets hépatotoxiques indésirables lors du traitement de la tuberculose.

EthA est également impliqué dans l’activation d’autres thioamides tels que le prothionamide, le thiacétazone et l’isoxyl. Ce dernier composé présente l’intérêt de cibler une lipide-désaturase mycobactérienne, cible non encore exploitée par l’arsenal thérapeutique en usage. Enfin, Mycobacterium leprae, malheureusement résistant à l’isoniazide, est sensible au prothionamide pour lequel une baisse de la dose thérapeutique serait également bienvenue pour éviter les effets secondaires du traitement contre la lèpre.