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Voici un ouvrage collectif qui apportera à tous ceux qui s’intéressent aux grands enjeux géopolitiques contemporains quelques lumières sur deux régions qui sont au centre de l’actualité depuis l’intervention américaine en Afghanistan et en Irak. Le lecteur constatera à la lecture de cet ouvrage une pluralité de perspectives et d’opinions. Mais ces différentes approches sont toutes reliées entre elles par un fil rouge. En effet, l’ouvrage s’articule autour d’une problématique qui laisse clairement entrevoir que la sécurité de ces deux régions est désormais mondialisée. Les auteurs reconnaissent cependant avoir donné plus d’importance à l’Asie centrale qu’au Caucase et soulignent à juste titre dans leur préambule qu’aucun ouvrage portant sur ces énormes espaces ne peut être exhaustif. Les auteurs ont pris cependant le parti d’évoquer les principaux enjeux dans quatre parties qui se complètent. Celles-ci sont précédées d’une introduction fort intéressante écrite par Gérard Hervouet qui brosse le tableau général sous le titre : « Asie centrale et Caucase.Le désenclavement de l’insécurité régionale ». Dans son introduction, Gérard Hervouet rappelle de façon concise la projection de puissance des États-Unis sur l’Afghanistan dans le cadre de la guerre mondiale contre le terrorisme. Il s’interroge sur la stratégie américaine dans ces régions et nuance fortement l’hypothèse du retour à ce qu’il appelle le Grand jeu stratégique.

Dans la première partie de l’ouvrage intitulée « Cadrage historique et géopolitique », le lecteur trouvera trois chapitres intéressants rédigés respectivement par Peter Konecny, « Asie centrale : une histoire hypothéquée par les conflits », Guy Morisette, « L’Asie centrale. Un avenir incertain ? » et Frédéric Lasserre, « Permanence et bouleversements en Asie centrale. L’insertion de ‘l’étranger proche’ russe dans la dynamique stratégique internationale ». Pour Peter Konecny, les structures et les traditions mises en place sous la Russie tsariste d’abord puis sous l’Union soviétique persistent aujourd’hui à de nombreux égards. Elles sont, selon lui, responsables de l’insécurité, de l’absence de culture de transparence et de démocratie, ainsi que du maintien des fractures claniques ou tribales qui caractérisent ces sociétés. Il montre de manière claire combien la répression politique, l’extrémisme religieux, les conflits frontaliers ou reliés à la question de l’eau, à la corruption, etc. s’imbriquent en Asie centrale et contribuent à l’instabilité régionale en hypothéquant gravement l’avenir de la région. Guy Morisette introduit dans sa contribution les enjeux principaux auxquels est confrontée la région. Les questions abordées sont approfondies dans d’autres chapitres de l’ouvrage. Frédéric Lasserre s’inscrit quant à lui dans une perspective géopolitique. Il montre combien l’insertion de l’Asie centrale dans la dynamique internationale était encore difficilement concevable à la veille de l’éclatement de l’Union soviétique en 1991 et met l’accent sur la fragilité des frontières ainsi que sur la dépendance des économies des pays de la région. Il évoque également les pressions diverses qui s’exercent de la part des puissances régionales (Russie, Chine, Pakistan, Iran, Turquie) ainsi que leurs rivalités. Frédéric Lasserre constate dans sa conclusion que la dynamique en Asie centrale demeure très mouvante et qu’il serait prématuré de parler d’hégémonie américaine.

La seconde partie de l’ouvrage intitulée « Sécurité régionale » est consacrée aux grands enjeux de la sécurité régionale en étendant, par deux chapitres, le champ de réflexion au Caucase. Trois contributions enrichissent cette seconde partie : celle de Thomas Juneau intitulée « Enjeux et Grand Jeu en Asie centrale » ; celle de Pierre Jolicoeur intitulée « Stabilité et sécurité au Caucase du Sud. La césure du 11 septembre 2001 » et enfin, celle d’Isabelle Facon intitulée « Quel avenir pour la Tchétchénie ? Paramètres internes et internationaux ». Thomas Juneau montre dans sa contribution que certaines convergences peuvent être constatées entre les intérêts et objectifs de la Russie, des États-Unis et de la Chine plus particulièrement à propos de la lutte contre le militantisme islamiste et dans la recherche d’une difficile stabilité. Mais il démontre toutefois que les nombreuses divergences dans les moyens préconisés pour atteindre ces fins ne permettent pas d’entrevoir en Asie centrale une zone de coopération entre les trois Grands. Selon lui, les percées du multilatéralisme et de la coopération demeurent subordonnées à la priorité accordée par les trois puissances au développement des relations bilatérales. En résulte ainsi une compétition pour l’influence qui provoque une insécurité régionale accrue. Pierre Jolicoeur analyse dans sa contribution l’évolution de la dynamique régionale. Il montre bien que le Caucase du Sud constitue aujourd’hui l’un des fronts principaux de la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis et leurs alliés. L’auteur considère également que, depuis les attentats du 11 septembre, le contexte sécuritaire a été marqué par l’accélération de certaines tendances et non par un bouleversement majeur. Dans le troisième chapitre de cette seconde partie, Isabelle Facon étudie, dans une perspective régionale, la stratégie russe dans le cadre de la seconde guerre de Tchétchénie en considérant aussi bien les facteurs internes que les paramètres internationaux dans le contexte de l’après 11 septembre. L’auteure conclut que l’optimisme affiché par le Kremlin au lendemain du référendum de mars 2003 ne réussit pas à masquer les nombreuses incertitudes qui persistent quant à l’avenir de cette région rebelle.

La troisième partie de l’ouvrage intitulée « Sécurité et religion » est composée de deux chapitres rédigés respectivement par T. Jeremy Gunn, « Islam et islamisme. Le défi pour la sécurité en Asie centrale » et par Yuriy Matashev, « Les sources de l’islam radical en Ouzbékistan ». Dans sa contribution, T. Jeremy Gunn analyse la relation entre religion et insécurité en Asie centrale. Il s’interroge sur les causes de la montée de l’islamisme depuis 1991, en insistant sur le caractère répressif et corrompu des gouvernements régionaux en place. Selon lui, toute étude du militantisme religieux doit tenir compte de la place fondamentale de l’islam dans l’identité des populations d’Asie centrale. Il conclut d’ailleurs en insistant sur le fait que seule une approche s’attaquant aux racines profondes du phénomène permettra d’en arrêter la progression. Le cas particulier de l’Ouzbékistan est étudié par Yuriy Matashev dans sa contribution. Localisé au coeur de l’Asie centrale, ce pays a vu naître la majorité des principaux groupes islamistes de la région. L’auteur explique cette percée en insistant surtout sur le caractère autoritaire et répressif du régime du président Islam Karimov qui semble avoir poussé l’opposition vers la clandestinité et l’extrémisme.

La quatrième et dernière partie du livre intitulée « Désenclavement régional » s’intéresse à l’économie régionale. Cette partie se compose de deux chapitres. Le premier, intitulé « Désenclaver l’Asie caspienne. Une relecture des enjeux » est de la plume d’Emmanuel Gonon. Le second, intitulé « La route ferroviaire de la soie » est de celle de Jérôme Le Roy. Cette dimension économique est évidemment essentielle à la compréhension des enjeux géopolitiques. Dans leurs contributions qui se complètent fort bien, les auteurs insistent à la fois sur le problème du transport des hydrocarbures, notamment sur le tracé des oléoducs et gazoducs, et sur le désenclavement des républiques d’Asie centrale en matière de transport de marchandises comme de passagers.

Cet ouvrage collectif, écrit dans un style accessible à tous, contient quelques cartes et tableaux statistiques. Il contient également, outre les références dans les différentes contributions, une courte bibliographie sur l’Asie centrale et le Caucase. Il est dommage qu’il ne contienne pas un index des noms.