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Dans tous les manuels de relations internationales, notamment ceux d'introduction, parmi tous les instruments dont disposent les États, les sanctions sont présentées comme un des instruments principaux en deçà de l'utilisation de la force armée qui permet aux États d'agir sur la scène internationale afin d'empêcher l'aggravation d'une situation dangereuse ou encore qui donne à un État la possibilité de poursuivre un objectif spécifique en politique étrangère. Force est de reconnaître toutefois que l'histoire des sanctions est davantage une histoire d'échecs que de réussites. Pourtant la communauté internationale, notamment par l'intermédiaire de l'Organisation des Nations Unies dans l'article 41 de la Charte, accepte toujours le bien-fondé de cet instrument comme une puissante alternative à l'utilisation de la force armée. Pourquoi alors tant d'échecs et y a-t-il une solution ?

L'ouvrage de Meghan L. O'Sullivan offre une excellente analyse de la question en se concentrant particulièrement sur l'utilisation de cet instrument pour combattre le terrorisme international contemporain. Dans un premier temps, elle reconnaît l'importance du débat sur cette question et plutôt que de chercher à le trancher, elle indique simplement que « la réussite ou l'échec des sanctions n'est pas une réflexion de la valeur inhérente des sanctions dans un sens abstrait. C'est plutôt une conséquence de la question à savoir si les instruments étaient bien taillés pour les objectifs de la politique » (p. 4). Pour l'auteure il faut d'abord situer l'objectif poursuivi. Elle en offre trois que le gouvernement américain poursuit tant bien que mal depuis les attaques terroristes du onze septembre 2001 : changement de régime, endiguement (containment) d'un État et une stratégie dont l'objectif est de changer le comportement d'un gouvernement. Chacun de ces objectifs implique un régime de sanctions différent.

Depuis la fin de la guerre froide et surtout avec l'accessibilité des armes de destruction massive, disponibles tant aux gouvernements qu'à des groupes particuliers, les États-Unis se sont retrouvés dans une position de devoir définir une stratégie contre le terrorisme et de proposer les instruments appropriés pour s'assurer que le danger du terrorisme international est minimisé, voire tenu en échec. Depuis le onze septembre, c'est devenu une priorité pour le gouvernement américain. Dans le deuxième chapitre, elle fait un tour d'horizon du débat sur les sanctions et c'est dans les quatre chapitres suivants qu'elle analyse les résultats de la politique de sanctions américaine envers l'Iran, l'Irak, la Libye et le Soudan. Ces États sont choisis parce qu'ils ont été désignés par Washington comme étant chacun un « État-parrain du terrorisme » (state sponsor of terrorism) et parce qu'ils se situent sur la liste annuelle du terrorisme du gouvernement américain. De plus, ces États ont aussi fait l'objet de mesures onusiennes (l'Iran est l'exception). L'effort de recherche sur chaque cas est vaste et la présentation est détaillée et montre comment les États-Unis ont utilisé les sanctions pour poursuivre à différents moments et dans différents pays les objectifs en politique étrangère signalés ci-dessus.

C'est sa conclusion qui retient surtout l'attention. Le titre de l'ouvrage signale le besoin d'une politique de sanctions qui est judicieuse, mais aussi maligne (deux traductions du mot shrewd). En plus de tailler les sanctions aux objectifs poursuivis, il faut qu'elles soient un parmi tant d'autres instruments qui font partie d'une stratégie cohérente et effective. L'histoire offre des enseignements et O'Sullivan encourage les leaders politiques et leurs conseillers à tirer les conclusions de cas précédents qui s'imposent lorsqu'ils optent pour une politique de sanctions. L'histoire signale aussi qu'un régime de sanctions multilatéral a les meilleures chances de réaliser les objectifs poursuivis et que, dans la situation actuelle, il est préférable que Washington fasse d'abord preuve d'initiative. Elle conseille aussi de la prudence dans l'imposition de sanctions secondaires car celles-ci peuvent souvent irriter les alliés dont ont besoin les États-Unis dans leur politique. Enfin, elle est peu optimiste du succès d'un régime de sanctions unilatéral.

Si cet ouvrage, de par son examen particulier de la politique américaine, est principalement destiné à l'élite politique américaine (policy-makers) et ses conseillers - le fait que l'ouvrage soit écrit par un ancien chercheur à la Brookings Institution à Washington et publié par celle-ci en est un témoignage supplémentaire - il est néanmoins d'un apport précieux au domaine des relations internationales. Il devrait être mis sur la liste bibliographique de tout cours de principes et de théories de relations internationales.