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Dans le grand siècle de l’alphabétisation en France, de la création d’une littérature dite « industrielle » et de la consécration d’un corps de citoyens reconnus pour leur statut d’écrivain, l’intérêt bien documenté de George Sand pour l’apprentissage de la lecture, comme son désir d’utiliser la littérature pour influencer les opinions d’une nouvelle classe de lecteurs, ne sont peut-être pas notables en soi[1]. En revanche, la présence constante de cette préoccupation dans les textes rédigés au cours de plus d’un demi-siècle suggère une volonté exceptionnelle de penser la lecture. À en juger par le contre-exemple offert, dans Histoire de ma vie, avec le cas du pauvre Stanislas Hue, cet engagement n’est rien moins qu’absolu : ce personnage caricatural qu’Aurore rencontre peu après sa sortie du couvent, ramasse tout ce qui traîne et il entasse « les objets oubliés ou abandonnés », « sans usage », dans le « musée encombré » qu’est son propre appartement[2]. Ridicule dans son désir de tout posséder et de tout conserver, le célibataire voleur et stérile affiche le même comportement dans son travail de diariste. Pour cette raison, il incarne le danger que courait la jeune fille observatrice, surnommée « Calepin » au couvent, « parce que [elle] avai[t] la manie des tablettes de poche[3] » :

[Hue] faisait un journal jour pour jour, heure par heure, de tout ce qui se disait et se faisait autour de lui, et il avait ainsi, disait-on, vingt-cinq ans de sa vie consignés, jusqu’aux plus insignifiants détails, dans une montagne de cahiers, pour lesquels il lui fallait une voiture de transport dans ses déplacements et une chambre particulière dans ses établissements. Je ne crois pas qu’il y ait eu d’homme plus chargé de ses souvenirs et plus embarrassé de son passé[4].

Hue matérialise la futilité d’une « écriture de soi[5] » obsessive, sans lecteur prévu ou improvisé par la suite. Et pourtant, l’envoi et la lecture ne vont pas de soi. Les manières complexes dont les narrateurs et les personnages sandiens jouent avec et sur les éléments de base de toute situation communicative mettent en avant la problématique particulièrement riche de la destination et de la consommation textuelle dans le corpus sandien. Cette question domine également les paratextes, détermine le comportement éditorial et collectionneur de George Sand et signe la pratique autobiographique et épistolaire d’une auteure pour qui l’interrogation fondamentale, « si j’écrivais à quelqu’un ? » du premier Voyage en Auvergne ne perd jamais de sa pertinence[6].

Cela dit, malgré le ridicule attaché, dans Histoire de ma vie, à un personnage qui ne donne pas ses textes à lire, Stanislas Hue, de même que « son cabinet mystérieux[7] », où ce rédacteur pourtant forcené protège ses écrits de la vue de tout lecteur potentiel, représentent une tentation réelle pour l’auteur et les personnages qu’elle crée. Les romans de George Sand tout autant que ses oeuvres ouvertement autobiographiques manifestent une méfiance de longue durée à l’égard de cette activité comme envers ceux qui y participent. Cette ambivalence se répète dans la critique sandienne, où la lecture, comme activité, enjeu, et programme, reste encore insuffisamment explorée par rapport à la place qui revient à l’écriture. En redonnant la priorité, de manière toute provisoire, à la lecture, les pages suivantes proposent une nouvelle incursion exploratoire dans ce territoire et un relevé de quelques-uns de ses contours les plus saillants.

Dans le lexique sandien, « lire » apparaît souvent au sens large du terme pour indiquer tout acte d’interprétation. Ainsi, les personnages de ses romans sont tous lecteurs dans la mesure où ils ne cessent de se lire mutuellement le coeur, que cela soit à travers des textes écrits, des récits oraux ou de simples regards. Parmi les nombreuses oeuvres qui explorent la nature et la fonction de la lecture, deux romans, toutefois, publiés dans des périodes clés de la carrière de l’auteur — Le secrétaire intime de 1834 et Le marquis de Villemer de 1860  — attestent du pouvoir des lecteurs et tentent de le définir. Considérés en conjonction avec l’autobiographie de la mi-siècle, ces romans ont l’originalité de mettre en scène des personnages qui sont payés à lire et à écrire pour le compte de quelqu’un d’autre et dont le travail plus ou moins bien accompli détermine la conclusion de l’intrigue. Dans la mesure où Sand rejette toujours une pensée qui ferait des êtres « des abstractions[8] », les compétences, les activités concrètes et les trajectoires de ces éléments de substitution sont des indices privilégiés des efforts qu’elle mène pour articuler les bases d’une nouvelle identité personnelle et sociale. Les témoignages des romans suggèrent bien que cette identité reste élusive, mais les expériences littéraires auxquelles la romancière s’adonne établissent les prémices nécessaires d’une identité à venir.

Lectures critiques

La venue de George Sand vers l’écriture professionnelle, le magistral récit de vocation qu’est Histoire de ma vie, les romans d’éducation qui, comme Nanon, se doublent de la lente maîtrise de l’écrit, et la constitution rétrospective par l’auteur d’un fonds épistolaire, donné à lire par Sand et lu aujourd’hui comme un « laboratoire d’écriture », représentent des éléments puissants d’attraction pour des chercheurs littéraires attisés par leur vocation de dévoiler les secrets de la créativité. S’y ajoute l’intérêt contemporain pour le rapport du sujet — surtout du sujet féminin — à la langue en général et plus précisément à l’écrit. Prises ensemble, ces caractéristiques favorisent les analyses de la productivité et la production littéraire, les figurations de l’écriture, et les représentations de voix d’auteurs[9]. Avant tout, cet accent mis sur le processus et les enjeux de l’écriture sert à replacer Sand au centre du paysage littéraire français. Or, cette place est d’autant plus importante à définir qu’une critique décidément misogyne la lui niait, minimisant son succès, sur la base d’une différence sexuelle qui ferait d’elle la lectrice subalterne et la secrétaire publique des « vrais » écrivains et penseurs dont elle exploiterait simplement les idées et les formules. Les titres de quelques grands textes des dix dernières années sur George Sand — George Sand, écrivain de romans,George Sand et l’écriture du roman, George Sand écrivain. « Un grand fleuve d’Amérique » et George Sand. L’écriture ou la vie —, suggèrent, par réaction, le poids que ce mépris de Sand a pu avoir sur l’orientation des recherches contemporaines[10]. L’orientation critique actuelle a donc la valeur énorme de reconstituer une auteure à moitié écrasée sous le poids de ses critiques-biographes, le seul inconvénient étant que cette stratégie littéraire et politique risque, par son efficacité même, d’obscurcir les enjeux et les ambitions d’une oeuvre qui ne cesse de penser la lecture et de penser à partir d’elle.

Ce n’est pas que la critique sandienne ignore la lecture ou les lecteurs : le récit célèbre, consigné dans Histoire de ma vie, de son propre apprentissage de la lecture retient l’attention par ce qu’il dit de la difficulté qu’a la future auteure à concevoir l’altérité[11]. Toujours sur le plan biographique, mais dans une perspective ancrée dans l’histoire littéraire, les lectures de la jeune Aurore excitent l’intérêt et à juste titre, eu égard à l’influence que ces textes eurent sur ses écrits ultérieurs et sa conception de la fonction de l’auteur. De même, les opinions que Sand émet sur les oeuvres d’autrui et sur la réception de ses propres oeuvres dans la presse française et étrangère, la situent dans le contexte des débats esthétiques et idéologiques de son temps[12]. À l’intérieur de ses romans, les choix de lectures de ses personnages en disent long sur l’éducation que ceux-ci ont eue ; par extension, ils suggèrent le potentiel que ces êtres romanesques ont de développer leurs facultés intellectuelles, morales, et créatrices. Enfin, les interventions de personnages, de narrateurs et de l’auteure en révèlent énormément sur les attentes des lecteurs de l’époque et sur les ambitions et les craintes de la romancière lorsqu’elle écrit. Il n’en reste pas moins que cette activité itérative, imitative et collective appartient, selon ce schéma, à un registre inférieur à celui qu’occupe l’écriture.

Cette tendance trouve un appui important dans des textes qui définissent la lecture comme une activité salutaire pour ceux à qui il manque le génie créatif. En bas de l’échelle, Aurore Dudevant compte, en 1825, sur le contact avec de bons textes pour ouvrir l’esprit borné et le coeur atrophié de son mari[13]. Dans la vie réelle, ce résultat s’avère aléatoire, mais un grand nombre des personnages sandiens y trouvent leur bonheur[14]. Enfin, cinquante ans après « la lettre-confession », Sand justifie, en des termes similaires, l’impératif qu’il y a d’apprendre à lire aux masses : « Exprimer est une faculté acquise, mais apprécier est un besoin, par conséquent un droit universel[15]. » Dans tous ces cas toutefois, la lecture rehausse le prestige d’une écriture originale en propageant, à tort ou à raison, les idées d’un auteur supérieur. Malgré le fait que ce préjugé en faveur des créateurs dits originaux refait surface à travers toute la carrière de Sand, s’amorce, à partir du début des années 1840 et avec une force accrue à partir de la rédaction de Consuelo, un mouvement en faveur des lecteurs. Il n’est pas sans intérêt, par exemple, que Consuelo soit l’aînée de Hadyn qui lui dit : « Vous devez tout faire mieux que moi » avant de voyager et étudier sous la protection de la grande chanteuse[16]. Il en va de même dans le domaine littéraire. La bonne interprétation, à laquelle la conclusion du roman invite ses lecteurs, ne nourrit pas seulement la créativité, elle est la créativité. Du Secrétaire intime au Marquis de Villemer, en passant par Histoire de ma vie, l’interrogation critique sur la puissance des lecteurs évolue en une démonstration expérimentale du pouvoir bénéfique que la lecture, comme activité et situation pourrait, malgré les risques qu’elle comporte et en partie à cause de ceux-ci, exercer en une société « révolutionnée ».

Un fantasme limite : des écrivains sans lecteurs

Nonobstant la dureté du portrait charge de Stanislas Hue, certains écrits, en particulier ceux qui datent des premières années de la carrière professionnelle de Sand, suggèrent que l’écrivaine n’affiche l’envoi de ses textes que pour mieux en court-circuiter la réception[17]. Dans ce contexte, la lecture équivaut à une transgression, une violation de la propriété privée. Parmi les nombreux petits cahiers que Aurore puis George entasse, un peu à la Stanislas Hue, celui commencé en 1822 en donne le ton : l’exergue à la première page affirme une évidence qui constitue tout un programme opératoire : « ce cal[e]pin appartient à son maître[18] ». Sans exclure la possibilité de la lecture par autrui, le rapport de possession annoncé dès le départ, place l’écriture sous le contrôle matériel direct d’une propriétaire, masculinisée pour ajouter peut-être à la puissance illocutoire de sa parole, quoi qu’il en soit, de manière ironique dans la mesure où tout appartient à son mari Casimir. Cette autoappropriation par carnet interposé exempte la jeune femme, du moins au plan rhétorique, du statut légal qui fait d’elle un territoire occupé. Cela dit, les entrées que le carnet renferme renforcent la leçon, car l’histoire de la jeune femme, donnée dans le carnet à travers les grands événements signalant les étapes de sa prise de possession — fiançailles, mariage, grossesse —, lui accorde, par contiguïté, le même statut que la France, vue à travers une liste résumant l’histoire de ses rois[19]. Avoir un livre, voire être un livre, est, dans ce contexte, un geste salvateur. Il crée pour l’auteure un monde qu’elle n’a qu’à coloniser avec des notations sur lesquelles elle exerce une autorité entière, un monde où le lecteur n’entre qu’après examen et sous contrat.

Le programme esquissé par cette simple inscription contredit l’esthétique et la pratique longuement théorisées dans les lettres et les journaux de la scriptrice[20] ; il trouve son prolongement peut-être le plus frappant dans un roman dont le titre, Le secrétaire intime, met en avant l’activité professionnelle d’un jeune avocat et voyageur, dont les études l’avaient préparé à « l’emploi de précepteur, de sous-bibliothécaire ou de secrétaire intime[21] ». La beauté de ce jeune homme tranche avec la lectrice froide et acerbe, « duègne silencieuse qui découpait le gibier[22] » et avec le secrétaire, « petit homme sec et poudré[23] » qui lit la gazette à haute voix. Elle excite, en revanche, « la bienveillance[24] » et de la princesse, et, comme le suppose le narrateur, de « la lectrice » du roman[25]. Vue sous cet angle, l’intrigue du roman ne se résume pas uniquement par la princesse Quintilia Cavalcanti, en une expérience à valeur généralisable pour d’autres femmes, de « réunir en une seule [personne] les fonctions de [s]a lectrice et celles de [s]on secrétaire[26] ». Payé, donc, à écrire et à lire pour la princesse, tant en sa qualité officielle de chef d’État que dans la vie intime, la fonction de Saint-Julien se voit deux fois dédoublée. Comme prolongement de la princesse elle-même, il doit effacer, du moins en théorie, les frontières entre les sphères publiques et privées, comme entre les domaines de l’écriture et de la lecture, ouverture territoriale qui devrait faire accéder la princesse à une identité unifiée. Cela dit, alors même que Saint-Julien est censé faciliter le travail de la princesse, il s’arroge rapidement des droits et exige l’accès à la propriété privée — aux écrits intimes et au corps — de celle qui librement fait profiter le jeune homme de ses largesses matérielles et de sa compagnie. L’évolution des rapports entre la princesse et son secrétaire intime illustre le type de relation qu’une auteure peut avoir avec son public averti et révèle, comme Maryline Lukacher le montre bien, les dangers qu’il y a pour une écrivaine à publier ses textes et à entrer en dialogue avec des lecteurs toujours prêts à l’objectiver[27].

Le domaine où la princesse règne est effectivement politique, même s’il ne se manifeste que par le truchement de textes : suppliques, édits, lettres et livres. Ce territoire n’est pas libre pour autant, car la production et la consommation de textes se font sous la haute surveillance de Quintilia Cavalcanti. Après avoir accepté les conditions de son contrat, qu’il rédige dans un « grand livre à fermoir d’or[28] » appartenant à la princesse et dans lequel il ne lit pas, le jeune homme écrit des lettres pour la souveraine, inscrit dans un registre les demandes qui lui sont présentées[29], rédige les réponses de la princesse et écrit, sous sa dictée, un ouvrage de recherche de longue haleine sur l’économie politique[30]. La princesse jouit toutefois du privilège de l’excès dans la mesure où, alors même qu’elle dicte des lettres à Saint-Julien, elle en rédige d’autres directement, ce qu’il n’apprendra que juste avant son expulsion. Il en va de même pour la lecture qui est dirigée et administrée selon des formes prescrites et à doses précises, car Saint-Julien ne doit lire que ce que la princesse lui donne. Arrivé au palais, il passe trois jours sans parler à personne dans une chambre décorée avec les figures des poètes, à lire ce que le narrateur se limite à appeler « ses livres favoris », assemblés pour son arrivée, et un passage de la Bible que le narrateur n’identifie pas non plus[31]. Plus tard, s’il résiste à la première invitation faite par la princesse de lire les textes qui prouvent sa fidélité[32], Saint-Julien cède à la possibilité, en prison, de lire les échanges entre la princesse et Max[33]. Cette lecture et, par la suite, celle de la biographie enfouie dans « le coffre de sandal », constituent, malgré la permission, des crimes de lèse-majesté. Saint-Julien est banni des domaines de la princesse[34] et ses textes ne le sont pas moins. De retour à Paris, Quintilia Cavalcanti lui rend la seule lettre qu’il avait tenté d’insérer dans les textes autobiographiques de la princesse[35]. En somme, Saint-Julien a raison de voir dans les cheveux de Quintilia « un flot d’encre » : elle s’estime seule le droit de voir en lui un texte, et elle le montre clairement lorsqu’elle l’invite à lui raconter sa vie par lettre pour qu’elle puisse « lire » son âme[36], et cela alors même qu’elle refuse de se livrer à ce jeu.

Le destin décevant du secrétaire intime et l’échec théorique de l’expérience de la princesse viennent en grande partie du désir illégitime que Saint-Julien a de tout lire, tout savoir, tout juger. La lecture, dans ce contexte, relève bien de l’ingestion répétitive de produits nocifs ; ainsi peut-on présumer que les « livres favoris » du jeune homme, ainsi que la Bible qui se trouve dans sa chambre, renforcent sa suspicion au sujet des moeurs de la princesse. Dans ce contexte, la lecture correspond à un apprentissage du préjugé envers la femme et l’écriture féminine en particulier. Ce n’est donc pas par hasard que Saint-Julien prend la correspondance de la princesse et de Max pour « un objet hideux[37] ». Le mieux que puisse espérer une femme, comme l’apprendra plus tard Juliette d’Estorade dans Narcisse, est de se faire innocenter après avoir cédé son territoire à ceux-là mêmes qui accueillent et transmettent librement le mensonge[38]. D’où le congé sans façons donné à un lecteur-secrétaire trop intime, affamé et injuste. Ce roman, qui représente une vaste et incisive attaque contre la lecture et les lecteurs, se comprend bien dans le contexte de la biographie sandienne de 1834, mais on aurait tort de négliger pour autant son importance en dehors de l’épisode vénitien ou de limiter son applicabilité aux écrits autobiographiques.

En fin de compte, le désir de lire, apparenté dans l’intrigue au désir de posséder, de manière exclusive, un savoir objectivant, est moins la source du mal que son symptôme le plus éclatant. Si tel est le cas, toutefois, la question se pose du comportement de la princesse. En faisant faire un stage intensif de lecture à Saint-Julien lorsqu’il arrive dans ses terres, la princesse lui remet en mémoire une tradition littéraire aussi établie que problématique, une tradition qui permet également à la princesse de jouer son propre rôle tyrannique. De fait et malgré la vie sociale intense de cette principauté, il n’y a qu’un sujet : la princesse, qui lit, dicte, et écrit de sa propre main. Dans la mesure où les sujets de la principauté se tournent vers elle, ils se tournent le dos les uns aux autres et tous y perdent tant au plan individuel que collectif. Le bannissement de toute notion de communauté précède, et de loin, celui de Saint-Julien et, en amont, celui de Max. Aucun « sacre », pas même celui tout symbolique et sympathique, du point de vue des auteurs, des écrivains, ne peut fonder une société — littéraire ou autre — au sens plein du terme, car sa structure non réciproque et inégalitaire interdit la réalisation de tout rêve d’épanouissement.

Le fantasme qui consiste à s’imaginer en figure publique, tout en étant libérée du poids des lecteurs, appartient bien au « pays des chimères ». C’est ainsi qu’il continue à laisser des traces dans la production sandienne, le plus souvent sous la forme de personnages qui refusent, pour témoigner leur confiance en quelqu’un, de jouir de leurs privilèges comme lecteurs. De plus en plus, cependant, après la publication de l’Histoire de ma vie, Sand se livre au fantasme inverse, qui est de créer des milieux peuplés de lecteurs et vidés progressivement de leurs écrivains. C’est dire l’importance du passage que représente la rédaction de l’autobiographie où, tout en livrant le récit de la vocation de l’auteure, George Sand trace la naissance d’une lectrice professionnelle.

Lire est écrire : pour une société de la relecture

Dire que la lecture est la même chose que l’écriture relève à la fois du paradoxe et de la banalité. D’un côté, le rôle actif de tout lecteur et la fonction interprétative et intertextuelle de la production textuelle sont bien reconnus ; de l’autre, le sens commun nous dit que ces activités, comme les rôles d’auteur et de lecteur qui y participent, ne sont pas identiques. La plupart des oeuvres de Sand, d’ailleurs, retiennent cette distinction, de même qu’elles répètent, avec des aménagements, le dogme romantique selon lequel les personnes dotées de pouvoirs créatifs exceptionnels méritent une reconnaissance particulière. Cependant, la rareté de ce don condamne la plupart des personnages à faire littéralement et figurativement, de la copie. Par ailleurs, cette écriture au deuxième degré ne distingue pas non plus les producteurs des consommateurs des textes ; au contraire, elle les réunit. En effet, tous les personnages, artistes ou non, s’y adonnent et cela d’autant plus facilement que la lecture se fait, dans un grand nombre de cas, en conjonction avec la transcription du travail d’un autre.

Les personnages sandiens lisent la plume à la main, comme Saint-Julien, dont une des grandes tâches consiste à inscrire les demandes des sujets de la principauté et les réponses de la princesse dans un grand livre, en d’autres termes, à écrire ce qu’il lit. Il ressemble au marquis de Villemer, qui écrit de l’histoire, autrement dit, la synthèse de documents qui existent déjà. Pour mener à bien sa tâche de réécriture, il prend des notes en lisant[39], se servant de la même technique d’apprentissage que celle employée par des générations d’élèves, dont la grand-mère de George Sand. Lors de son adolescence, celle-ci « lut prodigieusement », selon Histoire de ma vie, et entassa des volumes d’extraits et de citations[40] », une pratique qu’elle poursuivra même dans la vieillesse. Comme sa petite-fille par la suite, la dame âgée « avait l’habitude de copier des fragments ou de faire des extraits de ses lectures[41] ». Le discours narratif du récit autobiographique ne permet d’ailleurs jamais à ses lecteurs d’oublier le travail de secrétaire intime que l’auteur accomplit. En parlant, par exemple, des envois échangés entre ses ancêtres, la narratrice écrit, « Je reprends la transcription de ces chères lettres[42]. » De ce point de vue, Histoire de ma vie frôle le montage soigné car s’y trouvent transcrits et recyclés un mélange de textes, incluant des lettres familiales, des entrées recopiées de ses propres carnets, des citations tirées des Lettres d’un voyageur, voire un long extrait d’un article de Delacroix, publié dans La revue des deux mondes et cité longuement parce qu’ « il faut[43] », selon Sand, le relire.

Or, le mot « relu » pose problème car il n’est pas évident de savoir qui relit : Sand, qui le fait en transcrivant le passage pour le donner à lire à ses lecteurs contemporains ; les lecteurs eux-mêmes, qui seraient censés avoir lu l’article pour la première fois à sa parution ; enfin, probablement les deux. Cette ambivalence suggestive propose un monde libéré, du moins en partie et depuis plus d’une décennie[44], de l’angoisse de l’originalité, un domaine où la réécriture existe seule, une société où la lecture cède le pas à la relecture, une communauté, enfin, où les deux versants de la production artistique pourraient, peut-être, se réunir sans s’abolir.

Histoire de ma vie est le résultat d’un énorme travail de lecture et de relecture et propose ce modèle en donnant à lire sa productivité. En évoquant, par exemple, la Théodicée de Leibnitz, Sand cite un passage et note la réaction qu’elle avait quand elle « relisai[t] cela[45] » ; comme L’imitation de Jésus-Christ et Le génie du christianisme, ce livre est l’objet de relectures multiples[46]. De même, au moment où elle évoque le journal qu’elle tint pendant le voyage de 1829 dans les Pyrénées, Sand interrompt le temps du récit pour insister sur le travail qu’elle effectue pour cette oeuvre : « je rédigeai sur des cahiers un voyage que je relis en ce moment et qui se trouve très lourd et très prétentieux de style[47] ». De fait, Sand se conçoit fréquemment comme texte : elle est texte, par rapport à son père, qu’elle appelle, selon la formule célèbre de son autobiographie, « l’auteur de mes jours ». Elle l’est également relativement à des lecteurs qui ne la connaissent qu’à travers une réalité textuelle. Enfin, l’auteure se range de plus en plus fermement du côté des lecteurs. L’identification de la narratrice avec ses lecteurs est trop fréquente et trop lourde pour relever de la simple technique rhétorique ; il s’agit, au contraire, d’une leçon basée sur son propre cas. Sand commente sa lecture des lettres échangées entre son père et sa grand-mère, lettres auxquelles elle accorde une si large place ; elle le fait de même en présentant les extraits de son journal, elle y revient encore dans le passage où, tout en parlant de la répugnance qu’elle ressent à se relire, elle donne jusqu’aux dates de ses relectures des Lettres d’un voyageur[48], et ainsi de suite. Sand invite ses lecteurs à participer avec elle à ce travail pour mieux comprendre le procès monstre : « relisons aujourd’hui cette admirable page de Louis Blanc », écrit-elle avant d’en citer un long paragraphe[49], puis elle encourage ses lecteurs à reprendre des textes dont elle suppose une connaissance préalable : « il faut », écrit-elle, « relire ce chapitre si court et si plein de L’Histoire de dix ans[50] ». Il est vrai que le cheminement de la protagoniste raconte une venue à l’écriture, mais le personnage et la narratrice n’arrêtent pas de lire, de relire, et d’inviter, pour ne pas dire forcer, leurs lecteurs à faire de même.

Histoire de ma vie, pour des lecteurs désireux de connaître les détails de la vie privée de l’auteur, semble gouvernée par la figure de l’ellipse. Pourtant la répétition gère le récit et pour cause, dans la mesure où l’oubli et l’incompréhension sont, selon Sand, le fait des lecteurs. En répétant sa croyance dans la solidarité, l’autobiographe affirme : « [t]out lecteur a la mémoire courte[51] » ; par ailleurs, le récit donne à comprendre que son personnage ne comprend rien à la première rencontre. La célèbre scène du « Tolle lege » sandien n’est rien d’autre qu’une scène de relecture : relecture de saint Augustin que Sand avoue et qu’elle actualise en plaçant des éléments de la scène originale du « Tolle lege » dans sa représentation de ce moment révélateur[52] ; relecture qu’elle renforce à l’aide des actions itératives, dont plusieurs relèvent de la lecture, qui entourent cet épisode. Aurore lit et relit la légende de saint Siméon le Stylite dans la Vie des saints, elle regarde et regarde de nouveau le tableau de saint Augustin, elle se met à « relire » l’Évangile, et, après être sortie de l’église, elle y entre de nouveau[53]. La révélation contée, basée sur la relecture, la propulse bien encore dans cette direction, car, à la différence de la récitation forcée de formules vides et de mensonges à but propagandiste ou, encore, de l’expérience contrôlée de Saint-Julien dans Le secrétaire intime, la relecture libre, accompagnée, il est vrai, de l’écriture, crée un nouveau temps, celui de l’entendement et de l’appréciation : « Ce fut en apprenant seule à écrire que je parvins à comprendre ce que je lisais[54]. » À ce propos, la difficulté que Sand eut à apprendre la lettre « B » est peut-être moins importante que le fait que l’apprentissage eut finalement lieu. Sand raconte son impression initiale d’une anthologie de mythologie grecque qu’elle lut par images interposées avant de pouvoir, dans une deuxième approche, déchiffrer les mots du texte[55]. Il en va en général pour Sand comme pour madame Alicia, qui dit au sujet des vers de Dante : « je ne peux me lasser de les relire[56]  ».

Il n’est guère surprenant, dans ce contexte, que l’évolution tout hésitante qui se laisse percevoir, dans l’oeuvre entier de Sand, passe d’une affirmation des droits de l’écrivain à la défense grandissante des privilèges des lecteurs. Le territoire de la création littéraire, plus particulièrement celui de « l’écriture de soi », n’est pas, en fin de compte, privé : il appartient, du moins en théorie, aux lecteurs qui partagent cette vie par solidarité[57] et qui en sont également, à travers la lecture, des usagers. Le travail herméneutique, individuel et collectif, auquel sont conviés les lecteurs aboutit, par conséquent, à un effacement de l’auteur dont le texte est celui de tout le monde. Cette éventualité devient l’enjeu de plusieurs romans rédigés après la publication d’Histoire de ma vie. Parmi eux, Le marquis de Villemer reprend directement la leçon de l’autobiographie à travers les rapports entre une lectrice professionnelle et un homme qui voudrait devenir écrivain.

Un fantasme croisé : pour une société de lecteurs

Perclus de clichés dont la fonction satirique est parfois difficile à séparer du conventionnalisme qui marque la production de la romancière mûre, ce roman déroute à plus d’un titre, tout d’abord par son intitulé, car l’intrigue tourne en grande mesure autour de Caroline de Saint-Geneix, la lectrice dont l’embauche par la marquise de Villemer ouvre le récit et dont le mariage heureux le termine. Les nombreuses péripéties de son séjour relèvent des ficelles typiques des romans sentimentaux : tentatives de séduction, fuite après avoir été la victime de calomnies, et vertu qui lui assure une fin heureuse[58]. Et pourtant, le titre indique bien la cible de l’intérêt qui est de savoir, comme Lucienne Frappier-Mazur le rappelle bien, si la rédaction d’une oeuvre historique et autobiographique, Histoire des titres, et la mésalliance avec la lectrice, permettront au marquis de purger son passé et de vivre tourné vers l’avenir[59]. Pour y arriver, le marquis doit passer par l’épreuve de la différence et, selon l’expression de Nigel Harkness, faire un apprentissage, sous la surveillance de la lectrice, du « style femme » et de la féminité.[60] 

En effet, de nombreux éléments du Secrétaire intime sont repris et inversés dans ce roman, à commencer par la position et les compétences du personnage dont l’embauche fait démarrer le roman. Sortie comme Saint-Julien de la noblesse modeste, Caroline est, à l’inverse du jeune homme présomptueux, « l’humble lectrice » de sa patronne[61]. Tous les deux travaillent pour de l’argent, portent les vêtements choisis par leur patronne, et vivent dans un lieu fermé, possédé appartenant à la patronne, où rumeurs et complots abondent et où le moindre faux pas s’avérera cause de renvoi. Cependant, et au contraire de Saint-Julien, Caroline n’est officiellement que « lectrice » et le travail qu’elle fait pour la marquise relève avant tout de la vie privée — correspondance oiseuse et lectures plus ou moins futiles — jusqu’à ce que la maladie du marquis amène Caroline à entrer dans le domaine de la fabrication de textes publics[62]. La double bifurcation du travail textuel, d’un côté en une écriture féminine et frivole et une écriture sérieuse et masculine, de l’autre, entre le génie créatif et intelligent de l’homme et l’intelligence critique mais plutôt passive de la femme, suggère une adhésion complète aux critères conformistes de la différenciation sexuelle. Pourtant, cette représentation, qui passe effectivement par une critique de « la pensée homme » sortie des Lumières[63], prépare un coup d’État culturel mené par la lectrice.

Caroline est une figure médiatrice, une « intermédiaire » que le marquis ne pouvait tolérer auparavant, mais qui facilite un travail bloqué par le milieu renfermé dans lequel il le produit et le rapport trop étroit que ce célibataire, à la manière de Stanislas Hue, entretient avec son texte[64]. Figure positive, moitié muse, moitié scribe, Caroline facilite la production d’un texte qui, aux dires du marquis reconnaissant, lui appartient de droit[65]. Vulnérable et soumise, Caroline semble occuper, malgré sa différence d’avec la plupart des femmes, une position intellectuelle et créative qui reste nettement inférieure à celle du marquis :

Elle avait une remarquable netteté de jugement, jointe à une faculté rare chez les femmes, l’ordre dans l’enchaînement des idées. […] C’est qu’il se trouvait en face d’une intelligence supérieure, non créatrice, mais investigatrice au premier chef, précisément l’organisation dont il avait besoin pour donner l’équilibre et l’essor à sa propre intelligence[66].

Puisque le marquis ne voit en Caroline qu’une utilité instrumentale, personne ne reconnaît sa puissance, de sorte qu’elle sèvre le marquis progressivement de l’écrit en lisant et en écrivant à sa place : livre à la main — puisqu’au contraire de Saint-Julien, elle peut lire en public[67] — Caroline empêche Urbain d’accéder à la bibliothèque pendant sa convalescence : « plus d’une fois il l’y avait trouvée, gardienne doucement et gaiement farouche des livres et des cahiers, mis, disait-elle, sous le scellé jusqu’à nouvel ordre[68] ». C’est, plus loin, vers Caroline que le marquis avance, un livre à la main, demandant la permission de travailler avec elle[69]. Urbain n’est pas si différent de son fils à qui Caroline apprend « les premières notions de la lecture », sinon que Caroline, qui ne sait pas l’identité de cet enfant, veut lui épargner « le gros effort de l’attention, si pénible quand la force et l’activité sont plus développées[70] », c’est-à-dire le destin de son père. C’est elle, surtout, qui peut déchiffrer le dernier texte du marquis. Le lecteur du roman ne voit pas son contenu, seulement la réaction de Caroline devant un texte que le temps avait failli rendre « illisible » : « je lis,… je lis bien,… et je comprends[71] ! » Enfin, elle devient la seule lectrice d’un homme dont le destin ultérieur se rapproche de celui des femmes.

Le marquis de Villemer qui n’aurait, de toute manière, jamais accédé au statut d’écrivain, dans la mesure où il comptait publier son livre de manière anonyme[72], finit, en époux et père de famille, comme l’auteur inconnu d’un texte désuet qui, à défaut de lecteurs, reste dans le domaine privé. Il est, dans ce sens, la figuration inverse de la « femme-homme » qu’est Nanon, selon Yvette Bozon-Scalzitti[73]. De cette manière, la lectrice reçoit, littéralement, ses lettres de noblesse, alors que le roman se termine sur un effacement complet de l’oeuvre, du sujet, et de l’agent d’une histoire qui ressemble en tous points à celles, même progressives, de la société du Second Empire. Dans le contexte d’une société révolutionnaire, signalée dans le roman par la rupture de février 1848, les histoires d’originalité artistique onomastique et historique n’ont plus leur raison d’être.

Ce renversement du schéma proposé dans Le secrétaire intime, selon lequel le lecteur trop avide est expulsé du domaine littéraire, vise, dans un sens, la même fin : l’éradication du privilège du savoir et du pouvoir, celui surtout du sexe masculin et, par analogie, de tout groupe ou individu qui maintiendrait avec autrui des rapports autres que réfléchis et réciproques. La nouveauté du Marquis de Villemer par rapport au Secrétaire intime est que le résultat s’obtient par un processus d’assimilation concertée, prêché ailleurs par la romancière vieillissante[74], plutôt que par le rejet brutal. Il n’empêche que sous le couvert d’une fin heureuse, un versant du modèle communicatif est évacué en faveur d’un autre. La coexistence de lecteurs et d’écrivains s’avère ardue et, sur le plan narratif, l’une des deux fonctions doit souvent céder le pas à l’autre. En fin de compte, intégrer l’altérité sans la détruire du même geste, c’est-à-dire lire et écrire, faire lire et laisser écrire, briser l’antinomie entre le Moi et l’Autre sans éliminer ni l’un ni l’autre, voilà peut-être ce qui relève du plus grand fantasme du tout.

Lectures de soi accompagnées

Y arriver serait le signal annonçant la fondation d’une nouvelle société, une ambition devant laquelle Sand ne recule point, mais qu’elle n’arrive qu’à peine à entrevoir et d’autant moins à représenter. Ce n’est guère surprenant, puisqu’il s’agit d’être tout à la fois soi et autre, et cela, sans que les ambitions territoriales des uns et des autres en viennent à éliminer les distinctions qui persistent au-delà de l’élimination des barrières. Les scènes de la lecture de soi, saupoudrées à travers la production romanesque, fournissent la représentation la plus ambitieuse de cette vision. Lorsque Urbain, par exemple, entouré de ses livres dans le refuge qu’est sa bibliothèque, donne le manuscrit de son livre à Caroline, celle-ci lui suggère de le lire à haute voix, ce qui lui permet, le temps de la lecture, de s’assimiler au marquis, qui devient, de ce fait, son propre lecteur : « Je veux que vous vous entendiez parler vous-même », dit-elle, « je crois que ce doit être une bonne manière de se relire[75]. » De fait, Le marquis de Villemer va bien plus loin que le texte de 1830, Les couperies, où la rédactrice de notes dans un carnet s’élimine, littéralement sinon de manière permanente, en s’endormant pendant la lecture qu’en fait un jeune promeneur[76]. L’expérience s’effectue également sur un tout autre ton que dans Le secrétaire intime, où la princesse n’est point présente aux scènes de lecture qu’elle agence en réaction à la violence sexuelle et mentale de son secrétaire ; elle ne se soucie point non plus de savoir la réaction de son lecteur honni. Le résultat est de même plus positif que dans Narcisse, où celle qui donne ses lettres à lire à son ami accomplit un acte d’autodestruction. L’effacement symbolique se double pour cette raison d’un déclin physique et c’est à partir de ce moment que le cheminement de Juliette vers la mort commence à s’accélérer[77].

Pour un corpus de personnages singulièrement « confessants », les résultats des lectures de soi et des autres restent incomplets lorsqu’ils ne se situent pas dans un domaine extradiégétique, celui, tout paradoxal, de l’ellipse narrative. Comme Sand le dit dans une méditation datée de 1860 et publiée dans Impressions et souvenirs, « On a pu établir la distinction des intérêts, triomphe de la civilisation sur la barbarie » ; maintenant la tâche est d’arriver à « l’association des intérêts en pleine civilisation[78] ». La conclusion du Marquis de Villemer consacre des paragraphes séparés aux époux heureux et cela bien qu’ils n’aient presque plus besoin de se parler, tant leurs identités se chevauchent. Différents et identiques, ils n’appartiennent plus à l’univers du récit. Les lecteurs du roman ne peuvent donc plus les voir, sinon pour savoir que le grand souci du père et de la mère est l’éducation de leurs enfants[79]. Il est permis d’imaginer que leur alphabétisation fera d’eux des lecteurs hors pair. Dans La communauté qui vient, Georgio Agamben relève en quoi les tentatives d’une communauté de moines d’être tout à la fois eux-mêmes et tout à fait autres sont radicales. Penser et se penser l’individu, l’Autre et le collectif, de manière simultanée, sans s’exclure, sans compromis, relève de l’irreprésentable et pourtant, l’engagement de ces moines est absolu[80]. La lecture expérimentale sandienne, ni réaliste ni idéaliste, est, d’une manière similaire et en conjonction avec l’écriture, tout simplement visionnaire.