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Ce huitième livre de Dorval Brunelle porte sur la mondialisation du monde de l’après-guerre. Cette mondialisation occupe une place importante dans l’espace public : il s’agit d’une voie obligée de la prospérité pour ceux qui s’attendent toujours à un progrès économique constant. Pour d’autres, il s’agit d’un phénomène qui est responsable de tous les maux qui affligent la société contemporaine. D. Brunelle analyse ces jugements contradictoires, qui, soutient-il, négligent les discours ayant présidé à la mise en place du monde de l’après-Seconde Guerre mondiale.

L’auteur examine les fondements de cet ordre, tels qu’il les découvre dans les propos maintenant historiques de ses architectes d’alors. Il découvre une certaine ambivalence de ces architectes, car l’ordre d’après-guerre devait servir, entre autres choses, à favoriser l’internationalisation des économies grâce à l’institutionnalisation d’un marché mondial des biens et des capitaux, et que les missions confiées aux États les enjoignaient précisément d’assumer les coûts sociaux de cette externalisation de leurs économies. Une alternative viserait à expliciter la subordination du social à l’économique en guise d’explication.

Le point de départ de son analyse est la création des grandes institutions internationales, et il poursuit son analyse en examinant la reconstruction des espaces internationaux et nationaux jusqu’à la création de l’État providence et à la reconnaissance, maintenant battant la retraite, des droits sociaux. La pensée constituante de l’ordre d’après-guerre cherchait à instaurer la sécurité, la justice et le bien-être pour tous les citoyens et les citoyennes de la planète. Cet ordre de réflexion prévoyait une articulation originale entre les fonctions que les États devaient assumer sur les deux plans international et national. Je suis sur ce point plus cynique que M. Brunelle – je ne crois pas que le système de Bretton Woods ait été altruiste. Bien au contraire, Bretton Woods et tout le système politico-économique de l’après-guerre a été développé, me semble-t-il, pour la promotion de la vie commerciale et économique, et réhabiliter les pays dont l’infrastructure avait été détruite par la guerre. La jouissance du commun des mortels d’une extraordinaire croissance économique engendrée par ce système, dont je ne suis pas moins nostalgique qu’une autre, n’était en quelque sorte qu’une coïncidence, une conséquence plus ou moins inattendue de décisions visant tout autre chose.

D. Brunelle passe en revue les raisons de la retraite du social devant l’économique. Il parle ensuite d’un phénomène qu’il appelle globalisation qui aurait rompu avec la logique initiale de l’après-guerre. Sur le plan international, nous sommes plus d’accord : malgré la portée prétendument universelle du cadre des organisations économiques internationales, la réalité fut marquée par l’exclusion des pays en voie de développement des principales instances de décision, par la mise à l’écart de l’urss et des pays socialistes sous son influence. Brunelle passe en revue ce que la guerre froide a produit au niveau de la réflexion et de l’idéologie, et la place du Canada dans cette évolution.

Dans le cadre ainsi développé, D. Brunelle suggère que l’Amérique du Nord occupe une place privilégiée. Le libre-échange entre le Canada et les États-Unis est le premier lieu du déploiement de la globalisation, et l’auteur part de là pour faire une très intéressante analyse de l’opposition entre mondialisation et régionalisme. Ce serait donc à tort que l’on interprète la mondialisation des fonctions étatiques des pays riches comme un phénomène réduisant la puissance de l’État sur le plan national – cette prétendue réduction n’est autre chose que le résultat d’une extension de leurs prérogatives vers l’extérieur. Il analyse ensuite la dynamique de cet accord controversé pour saisir ce que la pensée de l’après-guerre, malgré des apparences libérales, peut proposer à ceux qui cherchent encore à créer une société plus juste. Il compare les méthodes du mouvement anti-mondialisation, c’est-à-dire la consultation et la contestation. Pour l’onu, il est particulièrement sévère : l’architecture de l’après-guerre instaure un nouveau régime qui, loin de privilégier la publicité des débats, l’ouverture et la responsabilité, opère désormais dans le secret, la clandestinité et la connivence. Quoi de neuf dans la vie politique, depuis les accords du concert de l’Europe ?

Retracer l’évolution conceptuelle qui nous amène à considérer la mondialisation me paraît comme un travail important et bien fait par l’auteur. J’avoue avoir été moins convaincue de la nécessité de proposer un concept alternatif à la mondialisation, c’est-à-dire la globalisation, tant au point de vue des assises théoriques que de l’application du concept. Nous aurions tout aussi bien pu distinguer deux courants de pensée à l’intérieur d’une même réflexion. Par contre, cela ne dérange rien. Ce qui compte, c’est la réinterprétation de positions et de concepts après la fin de la guerre froide, et il me semble évident que tous les courants politiques sur les questions qu’aborde Brunelle sont devenus plus à droite. C’est là la racine des changements que l’on observe. De la même façon, je m’étonne de ce que la perspective historique adoptée n’a pas plus instruit l’analyse de M. Brunelle sur deux phénomènes : d’une part, l’effritement des positions plus centristes, et d’autre part, la diminution du niveau de vie de la classe moyenne elle-même. Il s’agit là, encore une fois, d’une alternative possible au chemin qui mène tout de même vers l’unique résultat des deux pendants contestataires et consultatifs des mouvements sociaux. Peut-être s’agit-il vraiment d’un recours plus ouvert aux politologues qu’aux sociologues. Il existe une dernière alternative à sa proposition : une réflexion approfondie que les sociologues ont porté sur une période de mobilité sociale ascendante qui a pris fin bien avant la guerre froide.

En fin de compte, on voit bien pourquoi, face à des contraintes issues des hauteurs mêmes des États, seule la mobilisation citoyenne mondiale offre une voie de salut. Cela est d’autant plus vrai que le retour vers quelques formes de providentialisme ou de protectionnisme à grande échelle ne passe plus seulement par un État. Désormais, elle peut aussi passer par la formation de communautés nouvelles des États autour des questions comme la diversité culturelle. Ce ne serait qu’à ce moment qu’un autre monde deviendrait possible.