Corps de l’article

Platon évoqua l’existence et la destruction d’une cité idéale, nommée l’Atlantide, au début de son recueil de dialogues intitulé Timée, puis dans Critias (qui prolonge Timée). Socrate aurait ensuite présenté comme « absolument vrai » (p. 19) ce dialogue entre Hermocrate, Critias et Solon, évoquant une île fabuleuse, engloutie à jamais à la suite d’un violent cataclysme survenu 9 000 ans plus tôt.

Comme beaucoup de mythes, cette merveilleuse fable de l’Atlantide a par la suite été reprise et adaptée par bon nombre de conteurs à la recherche de mondes inconnus, mais elle fut aussi attestée par les écrits de certains historiens, des géographes, quelques océanologues. Deux raisons peuvent expliquer cette inlassable fascination pour ce qu’a représenté l’Atlantide : d’abord, il s’agit d’une société idéale, en parfaite harmonie, et cette merveilleuse utopie a pu inspirer des auteurs, des théoriciens des sciences sociales ou des philosophes, comme Thomas More. De plus, l’Atlantide demeure à ce jour et jusqu’à preuve du contraire un monde imaginaire ; le récit même de son histoire la présente comme une sorte de paradis perdu, ce qui crée immédiatement une impression de nostalgie pour un Éden disparu. Preuve indéniable de cette fascination, Pierre Carnac atteste que plus de 2 000 livres ont été consacrés à l’Atlantide depuis la Renaissance, et que ce mystère persistant continue de susciter l’intérêt (p. 11). Or, poursuit l’auteur, « pour la quasi-totalité du milieu scientifique actuel, qui considère que tout a été dit ou écrit sur la question, l’Atlantide n’a jamais existé » (p. 11).

Pour beaucoup de ces passionnés, le premier contact avec l’Atlantide résulte non pas de Platon mais de la lecture du roman de Pierre Benoit, L’Atlantide, qui a donné lieu a plusieurs adaptations au cinéma (le film que Georg Pabst réalise en 1932) ou dans des épisodes de bandes dessinées (les aventures de Blake et Mortimer, Martin le Malin, ou même Astérix). Pour son quinzième livre, Pierre Carnac évoque les différents récits ayant décrit l’Atlantide, afin de montrer les constantes et les variantes dans ces diverses descriptions de mondes plus ou moins parfaits. Selon la légende, l’Atlantide serait une île immense, comparable à l’Angleterre ou à l’Islande, probablement située au large du Détroit de Gibraltar, à l’ouest de la mer Méditerranée. Certains géographes ont cru la reconnaître dans l’Archipel des Açores (au large du Portugal, dans l’océan Atlantique) ; d’autres pensent au contraire qu’elle correspond à l’Île grecque de Santorin, dans la mer Égée. Mais une foule d’autres hypothèses ont par ailleurs été soulevées.

La première partie de l’ouvrage examine les fondements de cette cité idéale, en tentant des rapprochements avec la culture de la Grèce antique, les récits égyptiens, l’Ancien Testament. « La mentalité grecque est fortement marquée par l’idée d’un âge d’or de l’humanité », auquel l’Atlantide aurait pu apporter un modèle à imiter (p. 20). En outre, la destruction apocalyptique de l’Atlantide rappelle le Déluge de la Genèse, servant à la fois d’exemple et d’avertissement (p. 21). L’Atlantide serait une sorte de « laboratoire de recherche sur l’imaginaire de la société parfaite », l’idéal-type de la société harmonieuse, pour reprendre la terminologie de Max Weber. Comme on le voit dans la deuxième partie du livre, le doute quant à l’existence réelle de l’Atlantide n’est pas récent et a longtemps existé depuis Aristote ; celle-ci a également été décrite par le philosophe Porphyre (234‑305) comme une simple allégorie dont le but était d’abord pédagogique, en vue de l’instruction symbolique des Athéniens (p. 40). Depuis, chaque nouvelle découverte par les explorateurs du Nouveau Monde ravivait les espoirs de certains de retrouver et mettre à jour les précieux vestiges de l’ancienne cité idéale.

Malgré certaines sources contestables ou parfois ésotériques (sur le continent Mu), ce livre de Pierre Carnac fournit des indications souvent méticuleuses des nombreux sites où des géographes, océanologues, cartographes auraient situé l’emplacement possible de l’île légendaire, et l’on s’étonne de voir des hypothèses répartissant tour à tour l’Atlantide dans chacun des cinq continents ! Un commentateur du siècle dernier aurait même cru pouvoir retrouver l’Atlantide… au nord du Québec ! (p. 132). Néanmoins, si cette civilisation perdue n’a jamais été localisée, son existence imaginaire dans une multitude de récits, au même titre que les licornes et loups-garous, demeure une fois de plus confirmée parmi la longue liste des pays légendaires, selon l’expression de René Thévenin[1]. Cet imaginaire constitue en soi, pour les philosophes, anthropologues et sociologues, le véritable trésor apporté par la civilisation des Atlantes.