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Huit ans après sa mort, Gaston Miron est devenu la référence incontournable de nos lettres. Pourtant, le projet québécois qu’il a porté à bout de bras s’enlise, invalidé par les vastes mouvements de peuple où ne surnagent que les cultures les plus fortes. Les petites collectivités comme la nôtre, soumises à un multiculturalisme dévastateur, ne trouvent plus que dans leur passé, à l’état de souvenir, la cohésion qui les animait. Miron n’est le symbole du Québec que parce qu’il a enraciné la foi nationale dans un désespoir et une souffrance démesurés et que ceux-ci donnent finalement son sens à celle-là.

Le colloque de l’ACFAS consacré aux récents Poèmes épars [1] m’incite à commenter ce précieux recueil posthume, dont j’ai salué ailleurs la parution.

Deux successeurs de Gaston Miron aux éditions de l’Hexagone, Alain Horic et Jean Royer, racontent leur accompagnement, pendant plusieurs décennies, du grand poète qui fut aussi un incomparable animateur de nos lettres.

Enfin, Guy Champagne réédite l’oeuvre poétique d’Eudore Évanturel, dont il nous a déjà procuré l’édition critique, et dédie cette version, allégée de tout l’appareil de notes, « à Gaston Miron [2] ».

Miron rapaillé

Dans les poèmes de L’homme rapaillé [3], on peut faire une distinction entre les très grands textes et les autres. Ces autres ne sont jamais médiocres, ils sont même souvent des réussites, mais les très grands textes ont quelque chose de proprement génial. « La marche à l’amour », « La batèche », « La vie agonique », « L’amour et le militant » nous habitent comme les meilleurs poèmes de Nelligan, de Saint-Denys Garneau ou d’Alain Grandbois. « Poèmes de l’amour en sursis » et « J’avance en poésie » contiennent aussi des textes tout à fait remarquables. Bref, presque tout, dans ce recueil, est marquant.

Les quelques autres poèmes qui accompagnent ce noyau énorme, issus pour la plupart de « Deux sangs » et de « Courtepointes », font entendre l’accent inimitable de Gaston Miron, mais n’accèdent pas à la plénitude de forme et de sens des textes précités.

Il en va ainsi, me semble-t-il, des Poèmes épars. Ils sont un complément très précieux de L’homme rapaillé, mais ils n’ont ni la densité ni la richesse de ses grands poèmes. Pour reprendre le titre de mon article du Devoir sur ce recueil, « De paille et de tonnerre [4] », je dirais qu’ils font entendre le tonnerre, c’est-à-dire cet accent prodigieux de la poésie mironienne, mais de façon intermittente et un peu lointaine ; pour le reste, il y a la paille, avec laquelle le poète construit l’homme et sa présence de tonnerre ; la paille qui est le matériau fragile dont se constituent nos existences, et que Gaston Miron assemble en constructions de langage accueillantes, d’un accès sans doute plus facile que ne le sont ses grands textes.

À ce titre, les Poèmes épars sont une introduction très utile à ce qui fait l’essentiel de L’homme rapaillé, et la confirmation que ces grandes réussites n’ont rien d’un hasard, mais s’appuient sur un travail du langage et de la pensée (au sens le plus élevé du mot pensée) qui comporte des étapes, des états variables et, pour ainsi dire, de l’inachevé. Toutefois, je ne crois pas que les poèmes épars auraient pu, à force d’être fignolés, atteindre la même densité d’inspiration que les meilleurs textes de L’homme rapaillé. Leur conception les voue à une réussite d’un autre ordre, plus modeste, parce qu’ils sont moins porteurs de totalité, signifient dans moins de directions simultanées, individuelles et collectives. L’individuel y prédomine — de là la présence voyante des noms propres, ceux du poète lui-même (« Archaïque Miron »), de la femme aimée, des amis.

Les Poèmes épars sont, pour la plupart, postérieurs à L’homme rapaillé — à cette réserve près que, comme on le sait, L’homme rapaillé n’a jamais été tout à fait terminé ; il a continué jusqu’au bout à représenter l’essentiel du message de Miron, appelant une réécriture indéfinie. Les Poèmes épars sont peut-être une sorte de mise à jour appauvrie de L’homme rapaillé tout comme le discours indépendantiste, après le fatidique référendum de 1980, est le prolongement affaibli de celui qui avait été tenu sous la Révolution tranquille. Cette relative déperdition de contenu n’est pas l’effet d’une baisse de ferveur ou de talent, poétique ou politique, mais d’un changement de conjoncture et, notamment, d’une certaine rupture avec la collectivité qui avait porté et inspiré le projet créateur. La collectivité, devenue multiethnique, a précisément perdu l’unité qui permettait sa mobilisation, s’est fractionnée en groupements apolitiques.

Les Poèmes épars me semblent donc beaucoup moins régis que L’homme rapaillé par un projet unitaire ou totalisateur. Dans son Voyage en Mironie [5], Jean Royer rapporte cette question d’Alain Bosquet : « Comment faites-vous, Gaston Miron, pour être aussi intériorisé et public en même temps ? » (121) Cette fusion du dedans et du dehors, du politique et de l’intime, est beaucoup plus poussée dans ce que j’appelle les « grands textes » que dans les « poèmes épars » de l’Archaïque Miron cherchant en vain à se déprendre du passé, lequel constitue une référence pourtant essentielle et qui continue — dans L’homme rapaillé — à faire toute la grandeur du poète.

Dits et redites de Sancho Pança

Le livre d’Alain Horic, Mon parcours d’éditeur avec Gaston Miron [6], est un témoignage mal bâti, répétitif, mais utile, sur l’histoire d’une maison d’édition qui a joué un rôle prépondérant dans l’édification de la littérature québécoise moderne. L’Hexagone fut longtemps identifiée à la seule figure charismatique de Gaston Miron ; il n’est pas mauvais que Sancho Pança rende publique sa part de mérites, qui est grande, en présentant une histoire détaillée et, semble-t-il, scrupuleusement exacte de cette magnifique et difficile aventure.

Le livre est constitué surtout d’un long essai, « Mon parcours aux Éditions de l’Hexagone avec Gaston Miron », dont le titre reprend presque tel quel celui du livre (11-76), et d’un entretien accordé à Richard Giguère et André Marquis, « Le défi d’un éditeur littéraire [7] » (89-147). Ce dernier texte couvre une période moins vaste que le précédent, mais il est mieux ordonné et, grâce aux questions posées, plus riche de perspectives. Réalisé en 1989, il donne d’avance presque tous les renseignements qu’Alain Horic accumulera laborieusement dans l’exposé liminaire (dont une première version abrégée fut présentée à l’Université de Toronto en 1998, lors d’un colloque sur Miron).

Les confidences d’Horic, qui fut associé de près à presque toute l’aventure éditoriale de l’Hexagone, donnent une excellente idée des problèmes éprouvés pendant un demi-siècle par l’édition littéraire québécoise, dans un contexte au départ fort peu favorable. Par ailleurs, la contribution généreuse et intelligente de Miron qui, après 1980, fut sollicité par d’autres combats, ne s’encombre pas de contraintes d’ordre pratique, et c’est ici que le labeur de fourmi d’Alain Horic prend tout son relief. Certes, malgré la mention répétée qu’il fait de son caractère réservé, l’éditeur associé ne se laisse pas oublier dans le récit du long périple à deux, mais il porte témoignage de son travail sans accabler quiconque et dans le but légitime que son dévouement de près d’un demi-siècle soit reconnu.

De menues inexactitudes se glissent sans doute dans cette histoire, qui concerne plusieurs centaines de publications. Par exemple, l’Hexagone s’est toujours targuée de n’avoir jamais publié à compte d’auteur. Je connais pourtant une exception… Pendant le séjour de Gaston Miron en Europe, de 1959 à 1961, parut à mes dépens, si je puis dire, un petit recueil de moi, Privilèges de l’ombre. J’avais dix-huit ans et quelques sous en banque. Ce fut sans doute l’unique dérogation à la règle.

Le livre d’Alain Horic, en plus de nous renseigner sur le destin de son auteur — exilé politique de Bosnie arrivé au Québec au début de la vingtaine, vite intégré à l’équipe de l’Hexagone, et partisan fervent de la geste québécoise (politique et littéraire) —, donne aussi de Miron, ce « personnage donquichottesque » (39), des aperçus pittoresques, parfois respectueusement critiques, mais toujours amicaux. Ils n’apprennent pas grand-chose de nouveau sur l’homme, le poète, le militant, mais ils confirment la vérité de ces aspects et la grandeur paradoxale de Miron, qui était « magnifique » en étant simple et fraternel.

Voie « royale » pour la mironie

Ce côté humain de Miron fait l’objet principal des pages que lui consacre un autre témoin privilégié, Jean Royer, en qui l’on peut saluer à la fois le disciple et l’un des meilleurs amis du poète. Si la relation Miron-Horic pouvait évoquer celle de Don Quichotte et de Sancho Pança, c’est plutôt les Conversations de Goethe avec Eckermann qui se dessinent en filigrane dans le Voyage en Mironie, l’écrivain plus jeune enregistrant fidèlement les pensées du maître et les donnant à méditer. Royer a d’ailleurs sur Eckermann l’avantage de disposer, à l’occasion, d’un magnétophone.

Même si Royer est conscient de ses propres mérites d’écrivain et n’hésite pas à en faire étalage, son admiration pour Gaston Miron est d’une sincérité et d’une fidélité sans failles et son témoignage, d’un intérêt soutenu. Le « voyage » proposé nous amène d’abord à Paris où l’on voit défiler la cohorte impressionnante des amis français de Miron, pour la plupart éditeurs et poètes renommés. Sans doute sent-on parfois un peu de jeu, de posture officielle dans l’accueil fait au Québécois, par exemple de la part d’un Alain Bosquet, dont les réserves à l’égard de l’oeuvre de Miron sont finalement signalées (156). Miron n’est pas dupe des amabilités qu’on lui sert. Mais on sent que, en général, un enthousiasme très réel entoure les fulgurances de L’homme rapaillé, même si la poésie de l’amoureux, apprend-on tardivement, suscite peut-être plus d’intérêt que celle du politique (131). Bref, même quand on est grand poète, on n’est jamais sûr de la consistance de l’hommage qui nous est rendu. Or, fait remarquer Royer (ou Marie-Andrée Beaudet, dont les propos seraient ici rapportés en style indirect libre), « Gaston a besoin qu’on l’adore » (217).

C’est vrai. Ce qui serait de la mégalomanie de la part d’un homme ordinaire devient une délicieuse naïveté — oui, le mot peut avoir un sens positif ! — chez l’auteur qui a donné au Québec quelques-uns de ses textes fondateurs.

Et Jean Royer ne laisse de côté aucune des directions où se déploie l’énergie de Miron. Il nous le montre se remettant à l’écriture au cours d’un voyage en France, ou haranguant des salles d’étudiants, récitant ses poèmes ou se produisant en spectacle avec deux jeunes musiciens, se battant contre les inhibitions qui freinent la mise au net de son homme rapaillé pour la collection « Typo », multipliant les interventions politiques et littéraires. Royer cite beaucoup : tantôt des formules lapidaires qu’il a attrapées au vol et notées dans son carnet (l’écriture est « l’invention sans cesse vraie de soi », [212]), tantôt la transcription de discours enregistrés ; ou il résume des propos, des allocutions, consigne les rencontres auxquelles il a assisté avec telle ou telle sommité du monde littéraire. Il évoque aussi les circonstances quotidiennes, les figures de l’entourage immédiat. Et puis, il nous renseigne sur l’élaboration de l’oeuvre, cite les auteurs québécois qui ont marqué le poète : Alain Grandbois, Alfred DesRochers, Gilles Hénault (« le premier à écrire en langage direct, le premier à se servir de la langue populaire », [91]), Paul-Marie Lapointe, Roland Giguère… Bref, le voyage est varié et propre à combler les admirateurs de Miron et les amants de cette extraordinaire époque littéraire (et politique) dont il a été le vivant symbole.

Signalons un dernier aspect, qui est la contradiction dans laquelle se débat le poète à la fois conscient d’incarner les forces vives du Québec et désespéré devant le rejet, par la population, de l’avenir collectif. Tout ce qui s’est mis en place sur les plans culturel, politique et économique depuis le début de la Révolution tranquille se défait tranquillement au profit de la canadianisation ininterrompue du Québec, au profit d’un bilinguisme et d’un multiculturalisme sauvage qui mènent irrépressiblement à l’assimilation de la belle et suicidaire province. « Je sais que nous allons mourir comme peuple », dit Miron en 1995 (249). Cinq ans plus tôt, il confiait à Royer : « Moi, j’ai perdu la foi en ce qui concerne le Québec. Je ne crois plus en ce peuple plein de lâcheté. » (209) Cela rejoint l’opinion des étudiants parisiens pour qui la littérature québécoise, « c’est ringard et dépassé » (153). Pour faire mentir tous ces Cassandre, il faudrait une vraie révolution…

Salieri assassiné

De Crémazie, qui allait bientôt mourir, n’avaient encore paru dans les journaux que deux poèmes, « Le drapeau de Carillon » (1858) et « Un soldat de l’Empire » (1859) ; Fréchette ne publierait que neuf ans plus tard sa Légende d’un peuple (1887), et Le May était encore loin des ouvrages de sa maturité. Eudore Évanturel, âgé de 26 ans, fait alors paraître ses Premières poésies 1876-1878 — qui seront aussi ses dernières. Le titre annonce une oeuvre abondante, mais la réception assassine mettra un terme au jaillissement. Sans doute Évanturel eut-il de dévoués défenseurs parmi les esprits libéraux, mais les ultramontains se déchaînèrent [8]. Et puis, dans un pays sans histoire et sans littérature, il n’est jamais facile de faire oeuvre pour vrai. Plusieurs poètes, et non des moindres, se tairont (ou presque) après avoir entrepris très jeunes une carrière prometteuse : Nelligan, Sylvain Garneau, Clément Marchand, Jean-Guy Pilon… Comme Marchand, Miron lui-même n’a-t-il pas écrit l’essentiel de son oeuvre poétique avant 35 ans ?

Évanturel a publié d’abord dans un journal un assez long poème frénétique, « Crâne et cervelle » (repris ici aux pages 275 à 285). Il y raconte un vol de cadavre par un étudiant de médecine en état d’ébriété ; le jeune homme se rend compte finalement que le corps dérobé est celui de sa fiancée. Après s’être ouvert le crâne sur le mur, il « [f]it des taches de sang au cadavre hideux » (285), et le poème expire sur cette note cruentée. Certains lecteurs saluèrent dans ces vers un tempérament poétique original et robuste, mais d’autres le condamnèrent pour immoralité et démence.

En fait, l’inspiration du jeune poète provient du romantisme tardif, celui d’un Musset (qui a aussi intitulé un de ses livres Premières poésies) et d’un Gautier, que caractérisent la fantaisie et un certain sensationnalisme. On est encore loin, certes, de Baudelaire et de son sensualisme mystique ou de son esthétique démoniste, mais on a délaissé les sentiments humanitaires et la grandiloquence des Hugo et des Lamartine. La rhétorique patriotique de Crémazie ou de Fréchette n’est donc pas au rendez-vous, et les partisans libéraux d’Évanturel conseilleront eux-mêmes au jeune auteur de donner un peu de couleur locale à ses textes et d’aborder des thèmes plus convenus (le paysan, par exemple).

Évanturel n’a pas fréquenté que le registre horrible, loin de là ; et il s’est abstenu de reprendre « Crâne et cervelle » dans ses Premières poésies. Mais il s’est souvent complu dans l’évocation de situations pathétiques comme la pauvreté, la maladie, la mort qui met brutalement un terme aux amours. Un poème souvent cité de lui, « Au collège », rappelle par sa sobriété réaliste et sa chute brutale « Le dormeur du val » de Rimbaud (1870), tout en relevant sans doute davantage du pathétique hugolien. En regardant le poème de près, on perçoit tout de même des failles. Ce collégien dont les camarades se moquaient et qui meurt inopinément est porteur d’un secret, dévoilé à la fin :

L’on n’aurait, j’en suis sûr, jamais su le mystère

Si son voisin de lit n’eût avoué, sans bruit,

Qu’il toussait et crachait du sang toute la nuit.

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Soyons prosaïque : comment ces bruits et ces épanchements violents peuvent-ils passer inaperçus des autres, et pourquoi le voisin de lit se tait-il à leur sujet ? Pourquoi le malade s’en cache-t-il lui-même, plutôt que de demander les soins que requiert son état ?

On voit que le poète manque d’expérience et n’approfondit guère ses évocations de la réalité — non plus que de la passion amoureuse, qui est traitée de façon bien légère. Malgré les apparences, et un recours au je dont Crémazie, pour sa part, s’est vertueusement gardé dans toute son oeuvre, Évanturel est loin du lyrisme personnel.

Ce qui fait pour nous le prix de cette poésie est, d’une part, la rigueur de l’expression (malgré les trous dans le tissu du vraisemblable), l’aisance du vers, la respiration d’une langue capable de finesse et de légèreté et, d’autre part, une fantaisie dont nos lettres offrent assez peu d’exemples, surtout au dix-neuvième siècle. Cette fantaisie est orientée tantôt dans le sens de l’amourette gracieuse, qui annonce Albert Lozeau, tantôt dans une voie pathétique ou macabre qui pourrait se rapprocher du Crémazie de la « Promenade des trois morts ». Qu’il aille dans un sens ou dans l’autre, le poète innove. La rhétorique ronflante l’ennuie. Il recourt plutôt à des phrases d’un parfait naturel, que leur perfection désinvolte et leur simplicité sauvent du prosaïsme. Par exemple, un poème commence ainsi : « Or, ceci me rappelle une histoire assez drôle » (353), entrée en matière pleine d’enjouement qui est un bouquet de presque toutes les voyelles.

Les galanteries rimées, qui dégénèrent volontiers en tableaux macabres, ressortissent au dilettantisme et non à la passion, laquelle demanderait plus de sérieux et d’intensité affective. Le jeune poète, malgré ses emprunts parisiens, n’a rien d’un franc coquin et si, comme lecteur, il apprécie les évocations subtilement perverses d’un Musset (« Namouna »), il ne fait nullement montre, quoi que lui reprochent ses censeurs locaux, de tendances à la débauche.

Par ailleurs, il est tout autant réfractaire aux bondieuseries. Certes, il lui arrivera de penser à Dieu, en telle ou telle circonstance, mais il le fera sans dépasser les bornes d’une saine piété. Les ultramontains ne le lui ont pas pardonné.

De Coderre à Narrache

Jean Royer, accompagnateur de Miron, a aussi inspiré à Richard Foisy le projet de son ample biographie de Jean Narrache (pseudonyme, comme on sait, du pharmacien-écrivain Émile Coderre [9]). Jean Narrache a prêté sa voix aux petites gens réduits à la misère et au désespoir par la Crise des années trente ; Miron exprimera, lui, le désespoir de tout un peuple, sur un plan non seulement social mais global, et retrouvera à sa façon les inflexions de la langue populaire. Les deux poètes, à trente ans d’intervalle, se situent en continuité l’un avec l’autre.

Le biographe propose le récit attachant d’une enfance et d’une jeunesse marquées par le malheur, mais sauvées par l’humour et le souci des autres. C’est ainsi que l’auteur de Quand j’parl’tout seul — le seul livre important de Jean Narrache avec J’parl’pour parler — met au rancart les bienséances littéraires et invente, en s’inspirant de Jehan Rictus, le chant à vif de la misère. Chant drôle et pathétique à la fois, comme la vie de Coderre-Narrache.