Corps de l’article

L’extinction des grands canidés carnivores : quand la raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure !

Ils étaient au moins 28 espèces différentes de grands carnivores appartenant à la famille des Canidae, les Hesperocyoninae et les Borophaginae, qui cohabitaient il y a 30 millions d’années (MA). Ils ont disparu aujourd’hui et ont été remplacés par des carnivores plus petits, dont la lignée qui a conduit à l’unique espèce de chien moderne [1]. Les raisons de l’extinction d’une espèce sont souvent plus difficiles à déchiffrer que celles de son expansion, souvent associées à une sélection lui permettant une meilleure adaptation aux variations écologiques. La richesse en fossiles canins de l’Amérique du Nord a permis à une équipe californienne [1] de déduire, à partir d’indices morphométriques (sur les dents et les os du maxillaire), la taille et le type d’alimentation de ces deux sous-familles et d’élaborer une hypothèse : la nature de leur succès a aussi fait leur perte ! Dans ces deux sous-familles, on note en effet une augmentation de la masse corporelle avec le temps (400 % sur 25 MA pour les Hesperocyoninae et 600 % sur 35 MA pour les Borophaginae). Cette augmentation de la taille de certains mammifères au cours de l’évolution avait déjà été mise en évidence il y a une centaine d’années par un paléontologue, Edwin Cope. Décrite depuis lors pour plusieurs autres espèces comme le cheval, cette observation est désormais connue sous le terme de « loi de Cope ». Mais l’équipe de B. Van Valkenburg est allée plus loin et a pu observer qu’en devenant plus grandes, ces espèces de chiens ont évolué vers un régime de plus en plus carné. Or, une estimation a permis d’indiquer que les espèces hypercarnivores n’ont pas persisté plus de 6 MA alors que les espèces omnivores, au régime plus équilibré, ont perduré environ 11 MA. Bien sûr, l’augmentation de la taille des animaux a permis à ces grands toutous d’éviter plus de prédateurs et d’attraper plus facilement leurs proies. Sans doute aussi a-t-elle permis d’augmenter leurs chances de succès reproductifs et d’éliminer les compétiteurs plus petits. Mais ce processus évolutif de spécialisation vers un régime exclusivement carné étant difficilement réversible, il les a également rendus plus fragiles et plus sensibles aux modifications environnementales et donc à l’extinction. Moralité : Jean de La Fontaine, dans ses fables, n’avait pas pris en compte l’évolution.

Le costume de Néandertal : parce qu’il le vaut bien !

Prognathe, de grosses arcades sourcilières, une charpente massive, un cerveau plus volumineux que le nôtre, l’homme de Néandertal n’inspirait pas confiance ! Arrivé en Europe il y a 150 000 ans, il cohabita avec l’homme de Cro-Magnon avant de disparaître il y a environ 25 000 ans. On disait sa culture (Moustérienne) plus rustre que celle de l’homme moderne (Aurignacienne) qui, noblesse oblige, fut celle de l’art des cavernes et de la révolution du paléolithique supérieur. Ça n’est pourtant pas la conclusion à laquelle sont parvenus quelques-uns des scientifiques qui se sont réunis en août dernier au troisième congrès sur les origines de l’homme à Gibraltar, lieu de la découverte du premier spécimen néandertalien en 1848 [3]. Il semblerait en effet que l’homme de Néandertal n’ait pas été tellement mieux adapté que l’homme moderne au froid qui régnait à cette époque. Par ailleurs, même si les aiguilles à coudre sont apparues depuis moins de 25 000 ans, l’homme de Néandertal aurait pu utiliser des os taillés pour faire des trous dans les peaux qu’il savait travailler. Il était alors vraisemblablement en compétition avec l’homme de Cro-Magnon dans ce domaine. Pour la plupart des archéologues, l’acculturation des Néandertaliens se serait faite en copiant les techniques de l’homme moderne. Pour certains autres au contraire, Néandertal et l’homme moderne se seraient unis pour participer à cette première révolution culturelle ! Certes, les arguments pour l’affirmer sont ténus : on a retrouvé en grande quantité des os de chouette finement travaillés dans une grotte occupée d’abord par les Néandertaliens à Rennes, et une datation revisitée porterait à 40 000 ans les premiers éléments culturels, avant donc l’entrée en scène de l’homme moderne. La marge d’erreur pouvant atteindre quelque 2 500 ans, cette nouvelle estimation reste controversée ! Il faudra donc encore quelques années supplémentaires pour hisser l’homme de Néandertal sur le même piédestal que celui de notre ancêtre ! En attendant, même s’il ne fut pas à l’origine des premiers défilés de haute couture, le fossé que nous avions creusé entre lui et Cro-Magnon semble bien se combler petit à petit…

L’hémagglutinine, support de la virulence du virus de la pandémie de grippe espagnole

L’épidémie de grippe espagnole de 1918-1919 fut extrêmement meurtrière, faisant plus de 20 millions de victimes. Le virus causal, particulièrement virulent, responsable d’une infection pulmonaire d’évolution rapide, atteignit notamment les sujets jeunes. Les raisons de cette virulence exacerbée n’étaient pas connues jusqu’à ce que le séquençage de plusieurs gènes du virus de 1918 soit réalisé, permettant d’étudier la fonction des protéines codées par ces gènes dans des virus obtenus par génétique inverse. Ainsi, des virus contenant l’hémagglutinine (HA) et la neuraminidase de la souche de 1918 ont été produits et il a été montré que l’HA de cette souche était responsable du pouvoir pathogène [4]. Dans la continuité de ces recherches, D. Kobasa et al. [5] viennent de montrer, chez la souris, que l’HA du virus de 1918 confère un pouvoir pathogène accru à des virus grippaux recombinants, qui autrement ne sont pas pathogènes chez cet hôte. Ainsi, des virus recombinants possédant l’HA du virus de 1918, inoculés par voie intranasale, se répliquent intensivement dans les poumons de l’animal trois jours après l’infection et sont pathogènes, entraînant une morbidité sévère. L’infection par ces virus est caractérisée par une infiltration massive de polynucléaires associée à des hémorragies intra-alvéolaires. Les auteurs de cette étude montrent également que le pouvoir pathogène de ces virus recombinants est en rapport avec leur capacité accrue d’induire la production par les macrophages de chimiokines et de cytokines. Ainsi, la présence, dans les poumons des animaux infectés, de concentrations importantes de MIP-2, une chimiokine responsable de l’attraction des polynucléaires, conduit à un afflux intense de ces cellules et rend compte des lésions pulmonaires aiguës observées chez les animaux. Si l’HA du virus de 1918 est essentielle pour la virulence dans un modèle animal, il est probable que cette dernière est un trait polygénique, et que d’autres facteurs viraux puissent être impliqués.

Un Hercule au berceau

La myostatine est une protéine de la super-famille des TGFβ (transforming growth factor β) exprimée et sécrétée quasi exclusivement par les muscles squelettiques. Elle agit localement comme un inhibiteur de la croissance musculaire en stoppant la différenciation et la croissance des fibres. L’invalidation du gène codant pour la myostatine chez la souris est associée à une augmentation spectaculaire de la masse musculaire [6]. Il existe une mutation naturelle dans certaines races de bovin (Blanc Bleu Belge) conduisant à une hypertrophie musculaire massive. À l’inverse, l’injection de myostatine chez la souris est associée à un état cachectique caractérisé par une perte de la masse musculaire [7]. M. Schuelke et al. [8] ont rapporté le cas clinique d’un enfant né avec une hypertrophie musculaire. À l’âge de 4 ans, l’enfant présente une force inhabituelle puisqu’il peut porter, bras tendus, 2 poids de 3 kg ! Une échographie réalisée au niveau du quadriceps montre une surface musculaire doublée par rapport à des enfants de même âge. En revanche, l’épaisseur du tissu adipeux sous-cutané est réduite de moitié. Une mutation homozygote affectant un site d’épissage du gène codant pour la myostatine a été mise en évidence chez cet enfant, entraînant l’absence de protéine fonctionnelle dans le sérum. Sa mère, qui était une athlète professionnelle, est porteuse de la mutation à l’état hétérozygote. Dans sa famille, d’autres personnes sont connues comme exceptionnellement musclées et fortes. Cela suggère que des variants du gène codant pour la myostatine peuvent être associés chez l’homme à des modifications importantes de la masse musculaire. La recherche de ces variants pourrait être utilisée pour sélectionner de futurs athlètes de haut niveau, ce qui serait, éthiquement parlant, évidemment discutable. En pathologie, l’inhibition de la voie de la myostatine représente une piste intéressante dans le traitement des maladies musculaires dégénératives.

L’ABC du cholestérol…

Les membranes cellulaires des différents tissus sont en constant renouvellement. Un de leur constituant majeur, le cholestérol, ne peut être dégradé que par le foie, après conversion en sels biliaires. Pour ce faire, le transport inverse du cholestérol permet de l’acheminer des tissus jusqu’au foie après son transfert sur des lipoprotéines de haute densité (HDL, high density lipoproteins). Les HDL, qui portent donc le « bon cholestérol » naîssent au contact des cellules périphériques par « lipidation » des apolipoprotéines de type apoA1. Il y a quelques années, la protéine responsable de ce transfert sur les apolipoprotéines pauvres en lipides a été identifiée. C’est un transporteur membranaire de la famille des ATP-binding cassette, ABCA1. Une mutation du gène qui code pour cette protéine est la cause de la maladie de Tangier, caractérisée par une quasi-absence d’HDL dans la circulation et par l’accumulation de cholestérol dans certains tissus [9]. La baisse de l’HDL-cholestérol plasmatique constitue un facteur de risque majeur d’athérosclérose puisqu’elle traduit une diminution de son élimination hépatique et son accumulation dans les cellules, et en particulier dans les macrophages. La protéine ABCA1 est donc devenue une cible de première importance pour le traitement de l’athérosclérose. Cependant, plusieurs études indiquent qu’ABCA1 ne pouvait expliquer à elle seule les variations de l’HDL-cholestérol dans la population générale. Le groupe d’A. Tall [10] vient d’identifier deux nouveaux membres de la famille ATP-binding cassette, ABCG1 et ABCG4, comme les responsables du transfert du cholestérol cellulaire sur les HDL déjà partiellement « lipidées », qui représentent la grande majorité des particules circulantes. Lorsqu’elles sont surexprimées dans des macrophages, ABCG1 et ABCG4 stimulent le transfert du cholestérol des cellules vers les HDL déjà formées, sans modifier le transfert initial sur l’apoA1 qui reste l’apanage d’ABCA1. Outre leur intérêt pour le décryptage des mécanismes moléculaires du transport inverse du cholestérol et du traitement de l’athérosclérose, ces résultats permettent d’attribuer un rôle physiologique à deux membres de la famille ABC. Parmi les 80 membres de cette famille, nombreux sont ceux qui n’ont toujours pas de fonction connue.

Des chiens détectent le cancer de la vessie par l’odeur de l’urine

À la suite d’observations isolées sans valeur probante, C. Willis et al. [11] ont recherché si des chiens entraînés pouvaient reconnaître des cancers de la vessie par l’odeur provenant de l’urine des patients. Six chiens d’espèces et d’âges différents furent entraînés à cette tâche en mettant chacun d’eux en présence de 7 échantillons d’urine dont un en provenance d’un malade atteint de cancer de la vessie. Après conditionnement par des récompenses en cas de succès, les animaux apprirent à faire savoir leur choix en se couchant auprès de l’échantillon détecté. Les témoins comportaient des urines de sujets sains ou atteints d’affections urologiques non cancéreuses ou contenant du sang. Un total de 36 malades des deux sexes atteints de cancers, vus initialement ou en rechute, et de 108 sujets témoins fournirent chacun un échantillon d’urines dont les uns furent utilisés pour l’entraînement et les autres pour l’évaluation. Après recueil, les urines furent congelées en plusieurs échantillons et présentées aux chiens après décongélation jusqu’à 5 mois plus tard. Pour l’évaluation, chaque chien fut mis en présence de 9 groupes d’urines incluant chacun une urine pathologique et 6 urines témoins. On compara pour chaque chien la proportion moyenne de succès avec le chiffre attendu de 1/7 (14 %). Sur les 54 expériences (6 chiens x 9 tests), le résultat fut positif 22 fois (41 % de succès). L’analyse statistique montra que le succès n’était pas corrélé à des caractéristiques physico-chimiques de l’urine (présence de sang ou de corps cétoniques, infection urinaire). Fait important, le seul faux positif constaté concernait un sujet chez lequel un cancer du rein fut ultérieurement détecté. Ce travail montre que les chiens sont sensibles à des molécules volatiles, seules ou en combinaison, présentes dans l’urine de malades atteints de cancer de la vessie. Certaines sont connues, d’autres sont à découvrir. On n’en est pas encore au stade où le diagnostic canin remplacera la cystoscopie, mais, si on arrive à parfaire l’entraînement des animaux, ce test de dépistage, peu coûteux et facile à mettre en oeuvre, pourrait conduire à la cystoscopie en cas de positivité.

L’érythropoïétine protège le rein des lésions d’ischémie-reperfusion

L’érythropoïétine (EPO) est sécrétée par les fibroblastes périvasculaires rénaux sous le contrôle du facteur inductible par l’hypoxie (hypoxia-inducible factor, HIF) en réponse à la diminution locale de la pression partielle d’oxygène. Elle stimule la prolifération et la différenciation des progéniteurs érythroïdes dans la moelle osseuse en inhibant l’apoptose. Les récepteurs de l’EPO sont présents dans de nombreux tissus dont le cerveau et les reins. Les effets cellulaires de l’EPO impliquent la phosphorylation de la protéine kinase B (PKB/Akt) par la phosphatidylinositol-3 kinase (PI3K) et les ERK (extracellular signal-regulated kinases), suivie de l’activation de nombreux facteurs anti-apoptotiques. Outre ses effets sur l’érythropoïèse, l’EPO exerce des effets protecteurs sur le cerveau soumis à une ischémie. E.J. Sharples et al. [12] viennent de montrer qu’il en était de même pour les reins. Un protocole d’ischémie-reperfusion a été mis en oeuvre chez 86 rats anesthésiés dont les artères rénales ont été clampées pendant 45 minutes, puis reperfusées. Ces rats ont été répartis en 6 groupes : rats témoins seulement lombotomisés et perfusés (groupe 1), rats témoins traités par l’érythropoïétine (groupe 2), rats soumis au protocole d’ischémie-reperfusion traités uniquement par du soluté salé (groupe 3) ou par 300 U/kg d’EPO administrées soit 30 minutes avant l’ischémie (groupe 4), soit 5 minutes avant (groupe 5) ou 30 minutes après la reperfusion (groupe 6). L’EPO fit montre d’effets protecteurs dans les groupes 4 et 5 comparés au groupe 3 : la créatininémie et l’excrétion urinaire de N-acétyl-β-D-glucosaminidase (un marqueur des lésions tubulaires) furent significativement diminuées ; les lésions tubulaires de dilatation avec gonflement de la paroi et infiltration de polynucléaires étaient réduites ; il y avait moins de cellules en voie de nécrose ou d’apoptose ; l’activité et la concentration (mesurée par Western blot) de la caspase-3, enzyme clé de l’apoptose, étaient également diminuées. Le groupe 6 ne fut que très partiellement protégé. Dans une deuxième série d’expériences in vitro, les auteurs étudièrent l’effet protecteur de l’EPO dans des cellules tubulaires humaines de la lignée HK-2 privées de sérum pendant 24 h. Les cellules traitées eurent une meilleure viabilité et furent protégées de l’apoptose avec une moindre fragmentation de l’ADN, une activation réduite de la caspase-3 et une meilleure expression des protéines anti-apoptotiques (Bcl-XL). Enfin, les auteurs ont montré que l’effet anti-apoptotique de l’EPO passait par la stimulation de la voie des Janus kinases (JAK), suivie de la phosphorylation de PKB/Akt sous l’influence de la PI3K. La démonstration selon laquelle l’EPO protège les cellules tubulaires des effets nocifs de l’ischémie devrait conduire à un nouveau traitement préventif (et éventuellement curatif) de l’insuffisance rénale aiguë d’origine ischémique.

Le cygne… (et le dinosaure) dort, la tête sous l’aile, entre deux firmaments

Il ne se passe guère de mois sans que les gisements de vertébrés fossilisés de la province de Liaoning au nord-est de la Chine ne nous apportent leur lot de découvertes sur les dinosaures ou autres espèces disparues. Mais les squelettes, parfois dispersés, ne révèlent pas la manière de vivre et de se mouvoir de ces animaux, dont certains sont les ancêtres des oiseaux. Dans la formation du crétacé supérieur de Yixian, des dinosaures du taxon des troodontides ont été retrouvés, dont un spécimen au squelette particulièrement bien conservé. Appelé Mei Long, ce qui signifie dragon endormi, cet animal, vieux de presque 400 millions d’années, mesure 53 cm de long. Son crâne, dont les sutures n’ont pas encore complètement fusionné, indique qu’il n’avait pas atteint l’âge adulte. Ses dents (nombreuses, au moins 24) sont implantées à la partie antérieure du maxillaire. Ses membres inférieurs sont longs par rapport au tronc. Mais, surtout, son attitude est absolument semblable à celle que prennent de nos jours les oiseaux pour dormir. Le corps est posé sur les pattes repliées, le cou recourbé à gauche et la tête enfouie sous le membre supérieur, tout comme le cygne du poème de Sully Prudhomme, Il s’agit du plus ancien animal à prendre cette pose qui, chez les oiseaux, est censée réduire la surface corporelle exposée au refroidissement pour conserver la chaleur de la tête. Ce qui suggèrerait que ce petit dragon était à sang chaud…

Un coup de fouet au coeur défaillant

Peut-on traiter l’insuffisance cardiaque par thérapie génique ? Cette question, déjà ancienne, en soulève deux autres : (1) existe-t-il une cible moléculaire permettant d’agir sur cette affection ? (2) Comment obtenir un transfert diffus à l’ensemble de la masse myocardique d’un transgène ? L’article de N.C. Lai et al. [14] est le dernier d’une série émanant d’une équipe qui tente depuis plusieurs années de répondre à ces deux questions. Tout d’abord, ce travail confirme l’intérêt d’accroître l’activité de l’adénlylate cyclase (par surexpression du gène) pour améliorer la fonction de la pompe cardiaque. Cette enzyme, couplée aux récepteurs β-adrénergiques transmembranaires, produit de l’AMPc qui, via l’activation des protéine kinases de type A, va stimuler de nombreux acteurs du couplage excitation-contraction : canaux calciques de type L, récepteurs de la ryanodine, pompe calcique du réticulum sarcoplasmique… Le tout aboutit à une augmentation de la fréquence cardiaque et de la contractilité myocardique. Ici, dans un modèle de cardiopathie dilatée chez le porc, les auteurs montrent que la surexpression de cette enzyme améliore de façon très significative les paramètres hémodynamiques ainsi que le remodelage ventriculaire. Malheureusement, on sait qu’améliorer la fonction du muscle cardiaque défaillant n’augmente pas la survie, au contraire : c’est un peu comme fouetter un cheval malade. Consciente de cet écueil, l’équipe évoque des données récentes montrant que la surexpression de cette enzyme pourrait moduler favorablement les gènes impliqués dans le couplage excitation-contraction. Affaire à suivre… Les éléments de réponse apportés à la deuxième partie de la question sont plus définitifs. On peut, en injectant une solution saline contenant l’adénovirus et un puissant vasodilatateur par cathétérisme des artères coronaires, obtenir une transfection suffisamment diffuse du myocarde ventriculaire pour agir sur la fonction cardiaque globale. Mais pour combien de temps, et au prix de quelle réaction immunitaire ?

Rho et dissémination cancéreuse

La dissémination des cellules tumorales à partir d’une tumeur primaire avec formation de métastases est une étape redoutable de la progression cancéreuse. Elle repose notamment sur la transition épithélio-mésenchymateuse, c’est-à-dire sur la dédifférenciation de cellules épithéliales en cellules fibroblastiques, qui quittent leur tissu d’origine pour migrer à distance et engendrer des métastases. Les petites GTPases Rho, Rac et Cdc42 sont des régulateurs importants de la dynamique du cytosquelette et de la locomotion cellulaire, une propriété essentielle des cellules épithéliales dédifférenciées [15]. Des données récentes montrant une surexpression de Rho dans des tumeurs, associée au degré de malignité, ont conduit J.M. Vasiliev et al. (Université du New Jersey, USA et Université de Moscou, Russie) à tester le rôle de RhoA dans des cellules épithéliales en culture. Les auteurs montrent qu’une forme constitutivement active de RhoA entraîne des changements majeurs tels qu’une augmentation de contractilité avec une densité plus forte de fibres de stress d’actine produisant des cellules plus petites, le détachement des cellules du substrat et leur capacité de produire des colonies distantes. Ce détachement accompagne une mitose dont le fuseau est mal positionné, entraînant un mauvais plan de cytocinèse [16]. Les causes précises du défaut d’orientation du fuseau mitotique ne sont pas élucidées mais elles pourraient résulter d’une altération de l’état contractile du cytosquelette d’actine. Le mécanisme décrit par ces auteurs - qui se distingue du mécanisme classique de transition épithélio-mésenchymateuse, car les cellules mutantes qui restent en place ne subissent pas ce phénomène - apporte un nouveau modèle pour comprendre la dissémination des cellules cancéreuses.

Agrégation sous influence

La chorée de Huntington est une maladie autosomique dominante due à une expansion du nombre de répétitions CAG dans le premier exon du gène codant pour la Huntingtine, qui est traduit en une protéine avec des allongements de la séquence de polyglutamines (polyQ) [17]. Cette maladie, qui apparaît le plus souvent chez des adultes, est caractérisée par des troubles cognitifs et des mouvements involontaires ; son issue est fatale. Les protéines à expansion de polyQ forment des agrégats dans le cytosol et le noyau des cellules et de nombreux travaux soutiennent le modèle selon lequel la neurodégénérescence serait due à un gain de fonction toxique de la protéine mutante. Bien qu’il soit clair à présent qu’une combinaison d’événements est à l’origine du déclenchement de la maladie, l’agrégation de la protéine mutante constitue certainement une étape qui contribue à certains aspects des dysfonctionnements cellulaires. E. Rousseau et al. [18] ont dirigé l’expression d’un dérivé de la Huntingtine mutante dans des compartiments cellulaires où cette protéine n’est pas naturellement présente et ont alors découvert que l’agrégation de cette protéine à 73 glutamines ne se produit ni dans le réticulum endoplasmique ni dans les mitochondries. Ces résultats sans précédent sont remarquables car ils démontrent que l’agrégation des polyQ est modulée de manière déterminante par l’environnement cellulaire. Ils permettent d’espérer que la cellule elle-même pourrait détenir les secrets de sa propre guérison puisqu’il existe, à l’intérieur même de celle-ci, des conditions où les polyQ ne s’agrègent pas. Ces observations impliquent qu’il existerait alors des facteurs cellulaires contrôlant l’agrégation des polyQ dans les différents compartiments. De tels facteurs pourraient maintenir les polyQ sous une forme non agrégée dans le réticulum endoplasmique ou les mitochondries. Réciproquement, un (ou des) facteur(s) pourrai(en)t favoriser l’agrégation des polyQ lorsqu’elle se produit. L’activité ou le niveau d’expression d’un tel facteur pro-agrégant pourrait augmenter avec l’âge. Il faut rappeler ici que l’âge d’apparition de la maladie de patients porteurs de mutations identiques - même nombre de répétitions -, peut varier, ce qui a conduit à suggérer l’existence de facteurs environnementaux et génétiques modulant l’âge d’apparition de la maladie [19]. Parmi ceux-ci pourraient bien se trouver certains des modulateurs génétiques de l’agrégation suggérés par E. Rousseau etal. Leur identification pourrait ouvrir des pistes pour tenter de retarder l’âge d’apparition de la chorée de Huntington.

Entrée remarquée des canaux calcium dépendants du voltage dans le monde structural

À la suite des travaux récents de trois groupes différents, les canaux Ca2+ dépendants du voltage (CCVD) viennent de rejoindre le club très convoité des protéines cristallisées, et cela grâce à la résolution de la structure tridimensionnelle de plusieurs sous-unités β [20-22]. La structure de ces protéines - dont la connaissance fut tant attendue du fait de leur rôle essentiel dans la régulation de ces canaux - annonce une approche nouvelle de l’étude des fonctions vitales dont dépendent ces canaux (couplages excitation-contraction, excitation-sécrétion et excitation-transcription). La résolution des sous-unités β cristallisées (β2a : 1,9 Å, β3 : 2,3 Å et β4 : 2,3 Å) nous révèle une structure conservée, formée de deux domaines SH3 et GK. La combinaison de ces deux domaines définit une signature structurale très similaire à celle des MAGUK (membrane-associated guanylate kinases), ces protéines de la signalisation cellulaire présentes au voisinage des membranes. Structurellement proche de PSD95, un membre représentatif des MAGUK, les sous-unités β s’en distinguent cependant par l’absence de domaine PDZ, une orientation différente des deux domaines l’un par rapport à l’autre et l’absence et/ou le masquage des sites de fixation pour les nucléotides (ATP, GMP). À la structure des sous-unités β libres vient opportunément s’ajouter la structure des complexes protéiques β/peptide AID (alpha interaction domain). AID est cette courte séquence peptidique de la sous-unité principale α1 sur laquelle peut s’associer chaque isoforme connue de β pour former un canal Ca2+ complet. Cette structure révèle, au niveau du domaine GK de β, une organisation moléculaire optimale de l’interaction α1-β sous la forme d’une « glissière » dans laquelle vient parfaitement s’emboîter l’hélice α du peptide AID. Ces données cristallographiques marquent le début d’une collaboration prometteuse entre études structurales et études fonctionnelles sur les canaux CCVD. Elles devraient nous permettre de mieux comprendre les effets des mutations génétiques des sous-unités β détectées dans certains désordres neurologiques (ataxie, épilepsie). Elles vont aussi favoriser l’identification et le développement de molécules ciblant l’interaction α1-β pour le contrôle des canaux Ca2+ lors de processus physiologiques et pathologiques.