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Depuis l’année 2003, une nouvelle équipe éditoriale s’est engagée dans un processus de réflexions sur les orientations de la revue NPS. Il s’agissait d’examiner le fil conducteur de la revue en fonction des enjeux actuels et à venir des pratiques d’intervention sociale. L’objectif était de favoriser l’appropriation de la revue par la nouvelle équipe et la réappropriation par les anciens membres. À partir d’un texte d’analyse rédigé par le nouveau rédacteur en chef, les membres du comité de rédaction ont débattu ensemble des divers enjeux sociaux, politiques et institutionnels que comportent les pratiques d’intervention, de manière à faire ressortir la spécificité du rôle joué par NPS. Bref, repenser un fil conducteur. Ainsi, dans l’éditorial du prochain numéro, nous ferons part aux lecteurs de ces réflexions entourant ce fil conducteur tout en présentant la nouvelle configuration des rubriques appelées à structurer le contenu de la revue. Cette nouvelle configuration résulte de l’intérêt partagé des membres du comité de rédaction de susciter un débat continu chez les chercheurs et les intervenants sociaux sur les perspectives démocratiques du renouvellement des pratiques d’intervention sociale.

Changement et continuité

La revue NPS est née d’un désir de renouvellement des pratiques d’intervention sociale dans la deuxième moitié des années 1980 alors que la crise économique accompagnait celle de l’État-providence. Une équipe s’est formée autour de l’Université de Sherbrooke et de plusieurs constituantes du réseau de l’Université du Québec afin de mettre en lumière les transformations de l’État-providence et la reconfiguration des relations entre l’État, l’entreprise privée et l’action communautaire. Dans ce contexte et sans en constituer l’exclusive préoccupation, cette voie qualifiée de « tiers secteur », « d’économie sociale » ou « d’économie solidaire » a occupé une place importante parmi les réflexions auxquelles a donné lieu le renouvellement des pratiques d’intervention sociale au sein de la revue. Malgré sa fragilité sur le plan politique, l’économie sociale devient progressivement un créneau de pratiques instituées en interaction variable avec l’État et le secteur privé.

En outre, depuis le début des années 1990, nous observons une avancée progressive de la programmation institutionnelle des pratiques d’interventions publiques et communautaires. Ancrée dans une nouvelle logique axée sur les résultats, cette programmation de l’État a pour effet de standardiser de plus en plus les pratiques d’intervention (p. ex., les réseaux locaux intégrés de services). Si nous ajoutons à cela la privatisation des services, les débats contradictoires sur les progrès et les reculs de l’autonomie de l’action communautaire et la dynamique corporatiste des différents secteurs de la mouvance communautaire et populaire, il est légitime de s’inquiéter de l’orientation démocratique des pratiques d’intervention sociale au Québec. De plus, comme le renouvellement des pratiques d’intervention sociale ne se situe pas hors du politique, la nouvelle équipe éditoriale a jugé pertinent de définir le créneau de NPS par rapport à une problématique axée sur les fondements démocratiques du renouvellement des pratiques d’intervention. Cette position permet à la revue de spécifier son champ d’expression scientifique parmi les autres revues du domaine. Au-delà de ce changement d’optique, nous demeurons fidèles non seulement à la posture interdisciplinaire de l’intervention sociale, mais aussi à l’établissement de liens étroits avec les milieux de pratiques.

En conséquence, dans les années à venir, il s’agira d’explorer de façon critique les avenues de renouvellement démocratique des pratiques d’intervention sociale afin d’alimenter les réflexions des groupes d’acteurs intéressés par le sujet et à susciter des débats au sein des milieux d’intervention et de gestion. Parmi ces avenues de renouvellement, il y a celles qui persistent à exister malgré le contexte actuel, qui tend à reconnaître l’innovation pourvu que les pratiques s’inscrivent dans les créneaux programmés par l’État. Il y a aussi des acteurs qui s’interrogent sur les exigences pratiques d’un projet démocratique et sur les critères servant à qualifier « d’innovation » certaines pratiques d’intervention sociale. En fait, ce contexte pousse la nouvelle équipe de rédaction de la revue à préciser davantage les orientations normatives de ce que l’on entend par « nouvelles pratiques sociales ». Pour ce faire, il convient de considérer les dimensions politiques de ce renouvellement au coeur même des transformations socioéconomiques et politiques actuelles. Relevons trois objectifs qui sont autant de points de départ pour actualiser cette orientation :

  1. Favoriser les réflexions critiques sur les actions entourant les pratiques de l’intervention sociale visant à mettre sur pied des pratiques démocratiques, soit celles où les travailleurs, travailleuses, citoyens, citoyennes participent en tant qu’acteurs et actrices à leur conception et à leur réalisation ;

  2. Contribuer à l’avancement des connaissances à travers l’analyse des pratiques d’intervention sociale qui permettent aux individus de délibérer collectivement sur le devenir des pratiques qui les concernent ;

  3. Rendre visibles les réflexions sur les pratiques citoyennes autant sur le plan théorique qu’empirique ; ces pratiques sont souvent méconnues faute de valorisation politique de leur émergence.

La raison d’être de la revue NPS ne consisterait-elle pas justement à mettre constamment en question cette idée de renouvellement démocratique des pratiques sociales ? Ce mouvement réflexif est d’autant plus important qu’un courant d’idées tend à s’imposer dans la gestion politico-administrative des recherches psychosociales au Canada ; ce courant est axé sur le développement des « meilleures pratiques », et ce, dans une perspective de renouvellement. Voyons brièvement de quoi il en retourne.

Le courant des « meilleures pratiques »

Depuis la fin des années 1990, on observe au Canada une tendance lourde dans le domaine de la recherche sociale et de la santé axée sur le développement d’approches novatrices considérées comme les « meilleures pratiques[1] ». Dans un article récent traitant du contexte d’émergence du développement de ce courant des « meilleures pratiques », Lecomte (2003) soulève des questions fort pertinentes en ce qui regarde la nature même de ce renouvellement. Cette tendance, provenant des États-Unis, vise à fonder la prise de décisions des gestionnaires sur des « données probantes », c’est-à-dire sur l’évaluation empirique des résultats provenant de la recherche scientifique. C’est dans un esprit de renouvellement des pratiques d’intervention que les divers bailleurs de fonds de la recherche tendent progressivement à financer la recherche en fonction des priorités gouvernementales et de leur applicabilité (Lecomte, 2003 : 12). La question du contrôle du coût des services, de la performance ainsi qu’un souci de transfert des connaissances scientifiques dans les milieux de pratiques constituent autant d’arguments en faveur de ce nouveau paradigme. En étudiant l’application de ce modèle au champ de l’intervention psychosociale, Lecomte (2003 : 29) résume les principaux présupposés associés au courant des meilleures pratiques :

1) il faut du changement seulement dans le sens du positivisme ; 2) la recherche empirique et la technologie informatique sont la solution à tous les problèmes des patients ; 3) il faut de l’efficience à tout prix ; 4) l’uniformisation et l’économisme doivent primer ; 5) la relation interpersonnelle est un frein, etc.

Nous voyons ici que l’expert incarné par le chercheur hyper-empiriste risque de constituer le principal point d’appui des orientations des nouvelles pratiques d’intervention sociale. Dans cet univers de construction des problèmes sociaux et des solutions, quel est l’espace accordé aux points de vue des citoyens membres d’un organisme communautaire, des usagers d’un établissement ou des intervenants eux-mêmes ? C’est sur ce type de questions qu’il faut se pencher afin de relever le défi du renouvellement démocratique des pratiques d’intervention sociale. Ainsi, pour permettre à la communauté des chercheurs et des intervenants de contribuer à alimenter le débat sur ce type de questions, nous proposons de nouvelles rubriques permanentes qui reflètent des perspectives présentes dans le milieu de l’intervention sociale.

Quatre perspectives de pratiques démocratiques d’intervention sociale

Si la revue NPS continue d’offrir un dossier thématique par numéro, elle modifiera, dès le prochain numéro, la partie habituellement consacrée aux articles « hors thème ». Cette section sera dorénavant composée de trois rubriques permanentes ainsi que d’une quatrième occasionnelle. Afin de ne pas limiter le débat sur le renouvellement démocratique des pratiques d’intervention sociale à un spectre trop restreint de points de vue, nous avons choisi de structurer chaque numéro de la revue selon trois perspectives de pratiques issues des principaux « champs d’acteurs » de l’intervention sociale pour reprendre le concept de Bourdieu. Il s’agit des « perspectives étatiques », des « perspectives communautaires » et des « perspectives citoyennes ». La quatrième perspective sera qualifiée d’« autres perspectives » et pourra être utilisée lorsqu’une proposition d’article ne s’inscrit pas dans les trois perspectives précédentes, mais n’en est pas moins pertinente au regard de l’orientation de la revue. La formulation de ces rubriques traduit en fait des rapports de position identitaire dans l’espace politique de l’intervention sociale face au renouvellement démocratique des pratiques. Ce découpage montre que les pratiques démocratiques en intervention sociale s’inscrivent au coeur des relations de pouvoir entre trois grands champs d’acteurs sociaux. Afin de ne pas rendre trop étanches les frontières entre les catégories, il convient de les définir selon la perspective adoptée dans une proposition d’article plutôt que selon leur « essence ». Cette posture n’empêche pas l’accueil de pratiques alternatives qu’elles soient issues de l’appareil étatique ou d’ailleurs. Voici une brève description de chacune des rubriques définissant les contours de l’une ou l’autre des perspectives que pourrait adopter un article :

  • Perspective étatique : Un article qui traite de pratiques ou d’aspects associés à celles-ci qui s’inscrivent dans une perspective étatique, qu’il s’agisse de politiques sociales, de programmes ou de contextes d’intervention, de gestion, d’organisation des services, de leur qualité, leur accessibilité auprès de la clientèle ou des usagers ainsi que de leur participation à l’orientation des services, etc.

  • Perspective communautaire : Un article qui traite de pratiques ou d’aspects associés à celles-ci qui s’inscrivent dans une perspective communautaire, qu’il s’agisse des projets d’action communautaire, de l’action collective, d’éducation populaire, des rapports à l’État, de l’implication des membres et des usagers, etc.

  • Perspective citoyenne : Un article qui traite de pratiques ou d’aspects associés à celles-ci qui s’inscrivent dans une perspective citoyenne en dehors des organismes communautaires, qu’il s’agisse de mouvements de revendications de droits, d’auto-organisation collective, d’artistes engagés, etc. En ce qui concerne la définition de cette rubrique, nous avons veillé à conserver un certain flou afin de ne pas nous enfermer dans des catégories trop rigides alors qu’il s’agit de mouvements en émergence.

Soulignons que la conception des futurs dossiers thématiques sera aussi orientée en fonction de la problématique du renouvellement démocratique des pratiques d’intervention sociale dans la mesure où, bien entendu, des propositions d’articles nous seront acheminées en ce sens. Cette modification au cadre d’expression de la revue se veut englobante et vise à couvrir le plus largement possible les champs de pratiques d’intervention sociale qui pourraient présenter un intérêt pour leur renouvellement démocratique. Le choix de ces rubriques, en offrant une pluralité d’approches et de points de vue aux lecteurs, permet de faire une analyse comparative entre les perspectives. Parmi les autres changements, notons que l’éditorial de la revue consistera en un texte du rédacteur en chef qui présentera chacun des numéros. Lorsque l’équipe éditoriale le jugera opportun, elle fera le point sur l’évolution de la revue en fonction de l’orientation nouvellement adoptée. Dès le prochain numéro, un article de fond sera publié au nom du comité de rédaction afin d’amorcer un travail de réflexion sur la question du renouvellement démocratique des pratiques d’intervention sociale et de marquer le changement de configuration de la revue NPS.