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Le développement d’une véritable politique familiale, au cours des dernières années, peut apparaître comme une exception alors que la crise de l’État-providence n’en finit plus de finir. Cette politique est d’autant plus intéressante qu’elle témoigne, notamment en ce qui concerne ce qu’on appelle les garderies à 5 $, d’une configuration nouvelle des rapports entre la société civile et l’État. En effet, les nouveaux « centres de la petite enfance », par leur gestion démocratique qui implique parents et éducateurs, sont l’une des réussites les plus évidentes, ne serait-ce que par l’appui qu’ils reçoivent dans la population, de la nouvelle économie sociale. Dans ce contexte, la parution récente d’un ouvrage consacré à l’histoire de la prise en charge de la petite enfance au Québec est une initiative qui vaut la peine d’être soulignée.

Selon l’auteure, la sociologue Micheline Lalonde-Graton, l’ouvrage intitulé Des salles d’asile aux centres de la petite enfance est une « petite » histoire des services de garde au Québec. Le livre compte 12 chapitres. Le premier couvre plus d’une centaine d’années, du milieu du xixe siècle à la Révolution tranquille. Les deux chapitres suivants décrivent les premières expériences des « garderies populaires » au cours des années 1960 et 1970. Ensuite, les sept chapitres suivants décrivent les initiatives communautaires, les regroupements de garderies, les hésitations du pouvoir politique, les problèmes de la reconnaissance professionnelle des éducatrices, ce qui nous mène finalement à la naissance des garderies à 5 $. Ainsi, le lecteur pressé peut passer directement aux chapitres 9 et 10 qui traitent de l’adoption de la modification de la loi sur les services de garde à l’enfance qui va donner naissance, en 1997, au réseau des « centres de la petite enfance ». Quant aux deux derniers chapitres (11 et 12), ils sont consacrés en partie à l’implantation du réseau, au redressement des salaires des éducatrices et éducateurs et au nouveau régime de congés parentaux.

L’un des intérêts de l’ouvrage est de montrer que, à partir de la publication d’un livre blanc sur la politique familiale en 1997, se dessine un « modèle québécois » dans la prise en charge de la petite enfance. Ce modèle repose sur une politique familiale intégrée qui comporte trois grands axes : le développement d’un réseau de services de garde stimulants et à faible coût (les garderies à 5 $), les allocations pour familles à faible revenu et l’instauration d’un nouveau régime d’assurances parentales (p. 253 et suivantes) L’auteure nous montre bien que ce modèle n’a pas été créé de toutes pièces soudainement, mais qu’il a été porté à bout de bras par un certain nombre de mouvements sociaux, notamment le Mouvement S.O.S. garderies, le Regroupement des garderies sans but lucratif du Québec et les divers regroupements régionaux de garderies, la Fédération des femmes du Québec et les trois grandes organisations syndicales.

Avertissons tout de suite le lecteur que le titre de l’ouvrage est trompeur. En effet, le titre laisse croire qu’il s’agit d’une analyse historique des services de garde depuis le xixe siècle. Or, le chapitre couvrant la période de 1850 à 1960 ne compte que 15 pages, alors que l’ouvrage en totalise environ 400. Qui plus est, la moitié de ces 15 pages traite des salles d’asile, ce qui ne justifie certainement pas de les inclure dans le titre du livre. Évidemment, le peu de pages consacrées aux salles d’asile ne permet pas d’en faire une analyse fine. Ainsi, selon l’auteure, ces institutions ne sont que de simples services de garde qui témoignent d’un respect pour la petite enfance dont on peut, encore aujourd’hui, tirer les leçons (p. 16). L’auteure souligne pourtant que ces institutions ne comptent généralement qu’un ou deux adultes pour 200 enfants. Une centaine de pages plus loin, lorsqu’elle reprend à son compte l’avis d’une journaliste qui évoque, au début des années 1980, le problème des garderies en milieu familial parce qu’une « jeune femme [s’y] retrouve seule avec sept ou huit enfants », on mesure la profonde transformation du regard porté sur la petite enfance au cours des 150 dernières années (p. 103). Ajoutons que la lecture de certains ouvrages majeurs, parus récemment, aurait sans doute permis à l’auteure d’approfondir cette problématique fondamentale[1].

Cette carence est d’autant plus regrettable qu’on aurait certainement pu réduire d’une centaine de pages le reste de l’ouvrage. En effet, l’auteure ne nous épargne aucun détail sur l’évolution des services de garde à partir de la fin des années 1970. Le lecteur perdra probablement patience devant la suite interminable de commissions parlementaires, de comités consultatifs, d’énoncés de politique, d’exposés de la situation, de projets de loi et de leurs moindres amendements. Par exemple, est-il vraiment nécessaire de traiter individuellement de toutes les (modestes) augmentations de budget, année après année, alors qu’il importe simplement de comprendre que l’État résiste, du moins jusqu’au milieu des années 1990, à financer convenablement ce secteur d’activité ? Il aurait été plus important, selon nous, de tenter d’expliquer pourquoi la problématique de la petite enfance tarde à s’imposer au Québec, comme ailleurs en Occident. C’est sans doute ici que les insuffisances de l’analyse historique se font le plus sentir. En d’autres mots, l’abondance des détails nuit à l’analyse et témoigne d’une certaine indécision à déterminer les éléments importants et ceux qui ne le sont pas.

Or, cette impression d’une accumulation plus ou moins anarchique de détails est renforcée par l’absence d’un plan rigoureux. D’où peut bien venir l’idée de séparer les chapitres en période de deux ou trois années avec, pour chacun, une petite conclusion qui rappelle la situation en décembre de l’année concernée ? Évidemment, ce genre de plan engendre de nombreuses aberrations. Par exemple, les États généraux sur l’éducation sont abordés à la fin du chapitre 9, pour la simple raison qu’ils débutent en 1995, mais sont ensuite repris au début du chapitre 10 qui va de janvier 1996 à décembre 1997. De même, la « politique familiale » du Parti québécois, qui marque en 1997 une rupture évidente dans l’histoire de la prise en charge de la petite enfance, semble un peu perdue au milieu du chapitre 10 (p. 251 et suivantes).

Le principal problème découlant de ce genre de plan réside dans une évocation foisonnante d’enjeux qui ne sont jamais approfondis. Ainsi, le lecteur a une impression de redondance tout en perdant le fil de débats fort importants comme ceux liés à la professionnalisation des éducatrices, au rôle des parents, à la gestion démocratique, aux garderies en milieu familial, au travail des femmes, aux affrontements entre secteur lucratif et secteur non lucratif, etc. Ainsi, un des principaux enjeux soulevés, celui de la mise en place d’une politique universelle de la petite enfance, à l’opposé d’une politique d’assistance ciblée vers les familles défavorisées, ne bénéficie malheureusement d’aucune réflexion approfondie de la part de l’auteure.

Finalement, malgré toutes ces réserves, mentionnons qu’il s’agit d’un ouvrage nécessaire qui peut servir de base à une réflexion plus poussée sur un problème fondamental. À cet égard, le lecteur trouvera de nombreuses références bibliographiques qui regroupent des articles de journaux et de revues, de la correspondance officielle, des documents gouvernementaux et des documents d’associations.