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Quatrième d’une série d’ouvrages consacrés à la confrontation de la Bible avec une discipline du savoir, ce livre étudie la relation entre la Bible et la science. Les deux premiers articles (J. Trublet et J. Vermeylen) s’interrogent sur la présence de la science dans la Bible, alors que les trois autres (F. Euvé, D. Lambert et P.‑M. Bogaert) examinent la présence de la Bible dans la science. En général, l’intérêt de ces articles est indéniable, notamment et surtout parce qu’ils contribuent à éclairer la façon dont s’articulent ou devraient s’articuler les discours biblique et scientifique. Une seule réserve cependant : étant donné la nature de la problématique abordée dans l’ouvrage, soit la relation entre la Bible et la science, on se serait attendu à une participation plus importante d’auteurs scientifiques (D. Lambert est le seul du lot).

Dans « La science dans la Bible. Méthode et résultats », J. Trublet recherche les linéaments d’une méthode scientifique dans la Bible (p. 12). La science est entendue dans le sens très large de mise en ordre des phénomènes, Trublet étant conscient que la science au sens strict n’est apparue qu’en Grèce grâce à la découverte de la démonstration (p. 49). Or, Trublet estime que plusieurs textes bibliques, notamment les textes sapientiaux, répondent à cette définition large de la science en tant qu’ils font montre d’une entreprise d’observation et de classification du réel. Cette entreprise est guidée par deux critères, soit l’analogie, par laquelle les éléments semblables sont rassemblés, et la causalité, par quoi on détermine que les mêmes causes produisent les mêmes effets (p. 42‑43). Ces deux critères s’inscrivent dans un « système ouvert » qui ne respecte pas le principe du tiers-exclu (p. 43). Par une telle méthode de classification, la taxinomie biblique ressemble à celle des civilisations environnantes, à savoir l’Égypte et la Mésopotamie. La démarche classificatoire de la Bible se démarque toutefois en ce qu’elle s’inscrit toujours « dans la perspective d’un Dieu créateur de l’ordre de l’univers » (p. 49). L’originalité de la « méthode scientifique » de la Bible est en effet de rejeter le pansacralisme, par lequel les éléments de l’univers sont eux-mêmes divinisés. Le Dieu biblique se manifeste bien plutôt dans l’ordre immanent des choses qu’il a créées, un ordre que l’homme peut lui-même découvrir par la connaissance scientifique. La foi supporte quant à elle la connaissance du monde, Dieu étant le « garant de la science » (p. 56).

Comme son titre l’indique, l’essai « Les représentations du cosmos dans la Bible hébraïque », de J. Vermeylen, tente de retracer les représentations de l’univers proposées dans la Bible hébraïque. Vermeylen considère que la perception biblique de l’univers présente deux visages. Le premier visage est que certains passages cosmologiques de la Bible ont le même but que toutes les cosmologies du Proche-Orient ancien, soit « l’élucidation de l’ordre du monde » et la recherche « d’une conduite qui corresponde à cet ordre » (p. 63). Par sa hiérarchie cosmique des êtres du monde (Dieu, anges, hommes, animaux), le Psaume 8 exprime l’idéal d’une domination des animaux par l’homme qui serait à l’image de la domination divine des forces cosmiques hostiles (p. 84). Dans Isaïe 42,5‑7, l’ordre de la nature n’est « que la métaphore d’un ordre social et politique hiérarchisé » (p. 90). Enfin, Job 38,4‑7, tel qu’interprété par Vermeylen, présente le Temple de Jérusalem comme un « résumé ou un concentré » du cosmos (p. 90). L’autre visage de la perception biblique de l’univers montre un Dieu qui dérange l’ordre cosmique dans le but de punir l’homme (p. 98), par exemple par la série des « plaies » dont parle Amos 4,6‑11. L’être humain est ici conçu comme un être libre et responsable qui doit répondre de ses actes devant Dieu, et non pas comme un être déterminé se conformant à l’ordre cosmique (p. 100‑101). En ce sens, la cosmologie biblique se démarque dans certains passages par son attention à la liberté de l’homme et l’importance secondaire accordée à l’ordre déterminé du monde.

Dans « L’imaginaire biblique des scientifiques. Regard d’un théologien », F. Euvé exhibe les images de Dieu sous-jacentes au discours de la science moderne. Si certains scientifiques ont affirmé la toute-puissance d’un Dieu qui peut intervenir dans le monde (p. 106), la conception dominante des scientifiques fut celle du « Grand horloger », à savoir celle d’un être omniscient qui comprend parfaitement la machine du monde (p. 106). Le Dieu-horloger est paradigmatique de la conception scientifique d’un Dieu qui ne s’implique pas dans l’histoire humaine, et qui s’oppose à cet égard au Dieu biblique. La conception scientifique de Dieu peut toutefois rappeler au croyant « la dimension cosmique de sa foi » et permettre d’éviter la tentation d’une théologie trop anthropocentrique (p. 122). La « religion cosmique » d’Albert Einstein, qui affirme qu’il y a « quelque chose » d’incompréhensible qui se manifeste dans « l’ordonnancement des lois de la nature » et dans « la nécessité de son fonctionnement » (p. 119), exemplifie ce support cosmique apporté par la science à la foi.

« Teilhard et la Bible », de D. Lambert, montre comment Teilhard de Chardin réinterprète les thèmes bibliques dans l’horizon d’une philosophie de la nature héritée de la pensée évolutionniste de la science de son temps (p. 129). Tout d’abord, la Création du monde est comprise par Teilhard comme une création continue, l’évolution de l’univers étant le passage graduel du néant à l’être (p. 137), c’est-à‑dire du multiple à l’unité et donc à la conscience (p. 131). L’Incarnation est pensée « en lien intime avec la Création », la Création découlant d’une union et l’Incarnation étant « cette union intime du Christ et du Cosmos » (p. 138‑139). Le mal, quant à lui, est perçu comme étant inhérent à la multiplicité, l’« Union créatrice » à l’oeuvre dans l’univers étant en lutte contre le mal (p. 141). Enfin, la parousie christique est interprétée comme le Point Oméga où converge l’évolution de l’univers (p. 149). Teilhard se réapproprie également le thème paulinien du plérôme, qu’il comprend comme la réconciliation eschatologique entre l’Un-Dieu incréé et le Multiple créé (p. 151). Selon Lambert, la lecture teilhardienne des thèmes bibliques permet de penser « la profonde unité des Mystères chrétiens », évite la confusion entre le « commencement naturel de l’univers » et la « création au sens théologique » et assure l’intelligibilité du discours biblique en regard de la nouvelle image scientifique du monde (p. 154). En revanche, le regard scientifique de Teilhard surévalue la dimension de nécessité et d’universalité aux dépens de celle de gratuité et de singularité, essentielles notamment à l’interprétation de l’Incarnation et du mal moral (p. 154‑155).

Dans « “Le soleil s’arrête à Gabaon”. Interprétations de la Bible et avancée des sciences », P.‑M. Bogaert questionne la relation entre le progrès de l’interprétation de la Bible et le progrès scientifique à partir d’un célèbre extrait de la Bible, celui où Josué arrête le soleil dans sa course (Josué 10,12‑15). Bogaert conclut tout d’abord de l’affaire Galilée, qui a vu s’opposer la conception scientifique du monde et la lecture orthodoxe de la Bible, la nécessité de renouveler le discours sur Dieu, la science ne pouvant pas elle-même rendre compte de « l’acte créateur » (p. 175). Il tente ensuite de montrer que si l’exégèse biblique peut se nourrir des découvertes scientifiques, ces dernières permettant par exemple d’établir une chronologie absolue, Dieu seul reste garant du sens de l’histoire (p. 176). Enfin, Bogaert estime que l’actualité des récits bibliques est « de tenir simultanément l’homme et Dieu, de les affronter même », cette tâche dépassant celle de la science (p. 176).