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L’Église du Québec vit un tournant important du côté de l’évangélisation depuis quelques années, alors que l’éducation de la foi des jeunes ne se fait plus à l’intérieur des cadres scolaires étatiques et que sa responsabilité incombe à l’Église seule. C’est pourquoi l’Assemblée des évêques du Québec (AEQ) vient d’élaborer un document de référence présentant les Orientations pour la formation à la vie chrétienne[1], « qui guideront au cours des prochaines années les efforts de mise en oeuvre de la mission catéchétique ». Ces Orientations proposent trois fondements à la proposition catéchétique : une anthropologie de l’incarnation ; un christocentrisme trinitaire ; l’évangélisation au service de l’humanisation des personnes et de la société.

L’Église du Québec choisit de parler de Dieu et du Christ selon ces perspectives pour réaliser le défi de l’évangélisation dans l’activité catéchétique. Ce défi est sans doute une vieille histoire dans la plupart des Églises européennes qui ont eu à assumer depuis longtemps la responsabilité catéchétique, mais il incombe aux habitants du Nouveau Monde d’aborder à leur tour ce défi.

C’est ainsi que pour les évêques québécois, « une foi bien ancrée dans l’expérience humaine et ouverte au don de l’amour du Père permet de trouver dans la communion au Christ le chemin de la participation à la vie trinitaire et de la croissance en humanité[2] ». Selon les évêques, cette expérience est le coeur de la foi et c’est elle qui fait l’objet central du projet catéchétique et de la mission évangélisatrice de l’Église.

En tant que théologienne au service du projet d’Église proposé par l’AEQ, il me semble pertinent de réfléchir à cette anthropologie de l’incarnation et à cette christologie trinitaire au service de l’humanisation, en lien avec « le contexte particulier de notre milieu et de notre société », comme y invite le texte des évêques. Ce travail théologique auquel le projet d’Église convoque rappelle cette intuition de Jean-Paul II qui lie la Trinité et l’incarnation :

C’est la contemplation du mystère même de Dieu Un et Trine qui sera le véritable centre de sa réflexion [celle de la théologie]. On n’y accède qu’en réfléchissant sur le mystère de l’incarnation du Fils de Dieu. […] la première tâche de la théologie est l’intelligence de la kénose de Dieu, vrai et grand mystère pour l’esprit humain[3] […].

Je propose donc une exploration de ces thèmes en quatre temps, d’inégale importance. Tout d’abord en préambule, une mise en place des principaux éléments qui serviront de points d’appui dans cette présentation : la Parole, son lieu d’origine et son mode d’action ; sa dimension temporelle par son mode d’actualisation et de présence au monde ; son action par une appropriation par la chair. Il s’agira ensuite de formuler les enjeux de l’anthropologie de l’incarnation en vue de déployer une christologie trinitaire et de repenser à nouveaux frais le type de rapport au monde commandé par cette perspective sur l’incarnation. Puis, il s’agira de voir en quoi la parole trinitaire est incarnée dans l’Église, icône de la Trinité. Dans un dernier temps qui se fera conclusif, sera évoqué comment le projet de l’Église québécoise peut être nourri par ces perspectives et comment la mission de l’Église en marche sera portée par cette ouverture à la vie nouvelle et au devenir humain à la suite du Christ, toujours dans l’horizon de la spécificité de l’incarnation du Verbe.

I. Préambule

Les évêques québécois, dans leur document qui donne des orientations pour la formation à la vie chrétienne, rappellent que le centre de la mission de l’Église consiste à « faire découvrir, apprécier et approfondir la proposition évangélique d’une vie en abondance à la suite du Christ[4] ». Mais comment réaliser cette mission dans le contexte actuel ?

Le comment de la réalisation de la mission ne peut, selon les évêques, que plonger au coeur de « la communion avec le Christ comme source de l’humanisation intégrale des personnes et de la société ». Le contexte de la société québécoise est celui d’une déshumanisation[5] : par quel biais la suite du Christ répond à cette déshumanisation ? Selon les évêques, « la Parole reçue demande à s’incarner à travers la parole prophétique des baptisés, dans leur effort pour dire leur foi, discerner en Église la volonté du Père et collaborer à l’agir de l’Esprit en vue du salut des humains[6] ». L’objectif qui consiste à parler de Dieu et du Christ trouve ainsi ses modalités privilégiées dans la rencontre et la communion avec le Christ, puisque l’incarnation du Verbe nous révèle le chemin de la parole humaine et d’un rapport au monde construit par la parole. Cette rencontre et cette communion se font dans la contemplation et le silence : en effet, trouver le chemin de notre parole sur Dieu et sur le Christ passe par l’écoute du passage du Verbe dans la chair alors qu’il vient la révéler à elle-même. Cette chair, en tant qu’être au monde, ne se comprend comme humaine qu’à travers le souffle de la Parole qui la traverse. Au coeur de cette écoute, le silence est le père de la parole, comme le disait saint Dominique. Et la chair dans le monde parle du monde dans le monde par le souffle de la parole.

L’écoute du silence convoque à répondre à la question suivante : d’où parlons-nous lorsque nous parlons de Dieu et du Christ ? Et à y répondre ainsi : nous parlons du lieu où nous nous reconnaissons créés à l’image de Dieu. Ainsi, comme l’a déployé saint Augustin, l’humain est créé à l’image de la Trinité, en tant qu’amour (« là où tu vois l’amour, tu vois la Trinité ») qui conçoit le verbe[7].

En prenant Augustin comme guide, il s’agit de plonger dans cette image du Dieu trinitaire, là où le verbe « occupe un certain espace de temps[8] » en l’humain. À la suite d’Augustin, il est en effet possible de distinguer plusieurs types de verbes en fonction des différents espaces de temps qu’ils recouvrent en l’humain. Pour s’avancer vers le verbe qui lie la connaissance à l’amour, Augustin déploie les conditions de l’espace de temps ternaire : « quand l’âme se connaît et s’aime, son verbe lui est uni par amour. Et puisqu’elle aime sa connaissance et connaît son amour, le verbe est dans l’amour et l’amour dans le verbe, l’un et l’autre dans l’âme qui aime et dit son verbe[9] ». Le lien entre ce verbe, la connaissance et l’amour, est une image de la Trinité : ce lien se vit comme mouvement dans un certain espace de temps où les trois réalités n’en font qu’une, trois choses parfaites et égales[10], sans mélange ni confusion dans un mouvement perpétuel d’amour.

Ce verbe, qui « occupe un certain espace de temps[11] » en l’humain, est une parole de vie ternaire et non exclusivement une parole sur le monde, sur les objets du monde. Une parole sur le monde est une parole binaire où le sujet de connaissance cherche à extirper un savoir sur un objet, pour se l’approprier et le dominer, pour le réduire à son propre savoir. Par contre, une parole de vie est une parole ternaire, issue de la vie où l’amour est toujours « trois » : « Qu’est-ce donc que l’amour, sinon une certaine vie qui unit deux êtres ou tend à les unir », une parole où circule la vie entre « celui qui aime, ce qui est aimé et l’amour lui-même[12] » ?

Voilà pourquoi l’espace de temps spécifique de ce verbe est celui de l’amour dans l’âme, « quand l’âme se complaît en ce qu’elle a conçu[13] ». Ce verbe résonne et retentit à partir de l’Esprit Saint, selon Augustin, citant 1 Co 12,3 : « Personne ne dit “Seigneur Jésus”, sinon dans l’Esprit Saint ». Un philosophe contemporain, Michel Henry, sans citer Augustin, reprend cette vision du verbe qui certes peut retentir au dehors, mais qui ne « s’entend pas comme on entend le bruit du monde. C’est un verbe qui s’entend dans le silence où aucun bruit n’est possible, aucun regard — dans le secret du coeur[14] où Dieu voit, où parle sa Parole[15] ».

Le verbe qui sonne au dehors est donc le signe du verbe qui luit au-dedans, et qui, avant tout autre, mérite ce nom de verbe. Ce que nous proférons de bouche n’est que l’expression vocale du verbe : et si, cette expression, nous l’appelons verbe, c’est que le verbe l’assume pour la traduire au dehors. Notre verbe devient donc en quelque façon voix matérielle, assumant cette voix pour se manifester aux hommes de façon sensible : comme le Verbe de Dieu s’est fait chair, assumant cette chair pour se manifester lui aussi aux hommes de façon sensible. […] C’est un verbe qui n’est ni proféré dans un son, ni pensé à la manière d’un son, qui est nécessairement impliqué dans tout langage, mais qui, antérieur à tous les signes dans lesquels il se traduit, naît d’un savoir immanent à l’âme, quand ce savoir s’exprime dans une parole intérieure[16].

Ce qu’Augustin évoque, c’est qu’au fond de la chair, nous entendons le verbe. Michel Henry en arrive à une perspective analogue :

[…] tandis que bavarde la parole du monde qui enchaîne ses significations sans qu’aucun terme soit assigné à son discours, une autre parole a déjà parlé en nous. C’est la parole de la vie qui ne cesse de dire à chacun sa propre vie […]. La parole des hommes ne se réduit nullement à une parole du monde, c’est d’abord celle de la vie. […] Ce n’est plus alors un abîme qui se creuse entre la Parole du Christ […] et la parole qui parle en nous. Bien au contraire, elles sont liées l’une à l’autre par une affinité décisive, étant l’une et l’autre des paroles de la Vie[17].

Cette approche de la Trinité oriente ainsi naturellement vers la contemplation du mystère de l’incarnation, comme y invite Jean-Paul II. Une anthropologie de l’incarnation, du Verbe qui advint chair, permettra de revenir à la portée trinitaire du mystère de l’Église dans sa mission d’annonce. Le fil conducteur de l’exposé est donc le suivant : créés à l’image du Dieu incarné, l’humain parle de ce lieu où il reconnaît que la Parole de Dieu habite sa chair et le révèle à lui-même. L’ancrage dans le monde et la présence au monde sont déplacés, refondés : d’un rapport binaire axé sur le pouvoir et la captation, le rapport au monde se révèle pouvoir procéder du ternaire, sous le signe du don et de la réception.

II. Le Verbe advint chair. Anthropologie de l’incarnation

L’annonce à laquelle est convoquée l’Église du Québec, dans le contexte actuel, doit rejoindre l’attente du salut de l’humain, ce salut que le professeur Walter Kasper situe comme élément central dans sa réflexion : « Comment, dans les conditions où nous nous trouvons aujourd’hui, pouvons-nous encore parler de manière compréhensible de Jésus Christ et du salut qu’il a apporté[18] » ?

Pour répondre à cette interrogation fondamentale, il s’agira de voir en quoi le mystère de l’incarnation concerne l’humain dans son désir de salut. Contexte général et lointain, mais au plus radical de chaque vie.

Les théologies du vingtième siècle ont développé abondamment les christologies pascales, faisant de la mort-résurrection l’horizon principal des sotériologies. On trouve cependant dans l’oeuvre de Walter Kasper la constante préoccupation de lier les christologies « d’en haut » et « d’en bas », au-delà des oppositions. Il dit en effet : « L’incarnation de Dieu est la récapitulation et l’accomplissement surabondant de l’histoire, la plénitude du temps : par elle le monde acquiert sa totalité et son salut[19] ».

Nulle contradiction donc entre les deux modes, entre les approches « d’en haut » et « d’en bas ». Plus précisément, l’incarnation dans l’histoire, dans l’humanité, dans la chair, est récapitulation et accomplissement. Dans le présent approfondissement du projet de la mission évangélisatrice de l’AEQ, l’enjeu consiste à dégager les conséquences d’une telle affirmation pour une christologie de l’incarnation. Le parcours sera ainsi balisé par la structure anthropologique fondamentale suivante : dans l’axe naissance/mort, la chair parlante se reconnaîtra à l’image de son Verbe intérieur.

1. Naissance / mort

À la suite de Nicodème qui demande à Jésus « comment naître », il devient nécessaire de s’interroger sur ce qu’est cette naissance. Naître n’est pas venir dans le monde ; naître, c’est venir dans la vie, à partir d’elle, comme le dit Michel Henry. Venir dans le monde serait donner le dernier mot à la logique du monde, ce ne serait qu’y être soumis à sa logique binaire de domination. Venir dans la vie, à partir de la vie, consiste à inscrire le mouvement ternaire du souffle de la vie dans la chair, dans le monde. En quoi la naissance du Fils de Dieu concerne-t‑elle la naissance de tout humain dans la vie et comment en faire l’annonce ?

Il est plus facile de répondre à la question du lien entre la mort-résurrection du Christ et la mort de l’humain. Le discours pascal est en effet très élaboré depuis Vatican II, appuyé sur la liturgie et, comme tel, bien intégré aux vies des chrétiens. La mort de Jésus, en tant qu’événement historique, situe l’humain par rapport à sa propre mort et permet de lui apporter un éclairage particulier. La résurrection, quant à elle, pose la question du « sens de l’histoire ». En effet, la résurrection ouvre la question de la signification de la carrière historique de Jésus. Si la mort n’est pas la seule fin envisageable, c’est donc à partir d’une autre fin que l’ensemble du parcours (vie, mission et mort de Jésus) peut être interprété. La résurrection introduit dans et pour le parcours de Jésus la possibilité d’une « rétro-diction », d’une « rétro-spection[20] ». La résurrection garantit dans l’histoire humaine la possibilité d’une universalité et d’un sens, elle ouvre l’histoire à la tension de l’eschatologie[21]. C’est pourquoi il est possible de dire que la résurrection est non seulement l’événement fondateur de la confession de foi pascale des disciples, qu’elle est l’origine de cette foi comprise comme expérience ou tradition, mais, bien davantage, que la résurrection représente la condition de possibilité de la christologie. Elle pose l’événement de salut comme interprétation des limites de la mort, comme des expériences de beauté et de bonté qui appellent toutes à être sauvées. La résurrection donne sens aux expériences historiques de la limite et de la mort. La théologie contemporaine a fait de l’histoire l’horizon de réalisation et de compréhension du sens pour le sujet humain agissant dans l’histoire, en tant qu’acteur d’une histoire, projetant, lisant et vérifiant dans l’histoire le sens de son action et de son existence[22].

Il semblerait pourtant que le même travail serait à faire pour la conception de la naissance du Fils de Dieu. La rencontre et la communion au Christ, auxquelles les évêques québécois invitent, se font autant dans sa naissance, son incarnation, dans son itinéraire de vie, dans son parcours et sa mission que dans sa mort-résurrection. Si le Christ nous rétablit dans la chair par la croix, s’il rend proche de Dieu dans sa chair donnée par amour en secouant les coeurs de pierre, il est possible de comprendre sa naissance comme lieu par excellence de sa kénose. Cette naissance est présence au monde sous le signe d’une parole qui vient interrompre le cours des « choses ». Quelles conséquences sur le rapport au monde apporte la naissance du Verbe fait chair ?

2. Chair / parole

La naissance indique le lien entre la chair et la parole dans la filiation en tant qu’articulation de deux dimensions : la génération et la dénomination. La génération, dans la chair, permet de comprendre que « ce qui naît de Marie » n’est pas lié seulement à la Parole de Dieu, mais aussi à celle de tout humain. En effet, en Jésus Christ, Dieu advient et se nomme dans la chair, et le parcours de sa Parole se lit à travers les chairs qui la reçoivent. La dénomination, le fait de désigner, de risquer à dire à son tour que Jésus est Fils de Dieu, constitue le témoignage de la vérité du Christ dans la chair. Le texte biblique met bien en évidence qu’« il sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1,35) : il le sera par ceux qui prendront le chemin de l’écoute en leur chair de la Parole qui se donne à eux. Tout acte de parole est en cause dans le mystère de l’incarnation : Marie, modèle dans l’acte de foi et l’acte de dire la foi, doit d’abord le nommer Jésus, selon la chair, ce que chacun reprend à son compte lorsqu’il avance une parole d’annonce et de témoignage ancrée dans la chair :

Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie — car la vie s’est manifestée, et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous l’annonçons… (1 Jn 1,1‑2).

C’est parce que le Verbe devient chair en l’humain — parce qu’il y a pénétré par les oreilles et par les yeux, qui ont entendu et qui ont vu, contrairement à ceux du dehors qui n’entendent pas et ne voient pas (Mc 4,11‑12) — que le verbe témoigne de sa chair qu’il donne, afin que les paroles puissent reprendre la désignation qu’il fait de lui-même par une parole. Ainsi, le « ceci est mon corps » désigne, inscrit des paroles au coeur du corps mystique, pour que la chair témoigne de son Verbe.

La dénomination, l’acte de parole, suit deux parcours dans la chair : ceux de la résonance et du retentissement. Paraphrasant Gaston Bachelard[23], il serait possible de dire que les résonances se dispersent sur les différents plans de la vie dans le monde et que le retentissement appelle à un approfondissement de sa propre existence. La résonance fait entendre la parole ; le retentissement la fait dire : elle est nôtre. Le retentissement opère un virement d’être : « je vis, mais non plus moi, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).

C’est pourquoi, le monde, à propos duquel la parole est proférée, ne permet la relation entre les interlocuteurs que parce qu’il est nommé, humanisé par la parole qui en déplace la logique binaire. Vivre dans le monde c’est y inscrire l’acte de nomination (Gn 2,20).

3. Chair / parole / ressemblance

C’est ainsi que l’on peut comprendre comment Augustin établit la ressemblance de l’humain avec le Verbe de Dieu. Selon Augustin, dans La Trinité :

De même qu’il est dit de ce Verbe : « Tout a été fait par lui », texte où il est affirmé que le Père a tout fait par son Verbe unique, de même, l’homme ne fait rien qu’il ne le dise d’abord en son coeur. […] [Ainsi,] notre verbe peut être, sans que l’action s’ensuive, mais notre action ne peut être si le verbe ne la précède. De même, le Verbe de Dieu a pu être sans qu’existe aucune créature, mais aucune créature ne peut être, si ce n’est par le Verbe par qui tout a été fait[24].

L’articulation entre la Parole et la chair permet de comprendre l’articulation entre la parole et l’action. Cette image de Dieu dans l’humain invite donc à se questionner sur la parole : qui parle lorsque nous parlons ? Comment parle le verbe en nous pour que nous agissions ? Comment parlons-nous ? L’image de Dieu dans l’humain peut apporter des distinctions fondamentales sur l’acte de parole. Serait-il possible d’aller jusqu’à dire qu’elle suscite une voie de discernement sur toute parole et toute action, non sous un aspect moralisant, mais sous leur mode épistémologique ? La ressemblance n’est-elle pas un horizon permettant d’appréhender tant le lien entre la mort-résurrection du Christ et chacune des morts humaines que le lien entre la naissance du Fils de Dieu et chaque naissance ? La manière d’actualiser cette ressemblance est de pouvoir se tenir devant Dieu, « saints et irréprochables » (Ep 5,27). Il s’agit d’une position éthique et non moralisante.

Ainsi, si l’image de Dieu en l’humain le détourne d’une parole réduisant l’objet à la volonté de savoir d’un sujet de connaissance, c’est toute action dans le monde, dans l’histoire, qui s’en trouve redéfinie. Parler de Dieu et du Christ dans l’histoire, mais sous un mode ternaire en tant que parole de la vie, à partir d’une parole qui a déjà parlé en l’humain, devant laquelle il faut se mettre à l’écoute, ne peut que changer le mode d’être au monde et par là même le mode d’être chrétien. Serait-il possible de définir l’identité du chrétien en tant que sujet parlant trinitairement dans un monde où il ne cherche pas à établir son savoir ni son pouvoir sur les choses ? L’identité du chrétien ne se dit-elle pas dans une parole qui donne vie à la vie par un mode de vie ternaire ?

4. Le Verbe intérieur

Revenons à notre question première : comment parler de Dieu et du Christ ? Peut-on en parler comme d’un savoir sur des objets du monde ? Dans un sens oui, puisque les humains parlent depuis toujours de Dieu et qu’il est possible d’étudier comment ils en parlent dans le monde. Dieu existe comme objet du monde, pourrait-on dire, parce que l’on en parle comme tel. Mais par ailleurs, comment parler de Dieu, selon la voie même de l’intériorité (la voie de la chair), sans en faire « l’objet de mon expérience », même la plus spirituelle ?

Comment s’établit la « conscience » de Dieu ? Seulement dans le sens où l’humain est conscient de l’impuissance de sa connaissance, l’humain ne comprenant pas ce que sa connaissance échoue à rejoindre, — ce qui n’est pas la même chose que d’être conscient de l’absence de Dieu, voulant par là signifier que l’on serait conscient de ce qu’est ce qui est absent. Dieu ne peut être l’objet d’aucune conscience. L’apophatisme constitue un moment de négativité à l’intérieur de l’ensemble de la démarche théologique qui est toujours et simultanément apophatique et cataphatique. C’est le silence de l’écoute qui règle le mouvement entre ces deux moments de la parole.

Le langage de l’intériorité d’Augustin établit un lien complexe entre l’expérientiel et l’a priori qui ne peut se réduire à la perspective contemporaine sur « l’expérience religieuse » comme expérience sensible. Augustin articule l’immédiateté de l’expérience, son mode de connaissance a posteriori et la critique apophatique de l’épistémologie de l’a priori pour situer le langage sur Dieu dans une démarche complexe, jamais réductible à un seul type de « verbe ». Il se demande si « toute connaissance est verbe ou seulement la connaissance aimée[25] » pour en arriver à la conclusion que la nature du verbe est « la connaissance unie à l’amour[26] ». Cette connaissance aimée, ni purement expérientielle (a posteriori), ni strictement a priori, est la condition d’émergence du verbe intérieur, là où « Dieu » n’est pas un objet de connaissance dont je puis disposer et parler, mais incarnation en la chair, puisque son verbe peut être dit intérieur. Il faut dépasser toutes les formes de langage que nous connaissons pour « voir » cet autre verbe « qui n’est ni proféré dans un son, ni pensé à la manière d’un son, qui est nécessairement impliqué dans tout langage, […] antérieur à tous les signes dans lesquels il se traduit, [qui] naît d’un savoir immanent à l’âme[27] ».

Plus concrètement, voyons comment Augustin décrit sa relation avec ce verbe intérieur. Dans les Confessions, s’attristant de ne pouvoir interroger directement Moïse sur le sens qu’il a voulu donner à ses écrits, Augustin déploie sa perspective du Verbe intérieur, qui le console de la disparition de Moïse :

D’où saurais-je s’il dit vrai ? Quand également je le saurais, est-ce de lui [Moïse] que je le saurais ? Non, c’est toujours, ni juive ni grecque ni latine ni barbare, la Vérité qui, en dedans, au siège de ma pensée, sans y employer la bouche ni la langue et sans aucun bruit de syllabes, me dirait : « Il dit vrai », et moi, de lui dire en toute certitude comme en toute confiance, à l’homme qui est le tien : « Tu dis vrai. » Comme je ne puis l’interroger, c’est donc à toi que j’en appelle, Vérité par qui rempli il a dit vrai, oui c’est à toi que j’en appelle, Seigneur mon Dieu[28].

Le verbe intérieur est la formulation intérieure, verbe du coeur, qui peut se traduire dans des paroles et des signes extérieurs, mais qui transcende ces signes dont il est la condition. C’est ainsi qu’il est possible de comprendre que la Parole du Christ a retenti et retentit toujours :

En elle, notre vie est venue à la vie, chacun est révélé à soi. Cette parole parle en nous, elle parle à chacun sa propre vie, chacun l’entend. Chacun l’entend dans sa souffrance et dans sa joie ; mais cette Parole n’est ni sa souffrance ni sa joie, mais l’étreinte en laquelle il l’éprouve. Qu’en elles il éprouve soudain cette étreinte plus forte que lui, la puissance sans limites qui ne cesse de jaillir en lui et de le donner à lui-même, c’est la Parole de Dieu qu’il entend[29].

Et les textes évangéliques décrivent l’activité de Jésus comme d’un parler la Parole (Mc 2,2). Une autre parole a déjà parlé en l’humain, parole de vie qui ne cesse de dire à chacun sa propre vie. La foi est la reconnaissance de cette étreinte. La parole sur Dieu et sur le Christ ne peut que passer par ce chemin.

Mais une autre question surgit alors : d’où parle-t‑on ? La parole émergeant du lieu de l’étreinte de la Parole, permet de découvrir en quoi l’humain est créé à l’image de la Trinité. Pour paraphraser Augustin qui dit que là où il y a l’amour, il y a trois — l’amant, l’aimé et l’amour —, il est aussi possible de dire que là où il y a parole, il y a la Trinité : il y a celui qui parle, celui qui écoute et la parole qui circule entre eux. La parole porte en elle la structure trinitaire. L’étreinte est le rapport au monde construit par une parole qui vient d’ailleurs, qui visite et marque la chair en lui insufflant une vie venue d’ailleurs. Le monde nommé, désigné, construit par la parole n’est plus jamais le même monde que celui qui s’impose dans sa brutalité binaire de domination. Ainsi, le corps sacrifié, parce qu’il porte la désignation d’une parole (« ceci est mon corps ») n’est pas détruit par la mort : il vit de la parole, de la mémoire, d’un souffle qui est celui d’une vie autre.

Cela peut avoir des conséquences sur la mission catéchétique, si l’on poursuit dans cette perspective selon laquelle « nous n’avons pas à “introduire” le Christ comme un objet de prédication ou de théologie. Il est celui qui, advenant de la source inaccessible, advient en nous comme il advient et — strictement parlant — nous n’y pouvons rien. Sinon l’accueillir[30] ».

L’accueil du Verbe de vie est la reconnaissance « d’une autre parole qui a déjà parlé en nous. C’est la parole de la vie qui ne cesse de dire à chacun sa propre vie[31] ». L’écoute de la parole de vie qui parle en toute parole, qui nomme la vie au plus secret, qui pointe vers tout ce que peut être l’humain : c’est dans cette écoute que se donne la vie en abondance. Le Verbe de vie qui habite parmi nous vient chez lui (Jn 1,11). Chez les siens, parmi les siens, donnant vie et lumière à ceux qui vivent de la même vie que Lui.

Voilà maintenant déployé le christocentrisme trinitaire qui permettra de passer à l’étape suivante, celle de l’incarnation de la Parole trinitaire dans l’Église.

III. La Parole trinitaire incarnée dans l’Église

Pour faire la transition entre le christocentrisme trinitaire et l’incarnation de la parole trinitaire dans l’Église, la pensée du professeur Kasper permet de contribuer à dégager la portée ecclésiale de ce qui précède :

Si l’on prend au sérieux le fait que l’Église est l’image de la Trinité, on peut approfondir encore cette affirmation : de même que dans la Trinité la Trinité des personnes ne supprime pas l’unité de la nature et ne la produit pas, mais constitue le mode concret d’exister de celle-ci, de sorte que l’unique nature divine n’existe que dans la relation entre le Père, le Fils et l’Esprit, de même on peut dire de l’Église une, par mode d’analogie, qu’elle n’existe que dans et à partir d’Églises locales. De même que la confession de foi trinitaire est la forme concrète du monothéisme chrétien, de même la communio des Églises particulières est la consécration et la réalisation de l’unique Église universelle. L’Église est donc, en tant même que communio, l’icône de la Trinité. La diversité dans l’unité et l’unité dans la diversité correspond davantage à la compréhension trinitaire de l’unité qu’un modèle d’unité uniforme[32].

La diversité dans l’unité et l’unité dans la diversité de la compréhension trinitaire s’appuient sur l’incarnation du verbe dans la complexité de la chair. Ainsi, on lit dans Lumen gentium, au numéro 8 : « De même, en effet, que la nature assumée par le Verbe divin lui sert d’instrument de salut, instrument vivant et indissolublement uni à lui-même, de même cet organisme ecclésial sert à l’Esprit du Christ qui le vivifie en vue de la croissance du corps (Ep 4,16) ». Cet organisme ecclésial n’existe que dans la diversité des chairs des Églises locales qui parlent le verbe selon la diversité dans l’unité.

Cette Parole incarnée dans l’Église imbibe toute la vie des Églises par le « verbe nécessairement impliqué dans tout langage ». Au-delà des mots, en deçà des mots, dans l’acte de parole même, dans le mouvement de parole lui-même, la parole trinitaire transforme le réel. Cette transformation se réalise par l’Église qui assure la parole et lui donne un fondement. L’Église constitue un référent, un horizon qui, parce qu’elle rappelle l’incarnation du Verbe, permet aux Églises de communier dans leur diversité à l’unité du verbe. Le ternaire est la forme et le mode de la parole, la manière dont elle circule, qui a besoin de l’Église icône de la Trinité pour assurer cette circulation. L’Église à son tour donne sens et forme trinitaire aux paroles de foi qui se cherchent. Les paroles de foi se partagent dans l’espace trinitaire de l’Église qui, par son unité dans la diversité et la diversité dans l’unité, permet à chacun de prendre le chemin de l’écoute en sa chair de la Parole qui se donne à lui.

Faisons un petit excursus, indispensable, par les théories du langage qui permettent de descendre dans la structure trinitaire de la parole avant de revenir à la reprise ecclésiale de ces développements. Les théories du langage déploient une compréhension de la parole sous trois aspects : la parole en tant que 1) contenu ; 2) acte de langage ; 3) énonciation ou verbe intérieur.

Ainsi, au-delà de la définition traditionnelle de la parole en tant que contenu et qu’acte de langage, les perspectives philosophiques contemporaines sur l’énonciation mettent en évidence ce qui organise la parole elle-même, l’interlocution en tant que structuration du langage à partir du « je-tu-il ». Cette structure d’interlocution ternaire, remise en lumière par les linguistes[33], est à la jonction de la constitution de la personnalisation et de la socialisation, car parler est toujours parler du monde à l’autre au nom d’un autre. L’acte de langage se construit dans une interlocution où le tiers est ce qui rend possible la rencontre de l’autre.

Cette structure constitue un infralangage donné comme fondement, en deçà des énoncés et de l’acte de langage. L’énonciation, ce qu’Augustin appelle le verbe, est cette structure ternaire immanente au langage : la circulation de la parole se fait toujours entre un « je » et un « tu » par la médiation du tiers « il ». L’intégration de l’énonciation dans la définition de la Parole induit un sujet d’énonciation en tant qu’instance, poste, position, qui, par la modélisation de son rapport au temps et à l’espace, fait tenir ensemble le discours. L’instance d’énonciation exerce une fonction intégratrice des actes de parole tout en sous-tendant le mouvement, les transitions, les mutations des actes de parole des acteurs sociaux et sujets de parole.

Augustin fait voir l’organisation même du langage en tant que circulation d’une énonciation qui ne peut être totalement pensée, point aveugle de notre propre être-au-monde : sujet de parole, l’humain, là où il pense, parle, et il parle toujours au nom d’un Autre qui lui donne la parole. C’est ainsi qu’Augustin explore les conditions du rapport au monde, à autrui et à soi comme connaissance structurée de façon ternaire : connaître le monde, connaître mon frère et me connaître est rendu possible par le Verbe qui est « la connaissance unie à l’amour », la « connaissance aimée ». La communion au Christ et la rencontre du Dieu Trinité sont à portée de voix : c’est dans sa parole même que l’humain se reçoit à l’image de Dieu. Le verbe intérieur n’est jamais séparé de la chair, il donne plutôt à la chair son principe de distanciation et d’humanisation. Entre le « je » et le « tu », il ne peut y avoir qu’un monde brut, matériel. La parole vient interrompre la brutalité du monde — à moins que ce ne soit, trop souvent, le monde de la brutalité qui vienne interrompre la parole : « […] tandis qu’il parlait encore, survient Judas, un des douze, et avec lui une foule avec des glaives et des bâtons […] » (Mc 14,43).

Illustrons ce « verbe nécessairement impliqué dans tout langage ». Ainsi, dans l’Évangile selon Luc : « Quiconque accueille cet enfant à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille, et quiconque m’accueille, accueille Celui qui m’a envoyé » (Lc 9,48).

Une première lecture peut facilement permettre de déceler une structure d’enchaînement « d’accueils » d’ordre ternaire, de l’enfant, à Jésus, jusqu’à Celui qui envoie. Il est possible d’en dégager une instance de validation des relations entre humains, comme dans la première Épître de Jean : « Si quelqu’un dit “J’aime Dieu”, et a de la haine pour son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4,20).

Cependant, le texte de Luc fait intervenir une autre variable, de l’ordre de l’énonciation : à cause de mon nom. Qu’ajoute le nom à la structure de l’accueil ? Ce nom appelle l’acte de nomination, la dénomination qui s’articule à l’accueil dans la chair : « Tu l’appelleras du nom de Jésus […]. Il sera appelé Fils du Très-Haut » (Lc 1,31‑32). Le texte établit l’acte de nommer en tant que prise en charge dans la parole du locuteur d’un projet donné à accueillir. Le Verbe advenant chair est cette Parole qui révèle à lui-même l’advenir d’humain dans et par la parole. Cette Parole révélatrice est bien la Parole trinitaire incarnée dans l’Église : c’est par elle que l’Église nomme et accueille « au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ».

IV. Le défi ecclésial pour la dogmatique

En fait, le défi ecclésial à relever pour la dogmatique consiste en l’arrimage de cette réflexion à l’action, qui s’exprimera par l’élaboration d’un projet d’Église alimenté par une théologie de l’incarnation, théologie dont la reconnaissance de la structure trinitaire initiera une mission évangélisatrice profondément humaine, humanisante, tenant compte de la ressemblance de la créature au mouvement interne du Créateur, ce qui transformera de l’intérieur le mode même de la relation au monde.

L’AEQ propose comme orientation fondamentale de la mission catéchétique de redécouvrir comment, par l’accueil du don de l’amour trinitaire et l’engagement à le faire fructifier, l’humain accède à sa véritable humanité. L’Église québécoise cherche à faire redécouvrir comment, en Jésus, par le don de l’Esprit, le Père communique sa propre vie et comment son amour vient habiter l’expérience humaine et la révéler à elle-même. L’invitation consiste à descendre dans tout acte de parole où brille le silence comme lieu d’écoute de la Parole donnée. Cette descente permet un mouvement intérieur qui cherche à retrouver le verbe qui s’y trouve. Cette descente dans la communion au Christ représente le trajet de la parole évangélisatrice qui, de son sein, pourra dire comment « le Verbe de Dieu, en prenant sur lui notre nature humaine, à l’exception du péché, manifeste le dessein du Père qui est de révéler à la personne humaine la manière d’arriver à la plénitude de sa vocation […]. Ce faisant, Jésus non seulement réconcilie l’homme avec Dieu mais il le réconcilie avec lui-même, en lui révélant sa nature[34] ».

La nature humaine portant la structure trinitaire, c’est donc en plongeant dans ce qui met cette structure en relief — en l’occurrence l’Écriture — que l’Église en communion — « si deux ou trois sont réunis en mon nom… » — parlera de Dieu et du Christ, avec les mots de son verbe intérieur.

L’Église icône de la Trinité est ce lieu de l’écoute de toute parole où se dit l’amour du Père par l’action de l’Esprit. Il est possible de s’y faire témoins de l’humanisation de l’autre à l’écoute commune de la Parole. Il est possible de se reconnaître frères dans un même mouvement de réception du don de l’Amour du Père.

Il est possible d’en dégager des implications pour l’éducation de la foi et pour l’exercice de la mission. En effet, si la mission de l’Église est incarnée, c’est-à‑dire ancrée dans des contextes singuliers, la condition de réception de cette Parole de Dieu n’est-elle pas de vivre dans la contemplation du don par le « Christ de sa propre chair qui est celle du Verbe — […] il se donne à nous dans sa chair, unissant sa chair à la nôtre, de façon qu’il soit en nous et nous en lui — de même qu’il est dans le Père et que le Père est en lui[35] » ?

Cette unité de lieux, cette imbrication des espaces de vie — de lui en nous, de nous en lui, du Christ dans le Père et du Père en Christ —, c’est cette communion d’Église — et cette diversité dans l’unité — toujours présente dans la foi, toujours à portée de voix si nous en reconnaissons la voie. Chaque parole peut la faire vivre, la faire résonner en toute situation, à tout instant. Là où deux ou trois parleront la Parole, laisseront la Parole faire parler leur parole, le Verbe de vie parlera, Dieu priera en eux. La « parole parlée » ne se réduit donc pas au seul acte de parole comme tel, mais à ce qui meut chacun dans sa chair en le tournant trinitairement vers l’autre, toute action portée par Dieu agissant par son Verbe en chacun. Le contexte de la société québécoise en est un où il y a à « redonner la parole aux gens. C’est en apprenant à dire leur foi à même leur expérience qu’ils vont la développer et en faire une réalité de leur vie concrète[36] ». Redonner la parole aux gens passe par ce chemin du Verbe fait chair en chacun : « cet axe du Verbe fait chair nous permet d’établir le fondement théologique et la cohérence de la formation à la vie chrétienne. De l’accueil de la Parole à la profession de foi qui s’exprime par l’engagement dans l’amour et la vie sacramentelle, une même trame est à l’oeuvre : le Verbe fait chair nous amène à témoigner par notre parole et notre chair transformée de l’oeuvre d’humanisation dans le Christ et par l’Esprit[37] ».

C’est de cette vie, de cette naissance à la vie du verbe, intérieur — humain et ecclésial —, que surgira une parole sur Dieu et sur le Christ. C’est par la dimension dénominative de la filiation qu’est possible la naissance en tant que fils et filles de Dieu et que se réalise le témoignage de cet état de fait. Parce que le verbe émerge par et dans la chair, c’est ainsi par et dans la chair que se fait la reconnaissance d’être semblables à Dieu, non en tant qu’objets mais en tant que sujets en position d’énonciation. Cette énonciation qui résulte de l’étreinte — de la « connaissance aimée » — éprouvée par la manifestation intérieure de la Parole, permet d’inscrire toute parole dans une perspective d’humanisation des personnes et de la société. C’est en cela que le témoignage, puisque c’est bien cela dont il est question, imprégnera la dogmatique de sa structure trinitaire, jadis, toujours et encore actualisée par l’incarnation du Verbe. C’est de cette manière que s’exprimera le Verbe dans la chair.

Jésus Christ ne fait qu’un homme, qui a tête et corps ; le Sauveur du corps et les membres du corps sont deux en une seule chair, et en une seule voix, et, quand sera passée l’iniquité, en un seul repos.

Augustin