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Même si le terme érotisme ne date que de 1794, selon le Petit Robert, la chose est aussi vieille que l’espèce humaine ! Comme le rappelle avec justesse l’auteur dans son Introduction : « Ce qui intéresse l’expression érotique, ce n’est point la réalité physique du sexe, mais la signification attribuée au sexe dans l’imagination des peuples. Et l’inconscient collectif trouve là un domaine où il peut donner libre cours à sa créativité, érotisant jusqu’aux vocables les plus neutres (en français : affaire, chose, faire, etc. ; en anglais >: affair, do, thing, etc.) » D’où le titre de l’ouvrage ! Il suffit de parcourir les rues de n’importe quelle ville pour voir, et même parfois admirer l’exquise subtilité érotique des affiches publicitaires mettant en relief des vêtements ou divers accessoires ou tout simplement des voitures. Les jugements sagaces des publicitaires savent que l’érotisme est « bon vendeur » ! Bien sûr, la mince limite entre l’érotisme et la pornographie est parfois franchie.

L’ouvrage présenté ici n’est pas un traité d’érotisme, mais une étude linguistique de ce champ lexical mettant en lumière le développement de la créativité lexicale et la comparant à celle de l’anglais. Bien entendu, une très grande partie des mots et expressions cités relève, comme on pouvait s’en douter, d’une langue que l’on qualifie de non conventionnelle. Mais sans nul doute, on y trouvera les mots qu’on voulait connaître mais sans jamais avoir osé les demander !

Le livre comporte deux grandes parties : 1) Les mots et les choses (p. 11 à 217) et 2) le dictionnaire (p. 220 à 444). La première partie est répartie en huit grands centres d’intérêt, soit les protagonistes, les instruments anatomiques, l’acte sexuel, le tableau physiologique, les déviances, la prostitution, les avatars, le mariage, le concubinage, le cocuage. Chaque secteur énumère les mots en français et en anglais qui se rapportent au thème en donnant leur datation. La deuxième partie recense le lexique français par ordre alphabétique avec sa datation, et précise le sens des entrées par un équivalent ou une explication ; le lexique anglais suit, également avec une datation, et avec les explications en français. L’ouvrage se termine par une bibliographie de 35 titres recensant les ouvrages parus de 1752 à 1999 sur le même thème, ou avoisinant.

Chaque centre d’intérêt comporte plusieurs thèmes spécifiques où l’on trouve les mots qui s’y rapportent. Chaque thème est suivi d’un commentaire apportant diverses explications et comparaisons. C’est ainsi que dans le thème portant sur l’amant, l’auteur, devant la richesse lexicale du français (29 termes) et l’indigence de anglais (8 termes), même s’il y a quelques coïncidences de typologie de dénomination, qui sont d’ailleurs explicitées, l’auteur se demande si les situations auxquelles s’appliquent les termes sont plus développées ou plus rares dans un pays ou dans l’autre. La richesse des dénominations est variable d’un thème à un autre et également selon les langues. Ainsi, le recensement des dénominations des organes sexuels, masculins et féminins ou encore faire la chose, connaît un développement synonymique métaphorique faramineux et relativement semblable dans les deux langues. Le sexe de la femme est linguistiquement « souvent l’image miroir » du sexe masculin ! Dans certains cas, l’imaginaire français s’appuyant sur les fruits, les fleurs, les légumes ou les confiseries se charge d’une subtile et extraordinaire richesse lexicale qui est nettement supérieure à celle de l’anglais qui semble négliger ces mêmes métaphores ! Peut-on faire des rapprochements liés à l’art culinaire et aux plaisirs de la table ? On peut du moins s’interroger !

Comme on pouvait s’y attendre, le domaine traité par ce dictionnaire montre à l’envi que la métaphorisation est, là aussi et là encore et depuis toujours, un secteur de création lexicale quasi illimité. Citons pour ceux qui pourraient en douter : « faire une descente à la cave ; to dive for pearls ; le coup de pied de Vénus/ Venus’s curse ; assaisonné/ pickled ; mariage de la main gauche/ married over the broomstick, etc. ».

On doit féliciter l’auteur de cet énorme travail de compilation et d’explicitation, fait avec grand art, où les diverses couches lexicales historiques s’enrichissent, se renouvellent, se complètent, se développent, se recréent ou se modifient et montrent ainsi à l’unisson les richesses extraordinaires de la créativité lexicale par des ressemblances d’une langue à l’autre, mais aussi par des divergences d’inspiration. La richesse des langues est variable non seulement selon les domaines, mais encore selon les thèmes qui en dépendent. La comparaison des langues est développement de la connaissance de sa propre langue. Comme le faisait remarquer avec justesse Goethe : celui qui ne connaît pas de langue étrangère, ne sait rien de la sienne !

C’est un ouvrage à acquérir : il est riche et instructif lexicalement, et traite un sujet qui ne laisse sans doute que peu de gens indifférents.