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1. Introduction

Dans le cadre de la théorie métrique-autosegmentale (Ladd 1996), les mouvements apparents de la courbe de fréquence fondamentale (F0 ) sont analysés comme étant la manifestation phonétique d’autosegments Bas ou Hauts appelés tons. Les cibles fréquentielles que ces unités phonologiques discrètes déterminent sont reliées entre elles par interpolation phonétique. L’alternance de montées et de descentes de F0 caractéristique des contours intonatifs des langues dites à intonation (Cruttenden 1997) se décrit alors par la réalisation de suites tonales ...B H B H... La distribution de ces autosegments dans un énoncé dépend quant à elle des propriétés prosodiques de la langue (découpage en domaines prosodiques par exemple) ainsi que de ses propriétés accentuelles (distribution des syllabes accentuées, ou «stressed»). Des considérations pragmatiques viennent compléter l’ensemble des mécanismes garantissant la réalisation d’un contour intonatif bien formé (Selkirk 1995). Un problème récurrent auquel est confronté ce cadre d’analyse de l’intonation est la représentation des contours plats, c’est-à-dire qui ne montrent pas d’alternance montées-descentes de F0 (Poiré 1999). Les tons moyens étant exclus de l’inventaire tonal possible (Pierrehumbert 1980), ces contours plats doivent être représentés à l’aide des mêmes autosegments B ou H. Dans ce cadre particulier, l’absence de modulation prononcée de ces contours plats découle d’un mode d’association à la structure prosodique différent. On dira que ces autosegments flottent à l’intérieur d’un domaine prosodique particulier, habituellement appelé domaine ou syntagme intermédiaire (Grice et coll. 2000), ou qu’ils sont librement associés à l’intérieur de l’un de ces domaines.

Nous présentons un cas de contour initial plat propre à l’interrogation totale en français qui se représente difficilement à l’aide d’un autosegment librement réalisé dans un domaine prosodique intermédiaire. Ce contour est caractérisé par une F0 basse relativement stable en début d’énoncé et qui augmente brusquement sur la dernière syllabe. Nous proposons l’hypothèse que ce contour plat initial est plutôt la conséquence du passage des valeurs initiales par défaut (vid) de F0 au premier autosegment B réalisé dans ce type d’énoncés. Nous discutons ensuite les conséquences de cette interaction entre composantes phonétique et phonologique de la langue. Nous présentons dans un premier temps le cadre général de description de l’intonation dans lequel nous développons notre analyse. Nous poursuivons avec le traitement des contours plats dans ce cadre puis avec celui qui est particulier au français. Nous introduisons finalement notre analyse du contour de l’intonation de l’interrogation totale et en discutons les conséquences pour la théorie générale de l’intonation.

2. Le traitement des contours plats en phonologie métrique-autosegmentale

2.1 Le cadre d’analyse

En suivant Pierrehumbert 1980, les tons Bas ou Hauts sont tous de même nature et ne se distinguent que par leur mode d’association au texte. Cette distinction se représente à l’aide de diacritiques. Ainsi, un ton-accent associé à une syllabe dite accentuée («stressed») sera noté T* tandis qu’un ton marquant la frontière du domaine prosodique propre à la réalisation d’un contour intonatif (le syntagme intonatif, ou si) sera noté T%. Certaines modulations survenant localement sont décrites à l’aide de tons complexes (H*+B ou H+B* ) qui se distinguent des suites tonales simples (H*...B ou H...B* ) de par leurs réalisations temporelles.

La figure suivante illustre de manière schématique l’association au texte d’un ton H* et d’un ton B%, et la réalisation phonétique correspondante. Le H* lié à une syllabe accentuée (pour des raisons structurales ou pragmatiques) se traduit phonétiquement par une montée de F0 tandis que le B% marquant la fin d’un si fait redescendre la fréquence fondamentale à des valeurs basses.

Fig. 1

Contour intonatif stylisé montrant la réalisation d’une suite tonale H* B%

Contour intonatif stylisé montrant la réalisation d’une suite tonale H* B%

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La proéminence relative des tons-accents est déterminée à l’aide d’un arbre prosodique ou d’une grille métrique (Ladd 1996) qui reflète les propriétés syntaxiques, sémantiques et informatives d’un énoncé particulier. Les autosegments introduits dans un contour doivent respecter le principe d’alternance universel des tons Bas et Hauts (souvent appelé principe de contour obligatoire, pco), comme le propose Sosa 1999.

L’analyse et la représentation de l’intonation sont intimement liées à la description générale des phénomènes prosodiques des langues naturelles. Selkirk 1984 pose par exemple la question de la nécessité et de la justification de domaines intermédiaires entre la syllabe (domaine du ton-accent) et le Syntagme Intonatif (domaine du ton de frontière). Nespor et Vogel 1986 répondent par l’affirmative en proposant une hiérarchie de domaines (syllabe, pied, mot phonologique, groupe clitique, syntagme intermédiaire, syntagme intonatif, énoncé) motivés par des phénomènes tant prosodiques que segmentaux. Peu importe l’analyse retenue, le domaine du contour intonatif demeure une unité de référence incontournable quand vient le temps de décrire la prosodie d’une langue.

La section suivante introduit le ton T- et son domaine d’association.

2.2 Contours plats, ton T- et domaines intermédiaires

Dans un cadre autosegmental de l’intonation, il existe au moins deux manières de concevoir un contour plat ou un plateau. Premièrement, la portion plate du contour peut être vue comme le résultat d’une désaccentuation causée par la combinaison de caractéristiques structurales et pragmatiques de l’énoncé en jeu. Par exemple, la réalisation d’un ton H* à valeur focale contrastive en début d’énoncé en français a pour conséquence la non-réalisation des autres tonsH*, ce qui entraîne la production d’un contour plat (Poiré 1999). Expliquer le caractère monotone du contour revient alors à expliquer le phénomène de désaccentuation lui-même. Une autre approche consiste à exprimer les parties plates ou les plateaux fréquentiels par la réalisation phonétique d’autosegments particuliers. Il peut s’agir, dans le cas d’un plateau haut, d’un ton-accent H* qui se propage sur plusieurs syllabes (Ladd 1996), ou bien d’un ton inassocié responsable de l’orientation générale de la courbe de F0 (Pierrehumbert 1980).

Bruce 1977, dans son analyse du suédois, a été le premier à introduire dans un modèle autosegmental de l’intonation un ton flottant (noté ultérieurement T-) afin de rendre compte de mouvements de F0 ne pouvant être reliés ni à une association à une syllabe particulière, ni à une frontière de domaine précise. La figure 2 illustre une telle situation de manière schématisée.

Fig. 2

Contour intonatif stylisé montrant la réalisation d’une suite tonale H* H- B%

Contour intonatif stylisé montrant la réalisation d’une suite tonale H* H- B%

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La courbe de F0 de cette figure serait identique à celle de la figure 1 si ce n’était du petit plateau fréquentiel observé entre le sommet propre au ton H* et la fin basse causée par le ton B%. Ce plateau serait la conséquence de la réalisation d’un ton flottant, c’est-à-dire qui n’est associé ni à une syllabe accentuée ni à une frontière de domaine prosodique. Ce ton T- est repris dans la description de l’intonation de l’anglais par Pierrehumbert 1980 afin de rendre compte de phénomènes similaires à ceux du suédois. Elle utilise ce «phrasal accent» afin de décrire certains contrastes impliquant des fins de contours montants ou plats.

On retrouve une interprétation différente du rôle du ton T- dans Pierrehumbert et Beckman 1988. Dans cette étude de l’intonation du japonais, ces auteurs démontrent que la déclinaison dans cette langue se calcule en référence à deux domaines prosodiques: une tendance générale propre au si et des tendances plus locales calculées relativement à des sous-domaines de ce domaine. Les auteurs postulent donc un domaine intermédiaire auquel s’associe un ton B-.

Le domaine d’association de ce ton T- est habituellement appelé intermédiaire en ce sens que, dans une hiérarchie de domaines prosodiques impliqués dans la réalisation de l’intonation, il se situe entre le domaine supérieur de la hiérarchie (le syntagme intonatif), domaine de la réalisation du ton de frontière T%, et le domaine de réalisation du ton-accent T*, qu’on nomme souvent le syntagme accentuel.

Le statut ambigu du T- peut se résumer par une question simple : le ton T- a-t-il son propre domaine de réalisation?

La réponse affirmative implique un domaine de réalisation propre à ce ton (1a) tandis que rien ne justifie un tel domaine si la réponse est négative. Il appartient alors au domaine du T* (1b).

Une étude récente (Grice et coll. 2000) passe en revue le statut de ce ton T- et de son domaine d’association dans plusieurs langues européennes: grec, roumain, hongrois et allemand. Ces auteurs concluent à la pertinence d’un tel ton dans la phonologie de ces langues sans parvenir à déterminer si sa réalisation est la manifestation d’un domaine intermédiaire ou s’il s’agit d’une association secondaire à l’intérieur du si.

S’il semble difficile actuellement de justifier un domaine particulier de réalisation du ton T-, ses propriétés distributionnelles font quant à elles l’objet d’un solide consensus, que nous résumons en (2).

Le ton T- a récemment été introduit dans la description de l’intonation du français, ce qui constitue le propos de la section suivante.

3. Les contours plats en français et la description de l’intonation

3.1 Les particularités prosodiques du français

La principale caractéristique prosodique unanimement reconnue dans la documentation a trait à la nature syntagmatique de l’accent en français (Di Cristo 1999, 2000). En clair, la dernière syllabe d’un groupe est accentuée et porte la montée ou la descente de F0 associée à cet accent. En termes intonatifs, ce syntagme est le domaine de réalisation du contour, que ce dernier soit considéré comme un tout (Rossi 1981) ou comme la somme d’un certain nombre d’autosegments (Jun et Fougeron 2000). Il est aussi souvent proposé (Beckman 1986, Rossi 1981) que l’accent français n’a qu’une valeur démarcative, c’est-à-dire qu’il ne sert qu’à délimiter les constituants prosodiques de l’énoncé sans réellement participer à la transmission de la structure intentionnelle ou informative. Cette caractéristique a notamment été remise en cause par Dell 1984 sur la base de la distribution du e muet final, qui est extratonal en ce sens qu’il se présente après le dernier ton du domaine tout en faisant partie de ce domaine.

L’intonation en français a aussi une valeur grammaticale et sert à distinguer entre autres l’énoncé déclaratif de l’énoncé interrogatif (voir section 4.1).

3.2 Le modèle de Jun et Fougeron

La nature syntagmatique de l’accent français a été formalisée dans le modèle de Jun et Fougeron 1995. Pour ces auteures, les manifestations de surface de l’intonation française, abondamment décrites comme une suite de montée-descente-montée de F0 , s’expliquent par l’association d’une séquence tonale sous-jacente BHBH à un domaine égal ou plus grand que le mot, soit le syntagme accentuel (sa). Le dernier ton H de la séquence se réalise habituellement sur la dernière syllabe du domaine tandis que les autres tons se répartissent sur la durée restante du sa. Le premier ton H se réalise sur la première ou la seconde syllabe et a souvent été appelé «accent secondaire» (Di Cristo 1999).

Ce modèle développé à partir d’un corpus d’énoncés déclaratifs neutres lus a été remanié (Jun et Fougeron 2000) par l’introduction de conditions de focalisation réalisée tant dans des énoncés déclaratifs qu’interrogatifs. Des tons de frontière H% sont introduits dans le modèle afin de rendre compte des contours intonatifs des énoncés interrogatifs. Ces tons sont associés au syntagme intonatif. Mais la différence la plus importante que montre la dernière version de leur modèle réside dans l’introduction d’un niveau prosodique intermédiaire: le petit syntagme intonatif (si). Il est utilisé principalement afin de décrire les contours plats observables dans la seconde partie des énoncés à structure simple (4a-b) ou complexe (4c-e).

Les structures en (4) présentent le contour schématisé de la figure 3.

Fig. 3

Contour intonatif stylisé montrant la désaccentuation postfocale (contour plat)

Contour intonatif stylisé montrant la désaccentuation postfocale (contour plat)

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Le principal argument empirique autre qu’intonatif justifiant ce domaine intermédiaire est que ces contours plats, tout en étant désaccentués (la séquence BHBH ne se réalise pas), montrent les mêmes propriétés temporelles que les contours accentués. Il n’y a donc aucune marque de découpage prosodique qui les distingue des énoncés déclaratifs neutres, par exemple (énoncés lus). Le petit syntagme intonatif est le domaine d’un ton T- qui ne s’associe à aucune syllabe particulière et qui se réalise avant le ton de frontière (généralement B%) marquant la fin du grand si.

Les auteures vont aussi utiliser ce ton pour les plateaux des interrogatives à palier et pour certains clichés mélodiques.

4. L’interrogation totale en français et l’hypothèse des valeurs initiales par défaut (vid)

4.1 L’interrogation totale en français

L’interrogation totale en français se présente sous deux contours intonatifs. Le premier, dit à paliers, montre un ou plusieurs plateaux réalisés au milieu du registre du locuteur. La figure suivante illustre ce type de contour.

Fig. 4

Contour stylisé à paliers (interrogation totale)

Contour stylisé à paliers (interrogation totale)

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Jun et Fougeron 2000 analysent ces plateaux comme des domaines intermédiaires auxquels sont associés des tons H-. L’énoncé de la figure 4 aurait ainsi la représentation suivante:

Le second type de contour débute par un long plateau aux valeurs de F0 assez basses et se termine par une brusque montée sur la dernière syllabe de l’énoncé. Il faut souligner ici que le plateau initial est souvent précédé d’une petite montée de F0 perceptible à l’audition (Poiré 1999). Nous y reviendrons dans la section suivante.

4.2 Les contours interrogatifs et les valeurs initiales par défaut (vid)

Le contour intonatif des interrogations totales à plateau initial prend la forme générale de la figure 5.

Fig. 5

Contour stylisé montrant un plateau initial (interrogation totale)

Contour stylisé montrant un plateau initial (interrogation totale)

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Selon l’analyse des plateaux présentée dans les sections précédentes, la représentation phonologique de ce contour devrait être celle en (6), le ton B- étant responsable de la partie sans modulation du contour.

Le premier ton B- est responsable de la partie plate du contour tandis que la montée finale est causée par le ton H. Cette représentation va à l’encontre de la distribution des T- vue à la section 2.2: le B- ne suit pas un ton-accent T*. De plus, au lieu de montrer le caractère flottant typique des tons T-, l’autosegment responsable de cette montée est toujours réalisé sur une syllabe précise (la dernière du premier constituant majeur). On ne relève d’ailleurs dans la documentation aucune mention de domaine intermédiaire en début d’énoncé. Il semble que ce type de domaine soit dépendant d’un domaine plus grand ou d’une configuration tonale particulière.

Un autre problème soulevé par ce type de contour est lié à la petite montée initiale déjà signalée à la section précédente et qui est souvent perceptible. En effet, la durée de cette montée initiale est habituellement proportionnelle au nombre de syllabes composant le premier constituant majeur de l’énoncé (Poiré 1999). Par exemple, dans les phrases en (7), la durée de cette montée augmente selon le nombre de syllabes du verbe (la montée se terminant sur le pronom inversé).

Si cette montée est causée par la présence d’un ton H, deux représentations possibles sont disponibles (8). Les deux posent problème en ce sens que la mélodie tonale serait exclusivement formée d’autosegments hauts, ce qui va à l’encontre du principe de contour obligatoire, qui exige une alternance entre les Bas et les Hauts. De plus, en (8b), la montée ne présente pas les attributs physiques d’un H* (montée plus ou moins abrupte vers un sommet fréquentiel habituellement suivie d’une descente vers les valeurs stables du contour). (8a) présente quant à elle les mêmes problèmes distributionnels que la représentation B- H en (6).

Un dernier problème relatif aux représentations en (8) concerne la nécessité de distinguer les deux types de contour interrogatif en français. Le premier sommet fréquentiel de la figure 4 se réalise sur la même syllabe que la fin de la montée initiale des questions à contour plat (figure 5). En d’autres mots, s’il s’agit dans les deux cas d’autosegments hauts, comment seront-ils distingués?

Outre la représentation du plateau lui-même, il faut aussi tenir compte de l’origine de cette montée initiale. Doit-on lui attribuer une spécification tonale (un B) similaire à celle du modèle de Jun et Fougeron 2000 appliqué aux énoncés déclaratifs (voir section 3.2)? Nous proposons que le contour de l’interrogative à plateau initial est en fait formé de la suite B H et que la montée initiale de F0 est une conséquence de la réalisation phonétique de cette suite.

Nous avons déjà proposé que la représentation tonale de l’interrogation totale en français est minimalement un ton H associé à la frontière droite du dernier constituant majeur de l’énoncé (Poiré 1999). Ce ton peut apparaître à toutes les frontières majeures dans le cas des énoncés à paliers. Une grammaire tonale du français comporte au moins les deux représentations suivantes:

La présence d’un ton B en (9b) découle d’un principe général de la phonologie autosegmentale voulant que les autosegments B H alternent et coexistent afin de donner un contour bien formé. Ce principe, jamais explicitement formulé dans les travaux (sauf pour le pco, qui régit l’alternance des autosegments), correspond à l’idée qu’un contour comprend minimalement un B et un H. La distribution de ces tons tout au long de l’énoncé dépend quant à elle des règles d’association ton / texte de la langue (Ladd 1996). Ainsi, dans le cas de l’énoncé déclaratif, la suite tonale doit être réalisée à l’intérieur de son domaine d’association, qui est le syntagme accentuel (sa). Ce domaine prosodique est formé de syllabes qui constituent les unités porteuses de ton (10a). Le domaine d’association du ton H de l’interrogative est l’énoncé lui-même, formé de sa. Ce domaine prosodique devient donc à son tour une unité porteuse de ton pour la réalisation du contour interrogatif (10b).

En termes prosodiques, cette analyse repose sur une hiérarchie de domaines semblable à celle proposée par Nespor et Vogel 1986 comportant au moins trois unités prosodiques: la syllabe, le sa et l’énoncé, les deux premières formant l’unité interne du constituant supérieur.

Le contour des énoncés de (7), repris ici en (11), se dérive alors ainsi: dans un premier temps, le ton H exprimant la modalité interrogative est associé à la frontière du dernier constituant majeur. Puis, un ton B est introduit dans le contour afin de respecter le principe d’alternance des autosegments. Il est associé phonologiquement à la frontière du constituant veut-il et phonétiquement aligné (Ladd 1996) à la dernière syllabe de ce domaine.

Selon cette analyse, la première unité potentiellement porteuse de ton est la première frontière droite de constituant majeur à laquelle est associé un ton B. Ce dernier constitue donc la cible de la montée initiale observable dans ce type de contour. Nous proposons que l’origine de cette montée n’est pas liée à la représentation tonale, mais dépend des valeurs de F0 à partir desquelles chaque locuteur développe ses contours intonatifs dans son propre registre. Nous les appelons «valeurs initiales par défaut» (vid) en ce sens que, si aucune spécification tonale particulière ne doit être réalisée en tout début d’énoncé (un H initial par exemple), le contour commencera par ces valeurs. Dans le cas des énoncés déclaratifs, le premier autosegment B de la suite tonale BHBH prend ces valeurs, et la F0 des autres B de l’énoncé est calculée relativement à ces vid (Poiré 1999). La montée initiale observée au début des contours interrogatifs plats découle donc du passage de ces vid au premier autosegment B réalisé à la fin du premier sa.

4.3 Conséquences pour la représentation des interrogations totales en français

Le même énoncé peut être produit avec un contour à paliers (figure 4), c’est-à-dire avec un ton H associé à chaque frontière interne de sa. Le principe d’alternance force alors l’introduction de tons B entre ces autosegments hauts (12).

Cette représentation diffère complètement de celle de Jun et Fougeron 2000, qui associent à ces paliers des tons H-.

La représentation des paliers propres à ce type de contour par des autosegments bas n’est pas sans conséquences. La plus importante a trait à la valeur des autosegments B ou H relativement au registre d’un locuteur donné. Si le cadre d’analyse de l’intonation développé par Pierrehumbert 1980 n’attribue aucune valeur absolue de F0 aux tons, il n’en demeure pas moins qu’à un ton bas correspondent habituellement des valeurs de F0 propres à la partie inférieure du registre. Notre analyse demandera donc un examen poussé des liens entre registre et valeurs relatives des autosegments.

5. Conclusion : un paradoxe

Nous avons présenté une analyse des contours plats initiaux rencontrés dans la réalisation de certaines interrogatives totales en français. Trois conséquences en découlent. La première veut qu’un T- soit impossible en début d’énoncé. Une explication possible est que, tout comme les constituants parenthétiques, le syntagme intermédiaire auquel est associé ce T- est dépendant structuralement du corps principal de l’énoncé (Ladd 1986). Son contour doit se définir relativement au contour général de l’énoncé. La seconde a trait à la représentation des plateaux des interrogatives à palier. En étiquetant ces plateaux à l’aide du ton B- dans une séquence H B- H B- H, l’analyse ouvre la porte à une modification de la théorie métrique-autosegmentale en ce sens que des évènements fréquentiels réalisés dans la partie haute du registre du locuteur reçoivent une représentation tonale basse. Une telle proposition demande que la notion de registre soit revue. La troisième et dernière conséquence, non étrangère à la seconde, prend la forme d’un paradoxe: le passage des vid à une première cible fréquentielle basse signifie que la fréquence fondamentale augmente afin d’atteindre une cible basse. Il s’agit ici de revoir la valeur relative des évènements fréquentiels et leurs liens aux autosegments qui y sont associés.