Corps de l’article

Ce livre de Serge Laurin présente les 150 ans d’histoire de la Ville de Sainte-Agathe-des-Monts. Il s’agit d’une commande de recherche provenant du Comité du patrimoine de cette ville des Laurentides, afin de l’alimenter dans son travail de mise en valeur du patrimoine et de diffusion de l’histoire. Le comité souhaitait une synthèse scientifique et accessible à tous de l’histoire économique, sociale et politique de la ville depuis 1849, dont le texte combinerait la rigueur de l’historien professionnel et les faits de type anecdotique. Afin de mener à bien ce projet de créer cet outil de référence de qualité sur l’histoire de Sainte-Agathe-des-Monts, le comité a retenu les services de l’historien professionnel Serge Laurin, pour son expérience et son expertise sur l’histoire des Laurentides, sa crédibilité et sa neutralité devant les faits historiques (p. xv). Rappelons que Serge Laurin a publié notamment Histoire des Laurentides (Québec, IQRC, 1989 et Rouge, Bleu : la saga des Prévost et des Nantel. Chronique d’un siècle d’histoire politique dans la région des Laurentides (Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1999).

L’ouvrage se situe dans le courant de la nouvelle histoire locale et régionale qui, depuis les années 1980, vise à réécrire l’histoire des régions et des localités québécoises. Il s’inscrit également dans un autre courant historiographique, celui de l’histoire publique[1]. Résumée rapidement, une des caractéristiques de l’histoire publique réside dans l’étroite collaboration entre l’historien professionnel et un comité du milieu de la diffusion de l’histoire et du patrimoine. Dans ce cas-ci, Serge Laurin a proposé l’approche générale et le plan de travail de cette synthèse qui se veut une monographie historique au récit rigoureux et palpitant, en rupture avec les ouvrages commémoratifs traditionnels axés sur des listes de personnages et de dates (p. 1-2). Cette collaboration entre Serge Laurin et le Comité du patrimoine de Sainte-Agathe-des-Monts s’avère, à mon avis, une réussite comme en témoigne cette intéressante monographie d’histoire locale sur la ville.

Le texte se divise en cinq parties représentant les principales étapes de l’histoire de cette ville. La première relate l’époque des pionniers et la fondation de ce village, de 1849 à 1892. Il y est question de la première phase de la colonisation du territoire que deviendra Sainte-Agathe-des-Monts, des motifs des colons et de leurs misères. La deuxième partie traite de la période allant de 1892 à 1915, caractérisée par l’arrivée du chemin de fer qui entraîne la diversification de l’économie locale, la montée du tourisme, l’arrivée d’anglo-protestants et l’établissement d’une colonie juive. La troisième partie aborde l’entre-deux-guerres, les années folles et la crise économique, 1915-1947. C’est à cette époque que Sainte-Agathe-des-Monts s’affirme dans son rôle de capitale régionale du tourisme, grâce à ses stations de ski et son carnaval d’hiver. Elle est d’ailleurs surnommée la Saint-Morritz du Nord. La quatrième partie, intitulée Sous le règne de monsieur Carnaval 1947-1976, fait ressortir le déclin du secteur touristique et l’adoption d’une solution de rechange pour assurer le développement économique, en l’occurrence l’industrialisation de la localité par l’ouverture d’industries de tapis. Toutefois, cette aventure, si l’on peut dire, sera de courte durée. Cela nous conduit à la cinquième et dernière partie de l’ouvrage, Et maintenant, traitant des années récentes. Il en ressort que les divers intervenants se positionnent pour l’avenir, après le constat de l’échec de l’industrialisation et l’impossibilité de reconquérir le titre de capitale régionale du tourisme. Ainsi, entre 1976 et 2002, Sainte-Agathe-des-Monts maintient son rôle historique de pôle de santé des Laurentides et de capitale sous-régionale institutionnelle et commerciale. On mise désormais sur le développement de la villégiaturbanisation, phénomène axé sur le développement d’un endroit de villégiature, la conservation du milieu physique, la concentration des services et l’ouverture à de nouvelles clientèles dont les nouveaux retraités, les travailleurs autonomes et les jeunes.

Serge Laurin atteint un large auditoire allant du spécialiste à l’amateur d’histoire. Le texte est d’une lecture agréable. On retrouve de nombreuses notes de bas de page, ce qui contraste avec ce genre d’édition où les références sont placées à la fin, quand elles ne sont tout simplement pas omises. Laurin a utilisé des sources manuscrites et imprimées variées, en plus de recourir à l’historiographie nationale, régionale et locale. De nombreuses photos, plusieurs encadrés et quelques cartes réjouiront les amateurs d’histoire. À la fin, on retrouve des Repères chronologiques, fort intéressants, ainsi que l’évolution de la population et la liste des maires en annexes. Ce livre s’adresse, bien entendu, aux résidants passés et actuels de Sainte-Agathe-des-Monts, mais également aux amateurs d’histoire locale et régionale des Laurentides et d’ailleurs. L’ensemble est un heureux mélange d’analyse historique et de récits anecdotiques sur l’histoire et les personnages de la localité. Comme il s’agit d’une monographie d’histoire locale, on retrouve beaucoup d’information sur les membres de l’élite agathoise, même si les autres aspects de l’histoire y occupent une place importante. Par contre, l’auteur ne se gêne pas pour critiquer les comportements de l’élite, ou encore pour mettre au jour les nombreux conflits survenus dans les localités au fil des ans.

Toutefois, relevons quelques faiblesses. Il aurait été intéressant d’y lire au moins quelques phrases sur la présence amérindienne dans la région, avant la « colonisation » du territoire par les Blancs. On y fait une très vague allusion dans un encadré (p. 19), mais cela se révèle insuffisant pour nuancer la vision traditionnelle de l’occupation d’un territoire inhabité par les colons-agriculteurs. Par ailleurs, la carte de la page 11, intitulée Avancement du peuplement 1849-1861, aurait pu être plus précise ou encore précédée d’une carte actuelle de la région des Laurentides situant les villes et villages dont Sainte-Agathe-des-Monts. Cela permettrait aux lecteurs de l’extérieur de la région de mieux visualiser l’action historique, notamment à propos des revendications de Sainte-Agathe-des-Monts pour obtenir le siège du district judiciaire (p. 68-70) et le siège épiscopal pour le Nord (p. 47-46). Également, l’explication du mouvement de colonisation aurait gagné en précision si l’auteur avait insisté davantage sur les motivations des colons à émigrer vers de nouvelles régions, au Québec ou ailleurs (p. 20), au lieu de mettre l’accent sur le discours clérical comme moyen de canaliser le vieux réflexe de nomade des Canadiens français et le rôle de l’élite dans le mouvement de colonisation (p. 16-19). Les travaux de Gérard Bouchard (1996) démontrent bien que les familles émigrent vers d’autres régions québécoises pour assurer leur reproduction, et que les beaux discours du clergé et de l’élite n’ont que peu d’impact sur leur décision de s’établir ailleurs. On peut également s’interroger sur le choix éditorial d’insister autant sur l’élite de Sainte-Agathe-des-Monts, même si l’auteur se fait assez critique à son sujet. Dans ce sens, Serge Laurin reste fidèle à l’histoire locale traditionnelle en proposant l’histoire de l’élite, tout en s’en démarquant par une vision sociale et critique.

Somme toute, il s’agit d’un livre commémoratif fort bien réussi. Le but de l’auteur et du comité de produire une histoire moderne de Sainte-Agathe-des-Monts a été atteint. Les Agathois peuvent s’enorgueillir de posséder un tel livre sur l’histoire de leur localité. Il demeurera d’actualité et pertinent de nombreuses années. De plus, ce livre a une portée pratique puisqu’il alimentera le Comité du patrimoine dans son travail de mise en valeur de l’histoire et du patrimoine et qu’il fera revivre les moments forts du passé aux jeunes comme aux plus vieux. C’est la preuve qu’il est possible pour un historien professionnel de collaborer avec le comité du milieu afin de produire un document rigoureux sur le plan de la méthode et accessible au grand public. Il reste à espérer que cet ouvrage servira de modèle dans la rédaction de livres commémoratifs dans d’autres régions et localités du Québec et d’ailleurs.