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Ce livre réunit trois conférences (ainsi que des échanges) tenues sous les auspices de la Fondation La Fontaine-Baldwin. Les conférenciers sont des personnages publics connus et respectés dans les milieux politiques canadiens. Le titre de la plaquette est ambitieux. Le thème retenu, la démocratie, est hélas abordé superficiellement. L’idée derrière le livre est néanmoins intéressante. Peut-être inspirera-t-elle dans le futur d’autres entreprises similaires. Le dialogue est un exercice à la mode en cette époque qui se dit citoyenne.

Dans une préface nuancée, André Pratte résume les trois impératifs soulevés par les conférenciers pour renforcer la démocratie canadienne : 1) désuniformisation de la culture politique ; 2) décentralisation des structures ; 3) décrispation du débat public. Pratte déplore que les politiciens n’assurent plus de leadership politique, préférant se faire les porte-voix des fonctionnaires ou du Bureau du Premier ministre : « Ils passent bien plus de temps à des soupers spaghetti qu’à préparer leur travail législatif » (p. 12). La crispation du débat public mine selon lui l’idée du Canada. Cette dernière considère le débat et le compromis comme des vertus.

Les trois conférences sont introduites par un texte de Rudyard Griffiths, qui propose une lecture idéaliste de la création du régime de 1867. Les pères fondateurs, selon lui, n’étaient ni des opportunistes ni des coquins, mais des hommes épris d’une grande vision politique. Il s’agit moins d’une question de faits historiques que de santé nationale : « cette idée reçue voulant que l’opportunisme et l’intérêt personnel aient défini l’évolution du Canada dans son passage de l’état d’oligarchie coloniale à celui de communauté démocratique est néfaste pour notre mémoire collective ainsi que pour le discours civique actuel » (p. 22). Les passages sur les années 1840 sont irrecevables. D’abord, il n’y avait pas de mouvement sécessionniste au Bas-Canada durant cette décennie. Ensuite, les réformistes n’étaient pas tous derrière La Fontaine. Enfin, ce dernier n’était pas opposé au patronage. Il voulait plutôt l’enlever des mains du gouverneur pour le concentrer dans les mains du Premier ministre. Tout au long du livre, Griffiths s’avère un piètre animateur intellectuel. En interpellant constamment Saul par l’expression « votre excellence », il nous rappelle que la démocratie canadienne est restée nostalgique du lustre impérial d’autrefois.

La conférence de John Saul est aussi décevante. Selon lui, la démocratie canadienne devrait se nourrir à la mémoire collective. L’événement central de l’histoire canadienne serait l’alliance Baldwin-La Fontaine, qui a mené au triomphe du gouvernement responsable. Cette thèse, déjà énoncée dans Les frères siamois, est cependant nuancée. Depuis la publication de ce livre, Saul semble s’être aperçu que le gouvernement responsable ne date pas au Canada de 1848 mais de 1847… C’est pourquoi Saul s’attarde aux idées de Joseph Howe. À ses yeux, 1847 était le préambule de 1867. Un préambule qui inspira l’esprit de conciliation et le sens de la complexité… Saul passe trop rapidement sur les objections de Howe à l’égard du projet de Cartier et Macdonald. N’était-il pas le chef de file du mouvement d’opposition à la Grande Coalition en Nouvelle-Écosse ?

Autre passage surprenant : Saul fait un éloge vibrant de l’attitude du gouvernement Baldwin-La Fontaine lors de l’incendie du parlement de 1849. En refusant d’exercer une répression à l’égard des incendiaires (l’oligarchie coloniale anglo-montréalaise), il aurait fait preuve de sagesse. La douceur et la clémence des autorités seraient les valeurs cardinales du modèle canadien de gestion des crises politiques. On sait pourtant que les Métis (en 1869) et les Québécois (en 1917) n’ont pas goûté à la même médecine.

Néanmoins, le point de vue de Saul n’est pas dépourvu d’intérêt. Les liens qu’il établit entre la démocratie et la forme de l’État-nation sont judicieux ; sa critique des ONG et des logiques corporatistes est féconde. Mais, au total, l’analyse reste superficielle. Il vante par exemple les mouvements réformistes fermiers du début du XXe siècle, sans savoir qu’ils adhéraient à la philosophie du corporatisme politique…

Certains passages, vagues et nébuleux, sont incompréhensibles : « ces réformistes contemporains auraient dû être à l’avant-garde de la bataille pour la consolidation, brandissant le drapeau des idées, des intentions élevées et de l’éthique. Au contraire, ils ont défendu la structure et ont été marginalisés par ceux qui n’ont pas la foi et qui utilisent la complexité maintenant inutile de la masse administrative comme excuse pour démolir la réussite des réformes initiales » (p. 59). Ouf! Les bons sentiments de John Saul seraient plus acceptables s’il n’avait pas été l’un des artisans de la croisade anti-Meech au Canada anglais.

La conférence de George Erasmus apporte peu d’idées audacieuses. Comme Saul, son point de vue est fortement idéaliste, pour ne pas dire déconnecté des réalités politiques canadiennes. En lisant ce texte, on ressort avec l’impression que seule la bonne volonté manque au dénouement de la question nationale canadienne. Les Blancs, écrit-il, auraient avantage à s’inspirer de la culture amérindienne pour faire face aux défis de l’avenir. Il se désole, sans chercher à comprendre, que l’intérêt pour l’agenda amérindien se soit évanoui.

La conférence la plus intéressante est celle prononcée par Alain Dubuc. On sait que l’éditeur du Soleil avait publié en 2001 une série d’articles sur le nationalisme québécois. Dans cette conférence, il propose une critique tout aussi décapante du nationalisme canadien. Les Canadiens anglais, écrit Dubuc, sont intolérants à l’égard du nationalisme des autres, mais fort silencieux à l’égard de leur propre nationalisme.

Sous l’influence de Trudeau, ils ont érigé en mythes certaines idées, qui aujourd’hui paralysent le système politique canadien. L’exposé de Dubuc est plus dévastateur que maints argumentaires souverainistes. Le problème, au terme de sa critique du nationalisme canadien (et québécois), est qu’il faudrait abandonner une large partie de nos représentations collectives. En ce sens, Dubuc souhaite une révolution dans la culture politique des Canadiens. Bien qu’il professe le réalisme politique, il n’est pas moins utopiste que les indépendantistes (et les trudeauistes) qu’il aime pourfendre.

En lisant ce livre, je n’ai pu m’empêcher de penser à la superbe analyse de la Commission Laurendeau-Dunton proposée jadis par Hubert Guindon. La meilleure façon d’aller au fonds d’un problème politique ne consiste pas à confronter les vues de personnes de la « minorité civilisée ». Si la démocratie est dialogue, elle est aussi conflit. On aurait peut-être une meilleure idée du Canada si on demandait à Yves Michaud, Preston Manning et Diane Francis de s’attaquer à nos querelles constitutionnelles. Mais on n’est pas à la veille de voir ça…