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La réflexion actuelle sur l’avenir démographique des populations autochtones du Canada n’est pas sans rappeler celle qui concerne les Québécois de langue française, à la différence que pour ces derniers on dispose aujourd’hui d’une littérature démographique abondante et documentée [1]. Pour les populations autochtones, cette réflexion en est encore à ses premiers balbutiements [2]. Le présent article s’ajoute à l’effort en cours en s’appuyant sur les données des recensements de 1986 et 1996.

Ce sujet de recherche étant particulièrement vaste, nous concentrerons nos efforts sur trois volets de l’avenir démographique des populations autochtones du Canada. Le premier volet concerne les limites du cadre classique d’analyse démographique de la reproduction d’une population définie selon l’appartenance ethnique. Nous proposons, pour éclairer les mécanismes de la reproduction des groupes autochtones, un cadre plus englobant fondé sur l’analyse de l’interaction entre trois phénomènes : l’exogamie, la fécondité et la mobilité ethnique. Dans un second volet, nous procéderons à une évaluation plus détaillée de l’effet de l’exogamie sur le nombre total des naissances issues des populations autochtones, que les couples soient endogames ou exogames. Nous compléterons cette analyse de la reproduction des populations autochtones par un examen de l’appartenance ethnique des parents et de leurs enfants afin de déterminer s’il y a continuité ou mobilité de l’appartenance d’une génération à l’autre.

Les trois populations autochtones reconnues par la constitution canadienne de 1982 sont les Indiens, les Métis et les Inuits. Au Recensement du Canada de 1996, quatre questions ont servi à repérer ces trois populations autochtones. Nous en retenons deux pour les fins de cette analyse : l’origine ethnique et l’identité autochtone [3]. La première fait référence à l'appartenance ethnique d’ancêtres plus ou moins lointains, alors que la seconde concerne le répondant lui-même. L’origine ethnique [4] offre une perspective d’analyse historique que l’identité ethnique [5] ne permet pas du fait de sa relative nouveauté dans la statistique canadienne. Contrairement aux questions concernant l’âge, le sexe ou l’éducation, les questions sur l’appartenance ethnique font largement appel aux connaissances et aux préférences du répondant, toutes susceptibles de se modifier dans le temps (Lieberson et Waters, 1988; Alba, 1990).

Limites du cadre classique d’analyse de la reproduction

Selon le cadre traditionnel d’analyse démographique, la population de référence pour l’analyse de la reproduction démographique est la population féminine. Le taux de fécondité générale (TFG), dont la variante selon l’âge sert au calcul du taux de reproduction, s’écrit donc :

La condition implicite d’applicabilité de ce cadre d’analyse est que les deux parents appartiennent à la même population, donc qu’il n’y a aucune exogamie possible. On peut donc dire de cette population qu’elle est fermée.

Que se passe-t-il lorsque cette condition n’est pas respectée, lorsqu’on se trouve en présence de deux sous-populations ? Que se passe-t-il lorsque les deux parents n’appartiennent pas à la même sous-population ? En d’autres mots, suivant le cadre classique d’analyse, sommes-nous toujours en mesure d’évaluer la capacité réelle de reproduction de la sous-population étudiée ? On se trouve ici dans une situation de population ouverte. Comme l’illustre la figure 1, il est clair qu’une partie des naissances issues des membres de la population étudiée n’est pas prise en considération dans l’analyse classique de la reproduction de cette sous-population. Selon le cadre classique, on tient compte seulement des naissances issues de femmes appartenant à la sous-population analysée. Par conséquent, ce cadre n’est applicable que si le phénomène d’exogamie est rare, ou encore s’il y a symétrie dans les comportements féconds des couples exogames féminins et masculins.

Figure 1

Limites du cadre classique d’analyse de la reproduction démographique d’une population ouverte

Limites du cadre classique d’analyse de la reproduction démographique d’une population ouverte

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Aucune de ces deux conditions n’est respectée chez les populations autochtones du Canada. Premièrement, l’exogamie n’est pas un phénomène rare : en 1996, 44 % des adultes d’identité autochtone dans les familles de recensement avaient un conjoint non autochtone. Deuxièmement, comme l’indiquent les données de recensement sur les enfants dans les familles de recensement, il n’y a pas symétrie des comportements féconds. Toujours en 1996, les familles de mère autochtone et de père non autochtone avaient 15 850 enfants âgés de moins de 5 ans, contre 13 165 pour les familles de père autochtone et de mère non autochtone. Il en résulte un biais significatif pour l’analyse de la reproduction des populations autochtones. Le tableau 1 montre en effet que l’effectif des enfants de moins de 5 ans provenant de femmes ou d’hommes autochtones est nettement supérieur à l’effectif engendré par les femmes autochtones seulement. En 1996, pour l’ensemble des populations d’identité autochtone, la progéniture des seules femmes autochtones sous-estime de 22,1 % le nombre total des naissances issues de la population autochtone, hommes et femmes. Par ailleurs, ce biais varie passablement selon l’identité autochtone — de 9,2 % pour les Inuits à 41,9 % pour les Métis — et il est en hausse pour tous les groupes de 1986 à 1996. Ainsi, l’analyse de la fécondité des seules femmes autochtones ne permet pas de bien rendre compte de la capacité de reproduction des populations autochtones, hommes et femmes (Norris, Clatworthy et Guimond, 2001).

Si la prise en compte de l’interaction entre l’exogamie et la fécondité permet de mieux rendre compte de la fécondité réelle des Autochtones en tant que groupe, l’effectif de la nouvelle génération d’Autochtones est quant à lui tributaire d’un troisième phénomène : la mobilité ethnique des enfants (figure 2). Parents et enfants n’ont pas nécessairement la même appartenance ethnique, surtout si les appartenances ethniques des parents diffèrent. Au Recensement du Canada de 1996, les familles époux-épouse dont au moins un parent est autochtone avaient 59 500 enfants âgés de moins 5 ans, alors qu’on trouvait 49 275 enfants autochtones de moins de 5 ans dans l’ensemble des familles époux-épouse.

Exogamie et fécondité

Pour l’étude de l’interaction entre l’exogamie et la fécondité, nous nous intéressons donc à la totalité des naissances issues des Autochtones. Dans un premier temps, nous élaborons deux situations hypothétiques d’exogamie et de fécondité afin d’illustrer les effets potentiels liés à l’interaction exogamie-fécondité sur l’effectif des naissances engendrées par un groupe ethnique. Dans un second temps, nous évaluons l’effet numérique de cette interaction sur l’effectif des naissances chez les populations autochtones du Canada.

Tableau 1

Enfants âgés de moins de 5 ans dans les familles époux-épouse selon le type d'union (endogame, exogame) et l'appartenance autochtone des parents, Canada, 1986 et 1996

Enfants âgés de moins de 5 ans dans les familles époux-épouse selon le type d'union (endogame, exogame) et l'appartenance autochtone des parents, Canada, 1986 et 1996
Sources : Statistique Canada, Recensements du Canada de 1986 et 1996, totalisations spéciales

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Figure 2

Cadre d’analyse de la reproduction démographique d’une population ouverte

Cadre d’analyse de la reproduction démographique d’une population ouverte

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Ne disposant pas de données annuelles sur les naissances selon l’appartenance ethnique des parents, nous évaluons ces dernières à partir de l’effectif recensé des enfants âgés de moins de 5 ans. Les caractéristiques ethnoculturelles du conjoint manquant dans les familles monoparentales n’étant pas disponibles, l’analyse est limitée à l’univers des familles époux-épouse [6]. Ce choix implique des limites, vu l’importance de la monoparentalité chez les Autochtones (Hull, 2001).

Considérations théoriques

En l’absence d’exogamie, chaque naissance provient de deux Autochtones. Ainsi, 1000 Autochtones peuvent former 500 couples qui engendreront, à une naissance par couple, 500 enfants (tableau 2, première ligne). Dans cette situation, chaque individu a un enfant, mais la fécondité du groupe autochtone est de 500 ‰. Supposons maintenant que chaque Autochtone procrée avec un non-Autochtone, soit un taux d’exogamie de 100 %, et que chaque couple a un enfant; on se retrouve alors avec 1000 enfants pour 1000 Autochtones, pour un taux de fécondité du groupe autochtone de 1000 ‰ (tableau 2, dernière ligne). À fécondité égale pour les couples endogames et exogames, l’exogamie totale double la fécondité du groupe autochtone. Toujours dans une situation d’exogamie totale, une fécondité diminuée de moitié pour les couples exogames donnerait 500 naissances, soit exactement le même nombre qu’en situation d’endogamie stricte. Cette « règle de 2 » vaut pour toutes les situations intermédiaires d’exogamie (tableau 2, en encadré). Ainsi, pour maintenir le niveau de fécondité de la population autochtone, les couples endogames doivent avoir une fécondité deux fois supérieure à celle des couples exogames.

Tableau 2

Conditions d’exogamie et de fécondité pour générer dans un groupe ethnique un nombre constant de naissances, tous types d’unions confondus

Conditions d’exogamie et de fécondité pour générer dans un groupe ethnique un nombre constant de naissances, tous types d’unions confondus

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Suivant une logique similaire, le tableau 3 met en évidence le fait que, pour que soit maintenu un nombre équivalent de naissances endogames et exogames, le rapport entre les fécondités des couples endogames et exogames croît de façon exponentielle en fonction du pourcentage des individus exogames.

Exogamie et fécondité des populations autochtones

La figure 3 met en relation le pourcentage d’individus en union exogame (en abscisse) et le rapport entre la fécondité des couples endogames et celle des couples exogames (en ordonnée). La surfécondité des couples endogames nécessaire pour maintenir le nombre total de naissances est représentée par le trait horizontal gras au niveau 2 (figure 2). La seconde courbe, en trait fin, identifie la surfécondité requise des couples endogames pour que subsiste un nombre égal de naissances endogames et de naissances exogames (tableau 3). Ces deux tracés délimitent quatre zones sur la figure.

Nous y avons situé, pour 1986 et 1996, la population d’identité autochtone dans son ensemble, de même que les groupes d’identité indienne, métisse et inuit. Nous avons également représenté la population totale d’origine autochtone pour les années 1981, 1986, 1991 et 1996. Les données utilisées pour la construction de la figure sont en annexe. Tous les groupes se trouvent sous l’horizontale de niveau 2 délimitant la zone qui profite de l’exogamie, à l’exception des Indiens et de l’ensemble des personnes d’identité autochtone en 1986. De plus, de 1986 à 1996, l’exogamie profite de plus en plus à la fécondité de tous les groupes d’identité autochtone étant donné la diminution de la surfécondité des couples endogames. À l’inverse, pour la population d’origine autochtone, la surfécondité des couples endogames augmente de 1986 à 1996, de sorte que l’exogamie profite de moins en moins à cette population.

Tableau 3

Conditions d’exogamie et de fécondité nécessaires pour générer dans un groupe ethnique une proportion égale de naissances d’unions endogames et d’unions exogames

Conditions d’exogamie et de fécondité nécessaires pour générer dans un groupe ethnique une proportion égale de naissances d’unions endogames et d’unions exogames

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Figure 3

Exogamie et fécondité dans les familles époux-épouse, populations d’origine et d’identité autochtones, Canada, 1981-1996

Exogamie et fécondité dans les familles époux-épouse, populations d’origine et d’identité autochtones, Canada, 1981-1996
1

Contribution négative de l’exogamie.

Naissances exogames < Naissances endogames.

2

Contribution négative de l’exogamie.

Naissances exogames > Naissances endogames.

3

Contribution positive de l’exogamie.

Naissances exogames < Naissances endogames.

4

Contribution positive de l’exogamie.

Naissances exogames > Naissances endogames.

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Les groupes d’identité autochtone se distinguent entre eux par la proportion de naissances issues de couples exogames. Ainsi, les Indiens, les Inuits, et l’ensemble des personnes d’identité autochtone ont plus de naissances endogames que de naissances exogames (zones 1 et 3), alors que les Métis ont plus de naissances exogames (zone 4). Cela semble logique dans la mesure où les Métis vivent davantage l’exogamie, tout comme d’ailleurs la population d’origine autochtone, qui se retrouve dans une position analogue, à bénéficier de l’exogamie et à avoir une majorité de naissances exogames.

De ce qui précède, on peut conclure qu’en général la fécondité des Autochtones bénéficie de l’exogamie, et que ce bénéfice croît de 1986 à 1996. Cependant, les modalités de ce bénéfice sont hétérogènes. Les Inuits ont beaucoup plus de naissances endogames que de naissances exogames, les Métis plus de naissances exogames et les Indiens un nombre légèrement plus élevé de naissances endogames.

Mobilité ethnique des enfants

Si l’exogamie peut augmenter la fécondité des Autochtones en permettant la formation d’un plus grand nombre de couples, on peut se demander si elle favorise l’accroissement de la population autochtone, étant donné la mobilité ethnique qu’elle peut impliquer. Si on suppose que l’appartenance ethnique des enfants est fonction de celle des parents, qu’arrive-t-il lorsque les parents n’ont pas la même appartenance ethnique ? Pour éclairer cette question, voyons de quelle façon la déclaration d’appartenance ethnique des enfants se fait en fonction de celle des parents. Nous touchons ainsi la troisième étape de la chaîne exogamie, fécondité, mobilité ethnique.

Définitions et données

On appelle « mobilité ethnique » le phénomène en vertu duquel les personnes et les familles changent d’appartenance ethnique. La mobilité ethnique est un phénomène multidirectionnel, c’est-à-dire qu’elle peut s’exercer dans toutes les directions et dans tous les sens. Du point de vue d’un groupe ethnique, les mouvements se résument à des entrées et sorties. Les changements d’appartenance, ou transferts ethniques, influencent la taille et la composition des groupes ethniques. La mobilité ethnique doit, au même titre que la fécondité, la mortalité et la migration, être incluse dans tout bilan démographique de groupes ethniques. Elle est depuis longtemps une composante de la croissance démographique des populations autochtones au Canada (Robitaille et Choinière, 1987; Robitaille et Guimond, 1994, 1995; Guimond et al., 2001; Guimond, 1999). Le même phénomène a été relevé au sein des populations autochtones des États-Unis (Passel, 1976; Passel et Berman, 1986; Eschbach, 1993), de l’Australie (Ross, 1996) et de la Nouvelle-Zélande (Pool, 1991).

Il existe deux types de mobilité ethnique (Robitaille et Choinière, 1987). L’une, la mobilité ethnique intergénérationnelle, peut apparaître lors de la première identification des enfants : parents et enfants n’ont pas nécessairement la même appartenance ethnique, surtout si la mère et le père ne sont pas du même groupe ethnique. La mobilité intergénérationnelle des enfants n’est pas nécessairement liée à la mobilité ethnique de leurs parents. L’autre, la mobilité ethnique intragénérationnelle, consiste, pour une même personne, à changer d’appartenance ethnique, d’un recensement à un autre par exemple. Une personne peut avoir connu la mobilité intergénérationnelle sans mobilité intragénérationnelle si, après avoir déclaré une première appartenance ethnique différente de celle d’un de ses parents, elle a été constante dans ses déclarations d’appartenance ethnique tout au long de sa vie. Dans ce qui suit, nous ne ferons référence qu’à la mobilité intergénérationnelle.

Pour mesurer la mobilité ethnique intergénérationnelle suivant l’exogamie, nous disposons de données concernant les enfants âgés de moins de 5 ans dans une famille de recensement de type époux-épouse, classés suivant l’appartenance ethnique des enfants et des parents. Les enfants en situation monoparentale sont exclus de l’analyse. En théorie, l'appartenance ethnique déclarée des enfants en bas âge est fonction de celle(s) des parents. Dans le cas de couples endogames, on s’attend à ce que l'appartenance ethnique des enfants en bas âge (Y) soit identique à celle des parents (Y). Dans le cas de couples exogames Y et Z, l'appartenance ethnique de l'enfant pourrait être Y, Z ou YZ. Pour les groupes autochtones, la forme YZ peut être explicite (ex. : indien et non autochtone) ou sous-entendue (métis). D’après le Recensement du Canada de 1996, dans les familles autochtones endogames, les enfants et les parents ont la même identité ethnique dans une proportion de 99 %. Parmi les familles exogames, l’appartenance des enfants correspond à l’une et (ou) l’autre identité ethnique des parents dans une proportion de 99 %. Les données disponibles sont donc cohérentes (voir le tableau B, en annexe).

Tableau 4

Indice de continuité ethnique intergénérationnelle (%) d’enfants âgés de moins de 5 ans nés de parent(s) autochtone(s) selon le type d’union (endogame, exogame), populations d’origine et d’identité autochtones, Canada, 1981-1996

Indice de continuité ethnique intergénérationnelle (%) d’enfants âgés de moins de 5 ans nés de parent(s) autochtone(s) selon le type d’union (endogame, exogame), populations d’origine et d’identité autochtones, Canada, 1981-1996

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Indice de continuité ethnique intergénérationnelle

Le tableau 4 présente, tant pour l’origine que pour l’identité autochtone, l’indice de continuité ethnique intergénérationnelle (ß). Pour un groupe ethnique Y donné, cet indice correspond à la proportion d’enfants d’appartenance Y parmi l’ensemble des enfants mis au monde par les femmes et les hommes appartenant à ce groupe. L’indice de continuité ethnique intergénérationnelle peut varier entre 0 et 100 %. Un indice de valeur nulle décrit le cas d’un groupe (Y) dont l’entière descendance appartient à un autre groupe (Z), résultat d’une mobilité ethnique intergénérationnelle. Un indice de 100 % correspond à un groupe (Y) dont l’ensemble de la descendance appartient au groupe (Y), indiquant ainsi une mobilité ethnique intergénérationnelle nulle. Des estimations sont produites pour l’ensemble des familles époux-épouse, de même que pour chaque type d’union, endogame et exogame.

Il est clair qu'une valeur égale ou inférieure à 100 % n'implique pas nécessairement la survie ou la disparition d'un groupe ethnique puisqu'il faut également tenir compte des effets des autres composantes du renouvellement démographique. Par exemple, comme nous l’avons souligné précédemment, à fécondité égale, les unions exogames d’un groupe donné sont génératrices de deux fois plus de naissances que les unions endogames. Cet indice de continuité ethnique intergénérationnelle nous permet uniquement de voir dans quelle mesure l’appartenance des enfants est liée à celle de leurs parents, indépendamment des gains ou pertes d’effectifs provoqués par l’interaction exogamie-fécondité.

D’emblée, on observe que la mobilité ethnique intergénérationnelle est non nulle chez les populations autochtones du Canada : de l’ensemble des enfants de parent(s) autochtone(s), une fraction seulement est autochtone, et elle varie selon le groupe. En 1996, 79 % des enfants de parent(s) d’origine autochtone sont eux-mêmes d’origine autochtone. Parmi les familles dont les deux parents sont d’origine autochtone, 98 % des enfants sont déclarés d’origine autochtone, alors que la proportion diminue à 68 % lorsque les couples sont mixtes, autochtone et non autochtone. De façon analogue pour l’identité autochtone, 99 % des enfants de couples endogames autochtones sont d’identité autochtone, tandis que 61 % des enfants issus de couples mixtes sont autochtones.

Exception faite de l’année 1991, où on observe une pointe (84 %), l’indice de continuité ethnique intergénérationnelle de la population d’origine autochtone est stable depuis 1981. Pour les couples endogames, les pertes n’excèdent jamais 3 %. Pour les couples exogames d’origine autochtone, on constate une augmentation de l’indice de 1981 à 1991, donc une baisse de la mobilité ethnique. Alors que 58 % des enfants de couples mixtes étaient autochtones en 1981, la proportion est passée à 69 % en 1986 et à 77 % en 1991. Elle est revenue au niveau intermédiaire de 68 % en 1996. Cela pose la question de savoir si un retournement de tendance s’est produit depuis 1991. Il sera intéressant d’examiner le recensement de 2001 à ce propos.

L’examen de l’indice de continuité ethnique intergénérationnelle des trois groupes autochtones ne comporte aucune surprise et n’est pas en contradiction avec ce qui précède. De façon globale, les Inuits présentent le plus fort indice, 91 % en 1996, et les Métis le plus faible : 58 %. L’indice global (tous types d’union confondus) est en baisse pour les trois groupes de 1986 à 1996. Chez les Indiens, la proportion d’enfants de parent(s) indien(s) a enregistré un recul de 6 points, pour se situer à 80 % en 1996. Peu importe le groupe autochtone, les couples endogames perdent moins de 3 % de leurs enfants par mobilité ethnique. Pour ce qui est des couples exogames, les Inuits sont les plus favorisés (70 %), suivis des Indiens (61 %) et des Métis (50 %). D’après l’information disponible, ces proportions sont relativement stables, sauf pour les Inuits, dont l’attraction semble diminuer, la proportion d’enfants autochtones dans les couples inuit-non autochtone passant de 81 % en 1986 à 70 % en 1996. Étant donné la relative stabilité des indices selon le type d’union, les diminutions observées de l’indice tous types d’unions confondus chez les Indiens (– 6 %) et les Métis (– 8 %) seraient le résultat d’une augmentation de la proportion d’unions mixtes plutôt que d’un véritable changement dans l’identification ethnique des enfants.

Conclusion

Afin de mener cette analyse de la reproduction démographique des populations autochtones du Canada, nous avons dissocié les trois composantes du renouvellement démographique : exogamie, fécondité et mobilité ethnique. Pour l’ensemble des couples époux-épouse, la résultante des deux premiers phénomènes est positive en ce qui concerne l’accroissement démographique des populations autochtones. Le troisième phénomène, la mobilité ethnique intergénérationnelle, apparaît quant à lui comme un frein à cet accroissement démographique puisque, d’un point de vue strictement comptable, une fraction seulement des enfants de parent(s) autochtone(s) sont identifiés comme autochtones. Ces résultats demeurent néanmoins parcellaires. Pour avoir un portait complet du renouvellement des groupes autochtones, il faudra estimer la résultante des interactions entre les trois phénomènes. Il se pourrait fort bien qu’elle soit nulle, ce qui signifierait que la « survie démographique » de ces groupes n’est pas menacée.

Avant de passer à cette étape ultime de l’analyse, on devra cependant développer davantage l’analyse de la mobilité ethnique intergénérationnelle. Par exemple, avec l’indice de continuité intergénérationnelle, seuls sont pris en considération les mouvements de sortie, c’est-à-dire les pertes d’effectif. Or, pour apprécier l’étendue de la mobilité ethnique intergénérationnelle, il faudra également tenir compte des mouvements d’entrée. Par exemple, pour le groupe des Métis, on n’a jusqu’ici tenu compte que des enfants de parents métis selon leur appartenance au groupe des Métis. Pour avoir la pleine mesure de la mobilité ethnique intergénérationnelle, il faut aussi prendre en considération les enfants d’identité métisse dont aucun parent n’est métis (ex. : indien et non autochtone). Pour les Métis, ces « entrées » pourraient être une source appréciable d’accroissement démographique.

Enfin, les causes mêmes de la mobilité intergénérationnelle demeurent méconnues. Selon cette analyse, le type d’union semble déterminant. D’autres facteurs sociodémographiques, tels que l’âge et le sexe du parent autochtone dans les couples mixtes et la composition ethnique de la communauté de résidence, méritent une analyse attentive. Dans le cas des Indiens et des Métis, il serait également utile de tenir compte des facteurs légaux, tels la Loi sur les Indiens, qui définit les règles de transmission du statut légal d’Indien, et les règles d’appartenance dont se sont dotées certaines communautés indiennes après la révision de la Loi sur les Indiens, en 1985.