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Lors des « Rendez-vous jeunesse » organisés les 3 et 4 avril 2002 par l’Association des Centres locaux de services communautaires (CLSC), des Centres de soins longue durée (CHSLD) et des Centres de santé, nous avons livré un atelier sur les conditions changeantes de mobilisation des communautés du point de vue CLSC. Nous aimerions partager avec les lecteurs de Nouvelles pratiques sociales l’essentiel des préoccupations et des questionnements évoqués lors de cet atelier auquel ont participé plus de 120 personnes. Notre propos est le suivant : il existe des conditions connues et éprouvées de mobilisation des communautés qui nous viennent de l’expertise acquise en cette matière depuis des décennies en CLSC. Cependant, depuis peu, se profile une nouvelle donne qui est porteuse de conditions nouvelles et incertaines en ce qui concerne la mobilisation des communautés.

Les conditions connues et éprouvées de mobilisation des communautés

Pour illustrer cette question, nous avons choisi de présenter un exemple concret de mobilisation d’une communauté soit le Consortium Jeunesse de la MRC Thérèse-de-Blainville et son Comité 13-18 ans. Nous n’entrerons pas ici dans les détails de l’historique, de la composition, des objectifs et des réalisations de cette expérience concluante de mobilisation. Attardons-nous plutôt sur ce qui se dégage de cet exemple en termes de conditions de succès. Nous y retrouvons la plupart des conditions relevées dans la littérature[1], soit le fait que les acteurs mobilisés adoptent des orientations et des buts communs, qu’ils se donnent une structure de fonctionnement souple et efficace et qu’il existe un climat d’ouverture et de confiance, de même qu’un engagement réel des partenaires basé sur un parti pris pour des actions concrètes. Nous ajoutons qu’il est important de désigner un organisme responsable de la mobilisation (ici le CLSC), de compter sur une représentation adéquate des partenaires (en nombre et en statuts semblables), de se centrer sur un partenariat-terrain plutôt que sur un partenariat-gestion[2], de se donner des objectifs réalisables, d’assurer la visibilité de l’action concertée dans le milieu et, enfin, de rendre l’instance ouverte et accessible aux différents partenaires concernés. Mais plus fondamentalement, la condition structurante de mobilisation des communautés renvoie au type de rapports que le CLSC établit avec son milieu, particulièrement avec les organismes communautaires. La capacité du CLSC d’oeuvrer à cette mobilisation repose sur l’établissement de rapports de solidarité, et même de complicité, avec le communautaire. Selon la typologie de Favreau et Hurtubise[3], ces CLSC s’inscrivent dans le modèle sociocommunautaire.

Toutefois, il existe des obstacles à la mobilisation des communautés : les chasses gardées et la compétition trop forte entre les acteurs et les mauvaises expériences antérieures de ces derniers au chapitre de la concertation et du partenariat. La présence d’un leadership trop directif et d’une mainmise de certains partenaires sur la concertation, et la sur-sollicitation des partenaires engendrée, entre autres, par la tendance à la fragmentation de la concertation autour de problématiques trop pointues constituent également des obstacles de taille aux efforts de mobilisation. Jusque-là, les lecteurs de Nouvelles pratiques sociales n’auront peut-être pas appris grand-chose relativement à la mobilisation des communautés. Toutefois, la nouvelle donne qui s’installe pourrait nous amener sur un terrain beaucoup moins connu.

La nouvelle donne

Trois inputs sont à considérer : la Commission Clair, la Loi sur la gouverne et la santé publique, et la Politique sur l’action communautaire. Tout d’abord, il faut savoir que le rapport de la Commission Clair comporte la recommandation 12 qui se lit comme suit : « Que le CLSC ait la responsabilité de coordonner les ressources de la communauté requises pour répondre aux besoins de sa population. » Le terme « coordonner » est assez différent des termes « supporter » ou « soutenir » utilisés jusqu’à présent. Le choix de ce terme peut être lourd de conséquences quant aux rapports établis entre le CLSC et les organismes communautaires, comme nous le verrons plus loin, particulièrement dans le cadre où le même rapport, à la page 50, stipule que le CLSC est imputable des ententes de services à établir avec les organismes communautaires. Il est déjà notoire que les Directions de santé publique développent de plus en plus de programmes dont certains éléments pourraient très bien s’inscrire dans le concept d’ententes de services.

Ces ententes de services sont au centre des dispositifs de financement des organismes communautaires déterminés par la Politique du gouvernement du Québec sur l’action communautaire adoptée en septembre 2001 et, semble-t-il, bien reçue par l’ensemble du mouvement communautaire. On y prévoit que les organismes communautaires auront accès à trois mesures de soutien financier, soit un financement pour la mission globale des organismes communautaires autonomes, un autre pour des projets ponctuels ou de courte durée, et un troisième par ententes de services complémentaires au réseau public. Ces ententes de services se concluent en principe sur une base libre et volontaire sans trahir la mission des organismes. Le contrat doit préciser les engagements des parties et comprendre : 1) une description explicite et complète des services que l’organisme offrira ; 2) une justification documentée des coûts et des résultats attendus, 3) des éléments tels que la clientèle visée (nombre et conditions d’admissibilité) ; 4) les modalités de référence et de suivi ; 5) les systèmes informatiques à utiliser pour la transmission des données sur les usagers. Comme on peut facilement le constater, ces ententes de services introduisent de véritables rapports de contractants entre les parties, c’est-à-dire pour la Commission Clair, entre les CLSC et les organismes communautaires. C’est également l’orientation d’au moins une régie régionale de la santé et des services sociaux, celle des Laurentides, selon laquelle le financement pour la mission globale des organismes communautaires relèverait de la régie régionale alors que les ententes de services pourrait relever des CLSC.

Cette orientation a été communiquée à la fin de 2001 lors d’une réunion en présence des représentants du regroupement régional des organismes communautaires (qui ne se s’y sont pas opposés) et des CLSC qui en ont pris acte. D’ailleurs, avec la Loi sur la gouverne, les orientations des régies régionales sont plus contraignantes pour les établissements compte tenu de la ligne d’autorité définie aux articles 414 et 415. En mai 2002, il a été convenu que le Programme de subventions de projets en matière de sécurité alimentaire servirait d’expérience pilote d’ententes de services dans un territoire de CLSC des Laurentides. Toutes les régies régionales n’ont pas encore décidé de leur politique en matière d’ententes de services. Dans les Laurentides, nous sommes possiblement en présence d’un nouveau modèle lui-même reproductible. Ce qui est en jeu dans un tel modèle, ce sont les rapports entre les CLSC et le communautaire. Avec la nouvelle donne et les ententes de services, les pratiques de chaque CLSC faites de rapports de collaboration, voire de solidarité devront faire de la place à des rapports contractuels, donc d’autorité et de pouvoir.

Les conditions nouvelles et incertaines de mobilisation des communautés

Le défi est clair : faire cohabiter des rapports de solidarité et des rapports contractuels auprès des mêmes organismes communautaires. Les CLSC qui seront confrontés à cette réalité se retrouveront au coeur d’une dynamique complexe que l’on peut illustrer ainsi :

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Dans ce schéma, inspiré de Duperré (1992), on retrouve la logique descendante qui correspond aux politiques et programmes gouvernementaux de recours aux communautés, et qui se subdivise en deux logiques : celle d’expertise, qui s’appuie sur le pouvoir des experts de déterminer le contenu des programmes pour répondre aux besoins des communautés, et la logique d’empowerment, qui renvoie à la mobilisation active des communautés pour agir sur les déterminants de la santé. Ces deux logiques sont particulièrement présentes dans le secteur de la santé publique. À l’opposé, on retrouve à la base du schéma la logique ascendante qui correspond à l’aspiration des acteurs locaux de pouvoir déterminer localement les problèmes prioritaires et les stratégies d’action appropriées y compris la revendication au niveau gouvernemental. Cette logique ascendante se subdivise elle-même en deux logiques[4] : la logique autonomiste, qui est faite d’exigences d’autodétermination des pratiques, et la logique complémentariste, qui renvoie à la demande d’institutionnalisation et d’intégration aux politiques issues de la logique descendante souvent pour des fins de survie financière[5]. Au centre se retrouve la mobilisation des communautés et les CLSC en interface entre les logiques descendante et ascendante, en alliance avec leur communauté, d’une part, et en rapports contractuels (donc d’autorité) avec des organismes communautaires de cette communauté dans le cadre d’ententes de services issues plus ou moins de programmes gouvernementaux tenant de la logique d’expertise.

À ce moment-ci, pour faire face à ce nouveau défi, nous croyons qu’il faudra s’appuyer, comme établissement, sur des valeurs sûres comme la transparence et la circulation de l ’information, ainsi que sur le respect du milieu et de son rythme. Il nous semble aussi important de convenir de ne pas utiliser les tables de concertation pour la gestion des ententes de services. Il s’agit d’une responsabilité institutionnelle dont il ne faut pas se décharger sur ces instances de concertation, car on risquerait ainsi de les détourner de leurs objectifs prioritaires. Il faut cependant les informer et même les consulter sur la future politique du CLSC au regard des ententes de services. En fait, il pourrait se profiler des avenues possibles pour les CLSC qui seront appelés à gérer les ententes de services, soit :

  • Élaborer, de concert avec le personnel concerné, une politique claire relativement aux ententes de services (appels d’offre, mécanismes décisionnels, etc.) et ensuite la soumettre aux organismes communautaires du milieu pour fins de consultation.

  • Avant de les multiplier, faire un monitoring avec un projet d’entente de services.

  • Se positionner et prendre les décisions en tenant compte de l’intérêt des usagers.

  • Distinguer le rôle des gestionnaires de celui des organisateurs communautaires en prenant garde de faire jouer à ces derniers un rôle de négociateur, de contrôleur ou d’évaluateur des ententes de services.

Tout n’est pas dit sur cette question des conditions nouvelles de mobilisation des communautés pour les CLSC qui seront appelés à gérer les ententes de services. Il faudra, entre autres, prendre en considération le poids des nouvelles structures issues des fusions et l’attitude des nouveaux décideurs qui seront élus à l’automne 2002 pour siéger à nos conseils d’administration. D’ici là, le débat est lancé pour trouver des stratégies qui permettront aux CLSC de continuer à jouer un rôle clé dans la mobilisation des communautés tout en faisant cohabiter des rapports contractuels et des rapports de solidarité avec le communautaire.