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L’anxiété est universelle et omniprésente dans la vie comme dans la psychopathologie. Qui en effet peut prétendre ne pas connaître cette émotion familière ? Elle nous accompagne au long de la vie et, dans ses manifestations quotidiennes, elle nous pousse à agir, nous motive, nous tient en alerte d’une façon souvent utile. Dans ses intensités et formes pathologiques, elle devient, pour un grand nombre, source d’une souffrance considérable, souvent cachée pendant longtemps, parfois honteuse, et conduisant fréquemment à un dysfonctionnement social important, ainsi qu’à d’autres troubles mentaux.

L’anxiété est très voisine de la peur dans ses manifestations, or la peur est un facteur de survie pour la plupart des espèces animales. Pour cette raison, la prédisposition à la peur a vraisemblablement pu constituer un avantage dans la sélection naturelle et se trouver fortement présente chez les espèces vivantes. Chez l’homme des dimensions cognitives s’ajoutent aux manifestations physiologiques de la peur, pour produire cette émotion essentiellement humaine d’angoisse ou d’anxiété. Les robots ne connaîtront probablement jamais l’anxiété. Dans ses dimensions qu’on appelle existentielles, elle semble étroitement liée à la conscience : conscience de notre fragilité et de notre finitude.

L’anxiété dans la psychopathologie

Paradoxalement cette émotion omniprésente chemine péniblement dans la psychopathologie. Les troubles mentaux dans lesquels elle joue un rôle prédominant demeurent souvent mal compris. Le domaine des troubles anxieux s’est en effet construit étrangement sur la base d’observations erronées ou à tout le moins incomplètes. Ainsi les premières théories de Freud, observateur pourtant si perspicace de la nature humaine, proposèrent une conception surprenante basée sur une sexualité inassouvie qui serait à l’origine de l’anxiété. Par la suite, Freud a proposé une théorie plus utile et encore pertinente d’anxiété-signal. Si l’anxiété peut signaler un danger conscient ou inconscient, on ne peut toutefois pas la rattacher essentiellement à des conflits inconscients autour des pulsions interdites. En effet, on connaît maintenant l’importance de l’anxiété apprise par conditionnement ou apprentissage.

Du côté des travaux biologiques, le domaine s’est structuré autour du concept d’attaque de panique. Donald Klein décrivit dans les années soixante une réponse différente à l’imipramine pour l’anxiété chronique et pour l’anxiété paroxystique (Klein, 1967). Il concluait que les antidépresseurs étaient utiles spécifiquement dans les manifestations paroxystiques, appelées paniques, lesquelles avaient donc des mécanismes neurobiologiques spécifiques et différents de ceux conduisant à l’anxiété diffuse. Cette anxiété diffuse chronique et généralisée ne répondait pas, selon Klein, aux mêmes médicaments. Ces données ont permis de structurer le domaine des troubles anxieux, mais aujourd’hui on sait que les antidépresseurs sont utiles dans la panique, mais tout autant dans l’anxiété généralisée et dans la plupart des troubles anxieux.

Nosographie des troubles anxieux

Les classifications contemporaines des troubles anxieux, telles que celle du DSM IV, ont permis un progrès considérable pour la clinique et la recherche. Elles ont proposé des critères décrivant les différentes formes d’anxiété pathologique, et permettant des diagnostics beaucoup plus précis et fidèles qu’auparavant. Ces classifications laissent toutefois des questions non résolues.

Par exemple, les diverses catégories proposées dans le DSM IV correspondent-elles véritablement à des troubles ou syndromes distincts ? La plupart du temps les troubles anxieux présentent une co-morbidité très élevée entre eux, ainsi qu’avec les troubles de l’humeur. L’exemple du trouble d’anxiété généralisée (TAG) illustre cette question. Dans le DSM III il était considéré comme une catégorie résiduelle, qu’on retenait si les critères des autres troubles considérés plus spécifiques n’étaient pas remplis. Maintenant le DSM IV le considère comme une catégorie à part entière. Mais certains cliniciens se demandent encore s’il s’agit d’un tableau secondaire et peu significatif ou si au contraire il s’agirait d’une manifestation centrale, premier reflet de la vulnérabilité biologique et psychologique à l’anxiété, et conduisant à d’autres troubles anxieux ainsi qu’à la dépression et aux toxicomanies. Les données plus récentes semblent aller dans cette direction et indiquent par exemple un risque de suicide quatre fois plus élevé que dans la population générale (Maki, 2003). Ainsi en médecine de 1ère ligne, le TAG est le trouble anxieux le plus fréquent (Kessler et Witchen, 2002) et serait relié à environ un quart (26 %) des consultations (Maki et al., 2003).

Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) pose d’autres questions. Si les obsessions sont habituellement génératrices d’une anxiété considérable, et si les compulsions visent le plus souvent à réduire cette anxiété, ce n’est pas toujours le cas. Et plusieurs patients nous décrivent se sentir contraints à répéter des comportements (par exemple, des symétries ou des pairages de comportements), sans que l’anxiété soit un mobile important, mais plutôt jusqu’à ce que tout devienne « correct », un peu comme dans les tics. Le concept de spectre obsessionnel-compulsif a été proposé comme une alternative à l’appartenance aux troubles anxieux : le trouble obsessionnel-compulsif pourrait avoir plus de liens avec d’autres pathologies telles que les tics et la maladie de Gilles de la Tourette, ou encore la trichotillomanie, la dysmorphophobie ou même certaines formes d’autisme qui comportent beaucoup de stéréotypies. Nous avons demandé à Kieron O’ Connor de préciser cette question.

L’objectif de cette section n’est pas de présenter un synopsis de la clinique des troubles anxieux mais plutôt de cibler certaines questions spécifiques. Il semble toutefois utile de présenter les troubles mentaux appartenant à cette catégorie selon le DSM IV. Le tableau I les énumère.

Tableau I

Les troubles anxieux selon le DSM IV

Les troubles anxieux selon le DSM IV

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On peut espérer que la nosographie des troubles liés à l’anxiété s’améliorera lorsque des marqueurs biologiques ou cognitifs nous permettront d’objectiver et de mesurer les mécanismes fondamentaux sous-jacents aux symptômes. Sur ces nouvelles données portant sur des marqueurs ou des mécanismes fondamentaux pourrait s’élaborer une nouvelle conception des troubles anxieux où les manifestations plus spécifiques, telles que l’agoraphobie ou la phobie sociale pourraient se construire à partir de prédispositions à l’anxiété paroxystique de type panique ou à l’anxiété chronique et diffuse de type anxiété généralisée. Où en sommes-nous dans notre compréhension de ces mécanismes de base, qu’ils soient physiologiques ou cognitifs ?

Mécanismes psychophysiologiques de l’anxiété

Une des observations mise fréquemment de l’avant dans la compréhension de la réaction particulière des patients anxieux face à leur environnement est celle d’une hypervigilance et d’une hyperréactivité. Certaines théories, surtout inspirées par les thérapies cognitivo-comportementales, situent au coeur des troubles anxieux une tendance à hyperréagir physiologiquement (tension musculaire, accélération cardiaque, sursauts, réactions de surprise) à des signaux de danger. Ces théories proposent aussi un concept relié de biais perceptuel : les anxieux démontreraient une hypervigilance en regard des dangers potentiels, c’est-à-dire une forme d’attention sélective aux problèmes et dangers que peuvent receler l’environnement. Dans un article qui suit nous tentons ainsi de préciser comment s’expriment physiologiquement l’hypervigilance et l’hyperréactivité décrites subjectivement et cliniquement pour constater que les patients anxieux démontrent habituellement un mélange paradoxal d’hypoactivité physiologique de base et d’hyperréactivité très sélective lors de mesures objectives en laboratoire. Le fonctionnement psychique semble se rigidifier dans un certain type de réactivité qui se manifeste à plusieurs niveaux : attentionnel, cognitif, comportemental et physiologique.

Une question de même ordre peut concerner des mécanismes psychologiques. Ainsi on peut se demander si certaines attitudes, croyances, styles de pensées, qui constitueraient des traits durables de la personnalité, pourraient favoriser l’émergence de manifestations anxieuses. Ainsi les thérapies cognitivo-comportementales mettent l’accent sur les systèmes de pensées ou schémas cognitifs qui conduiraient à des patterns répétitifs et durables de réactions comportementales et émotionnelles. P. Cousineau nous décrit certains schémas précoces inadaptés qui prédisposent à l’anxiété. Encore une fois nous retrouvons le phénomène de la rigidification du fonctionnement psychique.

Des études récentes révèlent des modifications morphologiques du système nerveux central suite au stress chronique anxiogène, d’un côté une atrophie dendritique au niveau de l’hippocampe, de l’autre côté un développement de l’arborisation dendritique dans l’amygdale (Vyas et al., 2002). De là découlent vraisemblablement une rigidification des capacités d’apprentissage liées à l’hippocampe et une accentuation de la réponse émotive en relation avec l’amygdale. Les cliniciens savent depuis longtemps que des dérèglements hormonaux conduisent à des tableaux psychopathologiques, et notamment à l’anxiété. Depuis des années de nombreuses recherches portent sur les liens entre l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, et les troubles mentaux, particulièrement les troubles de l’humeur. Plus récemment on a associé l’hyperactivité surrénalienne et les modifications hippocampales (Sousa et Almeida, 2002). En ce sens rappelons-nous les travaux pionniers de H. Selye à Montréal, qui le premier a décrit la réponse biologique globale à des stresseurs durables appelée syndrome général d’adaptation et comportant une hyperactivité surrénalienne chronique (Selye, 1936).

Importance des troubles anxieux

Les symptômes anxieux sont omniprésents dans la vie et dans toutes les formes de troubles mentaux. Quelle est l’importance clinique et sociale réelle des troubles où l’anxiété est au premier plan ? Si les troubles anxieux sont omniprésents, sont-ils un peu comme les rides ? Une question d’esthétique ou de discussion de salon où il pourrait être de bon ton de parler de sa petite angoisse personnelle, ou de sa petite phobie cachée.

Beaucoup d’études ont montré que les troubles anxieux sont sous-identifiés, sous-diagnostiqués et sous-traités, et qu’ils produisent très souvent des impacts négatifs précoces et durables sur le fonctionnement personnel et interpersonnel des personnes touchées. Un très grand nombre de ces personnes ne consultent pas ou le font de façon déguisée ou indirecte, par exemple sous le couvert de symptômes somatiques. En conséquence, un fort pourcentage des patients se retrouvent, lorsqu’ils consultent, chez leur médecin généraliste. De là l’importance du travail concerté et des soins partagés entre cette première ligne et les services spécialisés de psychiatrie/santé mentale, qu’on appelle de plus en plus deuxième ligne.

Nos systèmes de santé ont eu tendance à investir beaucoup plus massivement les pathologies plus lourdes, parfois appelées sévères et persistantes, c’est-à-dire les troubles schizophréniques et les troubles sévères de l’humeur parce que ceux-ci sont plus visibles et dérangeants socialement (Conseil médical du Québec, 2001). Est-il possible que nos priorités de santé publique passent ainsi à côté d’une problématique centrale, bien que plus discrète, et que nous négligions dans nos interventions sanitaires un vaste segment de la population, qui pourrait être soulagé et traité d’une façon efficace avec des moyens raisonnables, leur permettant d’avoir une qualité de vie sensiblement améliorée et une contribution accrue à la société ? C. Poulin et al., de la Direction de la Santé publique de Montréal, nous démontrent que les troubles anxieux constituent un problème considérable de santé publique qui demeure encore maintenant mal reconnu et sous-traité, particulièrement chez les jeunes, avec des conséquences potentielles importantes à long terme. Outre l’accès aux soins, ils mettent l’accent sur le besoin d’informations et de recommandations de pratique simples pour les médecins. En somme, des ressources plutôt légères, mais qui demeurent pour le moment peu développées, et donc difficilement accessibles.

L’importance des troubles anxieux au plan clinique et quant à leur répercussion sur la santé est liée à un début précoce et à une évolution habituellement chronique. Ces troubles ont donc des années devant eux pour influencer et endommager la vie de leurs victimes. Les dommages les plus connus sont la dépression et le suicide, ainsi que l’alcoolisme et les autres dépendances. Mais ils infléchissent aussi de façon souvent sournoise et répétitive la vie des personnes atteintes, conduisant par exemple à des abandons d’études, à des dysfonctionnements professionnels, à de l’isolement social, etc.. Yasser Khazaal nous dira si la pathologie anxieuse est aussi associée à un tabagisme accru ou particulier, question de santé publique fondamentale puisque le tabagisme constitue une des toutes premières causes de mortalité et de morbidités somatiques évitables.

Le traitement des troubles anxieux

Le traitement des troubles anxieux a considérablement évolué et de plus en plus de moyens thérapeutiques ont fait leurs preuves. Les avenues thérapeutiques les plus reconnues incluent les antidépresseurs, particulièrement ceux des dernières générations qui sont mieux tolérés, et les psychothérapies cognitivo-comportementales, ou encore une combinaison de ces deux approches, dans une perspective de psychiatrie intégrative à privilégier, particulièrement pour les situations les plus graves.

Du côté de la psychothérapie, il faut souligner que l’accessibilité des patients anxieux aux traitements cognitivo-comportementaux varie beaucoup d’un milieu à un autre. En Suisse par exemple, la majorité des psychothérapeutes ont une autre orientation, particulièrement une orientation psychodynamique. Pour cette raison il nous est apparu important de demander à des cliniciens et chercheurs dans le domaine de la psychothérapie s’il existait une approche d’inspiration psychanalytique spécifiquement adaptée aux troubles anxieux. La psychanalyse commence à s’adapter aux tendances contemporaines d’une lecture plus syndromique des troubles psychiatriques, comme l’expliquent T. Currat et JN Despland dans leur article. Ils décrivent entre autres le développement du modèle psychanalytique lausannois de l’investigation brève et, de façon plus détaillée, une approche psychodynamique américaine élaborée spécifiquement pour le trouble de panique, qui apparaît intéressante, bien qu’elle n’ait pas encore fait l’objet d’études contrôlées. Ils soulignent que les différences d’efficacité entre diverses approches de psychothérapie sont en général peu importantes.

Ce constat met l’accent sur les facteurs communs à diverses psychothérapies plutôt que sur les facteurs spécifiques qui les distinguent les unes des autres, et dont on discute passionnément bien qu’ils semblent produire peu de différences d’efficacité. À titre d’exemple, notre équipe lausannoise termine une étude comparant deux approches de groupe cognitivo-comportementales de la phobie sociale entre lesquelles nous avons fait varier le dosage d’un des ingrédients considérés comme les plus fondamentaux : l’exposition aux situations génératrices d’anxiété sociale. Dans l’une des deux approches, l’accent thérapeutique a été mis essentiellement sur l’exposition, en augmentant rapidement et régulièrement le niveau d’anxiété des expositions en groupe, pour constituer une forme d’immersion (flooding). L’autre approche, plus habituelle, associait à des expositions plus limitées et plus progressives des discussions de groupe avec soutien ainsi que du travail cognitif. Les résultats préliminaires indiquent qu’après 8 séances seulement, la grande majorité des patients démontre une amélioration importante mais comparable dans les 2 groupes. Ces résultats sont optimistes et rassurants. Ils nous simplifient le travail clinique, mais en même temps nous compliquent la tâche de comprendre la nature des facteurs les plus importants pour l’amélioration de nos patients, qui dans ce cas pourraient être les facteurs communs aux deux approches : l’exposition, la dédramatisation et le soutien liés à la participation à un groupe ainsi que la psychoéducation. Pour en savoir davantage, nous avons demandé à Ariel Stravinsky, chercheur montréalais spécialisé dans la phobie sociale, de nous donner son avis sur l’importance relative de facteurs thérapeutiques tels que l’exposition ou la restructuration cognitive dans le traitement des patients souffrant d’anxiété sociale.

La difficulté de départager les ingrédients ou les facteurs les plus esentiels à nos thérapies peut être illustrée par quelques situations cliniques. Ainsi cette patiente, souffrant d’une phobie sociale intense et caractéristique, précisera, après avoir participé à un traitement de groupe de type TCC qui fut efficace, qu’elle s’était inquiétée en s’engageant dans cette modalité thérapeutique et même depuis, car elle redoutait que nous négligions les autres aspects, plus personnels, de ses difficultés relationnelles. En somme, elle souhaitait à la fois une approche ciblant ses symptômes d’anxiété sociale très dérangeants, mais aussi une relation d’aide plus générale et plus personnelle. Nous pensons aussi à certains patients qui attribuent leur amélioration à la démarche cognitivo-comportementale qui les a outillés en termes de compréhension de leurs symptômes et de stratégies pour les contenir. Pourtant certains d’entre eux, lorsqu’on leur demande de préciser ce qu’ils ont appris, nous énumèrent quelques éléments très simples. En contrepartie leur comportement, et particulièrement leur anxiété lors d’arrêts ou de diminutions de séances, tend à nous indiquer que ces stratégies leur sont vraiment plus utiles et accessibles dans le contexte d’une relation thérapeutique positive et bien investie.

Par contre, bien des thérapeutes spécialisés dans l’abord des troubles anxieux ont l’expérience répétée de voir arriver des patients exaspérés par un long cheminement dans des thérapies qu’ils estiment avoir été peu efficaces et souvent trop longues et trop coûteuses. De façon typique, ils nous diront qu’à travers une démarche plus globale, souvent de type introspectif et visant la compréhension de mécanismes sous-jacents à leur anxiété, ils ont appris certaines choses utiles et intéressantes sur eux-mêmes, mais que leurs symptômes sont demeurés inchangés. Pour eux, les orientations et stratégies thérapeutiques spécifiques ne sont pas indifférentes. Et en pratique, malgré l’importance des facteurs relationnels et non spécifiques dans les diverses approches, il ne viendrait pas à l’idée de la majorité des thérapeutes, ni de leurs patients d’ailleurs, de ne pas inclure, ou à tout le moins favoriser une bonne dose d’exposition dans leurs traitements.

En somme, plus les traitements se développent, plus des questions intéressantes et plus précises se posent, car les thérapeutes cherchent à optimiser leurs interventions. Toujours dans le domaine de la psychothérapie, on peut ainsi s’interroger sur les composantes émotionnelles du traitement. En effet le développement des approches cognitives et comportementales a plutôt mis l’accent sur l’analyse et le changement des comportements, ainsi que sur le contenu et les mécanismes des pensées. Pourtant les patients consultent beaucoup en raison d’émotions intenses et souffrantes. La stratégie cognitive consiste habituellement à leur expliquer que ces émotions pénibles découlent de pensées dysfonctionnelles. Au-delà de ces principes, est-il parfois utile de travailler plus directement avec les émotions ? Miroslava Stankovic discute la place de l’émotion dans les approches cognitivo-comportementales en mettant l’accent sur le trouble obsessionnel-compulsif qui apparaît très souvent comme une pathologie particulièrement cognitive.

Dans le domaine des troubles anxieux, les approches de groupes se sont particulièrement développées. Des groupes spécifiques pour les attaques de panique, les troubles obsessionnels-compulsifs, la phobie sociale sont apparus. Ces groupes comportent des avantages indéniables en démultipliant l’accessibilité des traitements pour un nombre accru de patients. En général, et au-delà de leurs hésitations et de la gène initiale, les patients acceptent bien ces approches, qui leur permettent de dédramatiser leur symptômes en les discutant de façon ouverte et en constatant qu’ils ne sont plus seuls au monde. Les approches de groupes favorisent aussi une psychoéducation sur la nature des troubles anxieux, de leurs mécanismes sous-jacents et des avenues thérapeutiques disponibles. L’approche de groupe semble revêtir une pertinence toute particulière dans le traitement de l’anxiété sociale : elle fournit en effet d’emblée un lieu d’expérimentation et d’exposition extrêmement utile. Toutefois quelle est l’évidence disponible en faveur des approches de groupe comparativement aux approches individuelles plus traditionnelles qui ont permis le développement des thérapies cognitivo-comportementales ? Valentino Pomini nous propose une revue de cette question, qui pourrait indiquer une influence différente du groupe dans le groupe panique et dans la phobie sociale. Dans cette dernière, le groupe peut constituer un lieu naturel d’exposition alors que, dans la panique, il pourrait constituer un lieu protégé diminuant l’anxiété lors des expositions, donc l’efficacité de ces techniques.

Traitement pharmacologique

Le traitement pharmacologique des troubles anxieux a aussi considérablement progressé. Ainsi les médications tranquillisantes ou sédatives sont passées au deuxième plan. Le traitement de fond de l’ensemble des troubles anxieux repose maintenant davantage sur les antidépresseurs. Parmi les antidépresseurs, les plus récents sont favorisés en raison d’un profil d’effets secondaires et de sécurité plus favorable. Certains médicaments obtiennent des indications spécifiques à partir d’études cliniques démontrant l’efficacité de leurs molécules selon les exigences des instances gouvernementales concernées dans tel ou tel pays. Ainsi la venlaflaxine est reconnue dans l’anxiété généralisée, la sertraline dans la phobie sociale, la paroxétine dans l’attaque de panique, le citalopram dans les troubles obsessionnels-compulsifs, etc.. Les indications peuvent varier d’un pays à un autre. Ces exemples sont loin d’être exhaustifs et la liste pourrait se poursuivre. La question se pose de la spécificité réelle de ces traitements. En somme le découpage des indications est-il relié à des différences d’effet réelles ou plutôt à un partage du marché avec des visées plutôt de l’ordre du marketing ? Les troubles obsessionnels compulsifs pourraient constituer une exception car l’efficacité des substances semble plus clairement reposer sur un effet sérotoninergique prédominant. C. Todorov fait le point cette question de la spécificité du traitement pharmacologique.

Traitements complémentaires

L’humanité est depuis toujours aux prises avec l’anxiété. Depuis toujours, elle cherche des explications et des solutions dans toutes les directions. Ainsi les librairies, les revues, les médias en général et peut-être internet en particulier regorgent d’informations fort diverses et proposent des solutions nombreuses de nature très diverse. Les thérapies alternatives attirent un grand nombre de patients anxieux. Plus près de nos interventions professionnelles, il existe une vaste littérature démontrant l’efficacité des traitements reposant sur des méthodes de relaxation ou de méditation. Le biofeedback a aussi été considérablement utilisé. Récemment une approche méditative reposant sur une tradition orientale de longue date mais modernisée et médicalisée a démontré un intérêt particulier dans la prévention des rechutes dépressives. G. Bondolfi nous dit si cette approche, appelée « pleine conscience » ou « mindfulness », peut jouer un rôle dans le traitement des troubles anxieux.

Fréquemment les patients nous diront qu’ils ont enfin compris la nature de leur souffrance et ont pu par la suite entamer une démarche thérapeutique après avoir obtenu de l’information sur l’anxiété et ses formes pathologiques. Cette information, ils l’ont obtenue par le biais d’une émission de télévision, d’une lecture ou encore par internet. Fréquemment le déclic se produit en consultant de la littérature ou un site web produit par une association professionnelle spécialisée ou une association d’entraide oeuvrant dans le domaine de l’anxiété. D’ailleurs ces deux types d’association collaborent et s’associent fréquemment. Des associations professionnelles existent dans plusieurs pays et notamment au Québec et en Suisse, par exemple l’Association des troubles anxieux du Québec (www.ataq.org), la Société suisse du trouble obsessionnel-compulsif (www.zwang.ch), la Société suisse du trouble d’anxiété généralisée (www.swissanxiety.ch), etc. Compte tenu de leur importance pour les personnes concernées et leurs proches, nous avons voulu obtenir le témoignage d’un responsable d’une association d’entraide. Ainsi S. Pittet, vice-présidente de l’association ANXIETAS à Lausanne nous décrit les objectifs de son organisation et spécialement ses projets de collaboration avec les thérapeutes à travers le concept de co-thérapie.

En conclusion, le domaine de l’anxiété pose des questions qui touchent tout le champ de la psychiatrie et de la santé mentale dans leurs aspects biologiques, psychologiques, sociaux, et santé publique. Dans cet article et dans la section qui suit, nous tentons d’en clarifier quelques-unes.