Corps de l’article

La localisation ne laisse pas indifférents les praticiens et les universitaires du milieu de la traduction. Alors que certains nient son existence, n’y voyant qu’un habile maquillage destiné à séduire les donneurs d’ouvrage, d’aucuns croient pour leur part à un bouleversement. Bien sûr, la réalité se trouve sans doute entre les deux pôles : davantage qu’une nouvelle appellation de l’acte traduisant, la localisation ne s’en démarque cependant pas au point de renier sa parente. En revanche, la traduction est d’ores et déjà profondément marquée au coin de la mondialisation et de la technologie, et la localisation naît de cette rencontre. Or, qui dit nouvelle discipline dit nouveaux champs du savoir et nouveaux acteurs. Ces derniers doivent acquérir une formation pour jouer un rôle dans l’implantation et l’expansion de cette nouvelle sphère d’activité. Le présent article établira d’abord la nature langagière de la localisation ; quelques remarques sur la place particulière qu’occupe la terminologie dans l’adaptation culturelle et linguistique suivront. On enchaînera en brossant un tableau des connaissances et des compétences requises en localisation, ce qui mènera à un examen des programmes actuels de formation. Après avoir situé l’enseignement de la localisation à l’université, notre propos s’attachera à la place que doit y occuper la composante langagière. L’importance de celle-ci influence directement le rôle des traducteurs, terminologues et rédacteurs dans les processus d’internationalisation et de localisation. Un survol des conditions requises pour un cursus en localisation clora le présent article.

La nature de la localisation

Clarifions tout d’abord les liens qu’entretient la localisation avec le domaine de la langue en examinant deux définitions tirées d’organisations qui se sont récemment penchées sur la question. Tout d’abord, selon le Comité sectoriel sur l’industrie de la traduction au Canada (Canada. Industrie Canada, 1999 : 48), la localisation se définit de façon globale comme « l’adaptation à une langue et une culture étrangères de logiciels et de documents techniques accompagnateurs ». Pour sa part, l’internationale Localisation Industry Standards Association (LISA) décrit de la sorte la localisation : « Localization involves taking a product and making it linguistically and culturally appropriate to the target locale (country/region and language) where it will be used and sold » (Localisation Industry Standards Association, page consultée le 22 avril 2002).

En premier lieu, on fera ressortir que ces définitions s’articulent nettement autour de deux pivots, soit l’adaptation linguistique et l’adaptation culturelle. Ces dernières sont de toute évidence au centre de l’activité localisatrice. Or, on ne saurait nier qu’elles aient toujours appartenu au travail du traducteur, du terminologue et du rédacteur ; elles trouvent leur prolongement dans celui du localisateur. La filiation paraît de ce point de vue directe entre la traduction et la localisation. On peut affirmer, à l’appui des définitions citées, que la localisation est essentiellement une activité d’adaptation linguistique et culturelle ; partant, elle relève au premier chef des langagiers, spécialistes incontestés de cette dernière.

En second lieu, il est intéressant de noter que la définition de LISA, au contraire de celle du Comité sectoriel canadien sur l’industrie de la traduction, se contente de parler d’adaptation linguistique et culturelle sans mettre en relief les qualités informatiques des matériaux[1] à localiser. Cette omission étonne, d’autant plus que les intérêts de LISA portent traditionnellement sur l’aspect technologique de la localisation. Afin d’assurer une clarté maximale à la notion discutée, précisons que la localisation porte sur des logiciels, des cédéroms, des ordinateurs de poche, des pages Web, etc. Il paraît clair qu’elle renvoie explicitement à des produits informatiques, quels qu’ils soient ; si l’on évacue cette composante technologique, on se retrouve alors dans une situation familière, celle de la traduction traditionnelle, avec son lot d’adaptations. Ainsi, on traduit les aventures de Harry Potter de l’anglais au français, en adaptant plus ou moins (les noms des lieux et des personnages, par exemple). À la limite, un traducteur pourrait sans doute aller jusqu’à dire, par extension de sens, qu’il localise pour le Québec les péripéties de Harry Potter si, par exemple, il en déplace l’action de la Grande-Bretagne au Québec. Cependant, l’usage, à l’heure actuelle du moins, réserve encore « adaptation » pour désigner ce « procédé de traduction qui consiste à remplacer une réalité socioculturelle de la langue de départ par une réalité propre à la socioculture de la langue d’arrivée convenant au public cible du texte d’arrivée » (Delisle et al., 1999 : 9). Au sens propre, localiser ne devrait s’employer que pour les marchandises électroniques de la vaste gamme d’articles dérivés du célèbre personnage, comme les jeux vidéo. Bien sûr, ces derniers ne feront pas l’objet d’une adaptation différente du livre, mais l’interface, les commandes, les boutons et autres matériaux seront localisés.

La terminologie, parangon de l’acte localisant

Il vient d’être établi que l’adaptation linguistique et culturelle représente l’essence de l’acte localisant et une indication supplémentaire à cet effet provient de la terminologie. Cette dernière a toujours fait partie intrinsèque des activités traductionnelles unilingues ou multilingues. Omniprésente, elle demeure néanmoins effacée. À cet égard, lors d’un récent congrès de traducteurs, de terminologues et d’interprètes, un atelier sur la terminologie faisait ressortir que la valeur de cette dernière semblait proportionnelle à son invisibilité. Elle défraie pourtant la chronique en localisation. Des articles dans les revues spécialisées du domaine rappellent régulièrement les vertus primordiales d’une saine gestion terminologique. Elle est souvent en vedette dans les livres, en nombre croissant, traitant de l’aspect technologique de la localisation. Cette insistance, qui relève de la découverte, démontre, à nos yeux, que la localisation est abordée par des non-langagiers qui y arrivent par la technologie.

Il faut avouer que la pratique de la terminologie englobe de façon non équivoque les connaissances indispensables à l’exercice de la localisation. La terminologie est effectivement la pièce maîtresse de cette nouvelle discipline, et ce, pour plusieurs raisons. Une de celles-ci est qu’on doit d’abord établir le vocabulaire d’un produit pour que puisse suivre le travail de localisation. Naturellement, la première étape linguistique consiste à dépouiller le produit internationalisé en vue de dresser la liste des termes qui le composent. Ces termes inventoriés, on mène les recherches documentaires et terminologiques pour trouver les équivalents, qui assureront la cohérence linguistique des diverses facettes d’un même produit : menus, aide en ligne, boîtes de dialogue, messages-écran, etc. Nous dégageons deux axes à ces recherches, que nous nommerons horizontal et vertical. Le premier est celui de la recherche terminologique dans le domaine auquel appartient le produit à localiser. Indubitablement, les applications courantes de l’informatique entraînent la création de progiciels dans des domaines spécialisés. Il est impératif que les produits respectent les usages linguistiques des spécialistes locaux de cette sphère d’activité, sous peine de rejet. Le second axe, vertical, tient compte de la famille du produit à localiser. On doit absolument s’assurer d’une rigoureuse cohérence terminologique entre toutes les versions du produit ainsi qu’avec les articles apparentés du fabricant. Illustrons le tout par un exemple, celui d’un logiciel de déclaration de revenus. Sur l’axe horizontal, on harmonisera la terminologie fiscale du logiciel avec le vocabulaire de la culture d’accueil. Sur l’axe vertical, le logiciel respectera les conventions terminologiques établies dans les versions antérieures. Dans la même foulée, la terminologie utilisée pour le logiciel de déclaration de revenus sera cohérente avec celle des articles apparentés de la même entreprise, comme une application de gestion financière, avec lequel l’utilisateur du premier logiciel pourra échanger des données.

Une manifestation supplémentaire de la localisation comme étant du ressort traductionnel – et a fortiori terminologique – est le traitement des variables linguistiques et culturelles. Leur prise en charge a toujours relevé des tâches terminologiques. Placé devant un terme à valider ou une notion à cerner, le terminologue doit constamment traiter avec des différences culturelles ou linguistiques. Il lui revient de déterminer les termes propres à certaines régions géographiques et de leur accoler les marques d’usage conséquentes. Il est aussi dans ses fonctions de s’assurer qu’une notion présente dans une culture se retrouve bel et bien dans une autre, en tout ou en partie, le découpage de la réalité pouvant varier selon les communautés. De toute évidence, pour ces raisons, le terminologue est le mieux placé pour se charger de la localisation.

La terminologie se distingue également par son approche conceptuelle plutôt que lexicale. La démarche onomasiologique du terminologue lui fait interpréter conceptuellement le produit à localiser, de façon tout à fait naturelle, de la même manière qu’il aborde le reste de son travail. Adapter culturellement signifie aller au-delà des mots et des termes pour se pencher sur les idées ; il appartient logiquement au terminologue de déterminer si un produit est localisable et, dans l’affirmative, de désigner les modules qui le sont d’emblée, lesquels sont à adapter ou à supprimer tout simplement. L’approche conceptuelle est une seconde nature chez le terminologue, ce qui le prédispose à devenir un localisateur efficace.

Enfin, un dernier élément parmi les qualités qui font de la terminologie la pierre angulaire de l’exercice de la localisation est, étrangement, celui de la miniaturisation. Expliquons notre propos. Les écrans des produits informatiques suivent la même tendance à la miniaturisation que l’ensemble des marchandises électroniques. Or, plus un écran est petit, plus les mots qui y apparaissent sont terminologisés. Par exemple, un logiciel présente des menus qui contiennent de la terminologie sous la forme de noms abrégés de commandes, et les boîtes de dialogue et fichiers d’aide en ligne regorgent aussi de terminologie liée au produit et au domaine d’application. Lorsque l’écran se miniaturise, ce qui y apparaît tend à devenir de moins en moins traductionnel et de plus en plus terminologique ; c’est le cas des ordinateurs de poche, des agendas électroniques, de téléphones cellulaires et de divers appareils électroniques. Les mots qui y sont affichés sont en fait des symboles ou des termes (code d’accès, messagerie, verrouillage, rappel auto, etc. dans le cas d’un téléphone cellulaire).

À la lumière de ce qui précède, on constate que la localisation est affaire de traduction et de terminologie, par son essence du moins, qui consiste à adapter linguistiquement et culturellement. Voyons maintenant certaines des qualités requises pour oeuvrer en localisation selon cette conception.

Les connaissances et compétences nécessaires à la localisation

Un certain nombre de connaissances et d’habiletés est requis pour effectuer toute activité et la localisation n’échappe pas à cette règle. Tentons de déterminer les qualités essentielles au localisateur, dont la principale a été cernée dans la section précédente : il est langagier.

Pour effectuer son travail, le localisateur doit maîtriser plusieurs habiletés linguistiques et techniques. Il doit d’abord savoir traduire, car peu importe le matériau qu’il aura à traiter, la tâche à accomplir sera fondamentalement un transfert linguistique. Deuxièmement, au-delà d’une certaine aisance en traduction, il sait adapter, c’est-à-dire se distancier suffisamment du matériau original pour donner à l’utilisateur final l’impression que la marchandise livrée a été conçue dans sa communauté linguistique, par et pour ses concitoyens. En troisième lieu, le localisateur domine la méthode, c’est-à-dire qu’il maîtrise les étapes de l’acte localisant et leur ordonnancement. En effet, tout comme le traducteur a été formé, par exemple, à lire en entier le texte de départ avant de le traduire, à l’importance des textes parallèles ou encore aux critères d’une recherche terminologique de qualité, le localisateur acquiert une méthode de la localisation : vérification de l’internationalisation, établissement de la terminologie, pseudo-traduction, contrôle de la qualité, etc. Quatrièmement, il maîtrise les incontournables outils informatiques pour traiter les matériaux à localiser, modifier les menus, les icônes, les boîtes de dialogue, etc. Il est nommément question ici de notions minimales des systèmes d’exploitation, des familles de langages de programmation et du fonctionnement des aides à la traduction et à la localisation. Cinquièmement, des habiletés de gestion de projet servent au localisateur, étant donné l’ampleur habituelle des contrats et les exigences de livraison simultanée dans plusieurs marchés qui leur sont habituellement associées. Enfin, on ajoutera à la liste une capacité de réflexion sur les transformations actuelles et futures de la société en général et de la localisation en particulier en ce qui a trait aux communications, à la culture, ainsi qu’à l’omniprésence et à l’omnipotence de la technologie.

Compte tenu de ce qui précède, les qualités souhaitées du localisateur se regroupent en deux branches principales : l’une linguistique, l’autre technologique. Reste à savoir laquelle prime ou encore si elles peuvent s’acquérir simultanément. Les langagiers sont familiers avec le dilemme lorsqu’il est question de la traduction spécialisée : conduit-on un spécialiste à la traduction ou un traducteur à une spécialité ? Prenons comme première hypothèse que le localisateur proviendra, à court terme du moins, de l’un des horizons technologique ou langagier. La forte demande de localisateurs, de même que le temps requis pour instruire des candidats qui ne posséderaient au départ aucune des aptitudes, favorise cette option. En outre, étant donné que les affinités sont fortes, d’abord entre localisation et traduction et, ensuite, entre localisation et technologies de l’information, on pourrait envisager qu’un programme d’études en localisation accueille des candidats possédant déjà une des expertises et les forme dans l’autre. Deux avenues seraient alors envisageables. D’une part, la formation d’informaticiens ou d’ingénieurs informatiques à l’aspect linguistique de la localisation ou, d’autre part, l’offre, à des langagiers, de cours axés sur la technologie. D’ores et déjà, les besoins de savoir et de savoir-faire indispensables pour l’exercice de la localisation ont été établis. Examinons maintenant quelles variétés de programmes seraient les plus appropriées pour l’apprentissage de la localisation.

L’ordre d’enseignement de la localisation

Il est d’abord utile de déterminer l’ordre d’enseignement auquel devrait appartenir un programme en localisation. La somme des connaissances requises pour devenir localisateur dépasse largement celle offerte en formation continue ou en perfectionnement. Conséquemment, il vaut mieux éviter cette avenue et privilégier une scolarisation poussée. Le niveau technique est lui aussi à écarter d’emblée, car la maîtrise de la traduction requise pour l’exercice de la localisation ne peut raisonnablement y être enseignée. À cet égard, les programmes de traduction offerts dans le monde le sont généralement à l’université. Or, à l’heure actuelle, ces derniers ne diplôment pas de localisateurs. Certes, un nombre croissant de cursus – et c’est heureux – offrent un apprentissage aux aides à la traduction ; bien que ce soit un pas dans la bonne direction, il ne suffit pas de maîtriser quelques-uns de ces logiciels pour se proclamer localisateur. La localisation, on l’a dit, nécessite l’apprentissage des méthodes et des outils. Pour y arriver – et c’est peut-être ce qui se produira à terme – il importerait de modifier profondément les programmes existants, ou d’en créer carrément de nouveaux. Ces derniers auraient pour objectif d’instruire aux aspects linguistiques de même que technologiques. On conviendra, dans le même élan, qu’une formation en adaptation linguistique et culturelle digne de ce nom ne s’intégrerait pas non plus à des cursus en informatique, quels qu’ils soient, sans réaménagements majeurs de ceux-ci.

Les catégories de programmes concevables

L’une des avenues évoquées précédemment dans l’optique d’un cursus est l’initiation d’un diplômé en technologies de l’information et des communications (TIC) à l’aspect linguistique de la localisation. Dans ce cas, les étudiants seraient initiés aux subtilités du transfert linguistique et de l’adaptation culturelle. Les aptitudes techniques précédemment acquises par ces candidats seraient mises à contribution. Il n’existe, à notre connaissance, aucun exemple de programme de ce genre dans le monde à l’heure actuelle. Un second scénario est celui du cursus plus technologique enseigné à des diplômés d’un programme de traduction. On en trouve certains exemples en Amérique et en Europe, où cette scolarisation constitue une valeur ajoutée aux études des traducteurs. On met à profit le savoir linguistique des candidats en y greffant des notions sur l’internationalisation, sur les outils informatiques, sur les éléments de programmation, etc. Étant donné que la traduction est généralement enseignée au premier cycle universitaire, on conçoit qu’un cursus offert à des diplômés en traduction soit logiquement offert au deuxième cycle ou, à la rigueur, au premier cycle.

Il est possible d’ajouter une troisième piste, le programme spécialisé en localisation, pour des candidats qui ne seraient préalablement rompus ni aux TIC, ni au transfert linguistique. Examinons cette dernière hypothèse qui, à l’heure actuelle, n’est pas non plus concrétisée. On enseignerait, à l’intérieur d’un programme sans doute étalé sur plusieurs années, à la fois les aspects technologiques et langagiers propres à la localisation. L’idée concourrait d’une rare collaboration entre les mondes technologique et traductionnel.

Parce que deux des trois classes de programmes énoncés n’existent au moment présent que sur papier, on pourrait croire que les candidats à des études en localisation n’ont d’autre choix qu’un programme offrant un complément technologique à des études en traduction. Or, des sortes de formation non envisagées jusqu’ici sont pourtant offertes, comme il sera maintenant discuté.

La formation courante

La formation en localisation prend dans les faits diverses configurations. Tout d’abord, des séminaires et ateliers de courte durée sont offerts par certaines organisations, généralement privées. D’une durée de quelques heures à quelques jours, ces ateliers sont surtout destinés aux administrateurs d’entreprises qui intègrent la localisation à leurs pratiques commerciales et qui, de ce fait, traitent avec des localisateurs. Ils y apprennent le b. a.-ba de la discipline, les prix, les délais, les choses à faire comme à éviter dans la préparation de produits internationalisés, etc. Signalons en passant, dans le paysage de la formation de courte durée, l’initiative d’un collège des États-Unis : en huit jours, l’ensemble de la localisation est survolé : les méthodes, les outils, la terminologie, etc. Il ressort clairement que cette initiation répond à un besoin distinct ; elle satisfait davantage un besoin d’information générale sur la localisation qu’une volonté arrêtée de la pratiquer.

Une seconde offre d’enseignement à placer sous la marque de la localisation est celle des cours que nous qualifions de recyclés. Ces derniers sont des cours existants d’aides à la traduction (portant sur les mémoires de traduction ou les logiciels de terminologie, par exemple), tirés des programmes de traduction pour lesquels ils ont été créés et recatalogués cours de localisation. Il est incontestable que certaines aides traductiques sont aussi utiles en localisation, mais il est inexact de qualifier ces enseignements de cours de localisation à proprement parler. Cette appellation nourrit d’ailleurs l’idée que la localisation se ramène à une simple manipulation logicielle. D’autres cours encore, que nous appelons ad hoc, sont créés pour initier à la localisation, en exposant sa quintessence et ses caractéristiques.

Les dernières catégories de formation sont de plus grande envergure ; il s’agit de cursus. Nous en distinguerons deux classes à commencer par celle, déjà mentionnée, conçue pour les diplômés en traduction en vue de les initier aux TIC. S’ajoute également une sorte qui ne figure pas parmi les trois types évoqués préliminairement, celle du programme en localisation qui ne s’adresse ni aux langagiers, ni aux spécialistes de l’informatique, sans pour autant prétendre enseigner pleinement les deux aspects. Commençons par décrire cette dernière variété, qu’on offre entre autres aux universités de Limerick (Irlande) et de Washington (États-Unis). L’examen de leurs conditions d’admission révèle qu’aucune compréhension particulière de la traduction et – dans une moindre mesure – de l’informatique n’est requise pour s’y inscrire. En effet, le Certificate Program in Software Localization de l’Université de Washington impose les conditions suivantes, selon que le candidat s’intéresse au cheminement en gestion de projet ou au cheminement en technologie :

  • Cheminement en gestion de projet : habiletés informatiques moyennes (c’est-à-dire être capable d’utiliser les suites logicielles courantes, de naviguer dans Internet, d’utiliser une messagerie électronique) ; deux années d’études d’une langue étrangère ou l’équivalent ; un savoir culturel ou des études internationales représentent un atout.

  • Cheminement en technologie : posséder des habiletés de programmation de base, être certifié en programmation dans un langage courant ou posséder une expérience équivalente.

      On constate que l’exigence des années d’études en langue étrangère s’apparente vaguement à une scolarisation en traduction, sans pour autant prétendre d’aucune façon rivaliser avec elle. Il est intéressant de noter à ce propos que le cheminement en technologie exige davantage de connaissances à l’entrée que les diplômes de localisation pour traducteurs, qui seront discutés ultérieurement, n’en reconnaissent à la sortie.

De son côté, l’Université de Limerick exige normalement un diplôme de premier cycle pour l’admission à son Graduate Diploma/Master of Science in Software Localisation, mais une combinaison d’expérience et de formation professionnelle convient également. Si la connaissance d’une langue seconde représente un atout, on ajoute qu’aucun acquis en informatique n’est nécessaire ; ipso facto, le programme ne s’adresse pas aux diplômés en informatique. Son contenu met nettement l’accent sur l’aspect informatique de la localisation, ce qui se conçoit aisément quand on sait que le cursus relève d’un département d’informatique.

Au vu des qualités requises des localisateurs énoncées précédemment, on reste perplexe devant les conditions d’admission des deux programmes donnés en exemple. Il a été établi que les capacités langagières et technologiques sont au coeur de l’activité localisante et il a été également discuté de l’improbabilité d’instruire rapidement à ces compétences simultanément. Or, c’est exactement ce que proposent ces universités. Les conditions d’admission sont globalement peu exigeantes, spécialement en ce qui a trait au programme de Limerick, doyen de la scolarisation en localisation. Rappelons qu’il ne commande aucune culture particulière, ni linguistique, ni technique. Certes, le cheminement en technologie du cursus américain est davantage exigeant à cet égard ; en revanche, on constate que le certificat n’initie pas au transfert linguistique proprement dit. Dans ces circonstances, il est permis de se demander si les localisateurs diplômés par ces institutions satisfont aux critères de qualité exposés précédemment.

Certaines universités ont préféré une voie distincte, s’adressant à des traducteurs en exercice ou récemment diplômés. Ces établissements d’enseignement ont en commun des critères d’admission qui exigent clairement une expertise traductionnelle préalable à l’inscription au programme ; c’est le cas de l’Université du Québec en Outaouais (Canada) et du Sprachen- und Dolmetscher-Institut München (Allemagne). La première situe son programme au deuxième cycle et exige de ses candidats un baccalauréat en traduction ou l’appartenance à une association professionnelle reconnue. Elle exige en outre une familiarité minimale avec les ordinateurs, similaire à celle suggérée pour le cheminement en gestion de projet de l’Université de Washington, c’est-à-dire la capacité à utiliser le système d’exploitation de son ordinateur, les logiciels courants, le réseau Internet, etc. Le cursus allemand est intégré lui aussi au deuxième cycle et accueille des candidats possédant déjà un diplôme de traducteur. Les étudiants admis dans ces programmes se voient offrir un apprentissage axé sur l’acquisition d’habiletés liées aux TIC, entre autres. Le tableau suivant résume les catégories concevables de formation à la localisation, ainsi que la formation couramment offerte.

Tableau 1

La formation en localisation

La formation en localisation

-> Voir la liste des tableaux

Entre langue et technologie

Devant la multiplication des modèles évoqués, il est raisonnable de se demander quels profils de cohabitation sont envisageables entre la langue et la technologie en ce qui a trait à des études en localisation. Incontestablement, il est légitime de réfléchir à la façon dont les deux principaux types de programmes actuellement offerts, les uns réclamant des candidats de solides éléments en traduction et les autres ne l’exigeant pas, répondent au défi de l’enseignement de la localisation. C’est sur le volet technologique que les cursus irlandais et américain font reposer l’essentiel de leurs conditions d’admission et du contenu de leurs cours. En ce sens, il existe un parallèle entre les principes et méthodes de ces programmes et ceux de München et de Hull, à la différence près que ces derniers s’adressent à des gens déjà compétents en transfert culturel et linguistique. Les cursus québécois et allemand ajoutent par conséquent une couche supplémentaire au vernis des connaissances de traducteurs, terminologues et rédacteurs. En revanche, la scolarisation des étudiants des programmes irlandais et américain ne repose pas sur l’adaptation linguistico-culturelle, mais bien sur la technologie.

Or, tous les programmes discutés ci-dessus sont malgré tout promis à un brillant avenir. À dire vrai, la pénurie de traducteurs et de localisateurs est ressentie de plus en plus vivement. La frontière linguistique demeure, on le répète à satiété, la dernière sur le chemin du village global et les besoins pour la franchir sont imposants. En l’absence d’une source suffisante de traducteurs et de localisateurs qualifiés, il ne faut pas s’étonner que le marché tente d’étancher sa soif de communication interlinguistique et interculturelle avec quiconque manifeste une certaine aisance en la matière. Cette situation explique en partie pourquoi la technologie trouve facilement preneur chez les assoiffés de localisation. Il ne s’agit pas ici uniquement des programmes axés sur la technologie, mais également du discours des marchands de logiciels, qui prétendent que les gestionnaires de mémoires de traduction et autres aides à la localisation représentent la solution aux problèmes de transfert linguistique. Leurs propos laissent clairement croire que le recours à ces logiciels suffit pour localiser tout produit aisément, rapidement et économiquement. Devant la pénurie de langagiers et la pression du marché, on évacue de la sorte habilement la nécessité de recourir à un professionnel de la langue, qui réunit d’ailleurs tous les défauts : il est rare, coûte cher et travaille lentement. Le milieu de la localisation, administrateurs et donneurs d’ouvrage en tête, est donc martelé de publicités qui partagent de nombreuses caractéristiques avec celles des logiciels de traduction entièrement automatique, qui font sourire les spécialistes de la langue. Ces derniers connaissent bien les limites de la TA et ne prêtent plus attention à ces discours qui promettent monts et merveilles au grand public. Or, c’est essentiellement le même propos que tiennent les entreprises logicielles aux gestionnaires et autres clients des ateliers et séminaires en localisation : la localisation s’effectue à coups de logiciels, car c’est bien sûr une opération essentiellement informatique ; on peut aussi, à la rigueur, recourir à un traducteur ou à un localisateur. Tout compte fait, il paraît normal que des cursus puisent à leur tour à l’oasis technologique. En mettant de cette manière l’accent à outrance sur le côté technologique, ces programmes occultent néanmoins singulièrement l’acte langagier ; il faut néanmoins se rendre à l’évidence qu’ils sont là pour rester, car leurs fournées successives de diplômés trouveront aisément preneurs. Selon un tel modèle, on est en droit de s’attendre à ce que le langagier occupe un rôle secondaire en localisation, qui est alors présentée comme une activité fondée sur la technologie.

En revanche, aux yeux des promoteurs des cursus pour langagiers, le diplômé en localisation se distinguera d’abord par son savoir linguistique spécialisé, puis par ses habiletés informatiques. À ce titre, il est le pivot d’un projet de localisation, traitant avec le programmeur et l’administrateur comme avec le concepteur ou l’infographiste, etc. Il est d’ailleurs intéressant de constater un certain (r)éveil de la part des universitaires du domaine de la traduction en ce qui touche la formation de localisateurs. Certains établissements d’enseignement s’intéressent à la localisation et conçoivent des cursus dans cette optique, entre autres au Canada.

À cet égard, la création de programmes de ce genre soulève immanquablement la question de l’ampleur du bagage informatique utile à l’étudiant en localisation. Cette interrogation repose avec acuité un dilemme récurrent des cursus professionnels. D’un côté, doit-on mettre l’accent sur une utilisation poussée des outils et entraîner des professionnels qui connaissent sur le bout de leurs doigts les logiciels courants sur le marché ou, d’un autre côté, doit-on plutôt insister sur la présentation des forces et des faiblesses de ces mêmes outils ainsi que sur les circonstances de leur utilisation, c’est-à-dire diplômer des étudiants qui connaissent à fond les principes de fonctionnement des outils et qui en ont une connaissance suffisante pour les évaluer et utiliser la plupart de leurs fonctions ? Cette dernière option l’emporte, car elle insiste sur la capacité d’analyse, elle offre un recul qui permet de se positionner non comme un exécutant, mais davantage comme le maître du jeu. De surcroît, elle assure une certaine pérennité à la formation, car les outils d’aujourd’hui seront disparus dans quelques mois, remplacés par une nouvelle version ou par un concurrent plus performant. Il n’est pas de meilleur endroit que l’université pour découvrir l’ensemble des possibilités d’une vaste gamme d’outils, sans soumission aux discours biaisés de représentants ou à la pression d’une production en marche. Si les étudiants connaissent les principes de fonctionnement des logiciels, ils sauront s’adapter aisément aux changements incessants qui caractérisent ces derniers. En lien avec la technologie, la question des ressources essentielles à l’enseignement de la localisation est relativement complexe.

Les ressources nécessaires à l’enseignement

Il ne faut pas perdre de vue qu’un cursus en localisation nécessite des ressources professorales et matérielles relativement peu communes. D’un côté, les ressources professorales sont forcément rares ; il est déjà souvent difficile de recruter des professeurs rompus aux aides à la traduction et, à plus forte raison, à la localisation. L’émergence du domaine et des cursus implique que les professeurs en place dans les universités n’ont pas, sauf exception, d’expérience de la localisation. Dans ces conditions, il est ardu pour eux de concevoir un programme d’études dans une discipline qu’ils ne maîtrisent pas pleinement et au sujet de laquelle circule un nombre restreint de publications. Par suite, les universités se tournent massivement vers les chargés de cours, pendant que le corps professoral se met à niveau. Les chargés d’enseignement sont indispensables, ne serait-ce que par leur maîtrise des méthodes et des outils informatiques courants. Mais là encore, les chargés de cours ne sont pas légion. À l’évidence, peu de gens réunissent les qualités utiles pour le devenir : être diplômé de deuxième ou de troisième cycle en traduction ou en terminologie, posséder une excellente connaissance de la localisation, manifester un intérêt pour l’enseignement universitaire et être disposé à assumer un certain manque à gagner (le tarif horaire d’une charge de cours est forcément moindre que celui présentement obtenu sur le marché de la localisation).

Les difficultés liées aux ressources matérielles ne sont pas non plus à négliger. L’offre de cours en localisation nécessite un laboratoire fort bien pourvu en matériel et logiciels. Ces derniers sont très coûteux et mis à jour à un rythme rapide. Il demeure difficile pour les universités de créer un environnement favorable à l’apprentissage des outils informatiques. La rareté des ressources professorales qualifiées, la faiblesse des budgets pour l’acquisition d’ordinateurs et, surtout, des logiciels, les coûts de mise à jour, ainsi que l’effort de suivi de l’évolution du marché sont autant de freins à une informatisation accélérée. Pourtant, une fois en place, les outils profitent également aux programmes de traduction traditionnels ; leur intégration sera cependant graduelle, car il faut changer les mentalités des professeurs en place qui n’entretiennent pas d’affinités particulières avec eux, n’ayant jamais travaillé ni enseigné avec ces aides. En ajoutant à cette liste divers facteurs supplémentaires, par exemple l’aisance inégale des étudiants avec l’informatique, on comprend la difficulté pour une université d’effectuer un virage rapide pour acquérir les ressources matérielles et logicielles indispensables à la mise sur pied d’un cursus. Malgré ces embûches, il est opportun de rappeler que l’apprentissage des outils informatiques est incontournable dans les cursus traditionnels, a fortiori dans les programmes de localisation.

Compte tenu de ce qui précède, on affirme sans crainte que le langagier, et tout spécialement le terminologue, lorsque rompu aux aspects technologiques de la localisation, est le mieux placé pour prendre en charge la localisation. Les programmes qui forment les traducteurs et les terminologues à cette nouvelle discipline ne sont pas légion : ils se comptent actuellement sur les doigts de la main. Dans les circonstances, beaucoup reste à faire dans le domaine de l’enseignement tout comme dans celui de la recherche.

L’état des recherches en localisation sera succinctement abordé. Nous en avons récemment dressé un portrait dans Quirion (à paraître). Retenons que les quelques travaux dans le domaine touchent l’aspect technologique de l’acte localisant. Ils portent sur des façons de faciliter le traitement informatique des données à localiser, sur le contrôle automatisé de la qualité, etc. Les auteurs de ces travaux de R&D s’attendent généralement à ce que leurs résultats, à terme, soient intégrés à des logiciels de localisation, voire commercialisés de façon autonome. Les universitaires, pour leur part, sont jusqu’ici silencieux. Pourtant, les avenues ne manquent pas, mais le scepticisme qui règne encore en ce qui touche la localisation engendre un immobilisme qui devra se résorber tôt ou tard. Les interactions évoquées précédemment avec la terminologie constituent un terrain à défricher. Il en va de même pour l’adaptation culturelle, dont les dimensions linguistiques, ainsi que sociales et anthropologiques entre autres, constituent de prometteurs champs de recherche. Et, si l’on se penche depuis de nombreuses années sur la pratique traduisante, on ne sait strictement rien de la pratique localisante. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini, mais il importe de retenir qu’il appartient aux chercheurs du domaine de la traduction et de la terminologie de s’approprier cette nouvelle et prometteuse sphère d’activité.

Conclusion

L’essence langagière de la localisation a été établie. Dans ce contexte, les universités qui diplôment des traducteurs ne pourront longtemps ignorer les candidats en localisation. Sinon, la localisation conservera sa teinte technologique, que ce soit par le caractère des discours à son sujet, par les travaux de recherche effectués ou par la tendance du marché à confier à des spécialistes en technologie un acte naturellement linguistique. Les universités doivent former des agents de changement, des décideurs, qui peuvent modifier le déroulement des choses, inverser sur le terrain la tendance à la technologisation de l’acte localisant. Une reconnaissance est pour cela indispensable, par les traducteurs et par les universitaires, de la localisation en tant que prolongement de l’acte traduisant séculaire. Il ne faudrait d’ailleurs pas se surprendre d’une éventuelle fusion des études en traduction et en localisation. Cette hypothèse gagnera en crédibilité au fur et à mesure que les aides à la localisation dégageront les localisateurs de certains aspects techniques de leur tâche. En effet, le rayon d’action des logiciels de localisation augmentera de concert avec la puissance et la vitesse des ordinateurs. L’aspect technologique de la localisation sera graduellement pris en charge par des logiciels de plus en plus puissants ; il restera alors essentiellement au localisateur à veiller à la prise en compte des différences linguistiques et culturelles, ce à quoi il excelle.

L’établissement de la discipline sera appuyé par des recherches sur les aspects linguistiques de la localisation ; les publications scientifiques sur la localisation bâtiront, pierre par pierre, la reconnaissance de ce nouveau champ de recherche. L’organisation de colloques sur les multiples aspects de la localisation contribuera également aux échanges et à l’avancement de la spécialité.