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Ce numéro termine la série que médecine/sciences a consacrée aux syndromes coronariens aigus, et c’est déjà le moment d’une première mise en perspective ! Les syndromes coronariens aigus s’inscrivent dans la longue histoire du remodelage du système cardiovasculaire dont ils ne sont qu’une partie temporellement infime, mais cruciale à bien des égards (Figure 1). Infime, parce que la rupture ou l’érosion d’une plaque d’athérosclérose d’une artère coronaire ne représente qu’une petite partie d’un processus étalé sur toute la vie et qui touche potentiellement toutes les artères. Cruciale, parce que révélatrice d’un processus complexe résultant d’interactions probablement très nombreuses entre des facteurs génétiques et environnementaux, processus jusque-là ignoré ou négligé par le patient et son entourage.

Figure 1

Mise en perspective des syndromes coronariens aigus (SCA).

Mise en perspective des syndromes coronariens aigus (SCA).

Les SCA représentent, comme les accidents vasculaires cérébraux, un tournant évolutif dans le processus d’athérosclérose vasculaire de chaque individu, qui débute très tôt après la naissance (et même peut-être avant) et progresse à des vitesses différentes selon le fond génétique et l’environnement de chacun. Les « facteurs de risque » représentent, pour les vaisseaux, des modifications de leur environnement normal qu’ils subissent comme autant d’agressions. Sur ce schéma où les états morbides s’enchaînent les uns aux autres dans des relations de causalité successives pour conduire finalement à la mort, il est clair que c’est par une prise en charge des problèmes le plus en amont possible que l’on diminuera l’incidence des SCA : dépistage des sujets à risque et prévention des facteurs de risque.

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Cette sonnette d’alarme déclenche une série d’actions médicales, immédiates et retardées, et de processus physiopathologiques et comportementaux dont les mots clés sont risque, remodelage et prévention : prévention de l’infarctus s’il en est encore temps, prévention des récidives et du remodelage cardiaque, prévention des accidents similaires dans les autres territoires, prévention primaire de l’athérosclérose.

Il y a dix ou quinze ans, il aurait été inconcevable, ou pour le moins saugrenu, d’inclure la physiopathologie du remodelage cardiaque dans une série consacrée aux accidents coronariens aigus. Le remodelage cardiaque était considéré comme la conséquence plus ou moins lointaine et inéluctable de l’infarctus constitué, et si l’on essayait bien de prévenir la mort subite et l’évolution vers - ou plus souvent l’aggravation de - l’insuffisance cardiaque, il s’agissait de deux « histoires » bien distinctes, l’une ramassée, l’autre étalée dans le temps, concernant des sous-spécialités de la cardiologie.

Les grands progrès de la cardiologie dite interventionnelle, les changements conceptuels qui se sont ensuivis ont finalement rétréci le temps, rapproché les deux processus et vont continuer de rapprocher les deux approches thérapeutiques dans les années à venir : prévention de l’ischémie par action sur le versant vasculaire, prévention du remodelage sur le versant myocardique, au cours d’un même geste, certes percutané, mais qui perdra sa dénomination d’angioplastie puisqu’il ne se limitera plus à une simple plastie (inversion thérapeutique du remodelage pathologique du vaisseau). Outre la réouverture de l’artère occluse et de sa plastie, il faudra prévenir le stress oxydatif de la reperfusion et/ou pratiquer des séquences d’ischémie reperfusion de postconditionnement ((→) m/s 2004, n° 5, p. 521), injecter divers agents pro-angiogéniques, anti-apoptotiques voire hypertrophiants, et d’autres tels que le G-CSF (granulocyte colony stimulating factor) pour recruter le plus précocement possible les cellules progénitrices au niveau de la cicatrice, afin d’en prévenir l’amincissement et finalement le remodelage du ventricule gauche dans son ensemble [1]. Tout cela n’est pas de la science fiction. Pratiquement toutes les bases expérimentales (précliniques, comme il convient de dire maintenant) sont là ! Quand passer à l’homme, et à quel prix ?

L’opinion de la communauté scientifique sur le moment et les modalités du passage à l’homme est faite. Le moment est venu, mais certainement pas sous la forme des quelques essais pour le moins décevants récemment publiés, où souvent n’importe quoi a été injecté à n’importe qui dans des conditions d’évaluation scientifiquement contestables. Seuls de grands essais multicentriques contrôlés, randomisés, conduits en double aveugle sont maintenant scientifiquement, donc éthiquement, acceptables. À quel prix ? On ne peut s’empêcher alors de souhaiter comparer, dans le contexte actuel où se pose le problème de la pérennisation, si ce n’est de la survie, de nos systèmes de protection sociale, le prix de la prévention à celui du traitement. Il peut paraître moins coûteux de prévenir le remodelage cardiaque que de traiter pendant des années un insuffisant cardiaque chez lequel on aura dû implanter un pace-maker de resynchronisation ventriculaire et un défibrillateur. Ce sera probablement le cas si l’on sait se fixer des limites raisonnables et surtout si l’on peut s’appuyer sur des critères génétiques de susceptibilité individuelle et de réponse au traitement.

L’autre aspect est celui de la prévention primaire du (des) risque(s) cardiovasculaire(s). Au cours d’un récent colloque organisé par la Commission européenne sur l’avenir de la recherche cardiovasculaire, l’identification des patients à risque a été considérée comme la priorité absolue. Il sera aussi certainement utile de développer une recherche sur les mécanismes les plus fondamentaux qui conduisent les sujets obèses, diabétiques de type 2 et autres sujets souffrant du « syndrome métabolique », à développer des complications vasculaires et cardiaques. Mais n’y a-t-il pas aussi la place pour une recherche accrue sur les aspects sociologiques et comportementaux des facteurs de risque cardiovasculaires, pour enfin établir les bases d’une prévention réellement efficace à l’échelle de notre société ?