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D’emblée ce livre me rend perplexe quant aux intentions de l’auteure lorsqu’elle inclut l’Arctique canadien dans la francophonie planétaire. D’une part, je crois que les Inuit eux-mêmes ne s’y verraient pas très bien malgré les citations hors contexte selon lesquelles ils sont bien heureux d’ajouter une troisième langue à l’inuttitut et à l’anglais. Le fait français au Canada, mais surtout au Québec est une réalité avec laquelle les Inuit doivent composer, mais cela n’en fait évidemment pas une population francophone. Si on avait pris la peine de le leur demander, je ne suis pas certain qu’ils auraient apprécié cette inclusion forcée et illusoire. Par ailleurs, quelques auteurs, dans des textes favorisant le développement du français dans le Nord, reconnaissent immédiatement que cette francophonie est beaucoup plus un souhait qu’une réalité. La tendance à la francisation des Inuit du Nunavik s’explique aisément par l’augmentation des relations officielles avec le gouvernement québécois dont le Nunavik dépend et de l’augmentation des employés d’origine francophone dans les postes adminis-tratifs nordiques.

Le titre est aussi trompeur parce qu’il y a en définitive très peu de références aux Inuit du Nunavik ou aux Inuit occidentaux, la presque totalité des textes portant sur le Nunavut. Par exemple, le texte sur l’art inuit omet de signaler le rôle et l’importance du Nunavik dans le développement du mouvement corporatif et de l’art inuit contemporain (p. 135).

On peut se demander aussi si ce livre a véritablement été bien planifié et, surtout, si certains textes ont été lus par des spécialistes. Par exemple, dans la préface de Michèle Therrien, elle nous dit que les ancêtres des Inuit ont franchi le détroit de Béring il y a 8 000 ans (p. 14). J’ignore d’où peut provenir cette information, mais elle nous donne une date qui est au moins 3 000 ans trop vieille, information qui diverge, soit dit en passant, de l’âge de cette traversée présentée dans le chapitre sur l’histoire « de la préhistoire au XXIe siècle » (p. 21). Par ailleurs, ce texte nous résume l’histoire de l’Arctique central et oriental en 14 pages. L’effort est louable, mais présente beaucoup trop de lacunes pour vraiment remplir ce rôle et les références récentes y sont pratiquement inexistantes.

Le texte suivant sur la géographie inuit par Béatrice Collignon (p. 35) est un des très bons textes de ce recueil. Elle explore véritablement la dichotomie entre la pensée occidentale, notre façon de voir la géographie, et comment les Inuit perçoivent leur territoire. Le chapitre sur la langue inuit est aussi intéressant quoique un peu court (p. 49).

Le chapitre sur la cosmologie des Inuit offre une perspective intéressante sur la question du chamanisme chez les Inuit (Laugrand, p. 65), mais toujours selon la perspective des Inuit du Nunavut. Les autres textes de cet ouvrage collectif offrent tout de même une qualité d’informations qui démontrent une bonne connaissance du fait inuit. Le texte de Rousseau sur la justice inuit (p. 195) est particulièrement intéressant et dénote encore une fois la différence marquée entre le mode de pensée inuit et celui des occidentaux.

La dernière section de ce livre, intitulée « Francophonies : Émergences » est à mon avis le point faible de ce livre. Comme je le mentionnais plus haut, la francisation des Inuit est loin d’être un fait acquis et cette dernière section tente de convaincre le lecteur du contraire. Il y aussi une tendance plutôt agaçante chez la plupart des auteurs de se dissocier des Qallunaat. Ce terme qui signifie « hommes blancs » dans sa signification contemporaine, hommes par qui le malheur arrive, ne semble pas inclure la majorité des auteurs de ce livre.