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L’étude de la consommation marchande occupe une place de choix dans l’histoire des statistiques sociales. La cueillette des données relatives aux budgets de famille et leur analyse ont retenu l’attention des premiers sociologues au même titre que l’examen des phénomènes démographiques et économiques, et les premières grandes enquêtes empiriques ont été des enquêtes budgétaires auprès des ménages. Très tôt dans l’histoire de la sociologie, on a estimé que la structure des dépenses des ménages était susceptible de révéler les besoins sociaux et les genres de vie des familles et des ménages (Herpin, 2001 ; Langlois, 2002). Les moyens financiers étant limités, la dépense privée des ménages traduit des choix qui nous informent sur ce que les gens ont jugé nécessaire. En prenant comme base échantillonnale et comme unité d’analyse le ménage plutôt que l’individu, ces enquêtes échappaient aux reproches qui leur sont parfois faits de véhiculer une vision atomiste de la société en la considérant comme un ensemble d’individus. Ces premières enquêtes étaient aussi liées aux préoccupations sociales de leurs auteurs, qui entendaient illustrer les ravages causés par l’industrialisation naissante sur les conditions de vie des ouvriers, le plus souvent dans une perspective réformiste, mais aussi dans la perspective de revaloriser les genres de vie traditionnels, qui était celle, plus conservatrice, de Frédéric LePlay (1879) par exemple.

Au Québec et au Canada, la grande enquête sur les conditions de vie des familles faite en 1959 par Marc-Adélard Tremblay et Gérald Fortin (1964) constitue la première recherche empirique d’envergure, une enquête faite à l’échelle de la société globale québécoise, dirions-nous dans un langage contemporain. Elle s’inscrivait dans la tradition européenne d’enquêtes du même genre — notamment les enquêtes d’Engel, Dupectiaux et surtout, celles de Halbwachs (1912 et 1933) — dont Presvelou (1968) a fait un examen critique. L’enquête Tremblay-Fortin a marqué un tournant dans l’histoire intellectuelle du Québec en montrant que le paradigme du passage de la société traditionnelle à la société moderne, qui servait de grille de lecture privilégiée à l’époque, était dépassé puisque le Québec tout entier s’inscrivait dès le début des années 1960 dans l’univers de la société de consommation déjà bien implantée sur tout le territoire, la société québécoise se révélant être une société déjà modernisée d’après les genres de vie et les représentations sociales de ses salariés à la ville comme à la campagne.

Les enquêtes de budget de famille ont donné lieu à l’élaboration d’une des premières lois sociologiques — peut-être aussi la seule qui fasse l’unanimité en sociologie — connue sous l’appellation de Loi d’Engel. Cette loi s’énonce ainsi : lorsque le revenu d’un ménage s’élève, la part du budget consacrée à l’alimentation diminue. Cela signifie que les ménages peuvent alors disposer de ressources monétaires pour satisfaire des besoins nouveaux, modifier leur genre de vie, vivre mieux ou différemment. Cette loi se vérifie sur le plan transversal, mais aussi sur le plan longitudinal, ce qui fait du budget des ménages un instrument privilégié pour l’analyse des changements sociaux sur de longues périodes (Langlois, 1992 ; Bodier, 1999). La part du budget consacrée à l’alimentation constitue par ailleurs un important indicateur de niveau de vie dans une perspective sociologique qui complète bien cet autre indicateur plus souvent privilégié qu’est le revenu des ménages.

Les enquêtes contemporaines sur les budgets présentent toujours au début du xxie siècle un intérêt pour l’analyse sociologique pour les mêmes raisons que les premières études menées il y a plus de cent ans. Elles constituent un instrument privilégié pour étudier les genres de vie, le changement social, la structure des besoins sociaux ou encore les différences entre classes sociales et entre générations (Gershuny, 1983, 1986). Une partie des besoins est cependant satisfaite ou comblée par des services et des biens publics financés collectivement par les impôts directs et indirects et qui échappent à la prise de décision par les acteurs faisant partie des unités de consommation. La logique qui sous-tend cette consommation collective ne sera pas prise en compte dans la présente étude.

Une autre raison ajoute un grand intérêt à ce type d’enquête. Le cumul de données standardisées et comparables dans le temps rend possible la création de quasi-panels, l’étude de cohortes différentes sur une longue période, l’examen des effets de génération et de cycle de vie sans oublier les effets de période, bref l’analyse longitudinale sous diverses formes en plus des analyses transversales qui restent toujours aussi pertinentes.

Le présent texte scrute l’évolution de la structure des besoins sociaux des ménages canadiens et québécois sur une période de trente ans (de 1969 à 2000). Cette première analyse permettra de dégager d’abord un effet de période, c’est-à-dire de voir comment la structure des besoins des ménages a changé en trente ans. Nous aurons ensuite recours à une perspective longitudinale afin d’étudier : 1) s’il y a convergence ou non entre les générations et entre les groupes d’âge au cours de ces trois décennies d’une part ; 2) s’il y a rapprochement ou distanciation entre les classes socioéconomiques dans le dernier tiers du xxe siècle, d’autre part. Il sera notamment possible de vérifier si les prédictions qu’il était possible de faire en 1969 sur l’évolution de la consommation en fonction du cycle de vie se sont empiriquement confirmées au cours des trente ans qui ont suivi.

La question des changements observables d’une génération à l’autre est empiriquement importante, mais elle a aussi des implications pratiques pour la société et l’économie. On sait par exemple, sur la base de données transversales, que les individus plus âgés dépensent moins pour les biens durables et épargnent davantage. Mais est-ce bien le cas pour les cohortes nouvelles lorsqu’elles vieillissent ? Les cohortes du baby-boom vont-elles se comporter comme les cohortes qui les ont précédées ou, au contraire, vont-elles innover et si oui, comment ? On se rappellera que cette question est centrale dans l’essai sur la génération lyrique de François Ricard (1992). Or, on commence à connaître empiriquement les comportements réels des premières cohortes nées après 1945 qui atteignent maintenant un âge mûr et s’approchent tranquillement de la retraite. Cet exercice est en lui-même intéressant, car on utilise souvent les données transversales ventilées selon l’âge afin de prédire le comportement des générations futures en prenant pour acquis l’hypothèse qu’elles se comporteront comme les différents groupes d’âge actuels en vieillissant. C’est le cas de la mesure du taux synthétique de fécondité en démographie, par exemple, qui estime quelle serait la fécondité des femmes encore en âge de donner naissance si elles avaient le même nombre d’enfants que l’ensemble des femmes au moment où le taux est calculé. C’est aussi le cas dans les études de consommation, lorsqu’on attribue à certains groupes d’âge des comportements donnés sur la base d’observations transversales (Bocock, 1993 ; Corrigan, 1997). Or, on verra dans l’analyse qui suit des observations surprenantes qui montrent bien comment les comportements actuels de diverses cohortes divergent des estimations qu’il était possible de faire à une époque antérieure à partir de l’examen des groupes d’âge dans la première enquête.

Sources des données et méthodes

L’enquête sur les dépenses des ménages existe depuis 1933 au Canada et nous disposons de microdonnées depuis l’année 1969. Les données analysées dans cet article proviennent de l’Enquête sur les dépenses des familles (edf) de Statistique Canada faite à tous les quatre ans environ de 1982 à 1996 et de l’Enquête sur les dépenses des ménages (edm) faite annuellement depuis 1997 (sur ces enquêtes, voir Silver, 1994 ; Gauthier et al., 1997, 1998 ; Jean, 2001). Nous avons retenu pour les fins de la présente étude les enquêtes faites au cours des années suivantes : 1969, 1979, 1982, 1986, 1992, 1996 et 1999. Nous avons choisi d’étudier le Canada dans son ensemble afin d’avoir suffisamment de cas dans les différents sous-groupes détaillés. La taille de l’échantillon global est élevée, car elle varie de 12 731 ménages comptant au moins deux personnes en 1969 à 7 410 en 1992.

Le nombre moyen de personnes vivant dans les ménages a beaucoup varié en trente ans à cause d’une part de la baisse de la fécondité et d’autre part à cause de la montée du divorce qui a contribué à la création d’unités de dépenses de plus petite taille. Par ailleurs, un nombre grandissant de personnes vivent seules. Il a donc fallu neutraliser cet effet de la composition du ménage afin d’étudier l’évolution de la structure des dépenses dans le temps en pondérant celles-ci par une échelle d’équivalence de type échelle d’Oxford. Les poids suivants ont été donnés aux membres des ménages : 1,0 au premier adulte, 0,8 au second et aux autres membres adultes et adolescents du ménages, 0,5 aux enfants âgés de 5 à 15 ans et 0,4 aux jeunes enfants âgés de 0 à 4 ans inclusivement.

Les contraintes d’espace nous forcent à faire des choix dans les types d’analyse à effectuer. Nous nous attarderons à l’étude de la structure des besoins révélés par les coefficients budgétaires qui ont l’avantage de montrer l’importance relative des dépenses. Il importe de signaler que ces proportions sont calculées sur les dépenses totales excluant les impôts directs sur les revenus mais incluant les taxes indirectes et les cotisations sociales obligatoires. L’analyse porte donc sur la consommation marchande totale des ménages, qui se fait en fonction de normes de consommation, ce qui exclut les prélèvements obligatoires qu’impose l’État par la taxation directe des revenus. Coefficients budgétaires et coefficients d’effort sont le plus souvent employés comme synonymes pour désigner la part des dépenses exprimée en pourcentage, mais la notion de coefficient d’effort caractérise les proportions calculées sur un total qui inclut les impôts directs en plus des dépenses totales. Nous emploierons plutôt l’expression coefficient budgétaire pour caractériser empiriquement la structure des besoins.

Dix fonctions de consommation ont été retenues : l’alimentation (qui comprend les repas pris à l’extérieur du foyer), le logement (incluant la résidence secondaire), le transport (public et privé), les loisirs (qui comprend les biens durables servant aux loisirs), l’habillement, l’équipement du foyer, la protection (assurances et cotisations d’employés), la santé, l’hygiène et les soins personnels, l’éducation (incluant les dépenses de garde d’enfants) et les dépenses diverses. Certaines modifications dans le classement des dépenses sont intervenues dans les enquêtes edm à partir de l’année 1997. Dans cette enquête, les paiements d’intérêts ne sont plus séparés des paiements sur le capital et sont inclus dans le poste logement, alors que le remboursement du capital sur l’hypothèque était considéré comme une épargne jusqu’en 1996. Par contre les paiements hypothécaires réguliers (capital et intérêts) pour la maison de villégiature sont inclus dans l’épargne (ou les flux monétaires) dans l’enquête edm. Une partie de l’augmentation de la dépense pour le logement observable en 1999 peut être due à ce changement.

La structure des besoins des ménages en 1969 et son évolution ultérieure

Le tableau 1 présente la distribution des coefficients budgétaires pour chacune des dix fonctions retenues au cours de la période étudiée, donnant ainsi une vue d’ensemble de l’évolution de la structure moyenne des dépenses pondérées des unités de consommation que sont les ménages. Nous commencerons par caractériser l’effet de période, qui se voit à partir de la pente de la courbe dans chaque graphique et dans chacune des lignes du tableau 1.

Depuis les toutes premières enquêtes sur les dépenses des ménages, l’alimentation a toujours été la fonction de consommation la plus importante, occupant le premier rang dans la hiérarchie des besoins des ménages révélée par les budgets. Il en était de même en 1969, les ménages dépensant plus du quart de leur budget à se nourrir cette année-là (26,7 %). Mais l’importance de cette fonction ne cesse de diminuer dans les budgets au fil des années, au Canada comme ailleurs dans le monde (voir Brown, 1994, pour les Etats-Unis ; Herpin et Verger, 2000, pour la France)[1]. L’examen de la situation canadienne ces derniers trente ans révèle que la diminution du poids de l’alimentation s’est poursuivie jusqu’à la fin du siècle, la part du budget des ménages tombant à 17,9 % de l’ensemble des dépenses, ce qui représente une régression considérable de l’importance de ce poste budgétaire dont la conséquence a été d’augmenter de manière marquée la marge de manoeuvre pour satisfaire de nouveaux besoins.

Tableau 1

Répartition en % (coefficients budgétaires) des dépenses des ménages pondérées par la taille de l'unité de consommation selon le poste de dépenses, Canada, 1969-1999

Répartition en % (coefficients budgétaires) des dépenses des ménages pondérées par la taille de l'unité de consommation selon le poste de dépenses, Canada, 1969-1999
Source : Statistique Canada, Microdonnées de l’Enquête sur les dépenses des familles (1969 à 1996) et de l’Enquête sur les dépenses des ménages (1999), calculs de l’auteur.

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Une seule autre fonction connaît une diminution importante dans la structure des dépenses sur le long terme : l’habillement. Les dépenses pour l’habillement, tout comme celles pour l’alimentation, ont toujours été importantes dans les budgets des ménages depuis que les enquêtes existent, mais ce sont aussi celles qui, sur une longue période, décroissent le plus vite en bonne partie parce que le coût réel des vêtements est à la baisse et parce que le taux d’inflation de ce bien de consommation est plus faible que celui des autres types de produits consommés. Quatrième poste en importance dans la structure des besoins en 1969, la fonction habillement tombe au septième rang trente ans plus tard.

Les dépenses relatives au logement ont marqué plus que tout autre type la structure des besoins révélée par les budgets. Elles passent de 20,9 % de l’ensemble en 1969 à 28,6 % en 1999, ce qui représente une hausse considérable en une trentaine d’années. Plusieurs facteurs sont en cause pour expliquer cette augmentation, depuis la hausse de la proportion de propriétaires, l’augmentation des dépenses réelles encourues à cause de l’augmentation de la qualité des logements et des maisons (maisons plus grandes et plus luxueuses, logements de plus grand confort), mais aussi parce que l’inflation est plus marquée dans ce secteur de l’économie, entraînant une hausse des coûts réels, sans oublier les fluctuations des taux hypothécaires qui ont été importantes durant cette période. À cela s’ajoutent la hausse des taxes foncières (municipales et scolaires) ainsi que l’augmentation des autres droits de services (taxe d’eau, par exemple) qui ont contribué à cette croissance de la proportion du budget consacrée à la fonction logement. Pour la première fois en un siècle d’enquêtes budgétaires, la fonction habitation a occupé, au tournant des années 1980, le premier rang dans la structure des besoins des ménages, devant la fonction alimentation (voir Nobert, 1998). L’écart entre les deux plus importants coefficients budgétaires s’agrandit même, ce qui implique que la fonction habitation est en voie de remplacer celle de l’alimentation comme indicateur de niveau de vie, à notre point de vue, une remarque qui, si elle est juste, a d’importantes implications pour les politiques publiques.

La fonction transport est troisième en importance dans les budgets familiaux. Elle a acquis cette place à la suite d’une croissance rapide observée durant les années 1960 et, dans une moindre mesure, durant les années 1970. Le poids de cette fonction de consommation est relativement stable depuis cette date, soit autour de 14-15 % au cours des vingt dernières années. Ce troisième rang dans la structure des besoins des ménages signifie que la mobilité des individus est devenue un aspect essentiel des genres de vie dans le monde contemporain (Scardigli, 1983 ; Flink, 1988). Les lieux physiques et les espaces dans lesquels prend place la vie quotidienne et les lieux dans lesquels s’inscrivent les activités de loisir et de sociabilité, sans oublier les lieux de travail, sont maintenant séparés, et l’automobile sert — le plus souvent de préférence aux transports en commun — de trait d’union entre eux. On ne peut plus vivre sans avoir à encourir des frais de transport importants. Ceux-ci sont devenus essentiels dans la vie des individus. Comme le transport se fait le plus souvent en automobile, la possession de cette dernière apparaît maintenant comme un besoin aussi fondamental que l’alimentation, le logement ou l’habillement. À signaler au passage que la nouvelle mesure de la pauvreté basée sur le panier de consommation qui est en cours de développement par Ressources humaines Canada prévoit dans le budget de référence des dépenses minimums pour le transport et les déplacements. Cette mesure vise à combler les lacunes connues du seuil de faible revenu de Statistique Canada qui est souvent établi (à tort) comme un seuil de pauvreté. La définition du contenu du panier de consommation pose évidemment des difficultés considérables, comme celle d’inclure ou non les dépenses en transport dans la liste des besoins essentiels.

Le poste budgétaire équipement du ménage représente autour de 6 % des dépenses pondérées des ménages, une proportion stable sur la période examinée, sauf pour l’année 1978.

Deux fonctions de consommation sont en nette croissance sur longue période dans la structure des dépenses : les loisirs et la protection des personnes. Ces deux fonctions correspondent manifestement à l’apparition de nouveaux besoins que les ménages cherchent à satisfaire. La marchandisation accrue observable dans la sphère des loisirs se reflète dans leurs dépenses. Les industries culturelles se sont développées de manière considérable depuis trente ans en parallèle à l’industrie des loisirs, et la marge de manoeuvre accrue des ménages à la suite de la diminution des coefficients budgétaires pour les fonctions budgétaires essentielles a sans doute servi à satisfaire de nouveaux besoins. L’élément protection quant à lui regroupe toutes les dépenses d’assurance mais aussi les dépenses de protection du revenu (assurance chômage, assurance salaire, etc.) et sa croissance est parallèle à l’extension du salariat et en particulier à l’avènement du travail salarié des femmes depuis trente ans.

L’évolution des dépenses en santé et soins personnels présente deux tendances en sens inverse. On note d’abord une importante réduction durant les années 1970 à la suite de l’implantation par l’État de plusieurs grands programmes universels qui ont permis aux ménages de diminuer leur effort budgétaire à ce poste. La part du budget consacrée à cette fonction s’est cependant élevée graduellement au fil des ans, pour atteindre 4,1 % de l’ensemble en 1999. Le désengagement partiel de l’État n’explique qu’en partie cette évolution, car c’est surtout la croissance de l’offre de nouveaux médicaments et de nouveaux services de toutes sortes en matière de soins corporels qui affecte à la hausse les dépenses et, partant, le coefficient budgétaire de cette fonction.

Les dépenses en éducation (incluant celles pour la garde des jeunes enfants) peuvent sembler faibles au total, mais il faut rappeler qu’il s’agit ici d’une moyenne calculée sur l’ensemble des ménages dont un bon nombre n’ont pas d’enfants. Cette proportion est évidemment plus élevée dans les familles avec enfants vivant au foyer.

Le poste des dépenses diverses, enfin, rassemble les éléments qui ne sont pas pris en compte dans les neuf fonctions précédentes (frais funéraires ou frais de notaire par exemple), et notamment les frais d’intérêt versés sur les prêts personnels. La diminution importante observée en 1999 s’explique par un changement apporté en 1999 dans l’enquête edm qui comptabilise désormais les frais d’intérêts sur les prêts personnels dans la variation de l’actif et du passif (épargne ou endettement) au bilan des finances des ménages.

Par ailleurs, il y a eu au début des années 1990 une importante réforme de la taxation indirecte avec l’introduction de la taxe sur les produits et services (tps fédérale) et la hausse de la tvq. L’influence de ces taxes sur les choix de consommation ne sera pas évalué dans cet article. Les taxes sont considérées comme faisant partie du coût du produit consommé, du besoin satisfait.

Après cette vue d’ensemble de la structure des besoins — qui a aussi permis de dégager les effets de période — nous examinerons d’abord jusqu’à quel point les changements dégagés ont été les mêmes au cours du cycle de vie, puis nous nous pencherons sur la question de la convergence entre classes socioéconomiques.

Les effets cycle de vie et génération

Les effets de période, de cycle de vie et de génération peuvent se lire dans les graphiques qui suivent et dans le tableau 2. Nous avons choisi de présenter les données de manière simple et non technique afin d’en faciliter la lecture par le plus large public possible. L’écart entre les courbes dans les figures portant sur chacune des fonctions budgétaires décrit l’effet associé à l’âge, les besoins étant différents aux diverses étapes du cycle de vie. On parlera ici d’effet d’âge ou d’effet du cycle de vie, les deux expressions étant synonymes. Si les courbes étaient très proches, ou même confondues, cela signifierait que tous les groupes d’âge se comportent de manière identique et cela voudrait dire qu’il n’y a pas de différences entre les étapes du cycle de vie. Cela ne se produit pas dans l’examen des dix fonctions budgétaires sur toute la période des trente années examinées, ce qui indique que les besoins sont fortement différenciés dans les diverses étapes du cycle de vie des ménages et des familles. Plus les courbes sont éloignées à chacune des années, plus les comportements observables cette année-là dans les différents groupes d’âge sont différents et plus les comportements sont différenciés selon le cycle de vie. On observe cependant des rapprochements entre groupes d’âge successifs une même année donnée en fin de période — pour les fonctions habillement et loisirs par exemple —, ce qui révèle une convergence dans les comportements.

L’étude de ces courbes révèle aussi la présence d’un effet de génération, car les différences entre les groupes d’âge ne sont pas stables sur toute la période et elles ont tendance à s’amenuiser ou à s’accentuer. Cela signifie que les comportements changent d’une cohorte à une autre et que les besoins sont satisfaits de manière différente (Jean, 2001, 2002).

Considérons d’abord l’alimentation, à cause de son statut d’indicateur de niveau de vie (figure 1). Le poids que cette fonction budgétaire représente dans la structure des besoins des jeunes ménages est plus faible que dans tout autre groupe d’âge et il est au maximum dans le groupe des personnes les plus âgées (plus de 65 ans), et ce, de manière constante sur toute la période étudiée. Un changement est observable dans ce premier graphique, où l’on voit aussi nettement que le coefficient d’effort pour l’alimentation augmente dans le groupe d’âge 55-64 ans, ce qui est un indicateur de diminution du niveau de vie relativement aux autres dans ce groupe au cours des trente années examinées. Un effet de génération apparaît ici. Le rapprochement des ménages situés dans cette tranche d’âge avec celle dans laquelle se retrouvent surtout des retraités (après 65 ans) signifie que la diminution du niveau de vie qui est généralement associée à la retraite aurait tendance à se produire un peu plus tôt que par le passé dans le cycle de vie.

L’effort requis pour le logement varie aussi selon l’âge ; il est plus important au début et à la fin du cycle de vie (figure 2). Mais le cas du logement présente un autre effet de génération, la situation relative des personnes les plus âgées s’améliorant en trente ans par rapport aux autres groupes d’âge dont la position relative n’est pas modifiée de manière marquée. En conséquence, ce sont les jeunes ménages qui doivent consacrer la plus forte proportion de leur budget à se loger autour des années 2000, alors que c’était les personnes âgées qui occupaient ce premier rang trente ans auparavant. De plus, on observe une certaine polarisation à partir du milieu des années 1990 entre d’un côté les jeunes ménages (moins de 44 ans) qui doivent consacrer une part plus élevée de leur budget au logement et de l’autre, les ménages plus âgés (plus de 45 ans) qui font face à une croissance moindre du poids que cet élément représente dans la structure de leurs besoins.

Les dépenses en transport représentent un effort budgétaire maximum dans la seconde moitié de la vie active (entre 45 et 64 ans en gros) sur toute la période étudiée (figure 3). Il est à noter qu’un changement majeur se produit chez les personnes âgées qui dépensent davantage en transport que les générations précédentes au même âge. Ce phénomène ne pouvait pas être prévu à partir des données transversales recueillies en 1969, qui donnaient à penser que les besoins en transport se faisaient moins pressants chez les personnes âgées. Deux moments dans le cycle de vie se démarquent plus nettement au tournant de l’an 2000, comparé à ce qui se passait trente ans plus tôt. Le poids des dépenses en transports est maintenant plus marqué dans la structure des besoins des ménages après 45 ans. Le clivage entre deux grands groupes d’âge apparaît nettement à la fin des années 1990 pour ce qui est des dépenses en transport. Celles-ci sont nettement moins importantes avant 45 ans et plus marquées après cet âge, traduisant l’émergence de nouveaux besoins ou une réorganisation des besoins avant et après cet âge. Une nouvelle norme de consommation semble émerger au fil des années dans les ménages ayant dépassé le mitan de la vie, qui donne plus d’importance à la mobilité dans les genres de vie.

On observe une convergence entre les générations pour ce qui est des dépenses en loisirs au fil des ans (figure 4). Celles-ci sont différenciées selon les groupes d’âge sur le plan transversal en 1969 et dans les années suivantes, mais elles se rapprochent à un niveau fort semblable à la fin des années 1990. Dépenser pour les loisirs est devenu au fil du temps une norme commune à tous les ménages quel que soit l’âge et ce besoin n’est plus différencié selon le cycle de vie. Il en va de même pour la fonction habillement, qui est marquée par une convergence entre les groupes d’âge à la fin de la période, ce qui traduit un autre effet de génération qui s’est produit en trente ans.

Tableau 2

Coefficients de dépenses par unité de consommation des ménages selon le groupe d'âge et le poste de dépenses, Canada, 1969-1999

Coefficients de dépenses par unité de consommation des ménages selon le groupe d'âge et le poste de dépenses, Canada, 1969-1999

Tableau 2 (suite)

Coefficients de dépenses par unité de consommation des ménages selon le groupe d'âge et le poste de dépenses, Canada, 1969-1999
Source : Statistique Canada, Microdonnées de l’Enquête sur les dépenses des familles (1969 à 1996) et de l’Enquête sur les dépenses des ménages (1999), calculs de l’auteur.

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Figure 1

Coefficients de dépenses alimentaires par unité de consommation des ménages selon le groupe d’âge, Canada, 1969-1999

Coefficients de dépenses alimentaires par unité de consommation des ménages selon le groupe d’âge, Canada, 1969-1999

forme: 008518aro001n.png 25-24 ans

forme: 008518aro002n.png 35-44 ans

forme: 008518aro003n.png 45-54 ans

forme: 008518aro004n.png 55-64 ans

forme: 008518aro005n.png 65-74 ans

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Figure 2

Coefficients de dépenses pour le logement par unité de consommation des ménages selon le groupe d’âge, Canada, 1969-1999

Coefficients de dépenses pour le logement par unité de consommation des ménages selon le groupe d’âge, Canada, 1969-1999

forme: 008518aro006n.png 25-24 ans

forme: 008518aro007n.png 35-44 ans

forme: 008518aro008n.png 45-54 ans

forme: 008518aro009n.png 55-64 ans

forme: 008518aro010n.png 65-74 ans

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Les dépenses en équipement ou en biens durables et semi-durables sont sensibles au cycle de vie. Elles sont nettement plus élevées lorsque les jeunes ménages doivent meubler leur logement ou leur maison. Nous avons vu aussi plus haut que ce type de dépenses a été marqué par un effet de période, les années 1970 étant caractérisées par une forte croissance, aussi observable, mais dans une moindre ampleur, dans les années 1990. À cet effet de période s’ajoute un effet de génération, puisque l’effort des ménages les plus âgés s’accentue, rejoignant celui des jeunes ménages à la fin de la période de trente ans scrutée dans cette analyse.

L’examen du poste de dépense « protection » révèle l’émergence d’importants écarts entre les groupes d’âge sur la période de trente ans. Cette fonction est plus importante dans les budgets des ménages dont les membres sont encore actifs, et son poids s’est accru plus vite dans la structure des besoins des ménages d’âge moyen, ceux qui ont les besoins les plus marqués. Les personnes âgées dépensent nettement moins que les autres en proportion de leur budget pour la protection et les assurances, mais les nouvelles générations de personnes qui atteignent l’âge de 65 ans augmentent leurs dépenses à ce poste au fil des ans depuis 1978.

Figure 3

Coefficients de dépenses pour le transport par unité de consommation des ménages selon le groupe d’âge, Canada, 1969-1999

Coefficients de dépenses pour le transport par unité de consommation des ménages selon le groupe d’âge, Canada, 1969-1999

forme: 008518aro011n.png 25-24 ans

forme: 008518aro012n.png 35-44 ans

forme: 008518aro013n.png 45-54 ans

forme: 008518aro014n.png 55-64 ans

forme: 008518aro015n.png 65-74 ans

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Les dépenses pour la santé sont corrélées avec l’âge : plus l’âge est élevé, plus elles sont importantes dans les budgets. Nous avons noté plus haut comment elles avaient évolué en deux temps au cours des trente dernières années : décroissance rapide durant les années 1970, puis lente reprise à la hausse par la suite. La figure 5 montre cette fois l’apparition d’un effet de génération important, l’effort budgétaire étant de plus en plus différencié entre les groupes d’âge à la fin des années 1990. La croissance du coefficient budgétaire pour la santé et les soins personnels a été plus forte chez les ménages les plus âgés, et de moins en moins marquée à mesure qu’on descend vers les âges les moins élevés.

Les dépenses pour l’éducation et la garde des enfants sont beaucoup plus importantes chez les jeunes ménages pour des raisons évidentes, ce qui traduit bien un effet d’âge ou de cycle de vie, mais elles sont aussi en croissance plus rapide. Une analyse des budgets de ménages avec enfants à charge serait nécessaire pour scruter de manière plus fine l’évolution de cette fonction, ce que nous ne ferons pas ici.

Figure 4

Coefficients de dépenses pour les loisirs par unité de consommation des ménages selon le groupe d’âge, Canada, 1969-1999

Coefficients de dépenses pour les loisirs par unité de consommation des ménages selon le groupe d’âge, Canada, 1969-1999

forme: 008518aro016n.png 25-24 ans

forme: 008518aro017n.png 35-44 ans

forme: 008518aro018n.png 45-54 ans

forme: 008518aro019n.png 55-64 ans

forme: 008518aro020n.png 65-74 ans

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Le poids des dépenses diverses, enfin, est davantage différencié entre les groupes d’âge jusqu’au milieu des années 1990, et cette tendance se renverse par la suite.

Que retenir sur les effets d’âge et de génération ?

Trois fonctions de consommation convergent dans la structure des besoins des ménages selon le cycle de vie : l’alimentation, l’habillement et les loisirs. Les deux premières correspondent à des besoins fondamentaux qui sont de moins en moins différenciés selon l’âge dans les budgets des ménages. Une nouvelle fonction, les loisirs, émerge aussi dans la structure des besoins de manière indifférenciée selon l’âge au fil des ans, ce qui signifie que les dépenses pour les loisirs deviennent une norme partagée entre les ménages. Deux fonctions importantes se caractérisent par l’apparition d’un écart entre groupes d’âge dans les nouvelles générations : les dépenses pour le logement pèsent plus lourdement dans les budgets des jeunes ménages et celles pour les transports s’accroissent en importance relative dans les ménages plus âgés. Enfin, quatre fonctions de consommation typiques de moments précis dans le cycle de vie montrent des divergences entre générations. La part des dépenses encourues pour l’éducation et la garde des enfants est en hausse dans la structure des besoins des jeunes ménages à la fin des années 1990 comparativement à ce qui se passait à la fin des années 1970, la place de la protection s’accroît en milieu de vie active au cours de la même période et la part de la santé et des dépenses diverses pèse plus lourd dans les budgets des ménages plus âgés à la fin des années 1990.

Il ressort de l’analyse que les conditions de vie des jeunes générations nées à la fin des années 1950 et dans les années 1960 et 1970 sont plus difficiles que celles des générations qui les ont précédées au début de la vie adulte. Cette conclusion d’ensemble va dans le même sens que les travaux sur les générations au Québec publiés par l’Institut de la statistique du Québec. Ainsi, une chercheure de cet institut concluait une étude sur l’évolution des dépenses de consommation entre 1977 et 1992 en notant, à propos des jeunes ménages, que « l’effet des récessions se combine à une position moins favorable dans la chaîne des générations » (Jean, 1998, p. 184).

La différenciation sociale des besoins

La place occupée dans le cycle de vie contribue à la structuration des besoins des ménages, bien que de façon différente sur plusieurs générations. Le cycle de vie n’est cependant pas le seul déterminant qui amène une différenciation de la consommation. Les premières enquêtes budgétaires ont en effet montré comment les besoins étaient bien différents selon le revenu (les travaux d’Engels, au xixe siècle ; Tremblay et Fortin, 1964, pour le Québec) et selon les classes sociales (Halbwachs, 1912, 1933 ; Goblot, 1925 ; Bourdieu, 1979 ; Baudelot et Establet, 1994). Faute d’espace, nous ne pouvons pas analyser en détail les effets de ces deux variables. Nous avons plutôt choisi de les étudier simultanément en créant un indice socioéconomique qui caractérise la position des ménages dans la société sur un continuum pauvreté-richesse.

Les enquêtes de Statistique Canada ne permettent pas une étude précise de la différenciation selon les classes sociales ou le statut mesuré à partir de la profession. Nous avons cependant construit un indice de statut socioéconomique — l’indice multidimensionnel de pauvreté-richesse (impr) mis au point par F. Gardes avec qui nous avons collaboré — basé sur trois dimensions ou critères de pauvreté : la privation, la marginalité et le revenu des ménages. Les dimensions sont mesurées à partir d’indicateurs qui caractérisent la position relative des ménages par rapport à un groupe de référence assez homogène, afin de neutraliser l’effet des changements observables dans la structure de la population étudiée sur la période de trente ans. En effet, il y a davantage de ménages jeunes en 1969 et les ménages jeunes ont des caractéristiques propres qui peuvent biaiser une analyse des évolutions temporelles. Cet indice mesure la position relative des ménages répartis en sept classes : pauvres, quasi-pauvres, classes moyennes inférieures, classes moyennes, classes moyennes supérieures, quasi-riches et riches. Les ménages seront classés parmi les pauvres s’ils ont trois critères de pauvreté et ils seront classés parmi les quasi-pauvres s’ils en ont deux. Il en va de même pour les riches, qui auront trois critères de richesse et les quasi-riches, qui en auront deux. Cet indice a été présenté en détail dans plusieurs publications auxquelles nous renvoyons le lecteur (Gardes et Langlois, 1995 ; Gardes et al., 2000). Les données détaillées qui seront analysées dans les paragraphes qui suivent sont tirées du tableau 3. Nous n’avons construit que deux figures à partir de ce tableau pour caractériser l’effet de la position socioéconomique sur les fonctions alimentation et logement, faute d’espace.

Tableau 3

Coefficients de dépenses par unité de consommation des ménages d'après l'indice multidimensionnel de pauvreté-richesse (IMPR) selon le poste de dépenses, Canada, 1969-1999

Coefficients de dépenses par unité de consommation des ménages d'après l'indice multidimensionnel de pauvreté-richesse (IMPR) selon le poste de dépenses, Canada, 1969-1999

Tableau 3 (suite)

Coefficients de dépenses par unité de consommation des ménages d'après l'indice multidimensionnel de pauvreté-richesse (IMPR) selon le poste de dépenses, Canada, 1969-1999
Source : Statistique Canada, Microdonnées de l’Enquête sur les dépenses des familles (1969 à 1996) et de l’Enquête sur les dépenses des ménages (1999), calculs de l’auteur.

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L’analyse du poids que représente l’alimentation dans les budgets familiaux révèle des changements remarquables dans les niveaux de vie au sein de toutes les classes socioéconomiques (figure 5). Les ménages de toutes classes disposent à la fin de la période examinée d’une plus grande marge de manoeuvre leur permettant d’augmenter leur consommation selon leur volonté. On notera la diminution importante du coefficient budgétaire consacré à l’alimentation chez les ménages pauvres, ce qui indique une amélioration de leurs situations objective et relative au cours des années 1970 et 1980. Ce résultat va dans le sens d’une diminution des inégalités économiques mesurées par les coefficients de Gini par exemple durant la même période (voir Wolfson et Murphy, 1999 ; Langlois, 2002). Globalement, les différences entre les classes socioéconomiques sont moins importantes en 1999 que trente ans auparavant, comme le révèle une certaine convergence des coefficients budgétaires sur le plan longitudinal. Mais la différenciation selon les classes socioéconomiques, moins prononcée en 1999 qu’en 1969, reste cependant élevée, car les progrès réalisés par les ménages les moins favorisés se sont arrêtés dans les années 1990, décennie au cours de laquelle ils n’ont pas vu leur niveau de vie augmenter. D’après cet indicateur, la fraction inférieure de la classe moyenne s’est rapprochée des ménages quasi pauvres, ce qui marque une détérioration de la situation relative d’une partie de la classe moyenne au Canada, une donnée qui correspond à plusieurs autres lectures faites avec des méthodes différentes par différents auteurs.

Figure 5

Coefficients de dépenses alimentaires par unité de consommation des ménages d’après l’indice multidimensionnel de pauvreté-richesse (IMPR), Canada, 1969-1999

Coefficients de dépenses alimentaires par unité de consommation des ménages d’après l’indice multidimensionnel de pauvreté-richesse (IMPR), Canada, 1969-1999

forme: 008518aro021n.png Pauvres

forme: 008518aro022n.png Quasi-pauvres

forme: 008518aro023n.pngClasses moyennes inférieures

forme: 008518aro024n.png Classes moyennes

forme: 008518aro025n.png Classes moyennes supérieures

forme: 008518aro026n.png Quasi-riches

forme: 008518aro027n.png Riches

Source : Statistique Canada, Microdonnées de l’Enquête sur les dépenses (EDM) et de l’Enquête sur les dépenses des familles (EDF), calculs de l’auteur.

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Trois fonctions de consommation, caractérisées par de grandes différences entre classes socioéconomiques sur le plan transversal — les transports, la protection et les dépenses diverses —, ne sont pas affectées par les évolutions temporelles. Les dépenses pour le transport s’imposent comme norme de consommation et elles passent même au deuxième rang des besoins des ménages les plus riches dès 1969 devant l’alimentation et tout juste derrière le logement. C’est une fonction dont l’importance est croissante dans tous les budgets, y compris ceux des ménages moins favorisés, qui ne parviennent cependant pas à rejoindre les premiers. La fonction protection permet aux ménages de se protéger contre les aléas de la vie (chômage, accidents, etc.). Les différences entre classes socioéconomiques sont importantes, ce qui signifie que les plus riches peuvent mieux protéger leurs revenus que les plus pauvres. L’écart entre les groupes s’accroît légèrement dans le temps. Il en va de même pour les dépenses diverses, davantage différenciées entre groupes socioéconomiques à la fin de la période étudiée.

Le poids de la fonction logement augmente en importance dans le budget de tous les groupes de ménage, mais de façon plus considérable chez ceux qui sont les plus pauvres (figure 6). Cette fonction budgétaire représentait environ 20 à 22 % des dépenses dans les sept types de ménages en 1969, soit une remarquable convergence sur le plan transversal, mais celle-ci s’est estompée au fil des ans et les différences dans les coefficients d’effort sont devenues considérables en 1999, année au cours de laquelle les ménages pauvres ont dû affecter en moyenne 31,6 % de leur budget au logement contre 24,2 % chez les ménages riches. Ce résultat est important car il marque une détérioration de la situation des ménages situés au bas de l’échelle des statuts socioéconomiques, qui doivent consacrer plus de ressources budgétaires pour se loger. Ce résultat indique aussi que l’augmentation de la proportion des dépenses totales consacrées à la fonction logement empêchera la structure de la consommation des ménages les plus pauvres de se rapprocher de la structure observée chez les ménages les plus riches.

Les dépenses pour la fonction équipement (dépenses pour les biens durables et semi-durables) étaient plus fortement différenciées selon les classes socioéconomiques en début de période, mais l’évolution temporelle a permis aux ménages de se rapprocher.

Enfin, seul l’effet de période marque l’évolution des dépenses pour l’habillement, car il y a peu de différences entre les classes socioéconomiques, qui restent constantes dans le temps. On remarquera au passage la grande convergence entre les sous-groupes examinés, plus marquée que dans toutes les autres fonctions de consommation examinées dans cet article.

Globalement, la réduction de la part du budget consacrée à l’alimentation dans tous les ménages distingués selon leur situation socioéconomique n’a pas entraîné une convergence dans les structures de consommation principalement à cause de la hausse du coefficient budgétaire de la fonction habitation. La différenciation sociale observable dans la structure des consommations reste marquée, bien que les ménages les moins favorisés voient leurs modèles de consommation évoluer dans le même sens que celui des ménages les plus favorisés.

Figure 6

Coefficients de dépenses pour le logement par unité de consommation des ménages d’après l’indice multidimensionnel de pauvreté-richesse (IMPR), Canada, 1969-1999

Coefficients de dépenses pour le logement par unité de consommation des ménages d’après l’indice multidimensionnel de pauvreté-richesse (IMPR), Canada, 1969-1999

forme: 008518aro028n.png Pauvres

forme: 008518aro029n.png Quasi-pauvres

forme: 008518aro030n.pngClasses moyennes inférieures

forme: 008518aro031n.png Classes moyennes

forme: 008518aro032n.png Classes moyennes supérieures

forme: 008518aro033n.png Quasi-riches

forme: 008518aro034n.png Riches

Source : Statistique Canada, Microdonnées de l’Enquête sur les dépenses (EDM) et de l’Enquête sur les dépenses des familles (EDF), calculs de l’auteur.

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Conclusion

Les données d’enquêtes sur la consommation recueillies sur une période de trente ans permettent maintenant de répondre à une question posée dans les années 1960 : l’avènement de la société de consommation de masse va-t-elle conduire à une convergence dans les modes de vie des ménages et des familles ? Nous pouvons maintenant répondre par la négative à cette question à partir de l’examen des structures budgétaires parce que la consommation des ménages canadiens n’est pas caractérisée par une grande convergence entre classes socioéconomiques ni entre groupes d’âge. Cette réponse confirme à un niveau très global ce que d’autres études faites à des niveaux moins agrégés ont avancé (Rochefort, 1995). Les changements transversaux et temporels ne se font pas au même rythme et les évolutions temporelles n’effacent pas les différences observées au plan transversal entre groupes d’âge et groupements socioéconomiques.