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La littérature des sciences sociales touchant la question de la mondialisation et de la santé comprend environ 200 articles, une poignée de chapitres et quelques ouvrages, tous datant de la fin des années 1990 – et la grande majorité de l’an 2000 uniquement. Cependant, dans cette littérature en pleine effervescence, la question de l’interaction dynamique entre la mondialisation, d’un point de vue théorique ou empirique, et l’élaboration des politiques en santé est à peine abordée. En fait, rare est la littérature sur la mondialisation ou la santé qui traite substantiellement de politiques, et encore moins de leur dynamique. L’importance de cet enjeu fait donc de ce livre une collection d’essai qui est la bienvenue, en rassemblant par ailleurs plusieurs des quelques auteurs importants sur le sujet. De plus, pour rendre la chose encore meilleure, son contenu est clair et élaboré avec rigueur (pas un seul des auteurs ne tombe dans le jargon ou la rhétorique), et ses directeurs ont bien organisé les chapitres afin de construire un ouvrage cohérent et intelligent, fermant la boucle par une conclusion approfondie écrite en collaboration avec Nick Drager.

L’objectif avoué du livre est de combler le fossé qui existe dans la littérature entre les prétentions liées à la mondialisation et l’analyse empirique des dernières. Dans le chapitre d’introduction, on y définit la mondialisation comme étant des événements ou des idées qui bouleversent les éléments spatiaux/territoriaux, temporels et cognitifs qui déterminent nos expériences et nos réactions face au monde d’un point de vue de politiques (dans ces cas-ci, les questions touchant la santé). La structure dominante des réactions politiques et des compréhensions qui y sont rattachées a longtemps été représentée par l’organisation interne des États-nations (leurs institutions et réseaux politiques, comment ceux-ci influencent la circulation des idées et des intérêts, comment ils structurent les relations État-société et le processus décisionnel), ainsi que par l’organisation des relations internationales entre États-nations. Toutefois, comme le soulignent les directeurs du livre recensé, « la santé internationale devient la santé mondiale lorsque les causes ou les conséquences d’une question sanitaire contournent, minent ou ignorent les limites territoriales des États, dépassant ainsi la capacité des États d’intervenir de façon efficace uniquement par l’intermédiaire de ses institutions » (p.5).

Les thèmes abordés dans les trois parties de l’ouvrage sont : la structure conceptuelle des frontières, leur expression par les institutions, la façon par laquelle elles orientent les intérêts et les idées, et comment les relations État-société sont réorganisées dans le cadre du processus décisionnel. La première partie, qui est également la plus longue et qui se rapproche le plus du but énoncé du projet, présente de façon claire les nouvelles règles du jeu grâce à une étude empirique bien définie. L’un des premiers chapitres du livre, écrit par Ranson et al., explique comment les principaux accords et institutions commerciaux internationaux ont influencé les réponses politiques des États par rapport à des enjeux spécifiques touchant la santé (loi sur les brevets pharmaceutiques, politiques importantes sur le tabagisme, politique commerciale sur l’amiante). Les différents auteurs du livre ne remettent pas du tout en question la pertinence des États-nations et font preuve de prudence à cet égard. Dans un chapitre consacré aux partenariats internationaux entre les secteurs public et privé mis sur pied par les Nations Unies, aux nouvelles formes de partenariats entre les entreprises transnationales et aux organisations non gouvernementales, Buse et Walt expliquent pourquoi la participation dominante du secteur privé, dans la mesure où elle modifie les réseaux politiques et leur rôle dans le processus décisionnel, devrait être incluse dans notre définition de la mondialisation, au lieu d’être considérée uniquement comme un produit de celle-ci (autre exemple de la façon par laquelle les politiques engendrent la politique qui engendre les politiques…).

Kumaranayake et Walker se font plus menaçants et illustrent comment les institutions privées, comme la Banque mondiale, ont constitué un canal d’influence pour les idées économiques (établi par des analyses coût-efficacité et l’espérance de vie ajustée en fonction des incapacités) reliées aux problèmes et aux solutions des politiques de la santé. Plusieurs de ces pratiques, déterminées par des idées et des intérêts et promulguées par des réseaux de politiques au membership de plus en plus limité, (Lee et Goodman identifient un « réseau mondial de politiques » d’environ 20 personnes clés dans le domaine de la réforme du financement des soins de santé), ne sont pas confirmées par ces mêmes preuves économiques qui sont supposées être mises en valeur (Brugha et Zwi, Kumaranayake et Lee, Kumaranayake et Walker, McPake). Plusieurs chapitres en viennent à la conclusion que la théorie économique ne s’appuyant que sur très peu de preuves empiriques a entraîné l’élaboration de stratégies « à taille unique » adoptées (et souvent imposées) à des endroits où elles ne répondent pas aux réalités locales, ce qui se révèle particulièrement problématique.

La mondialisation n’est pas seulement l’addition de nouvelles règles, institutions et façon de faire; elle implique aussi d’importantes « soustractions ». Par exemple, dans le cadre des nouvelles structures mondiales, il n’existe aucun mécanisme formel d’expression de la citoyenneté, comme les élections, les groupes de pressions et autres que l’on retrouve dans le contexte des États-nations. En effet, l’une des questions importantes qui se pose à ceux et celles qui s’intéressent à la mondialisation est de savoir dans quelle mesure les nouveaux mouvements sociaux qu’elle nourrit, dont les membres évitent souvent toute participation dans la politique partisane et électorale traditionnelle, auront la capacité de contrebalancer les nouvelles formes d’institutions, d’idées et d’intérêts qui se développent. Les chapitres de l’ouvrage recensé offrent des réponses pour les deux côtés du débat. Kumaranayake et Lake, par exemple, expliquent que les acteurs transnationaux jouissent d’une grande visibilité et que de ce fait ils sont « réceptifs aux influences et opinions externes », engendrant la perspective « qu’une société civile internationale renforcée (…) pourrait apparaître essentielle à la mobilisation de coalitions d’acteurs aux intérêts communs » (p. 96). Malgré cela, Buse et al. soulignent que les groupes de la société civile ont été en grande partie absents du débat et du processus décisionnel entourant la réforme du financement des soins de santé (suggérant que l’une des lacunes de tels groupes est qu’il apparaît difficile, voire improbable, qu’ils se mobilisent pour des questions aussi importantes, mais plutôt banales).

Les essais de la seconde partie de l’ouvrage présentent moins de données et d’analyses empiriques ou primaires que ceux de la première partie. Ils se concentrent plutôt sur des questions théoriques et hypothétiques plus larges. Mayhew et Watts, par exemple, décrivent dans quelle mesure les politiques de l’identité (par exemple de la féminité) et de la santé sont abordées différemment sur le plan international et national. (Ils se demandent également si certains enjeux reliés à la santé deviennent « mondiaux » essentiellement parce qu’ils impliquent des identités supra-nationales déterminées, et moins parce qu’ils se retrouvent en dehors de la portée habituelle des processus décisionnels nationaux). Les autres chapitres soulèvent de nombreux autres liens hypothétiques, tous mûrs pour des études empiriques plus détaillées : les liens entre la mondialisation et l’écart des revenus d’une part, et les nouvelles répartitions de la tuberculose d’autre part (Porter et al.); les liens entre le vieillissement des populations et la croissance de l’assurance privée dans le contexte de l’industrie transnationale de l’assurance (Lloyd-Sherlock), entre le transfert de la main d’oeuvre aux pays en développement et les règles touchant la santé et la sécurité au travail (Fustikian et al.); et les liens entre les politiques en mutation des conflits et leurs répercussions sur la santé (Zwi et al.).

Si chaque chapitre se concentre assez étroitement sur les questions empiriques ou théoriques qui y sont soulevées, le dernier chapitre (qui est en fait la troisième partie du livre) rassemble les principaux résultats des recherches et en tire des conclusions pertinentes et bien argumentées.

En général, cet ouvrage comporte de nombreux points forts, dont l’un des plus surprenants est le recours des auteurs à une vaste gamme d’outils analytiques (idées, intérêts et institutions, relations de pouvoir, capacité et autonomie de l’État, réseaux de politiques) afin de comprendre de nouvelles conditions. Les directeurs ont rassemblé de façon réfléchie le contenu empirique et théorique et l’ont bien organisé pour des fins d’enseignement, utilisant des boîtes pour faire ressortir des exemples, ainsi qu’un langage clair (quoique l’on dénombre plusieurs coquilles). Ils ont également rassemblé le contenu afin qu’un dialogue soit formé entre les auteurs, comme c’est le cas pour les différents exemples de participation de la société civile, ou lorsque Buse et Walt commentent la définition de mondialisation proposée par les directeurs. Les lecteurs peuvent facilement analyser les preuves et les explications, tout en constatant les variations par rapport au temps, à l’endroit et aux enjeux, et la signification de celles-ci (un domaine intéressant pour de futures études).

Ce livre représente une contribution de valeur à la littérature, rassemblant des renseignements essentiels et des analyses concises. Il se révélera utile pour le lecteur qui souhaite connaître dans quelle mesure la mondialisation a un effet sur les politiques de la santé, comment elle interagit avec celles-ci et comment elle contribue à leur reformulation. Plus spécifiquement, il présente de nouveaux renseignements et de nouvelles leçons sur la dynamique de l’élaboration des politiques de la santé dans un environnement en mutation.