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Longtemps attendu par la communauté des chercheurs, d’ici et d’ailleurs, le septième tome du Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec (DOLQ), qui couvre la période 1981-1985, est enfin disponible. Le changement survenu dans la direction de ce projet monumental piloté par des professeurs de l’Université Laval, doublé du nombre sans cesse croissant de publications littéraires au Québec depuis les années 1980, explique sans doute la parution tardive de ce nouveau volume, qui nous arrive presque dix ans après la publication du sixième tome. Si la cadence quinquennale s’est imposée d’elle-même pour rendre compte de l’ensemble de la production littéraire depuis les années 1970, les responsables de ce dernier volume ont compris qu’il n’était plus possible, ni même souhaitable, de recenser tous les titres parus au cours d’une aussi brève période. Aussi, l’équipe de rédaction a-t-elle été contrainte de renoncer à l’un des principes de base qui sont à l’origine du DOLQ, soit l’exhaustivité, bien que ce critère ait été rétabli pour la bibliographie générale reproduite en annexe. En revanche, le critère de l’objectivité, qui reste au coeur de la rédaction des comptes rendus critiques qui composant l’essentiel du dictionnaire, en fait toujours un instrument fondamental, voire incontournable, pour qui s’intéresse de près ou de loin à la littérature québécoise.

Ce dernier tome se place sous le signe de la continuité et du changement, en accord avec la tradition solidement établie du DOLQ, mais aussi pour refléter l’évolution de la littérature québécoise à cette époque cruciale de son développement. Comme il est d’usage, l’introduction repasse en revue les genres canoniques de la littérature (roman, nouvelle, poésie, théâtre, essai), en tentant de préciser les tendances génériques de la période et les thèmes principaux abordés par les auteurs dans leurs oeuvres. Une place de choix est dévolue aux romans historiques et policiers, qui connaissent alors un regain d’intérêt, aux côtés du phénomène nouveau du best-seller québécois qui vit ses premiers grands succès, avec Le Matou d’Yves Beauchemin, Les Filles de Caleb d’Arlette Cousture et les Chroniques du Plateau Mont-Royal de Michel Tremblay (dont deux nouveaux tomes paraissent à la même époque). Parallèlement, les écrivains consacrés persistent et signent, avec la parution de quelques chefs-d’oeuvre, dont Les Fous de Bassan d’Anne Hébert et Volkswagen Blues de Jacques Poulin. L’apparition de nouvelles figures et thématiques est également signalée, que ce soit à travers la multiplication des écritures féminines liée à l’individualisation du discours féministe, l’apport des Néo-Québécois au canon littéraire ou le thème de l’américanité, qui coïncide par ailleurs avec une certaine américanisation du roman québécois à cette époque.

Or, soit par souci excessif d’objectivité, soit par un curieux parti pris idéologique que masque parfois l’impartialité scientifique quand elle devient article de foi, les signataires de l’introduction ne semblent pas avoir pris toute la mesure de cette nouveauté et de ce qu’elle représentait alors pour le devenir de la littérature québécoise. On se serait attendu à ce que l’importante littérature écrite par les femmes, qui éclipsait à l’époque la production issue d’une relève masculine plutôt timide ou le phénomène des écritures migrantes qui remettait sérieusement en question le concept d’identité nationale, soient davantage mis en valeur. La consécration de nombreux poètes dont l’oeuvre antérieure a fait l’objet de rééditions à caractère rétrospectif est davantage lue comme le signe de la consolidation d’une tradition (pourtant récente) de la littérature québécoise que celui, plus inquiétant, d’un certain essoufflement du verbe poétique. La question de la crise identitaire, voire sexuelle, des écrivains est soulevée, mais curieusement le terme « nationalisme » (et ses dérivés) n’apparaît dans aucun sous-titre de la présentation générale. Est-ce à dire que la crise ne fut qu’individuelle et passagère, et qu’elle n’entama en rien le socle de l’identité nationale (ce qui serait surprenant au lendemain de l’échec du premier Référendum) ? Ou n’est-ce pas plutôt le symptôme d’une crise collective plus profonde qui avait déjà laissé sa marque, mais à laquelle on préférait ne pas trop s’attarder ? Toujours est-il que ce silence relatif, et surtout relativisant, autour de la question nationale peut nous sembler suspect.

La nouveauté du projet se situe du côté du traitement que le dictionnaire réserve à la production théâtrale. En ne se contentant plus de recenser les pièces seules, mais en étendant son champ d’investigation aux troupes de théâtre et aux esthétiques qu’elles incarnent ou qu’elles entendent défendre, le DOLQ a pris le pouls du phénomène majeur qui démarque la production dramaturgique au Québec à l’aube des années 1980 : le rôle accru réservé à la mise en scène et à l’écriture scénographique. Si le dessein est louable en soi, on peut en revanche mettre en doute la pertinence d’accorder autant de place à l’histoire institutionnelle de ces compagnies. Évidemment, l’on peut en toute bonne foi alléguer le retard à rattraper ou le sentiment d’une injustice qu’il fallait réparer, mais ce redressement historique devait-il se faire à l’intérieur d’un dictionnaire qui reste voué, comme son titre l’indique, aux « oeuvres littéraires » contemporaines de la période annoncée ? N’aurait-il pas été plus avisé de limiter les comptes rendus à la production proprement dite de ces troupes théâtrales durant la période visée, comme le fait par exemple Dominique Lafon dans son article portant sur le Théâtre du Nouveau Monde ? Du moins sommes-nous assurés que cette consigne deviendra la norme du DOLQ pour les volumes à venir, les responsables du tome VII ayant eu l’heureuse initiative d’introduire dans ce domaine un éventail plus large, qui s’avérait nécessaire afin de refléter la nouvelle réalité du théâtre québécois. Par souci de cohérence mais aussi d’équité, on peut toutefois reprocher aux éditeurs d’avoir permis exceptionnellement l’emploi des caractères gras dans la partie de l’introduction consacrée aux courants théâtraux, alors que les autres genres littéraires ont été privés de cette singulière mise en relief.

L’essai demeure le genre le plus problématique représenté au sein du dictionnaire. « [L]’embarras de plus en plus manifeste des théoriciens à l’égard d’un genre protéiforme de nature » semble d’ailleurs s’être répercuté sur les membres de l’équipe de rédaction. Il avait été convenu d’éliminer de cette catégorie les textes qui n’étaient pas spécifiquement littéraires, « au profit d’oeuvres indiscutablement marquées du sceau de la littérature tant par la qualité de l’écriture que par les visées des écrivains » (nous soulignons). Si cette distinction avait permis d’écarter par le passé les ouvrages de piété, les pamphlets politiques, voire les traités de philosophie, en revanche elle ouvrait grandes les portes aux études universitaires axées sur la littérature et qui constituent une bonne part de ce que nous appelons, à tort ou à raison, « essais littéraires » au Québec. Or, suffit-il qu’un texte porte sur la littérature et qu’il soit bien écrit (ce qu’on est en droit d’attendre de la part de tout professionnel de la littérature) pour qu’il soit automatiquement considéré comme une oeuvre littéraire ? Ne devrait-on pas faire preuve de plus de « discernement » (pour reprendre le terme judicieux que Suzanne Jacob glose dans son très bel essai, La Bulle d’encre) quand il s’agit d’évaluer la qualité de l’écriture essayistique et de définir ce qui constitue un essayiste par rapport aux autres figures de la critique ? Nous n’avons toujours pas de critères fiables pour trancher la question, mais peut-être est-ce le signe que le temps est venu justement de rediscuter ce qui fait la problématique littérarité de l’essai littéraire. Sinon, nous risquons de ne plus trouver dans cette catégorie que des textes d’universitaires glosant les travaux de leurs pairs (ce qui, à tout bien considérer, constitue un trait spécifique de l’essai québécois à l’époque actuelle...).

Les articles de ce septième tome du DOLQ sont de longueur et d’intérêt variables. Comme par le passé, la longueur des textes dépend de la fortune critique de l’oeuvre recensée, établie à partir du nombre de comptes rendus et d’études qu’elle a suscités après sa parution. Ce système d’évaluation peut être contesté dans la mesure où il ne prend pas suffisamment en compte les exceptions, mais il a le mérite d’être cohérent et objectif. La rédaction des textes respecte un même schéma global. Après une présentation de l’oeuvre, accompagnée le plus souvent d’un résumé, l’appréciation personnelle du signataire est mise en perspective par rapport à d’autres jugements critiques. Une liste détaillée des articles dont le texte a fait l’objet est reproduite à la suite de la recension. Le modèle demeure exemplaire en ce qu’il permet au lecteur de relativiser immédiatement sa réception critique de l’oeuvre, tout en lui fournissant les indications nécessaires pour entreprendre des recherches plus approfondies sur le même sujet. Dans ce sens, le dictionnaire s’acquitte toujours très bien de sa mission : « l’établissement le plus large possible du corpus de la littérature québécoise et son accessibilité à tous, chercheurs, professeurs, étudiants et grand public ».

L’intérêt des textes dépend beaucoup plus de la facture de l’article et de la profondeur du regard critique qui en assure la pertinence. C’est ainsi qu’à côté de comptes rendus factuels, de nature souvent descriptive ou purement informative, on peut lire des recensions critiques qui constituent de véritables études dignes d’être publiées dans une revue savante. C’est le cas, pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, du compte rendu éclairant et stimulant que nous livre Janet M. Paterson des Fous de Bassan. Il faut dire que l’oeuvre maîtresse d’Anne Hébert se prêtait à un tel traitement. En contrepartie, on peut se demander si les longs résumés, parfois fastidieux, qui accompagnent plus souvent les comptes rendus d’oeuvres à succès ne sont pas tributaires de l’intérêt limité que présentent ces mêmes oeuvres sur le plan de l’écriture, plus particulièrement celui de la forme ; bref, si la teneur d’un article ne reflète pas celle de l’oeuvre qui lui sert de prétexte. Quoi qu’il en soit, tout lecteur trouvera dans chaque article suffisamment de pistes pour le guider dans ses lectures actuelles et futures, et s’aventurer plus avant dans le champ toujours mieux balisé de la littérature québécoise. Le DOLQ nous ayant à nouveau convaincu « de son utilité et de sa fiabilité comme instrument vivant d’une recherche de plus en plus exigeante et actuelle », il ne nous reste plus qu’à souhaiter que son prochain tome se fasse moins attendre.