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Pour une archéologie du paysage urbain

Le sous-titre de ce livre explicite l’objectif de l’auteure : montrer comment un quartier de la ville de Québec, Saint-Roch, situé dans la Basse-Ville près de la rivière Saint-Charles, a été en fait conçu comme un centre-ville et a évolué en tant que tel. L’ouvrage vise tout d’abord à donner du sens à l’histoire et à la géographie de ce quartier, en enrichissant et actualisant les données anciennes, en réorganisant des informations existantes, en intégrant les résultats de travaux en cours : naît alors un nouveau point de vue, au sens propre et figuré, sur l’histoire de la ville de Québec. Lucie Morisset, en présentant ici l’aboutissement de travaux entrepris lors de recherches post-doctorales en architecture, en collaboration avec la Ville de Québec et de nombreuses archives, montre également à quel point le paysage urbain d’aujourd’hui porte les traces du passé et la façon dont le paysage bâti et le parcellaire contribuent à témoigner d’une mémoire de la ville et, au-delà, à peser sur son devenir.

Si le terme de « forme urbaine » renvoie à un concept utilisé plutôt en architecture, la démarche se rapproche de celle du géographe : il s’agit d’utiliser les données spatialisées de l’histoire et de l’architecture non seulement pour illustrer, mais également pour expliquer et démontrer. L’auteure appuie sa démonstration sur de nombreuses illustrations : fonds de carte de différentes échelles et de toutes les époques, gravures et photographies. Procédé à la fois original, simple et efficace, tous les plans de la ville sont orientés de la même façon pour présenter Saint-Roch au coeur de la ville, alors que la tradition fait placer ce quartier à la périphérie. Éclairer la forme urbaine et donner un nouveau sens à l’histoire du quartier passe ainsi par un travail minutieux sur les données, avec un soin particulier accordé à l’iconographie, très riche et mise en valeur par une belle mise en page.

Le plan de l’ouvrage, de facture classique, est chronologico-thématique, avec en fin de chapitre un résumé de l’idée principale. Ainsi, après un XVIIe siècle fondateur français (avec une Ludovica rêvée par Champlain en 1618), un XVIIIe siècle « artisan », le XXe siècle est « américain ». Les troisième et quatrième chapitres portent sur le XIXe siècle, avec une coupure entre deux « espaces», l’un plus industriel et l’autre plus résidentiel. Sont ainsi soulignées par ce découpage la complexité et l’ambiguïté du développement de ce qui, malgré tout, reste une périphérie. En témoigne la majorité des titres : « banlieue », « faubourg », « quartier », alors que l’existence d’un centre-ville relève ici davantage d’un projet, d’une utopie. Certes, Saint-Roch aurait pu être un centre, c’est l’un des pôles de son histoire, mais ce qui est surtout caractéristique et visible, c’est cette tension constante entre deux fonctions, l’une centrale et l’autre périphérique. Insister sur le pôle de centralité permet à l’auteure de corriger, d’infléchir la vision classique d’une Haute-Ville coupée de son environnement.

La question des liens entre mémoire et paysage se comprend finalement en imaginant l’ouvrage comme une archéologie du paysage urbain, prenant en compte les traces visibles comme invisibles du passé, pour reconstituer l’histoire et enrichir notre mémoire de la ville.