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Avec la publication récente de deux articles [1, 2], le dépôt de plus de 175000 séquences (EST, expressed sequence tag) dans GenBank et le séquençage systématique du génome en cours, les schistosomes entrent, enfin, dans l’ère génomique. Le fardeau économique et social que représentent les helminthiases (bilharziose, onchocercose, filarioses lymphatiques, ascaridiose, etc.) est encore sous-évalué [3] et il est nécessaire de focaliser plus d’attention et de moyens sur le contrôle de ces maladies. Les schistosomiases font encore partie de ces «grandes maladies négligées» avec, répartis dans 75 pays du tiers-monde, environ 200 millions d’in-dividus infectés par les trois espèces principales de vers plats parasites, et 280 000 décès par an pour le seul continent africain [4]. Il n’existe qu’une seule drogue efficace contre toutes les espèces de schistosomes, le praziquantel introduit en 1985, et des isolats résistants ont déjà été observés au Sénégal et en Égypte [5]. Un vaccin recombinant, élaboré à partir d’une glutathion S-transférase de Schistosoma haematobium, a franchi des essais cliniques de phases I et II [6]. Il promet de complémenter le traitement par le praziquantel en diminuant fortement la fécondité des vers, réduisant ainsi la ponte des oeufs, responsables des manifestations pathologiques de la maladie. Toutefois, il ne représente pas, à lui seul, l’arme absolue contre toutes les espèces de schistosomes et le développement de nouveaux moyens prophylactiques reste une priorité stratégique de l’OMS (http://www.who.int/tdr/grants/strategic-emphases/). L’analyse du génome de ces parasites devrait permettre l’identification de cibles thérapeutiques originales et le développement de nouvelles stratégies de contrôle.

Les schistosomes représentent un défi particulier parmi les parasites humains; ce sont des plathelminthes trématodes possédant un cycle évolutif complexe et un génome de grande taille (270 Mb) comparé à celui des nématodes (100 Mb pour Caenorhabditis elegans) ou des parasites protozoaires (22,8 Mb pour Plasmodium falciparum par exemple). Le cycle de vie comporte deux hôtes successifs (l’homme et un gastéropode d’eau douce), quatre formes morphologiquement distinctes et deux types de reproduction (asexuée chez le mollusque, sexuée chez l’homme) (Figure1). L’étude du transcriptome de Schistosoma japonicum, dirigée par le Chinese National Human Genome Center à Shanghai [1], et celle du transcriptome de Schistosoma mansoni dirigée par l’université de São Paulo au Brésil [2], tiennent compte de cette complexité par l’analyse de séquences correspondant à tous les stades principaux de développement. Dans le cas de S. mansoni, 10 000 à 33000EST ont ainsi été obtenues pour chaque stade, représentant au moins une étiquette pour 92% des transcrits et permettant d’estimer le nombre total de gènes du parasite à 14000. Ce chiffre place les schistosomes au même niveau que Drosophila, mais en deçà de C. elegans (22000gènes) bien que ce dernier ait un génome trois fois plus petit. D’une manière intéressante, l’analyse phylogénétique de certaines familles de gènes chez S. japonicum révèle une distance évolutive plus élevée vis-à-vis de C. elegans que de D.melanogaster. De plus, la présence de plusieurs paralogues de protéines considérées comme spécifiques de vertébrés soulève la possibilité d’une évolution convergente de ces protéines et d’un rôle clé dans la relation hôte-parasite.

Figure 1

Cycle évolutif de Schistosoma mansoni.

Cycle évolutif de Schistosoma mansoni.

La furcocercaire s’échappe de l’hôte intermédiaire et pénètre à travers la peau de l’hôte définitif. Elle se transforme rapidement en schistosomule qui migre vers les poumons, puis gagne la veine porte intra-hépatique où elle atteint sa maturité sexuelle. Après accouplement, les vers adultes gagnent le lieu de ponte, les veines mésentériques. Une partie des oeufs est emportée par le flux sanguin vers les tissus hépatiques où ils provoquent la formation de granulomes bilharziens, responsables de la pathologie. La majorité des oeufs traverse la paroi intestinale et est éliminée avec les selles. Ils éclosent au contact de l’eau douce, libérant le miracidium qui nage vers l’hôte intermédiaire. Là, s’effectue la multiplication intensive du parasite (phase asexuée). Après 21 jours et à partir d’un seul miracidium, des milliers de furcocercaires sont expulsés.

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L’analyse des EST des deux espèces montre également un pourcentage élevé (atteignant 55 % dans le cas de S. mansoni) de séquences codant pour des protéines de fonctions inconnues. Cette proportion est en partie due à la nature même des EST obtenues qui sont des séquences d’extrémités 5’ d’ADNc dans le cas de S. japonicum ou des fragments amplifiés au hasard par la technique d’ORESTES[1] [2] pour S. mansoni. Cette stratégie utilise des amorces aléatoires courtes pour l’amplification des fragments d’ADNc, avec comme résultat une couverture préférentielle des séquences dans les régions codantes. Dans les deux cas, la nature partielle des séquences obtenues rend difficile l’identification de protéines ne possédant que certains domaines conservés. C’est certainement le cas, par exemple, de gènes composant le complexe Hox, absents de l’analyse et dont seulement l’homéodomaine est conservé, ou de certains récepteurs nucléaires. Il est néanmoins très probable que nombre de ces transcrits codent pour des protéines inconnues, spécifiques des schistosomes, qui reflètent leur adaptation au mode de vie parasitaire. En effet, une analyse plus fine de 611 cadres ouverts de lecture de S. japonicum montre que 35% de ces séquences ne présentent aucune similitude avec les séquences contenues dans les bases de données. Une approche semblable dont l’objectif est d’obtenir 2000 séquences complètes d’ADNc est actuellement en cours au Brésil (G.Oliveira, Centro de Pesquisas René Rachou, FIOCRUZ, Belo Horizonte). Ces données permettront de mieux apprécier la proportion de séquences spécifiques aux schistosomes, mais seront également indispensables pour l’analyse et l’annotation du génome. En effet, le séquençage shotgun (mitraillage) du génome de S. mansoni est en cours au centre Sanger et au TIGR (The Institute for genomic research) et sera bientôt terminé.

L’objectif principal à terme de ces programmes est de permettre le développement de nouveaux outils pour la lutte contre les schistosomes. Il est évident que l’identification d’éventuelles cibles vaccinales ou chimiothérapeutiques ne représente que la première étape d’un long cheminement, mais les données fournies par le séquençage d’EST permettent déjà d’être optimiste. Parmi les nombreuses cibles potentielles d’agents chimiothérapeutiques, peuvent être cités les récepteurs pour l’acétylcholine, le glutamate ou le GABA, mais surtout des récepteurs à activité tyrosine kinase, dont l’un, qui présente une structure très originale, probablement spécifique des schistosomes, a déjà été caractérisé [7]. D’une manière générale, même si leur nombre semble plus restreint que chez d’autres espèces, les protéine kinases (180 exemplaires dans les EST de S.mansoni) sont certainement des cibles de choix pour ces stratégies. De même, les récepteurs nucléaires (une dizaine parmi les EST) dont on connaît l’originalité structurale et fonctionnelle de certains représentants [8], méritent une étude approfondie. Il semble très probable que la spécificité des mécanismes de contrôle de la transcription et de la signalisation soit le moteur principal de l’évolution et de la diversification des espèces [9]. L’élucidation de ces mécanismes chez les schistosomes, ainsi que chez les autres parasites de l’homme, devrait apporter les clefs pour le contrôle durable de ces maladies qui représentent une entrave considérable au développement des pays affectés.