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Les auteurs ont effectué une première interprétation de base fort intéressante de données saisies et traitées par Statistique Canada en fonction du modèle auréolaire classique bien connu en économie urbaine et, par extension, en économie régionale. La banque de données pancanadiennes désormais disponible à Polèse et Shearmur représente à elle seule un apport considérable. Le diagnostic général est rigoureux. L’interprétation des données s’avère d’une excellente qualité technique. Le rapport est d’une bonne qualité pédagogique qui, malgré sa rigueur scientifique, le rend accessible à la vaste sphère des acteurs sur le terrain du développement local et régional.

L’analyse effectuée livre plusieurs résultats intéressants qui constituent avec bonheur un ensemble très bien ficelé de faits pertinents sur l’objet d’étude. Nous en résumons ainsi les principaux points :

  • la concentration de la population en zones urbaines se poursuit au détriment des zones rurales ;

  • les effets de diffusion de la croissance urbaine possèdent des limites géographiques certes plus éloignées du pôle qu’auparavant, mais tout de même limitées en périphérie immédiate de celui-ci ;

  • la distance demeure toujours importante, malgré l’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la communication ;

  • l’un des principaux obstacles à l’augmentation de la productivité dans les régions périphériques canadiennes est la difficulté de produire en quantité suffisante ;

  • les industries riches en savoir continuent de se localiser dans les grands centres urbains ou à proximité, tandis que se déconcentrent jusqu’à une certaine distance les activités de fabrication de produits à faible ou moyenne valeur ajoutée ;

  • le déclin démographique n’entraînera pas la mort ou l’interruption du développement des régions périphériques ;

  • la dénatalité actuelle affecte le mécanisme démographique d’équilibre qui permettait jadis de résorber l’émigration qui a toujours affecté les régions périphériques ;

  • la main-d’oeuvre bien rémunérée par les industries reliées à l’extraction et à la première transformation des ressources naturelles cause le « syndrome du rentier encombrant », nuisant ainsi à la diversification économique de ces territoires ;

  • le régime d’assurance-emploi n’a pas que des effets bénéfiques en régions périphériques en nuisant à l’ajustement naturel par les forces du marché ;

  • la frontière provinciale joue un rôle important, étant donné les différences dans les réglementations gouvernementales, notamment celles à l’égard du marché du travail ;

  • le chapitre sur les régions qui réussissent dans des contextes similaires aux régions périphériques offre peu de leçons vraiment intéressantes que l’on peut en tirer.

Selon l’hypothèse centrale des auteurs, la mutation vers l’économie du savoir est importante actuellement et ne se fera en périphérie qu’en trouvant un nouvel équilibre avec une population inévitablement plus faible, quelle que soit la politique publique pour soutenir et encadrer la transition.

On peut formuler quelques réserves sur le rapport, qui frappe par son absence de discussion méthodologique. Le lecteur a l’impression, sûrement à tort, que les auteurs considèrent qu’il n’y a qu’une méthode possible, un seul modèle offert par la littérature scientifique et un découpage unique possible de leur univers de recherche.

Pourtant, on sait qu’il existe plusieurs modèles d’analyse spatiale. Certains s’avèrent plus universels que d’autres bien sûr, comme les modèles du système urbain, du district industriel ou de la région économique idéale. D’autres sont plus récents tout en étant fort prometteurs comme le système local de production ou celui du bassin d’emplois. Quelle que soit leur qualité, il est largement reconnu que peu de modèles s’appliquent universellement sans tenir compte des caractéristiques des régions et localités.

En Amérique du Nord les mouvements spatiaux sont en effet encore très importants à notre époque, faisant ainsi apparaître des renversements hiérarchiques, des repositionnements de pôles, des répulsions et des attractions fortes, des déprises et des concentrations plus ou moins radicales, des rayonnements accrus des centres urbains et des localisations d’activités en des endroits hier imprévisibles. L’est du Canada qui représente en fait une portion de la périphérie éloignée de la mégalopole New York, fait partie intégrale de cet espace mouvant qui a vu, sur un peu plus d’un siècle, non seulement son principal pôle passer de Québec à Montréal et ensuite à Toronto, mais aussi émerger récemment de nouveaux territoires comme Madawaska, la Beauce, les Bois-Francs, et décliner d’autres territoires comme la Basse-Mauricie, le Saguenay, la moyenne Côte-Nord.

Si le modèle auréolaire classique utilisé par les auteurs reste fort valable, l’utilisation de modèles alternatifs qui ont fait leurs preuves en Amérique – le modèle mercantile de Vance (1970) et son application par Claval (1989) – aurait, à notre avis, offert une explication pertinente sur les forces, les faiblesses et les tendances de l’espace économique canadien. L’exercice de modélisation plurielle aurait, en outre, été encore plus pertinent s’il ne s’était pas confiné à la période 1971-1996 caractérisée par un seul cycle structurel, embrassant une période historique de plusieurs cycles longs.

Le découpage spatial utilisé par les auteurs représente aussi un choix méthodologique critiquable. L’échelle d’observation spatiale est un enjeu important dans la mesure où, en général, plus cette échelle est grande et moins les mouvements spatiaux sont distincts. Le modèle auréolaire aurait donné des résultats différents s’il avait été appliqué à partir de New York ou Los Angeles, pôles continentaux centraux depuis le traité de l’ALENA. Le modèle d’analyse aurait produit des interprétations plus diversifiées si les découpages statistiques par couronnes avaient été plus finement ciselés. À titre d’exemple, pourquoi dans la périphérie très immédiate de Montréal, les villes de Saint-Jean, Granby et Sainte-Agathe possèdent-elles un fort taux de croissance de l’emploi alors que stagnent Lachute, Joliette et Sorel ? Le rapport ne met pas en évidence ces contrastes, pas plus qu’il n’illustre les petits systèmes territoriaux de production dans le Bas-Saint-Laurent, au Saguenay, en Basse-Mauricie et évidemment, sur l’axe des Appalaches.

Ce rapport de recherche représente clairement un pas important vers une meilleure connaissance de la dynamique spatiale du Canada, spécialement de celle du Québec et des provinces maritimes. Le chapitre sur l’impact des NTIC vaut à lui seul la lecture.

De plus, dans un pays où les activités gouvernementales accaparent une bonne part du PIB, les politiques publiques ne sont pas sans effets sur l’espace, malgré la difficulté d’isoler et de mesurer leurs impacts réels sur les grandes tendances spatio-économiques. On peut douter que ces impacts soient aussi faibles que le soulignent à plusieurs reprises les auteurs.

Dans ce renforcement des pôles métropolitaines – politique que les auteurs préfèrent – dans le sens d’une politique métropolitaine, le choix de Moncton comme pôle principal de concentration d’activités n’est pas neutre non plus. Les tendances récentes de l’emploi indiquent que ce centre urbain s’en tire mieux que les autres autour comme les deux Saint John, Halifax et Charlottetown, à la faveur notamment d’une politique publique et d’une position géographique avantageuse. Est-ce une raison valable pour désigner davantage cette ville de 110 000 habitants à l’attention de Développement Économique Canada, au détriment des autres pôles limitrophes et même du pôle de Montréal qui se voit progressivement amputer d’une autre partie de sa périphérie « naturelle » à l’est du Canada ? En outre, que devient la région de Québec sur ce nouvel échiquier de pôles primaires et secondaires dans l’est du Canada ? Que devient le pôle de Saguenay avec ses 155 000 habitants dont le rayonnement potentiel peut être important en regard des grands projets nordiques ?

Cette recherche, commandée par Développement Économique Canada, apporte de nouvelles connaissances sur la dynamique spatiale des activités économiques et sociales. La science régionale canadienne s’en trouve enrichie.

Dans le cadre de la politique régionale fédérale, DEC ne peut néanmoins en rester à cette étude si l’organisme désire influer sur les décisions gouvernementales dans l’allocation des ressources financières consacrées à l’équilibre spatial canadien. La mission régionale de DEC dépend de sa capacité à se tourner rapidement vers d’autres perspectives que celle contenue dans ce rapport. À moins que DEC souhaite justement changer sa mission.