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Atlas historique du Québec poursuit heureusement sa grande aventure. En cinquième titre, nous arrive le fruit d’une entreprise particulièrement audacieuse, Québec, ville et capitale, près de quatre siècles d’histoire d’une société, de son territoire et de sa position dans un réseau de relations continentales et internationales, avec une référence constante à ces vastes espaces amérindiens devenus en même temps un des pays les plus avancés.

Serge Courville formule ainsi l’objectif poursuivi après avoir évoqué la grande richesse du passé québécois : « Le but de cet ouvrage est de rappeler cette évolution, à partir d’une préoccupation première qui a été de réaliser une synthèse géographique de l’histoire urbaine de Québec. C’est donc d’histoire qu’il sera question ici, mais d’une histoire un peu particulière, qui met en scène le territoire lui-même de la ville, comme reflet des événements, des volontés et des actions qui ont marqué l’origine et les transformations de Québec, depuis les débuts jusqu’à aujourd’hui » (p. 1).

Comment réaliser une pareille synthèse ? Il fallait évidemment s’y mettre à plusieurs et se donner sinon des règles strictes du moins quelques fermes orientations communes. Il fallait surtout relever un certain nombre de défis et faire des choix souvent difficiles. Un parcours rapide de la table des matières nous en révèle déjà quelques-uns.

Premier défi : il fallait rendre compte d’une évolution qui va d’un moment où n’existait qu’un territoire « déjà humanisé » mais à peine occupé, à un moment où une ville moderne, donc une société complexe, domine de façon absolue le même espace, sachant que très tôt devenue capitale, elle a vu ce statut plusieurs fois modifié. Les concepteurs ont choisi de moduler leur choix par une priorité donnée au territoire et en centrant l’étude de chacune des périodes repérées sur sa dynamique propre. Ainsi nous avons « Les débuts », soit la rencontre entre le monde amérindien et l’européen ; « Une ville impériale » qui couvre le Régime français et le passage à l’Empire britannique ; « Une ère de contraste », c’est-à-dire le temps de l’évolution vers une ville moderne dans un cadre politique en transformation depuis l’Acte constitutionnel jusqu’à la Confédération : enfin « Le Québec aujourd’hui » ou l’histoire telle qu’on peut l’observer dans le paysage et dans les symboles qui se sont accumulés depuis la fondation. De toute évidence, on a voulu user de souplesse, laisser l’histoire racontée évoluer au fil de l’histoire vécue.

Second grand défi : des choix s’imposaient quant au contenu en conséquence à la fois de l’orientation générale établie et de l’état de la recherche selon les périodes et les champs. Les auteurs l’avouent : « Tout n’est donc pas dit dans cet ouvrage et bien des aspects sont restés ignorés ou trop brièvement présentés » (p. 14). Mais des introductions substantielles à chaque période ou sous-période, un choix judicieux et varié de thèmes dans chacune d’elles offrent dans chaque cas non pas l’image d’un squelette, mais celle d’une réalité en mouvement à laquelle des connaissances nouvelles pourront s’ajouter et prendre vie. Les spécialistes pourront certainement regretter tel ou tel élément manquant, ils auront du moins un ensemble flexible où les inscrire à l’avenir.

Troisième grand défi : donner vie à l’histoire, c’est permettre au lecteur de voir plus ou autrement et de se poser des questions, qu’il soit simplement curieux ou chercheur. Déjà le fait de faire collaborer 30 personnes créait ouverture et diversité, mais les concepteurs ont usé d’autres moyens, cartographie, iconographie, documents d’archives : pas un thème important qui ne soit illustré d’une façon ou d’une autre. Ainsi des points de vue de témoins enrichissent les exposés, leur donnent de l’horizon. Espérons que de nouvelles questions surgissent chez les lecteurs et cheminent jusqu’à ceux qui écrivent et réécrivent histoire et géographie.

En évoquant seulement trois grands défis, nous n’entendons minimiser ni l’ampleur ni la complexité de la tâche assumée par Courville, Garon et leurs collaborateurs. Les lecteurs et les gens des disciplines impliquées auront vite perçu, chacun selon sa sensibilité, les pièges évités, les difficultés surmontées, les heureuses trouvailles, les failles inévitables. Mais avant de lire et de réagir, on aura feuilleté et découvert un merveilleux album où graphie et illustrations de toutes sortes s’allient pour créer une série de tableaux qui deviennent vite des invitations à y regarder de plus près et à chercher un au-delà.

Sous les grandes orientations évidentes, les traits structuraux et une fascinante vue d’ensemble, se cache une réalité plus austère, celle de la recherche et de l’écriture inscrite dans plus de cinquante articles différents, parfois d’assez vastes synthèses, la plupart du temps des études de champs particuliers, jamais de fines concentrations. Je ne saurais dire si l’on a tenu compte des tout derniers résultats de recherche, car les disciplines mises à contribution sont trop nombreuses : histoire, géographie, ethnographie, anthropologie, sociologie, économie, science politique, histoire de l’art, archivistique et encore. Mais était-ce nécessaire ? L’ouvrage dans son ensemble et dans chacune de ses parties vise la synthèse, non pas un illusoire inventaire de connaissances. Les spécialistes repéreront probablement des manques, mais il serait surprenant que cela diminue la valeur de l’oeuvre.

Notons pour terminer un certain nombre d’oppositions ou de tensions caractéristiques que l’on a su reconnaître et mettre en évidence. Elles contribuent à la force évocatrice des exposés comme elles ont contribué à modeler la physionomie de Québec : fleuve et espaces côtiers, basse-ville et haute-ville, commerce-industrie et administration, vie civile et besoins de défense, centre-ville et banlieues, ville et capitale, utilité et symbolisme, Québec et Montréal, etc. Un tel système de tensions caractérise chaque ville quelle qu’elle soit, grande ou petite. Celui-là frappe par sa complexité.

Québec, ville et capitale comble un grand vide, car il n’existait aucune vue d’ensemble aussi considérable. Merci à Serge Courville et Robert Garon, à chacun des auteurs, mais aussi à tous les chercheurs de toute discipline qui scrutent la réalité de Québec depuis des dizaines d’années. Il n’était probablement pas prévu que le livre paraisse au moment des fusions municipales, mais ne vient-il pas rappeler le passé ancien d’une unité originelle que le temps avait morcelé ? Par contre, les concepteurs prévoyaient certainement le 400e anniversaire de la fondation de Québec en 2008, et l’idée de nous donner un ouvrage phare unissant connaissances et symboles les a probablement inspirés.