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L’histoire du syndicalisme québécois a longtemps été celle des organisations syndicales, laissant dans l’ombre celle des personnes qui ont pu influencer leur développement. Elle a pu ainsi paraître à plusieurs comme quelque chose de désincarné. Depuis quelques années, nous assistons heureusement à la publication de biographies de leaders syndicaux importants. Parmi celles-ci, celle de Gustave Francq, réalisée par Éric Leroux, est particulièrement intéressante. Elle est tirée de la thèse de doctorat en histoire que l’auteur a présentée à l’Université de Montréal en 1999.

Bien que la vie et l’oeuvre de Francq soient au centre de l’étude, Leroux les place constamment au sein de la vie des institutions où Francq a milité et dont il fait ressortir les débats et les orientations. L’ouvrage devient donc une étude non pas d’une seule personne mais aussi du mouvement ouvrier montréalais de la fin du xixe siècle au tournant des années 1950.

L’auteur articule son étude autour de six axes d’analyse, correspondant chacun à un chapitre, où il s’attarde aux différents aspects de la vie de son personnage. D’entrée de jeu, il dresse l’historique de l’action syndicale de Francq ainsi que des principaux moments de sa vie personnelle. Né en 1871 à Bruxelles, en Belgique, il débarque à Québec à l’âge de 15 ans et il devient apprenti typographe. Après son mariage, il vit quelques années aux États-Unis et en Belgique, avant de s’établir à Montréal en 1900. Il acquiert en 1902 une imprimerie, la Mercantile Printing Co., qu’il conservera pendant toute sa vie active. C’est à cette époque qu’il s’engage syndicalement tant au sein de l’Union typographique Jacques-Cartier et de l’Union des journalistes de Montréal qu’au Conseil des métiers et du travail de Montréal, au Comité exécutif de la province de Québec et au Conseil des métiers et du travail du Canada. Il y occupera différents postes de direction. Son double statut d’ouvrier et d’homme d’affaires incitera certains syndiqués à remettre en question son appartenance syndicale, mais l’engagement indéfectible de Francq convaincra la majorité de sa loyauté.

L’accent est ensuite mis sur le réformateur social. En effet, Francq semble influencé par le radicalisme français dont il adopte également l’antisocialisme, et il devient franc-maçon, d’abord au sein de la loge L’Émancipation, puis de Force et courage. À l’instar des tenants de ces courants de pensée, il prend position en faveur du droit de vote pour les femmes. Il prend aussi place parmi les plus ardents et tenaces défenseurs, à côté des libéraux radicaux, d’une réforme en profondeur du système d’éducation impliquant la création d’un ministère de l’Éducation, l’instruction gratuite et obligatoire, l’uniformité des manuels scolaires, l’augmentation des salaires des enseignants, etc. Il imprime d’ailleurs le journal Le Pays auquel il collabore activement et qu’il dirige en 1920 et 1921.

De 1906 à 1916, Francq s’engage également dans le Parti ouvrier de Montréal dont il est l’âme dirigeante. Comme candidat ouvrier dans Hochelaga aux élections provinciales de 1908, il est défait en raison des maigres ressources financières du parti qui ne lui permettent même pas d’acquérir une copie de la liste électorale. Il oeuvre aussi au sein du parti sur la scène municipale. Il réclame notamment une réforme de la charte de la ville, souhaitant une plus grande démocratie qui passerait par l’abolition du cens d’éligibilité et la municipalisation de monopoles de services publics. En 1921, il rompt avec le Parti ouvrier en raison de l’influence croissante exercée par les socialistes, des sociaux-démocrates et des communistes. Dès lors, il favorise plutôt l’appui de candidats sympathiques aux intérêts syndicaux et il se rapproche du Parti libéral.

Après avoir créé des journaux syndicaux (Vox Populi, L’Ouvrier) dont la vie est éphémère, il fonde en 1916, en collaboration avec le CMTM, Le Monde ouvrier/The Labor World qui deviendra l’organe officiel des syndicats internationaux de Montréal et qui est encore aujourd’hui celui de la FTQ. Il en est propriétaire jusqu’en 1941, alors qu’il le cède à la FPTQ. Il en signe les éditoriaux de son nom ou du pseudonyme « Socius » pendant les années où il est à l’emploi du gouvernement. Ainsi, après avoir été membre de la Commission d’étude sur la réparation des accidents du travail, en 1923, il est président de la Commission du salaire minimum des femmes, de 1925 à 1937. Il sera vice-président de la Commission du salaire minimum de 1939 à 1944.

Comme plusieurs syndicalistes internationaux québécois, Francq revendique, depuis le début du siècle, l’instauration par le gouvernement de mesures sociales telles que les pensions de vieillesse, l’assurance-chômage, l’assurance maladie et l’assurance hospitalisation ainsi que les allocations familiales. Il réclame aussi, contrairement à la Fédération américaine du travail et de certains de ses représentants québécois, que l’État joue un rôle régulateur dans les relations du travail.

Après avoir quitté la fonction publique, Francq redevient un des dirigeants du CEPQ. En outre, il participe activement à la fondation de la Fédération provinciale du travail du Québec, en 1938, dont il devient le secrétaire-trésorier jusqu’en 1939, puis de 1944 à 1948. Il meurt en 1952 après avoir laissé, par son long et intense engagement, sa marque sur le mouvement ouvrier québécois.

Cette étude sur un des personnages syndicaux québécois les plus importants constitue un apport indéniable pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des courants réformateurs de la première moitié du xxe siècle, car elle fait ressortir les liens entre les différents groupes et montre à quel point un leader ouvrier comme Gustave Francq a pu influer sur l’évolution de la société québécoise. L’ouvrage contient également deux annexes facilitant le repérage temporel : d’abord une chronologie de la vie de Francq, puis la liste des postes syndicaux et politiques qu’il a occupés en 1904 à 1950. Nous y retrouvons aussi un index des noms cités. Il est très bien documenté et il est présenté de façon claire et structurée.