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La traduction anglaise de La grande paix de Montréal de 1701 : les voies de la diplomatie franco-amérindienne de Gilles Havard publié en 1992 par Recherches amérindiennes au Québec est bien plus qu’une simple traduction. L’auteur y a apporté des mises à jour importantes (surtout les travaux réalisés sur les Amérindiens des Grands Lacs) et sa bibliographie a, elle aussi, été refaite. Il répondait ainsi à la critique principale de son premier livre où il s’appuyait presque exclusivement sur la correspondance des autorités coloniales pour extrapoler sur la grande diplomatie de 1701.

Havard a soigneusement examiné les échanges diplomatiques entre les nations autochtones et les Français qui ont culminé à la Grande Paix de 1701. En ce faisant, il s’éloigne de la tradition historiographique dont le précepte place l’avènement de Louis XIV ou les nombreux conflits armés entre la France et l’Angleterre en Amérique du Nord à partir des années 1680 comme ayant été les points marquants dans les annales de la colonie. L’auteur considère plutôt que les retombées économiques, politiques, et militaires de la Grande Paix de 1701 — qui annonçait la mission de neutralisation de l’expansion des colonies anglaises de la population française en Amérique du Nord — la place à un pied d’égalité avec les autres événements clefs dans l’histoire de la Nouvelle-France et demandait à être étudiée plus profondément (p. 179).

De plus, l’approche multidisciplinaire de Havard nous permet également d’aller au coeur des comportements amérindiens dans leurs démarches auprès des coloniaux français et anglais. L’historien note qu’une analyse anthropologique est nécessaire pour réussir à déchiffrer les manuscrits européens dont les greffiers reproduisaient systématiquement tout ce que disaient les Amérindiens sans pour autant en saisir le symbolisme et les nuances. Il poursuit donc dans la tradition de la « nouvelle histoire amérindienne » qui remet en question les sources précédemment utilisées ad nauseam pour confirmer la prétendue soumission d’Amérindiens aux colons européens. L’auteur décrit admirablement bien la multiplicité de facteurs qui sont entrés en ligne de cause dans le dessein de mettre fin à cinquante ans de guerres iroquoises en 1701. L’insignifiance démographique des Français en Amérique, les ressources financières limitées ainsi que les capacités militaires circonscrites du gouvernement colonial n’ont pas été les seuls enjeux qui ont mené à la Grande Paix. Havard nous rappelle que la motivation des autorités coloniales n’était pas suffisante pour imposer la loi puisque la population française ne représentait qu’un groupe parmi les quarante nations qui ont envoyé quelque 1300 délégués à Montréal en 1701 (p. 4). L’importance de la diversité des nations autochtones a déterminé l’impasse des négociations qui se sont poursuivies entre 1697 (l’année d’une signature de paix entre la France et l’Angleterre) et 1701. C’est que la trentaine de nations des Grands Lacs avaient chacune leurs propres objectifs indépendamment des désirs des Français et de leurs propres alliés amérindiens. Pour leur part, les cinq nations de la Confédération iroquoise ne représentaient pas plus un groupe homogène. La rivalité entre les nations francophiles, anglophiles et neutres iroquoises a retardé la paix pour au moins trois ans (p. 66). L’analyse minutieuse du protocole amérindien (adopté par les représentants coloniaux) ainsi que celui de l’ordre de préséance suivie dans la documentation diplomatique du traité de la Grande Paix de Havard nous éclaire sur l’influence qu’avaient les nations autochtones sur les Français ainsi que sur la hiérarchisation existante des nations au sein de l’alliance tripartite.

Havard tranche également sur le résultat obtenu par les différents cosignataires de la convention. En ce faisant, il va à l’encontre de plusieurs hypothèses historiques reçues quitte à priser certains collègues. L’auteur affirme que les Iroquois étaient motivés avant tout par le besoin de compensation démographique (p. 164) ce qui contredit la théorie économique de tous ceux et celles qui ont écrit sur les « guerres du castor » dont le précurseur fut George T. Hunt. Havard est particulièrement sévère envers les historiens qui affirment que les Iroquois auraient été les grands gagnants de la diplomatie achevée en 1701. Il précise qu’Olivia Dickason confond le début du xviiie siècle avec les années 1660 quand elle avance que les Iroquois dominèrent la région après la Grande Paix (p. 166) tandis qu’il insiste sur les errements de jugement de la part de J. A. Brandao et William A. Starna sur le triomphe incontesté des Iroquois tout au long de son livre.

Au contraire, l’historien est capable de discerner les nuances des suites de la Grande Paix. Les Iroquois ont assuré leur souveraineté en dépit des ambitions coloniales anglaises et ont également solidifié les liens de la Confédération iroquoise. Les nations des Pays d’en haut y ont gagné en diminuant leur dépendance économique sur les Français en ayant accès au commerce avec Albany. Mais selon Havard, ce sont plus spécialement les Français qui sont sortis victorieux en 1701. Montréal est devenu le centre diplomatique par excellence de tout le continent nord américain. La ville a attiré des nations venant du nord du lac Supérieur jusqu’au Mississipi en passant par New York. La petite colonie française a ainsi acquis et maintenu une influence hors de toute proportion. La neutralité des Iroquois, la construction du fort Détroit et leur présence continue dans l’Ouest ont permis la construction d’un véritable empire français en Amérique du Nord grâce au cantonnement des Anglais sur la côte est du continent.

The Great Peace est un ouvrage splendide qui avec ses annexes détaillées, son excellente introduction sur la diplomatie amérindienne, son bilan diplomatique qui a débouché sur la Grande Paix de 1701 et sur les conséquences de cette diplomatie autrefois négligée dans l’historiographie traditionnelle nous donne une perspective nouvelle sur cet épisode déterminant de l’histoire coloniale française en Amérique du Nord. Les lecteurs qui ont lu l’édition française pourront eux aussi bénéficier de la lecture « nouvelle » de son oeuvre grâce à l’analyse plus approfondie de la traduction anglaise.